Le petit sac

C’est un exercice à contrainte de plus en plus difficile : comment composer son petit sac quand on part pour un périple lointain sans garantie de trouver son bagage sur le tapis roulant de la destination finale ? On doit en théorie y caser un nécessaire de survie complet avec des exceptions de plus en plus nombreuses : pas d’objet en métal, pas de denrée périssable, pas de flacon de plus de plus 20 ml, pas de document compromettant au regard des autorités locales…

P1030390Proscrits donc les outils basiques du castor junior, le couteau suisse ou le leatherman. Interdits la petite bouteille d’eau  (que l’on devra acheter à prix d’or dans la salle d’embarquement) ou le vaporisateur anti-moustiques. Pourtant il faut bien se doter de quelques ustensiles nécessaires à quelques jours d’autonomie dans bagage. Pas simple : le PQ arrive en tête, suivi par la trousse de toilette réduite à sa substantifique moelle. Nous ajouterons pour le gros du chargement un change complet (le plus léger possible) comprenant éventuellement un Kway pour les pays sensibles à la mousson (le mini-parapluie pourrait ne pas passer la rampe). Un paréo peut être utile pour faire office de serviette de bain, de toilette ou même de torchon le cas échéant. Un pourra ajouter une casquette ou un chapeau roulé (un panama pour les plus riches) ainsi que des lunettes de soleil. L’idée générale restant, lorsqu’on se dirige vers les zones tropicales, de porter un maximum de choses sur soi  – chaussures fermées, veste, pantalon – pour gagner un maximum de place.

Outre un guide, l’idée peut être d’emporter un ouvrage instructif mais divertissant pour leschier attentes nocturnes dans les aéroports. Les oeuvres sérieuses demandant un peu plus de concentration peuvent rester dans la bagage en soute. Reste maintenant le dilemme le plus délicat : faut-il emporter des objets connectés ?  Téléphone, tablette ou ordinateur portable ? Pour ma part le choix est fait. Le téléphone restera dans un tiroir. La question de la tablette ne se pose pas. J’emporterai, pour la première fois, mon ordinateur portable. Il est assez vieux pour accepter de mourir dans un pays exotique (toujours considérer qu’un objet emporté peut ne pas revenir) et il pourrait me prendre des envies d’écrire, avec ou sans connexion, peu importe.

Le risque : arborer, même si la machine est a priori invisible, des signes extérieurs de richesse. Très mauvais. Mais le plus à craindre ne proviendra vraisemblablement pas de l’environnement mais du sentiment intime d’avoir quelque chose à cacher. Nous sommes assez doués pour nous compliquer l’existence tous seuls, non ?

Livres ouverts

Deux livres ouverts simultanément c’est l’habitude du tenancier. Un roman et un essai, histoire de varier les plaisirs, manière aussi d’épouser les moments, les humeurs de la journée. La fiction est dévolue aux lectures du soir, parfois à celles des petits matins paisibles quand la maison dort encore. L’essai est une lecture de journée, qui se séquence plus volontiers. De ce côté je suis toujours plongé dans la lecture De Quel Amour Blessée d’Alain Borer, qui se déguste à petites doses, page à page.

dalvaCette lenteur est sans doute due au fait qu’il arrive des périodes où l’on se laisse déborder  en ayant trois, quatre, cinq… dix livres sur le feu. C’est le cas en ce moment et cela traduit sans doute une certaine confusion de l’esprit. Mais comment renoncer à Léonard, à Marguerite de Navarre ou Jane Austen, qui sont inscrits dans des temporalités plus longues et qui trainent sur une table de nuit, un bureau ou une commode. Un problème se pose toutefois : à force de trimbaler les livres dans une grande maison, il arrive qu’ils égarent. C’est le cas du roman en cours de lecture : Dalva de Jim Harrison. Un excellent bouquin, avec lequel j’avais rendez-vous depuis des années, mais que je n’avais pas encore pris le temps de visiter. Cet imbécile a disparu en pleine action, alors qu’un chercheur alcoolique débute un travail sur les notes inédites d’un ancêtre ayant vécu parmi les Sioux. C’est délié, fantasque, érudit, intelligent…  Un vrai grand roman. Mais cet âne est introuvable. J’ai retourné deux ou trois fois la maison, sans succès. Peut-être se repose-t-il sous les coussins d’un fauteuil dans le coffre d’une voiture ou au fond d’un sac à dos. Mystère. C’est assez frustrant parce qu’il s’agit justement du genre de bouquin qui appelle une lecture d’une traite. Un film en quelque sorte dont on a envie de connaître la suite.

Par bonheur je n’aurai pas ce souci dans les semaines qui viennent. Il va falloir choisir le livre unique qui m’accompagnera au cours d’un séjour lointain. Les habitués de l’atelier connaissent mes manies : un seul livre pour voyager léger. Un ouvrage de la pléiade fait toujours l’affaire. Faute de moyens ce sera une relecture. Pour l’heure Borgès et le classique Chinois Pérégrination vers l’Ouest sont sur les rangs. Cioran ou Levi Strauss pourraient également s’inviter, avec l’avantage de n’avoir été lus que partiellement, mais le premier est un peu noir pour la route et le second un peu technique. A voir. Tout est ouvert. L’essentiel est que Dalva ressorte du bois dans l’intervalle, histoire de mettre un terme à cette impression d’inachevé qui prévaut quand un trop grand nombre de livres sont ouverts en même temps.

Léonard

Il est des tentations auxquelles on est heureux de ne pas avoir succombé quand elles se sont présentées. Celle par exemple de sortir d’une librairie lesté du somptueux ouvrage consacré à l’oeuvre de Leonard de Vinci par l’éditeur allemand Taschen. Probablement le plus complet à ce jour et surtout le plus magnifiquement illustré. L’une des singularités de cette édition est de placer sa focale au plus près de l’oeuvre, proposant des reproductions en pleine page de moult détails. Une idée géniale – mais on n’en demande pas moins pour un ouvrage sur Léonard – pour qui n’a pas l’occasion de musarder tous les matins dans les musées du monde,  couplée à un artifice technique très malin : l’emboitage se plie et pour se transformer, au besoin, en lutrin.

leonard

Il est des tentations auxquelles on est heureux de ne pas avoir succombé lorsqu’un ouvrage comme celui-ci s’invite comme par magie à votre table, qui plus est emballé dans un grande feuille cartonnée retraçant l’histoire de l’imprimerie. Exonéré de toute culpabilité, l’objet sort du champ de l’échange marchand pour devenir une pure promesse de plaisir à venir. Il n’est pas question ici de faire l’article sur Léonard, qui n’a besoin de personne pour exister, pas même sur cette édition, qu’il va maintenant falloir explorer, mais simplement de dire qu’en ces temps de frénésie, le simple fait de savoir que l’on peut à tout moment traverser le temps pour commercer avec un pareil personnage est une perspective délicieuse.

Une cocotte en fonte et l’oeuvre de Léonard à portée de main, finalement il est des privilèges discrets que l’âge apporte sans faire de bruit mais avec un heureux discernement.

Un cauchemar contemporain

par Thierry Guidet *

Tout commence le 11 février 2015. Un peu avant 9 h, Yoann Barbereau, le directeur de l’Alliance française d’Irkoutsk (Sibérie) est brutalement arrêté à son domicile par une dizaine d’hommes, en présence de son épouse ainsi que de la fille du couple, âgée de 5 ans. Certains des hommes ont le visage masqué, aucun ne porte d’uniforme. Yoann Barbereau est menotté, son visage est recouvert d’une cagoule. Il est transporté dans un endroit tenu secret. On le frappe, on l’insulte. Dans le même temps, le domicile du couple est perquisitionné.

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Yoann Barbereau est né en 1978 à Nantes. Après de brillantes études de philosophie, il dispense des enseignements à Polytechnique et à Sciences-Po Paris. Sa passion pour la Russie, le pays dont son épouse est originaire, l’a conduit à Irkoutsk où il a efficacement œuvré à mieux faire connaître la langue et la culture françaises.

 

Yoann Barbereau est finalement conduit vers 12 h dans un commissariat. Il apprend qu’on lui reproche d’avoir mis en ligne, sur un site dédié aux jeunes parents trois photos intimes de lui-même et de son épouse ainsi qu’un selfie pris au sortir de la douche où lui-même et sa fille apparaissent nus. 
 Ces photos personnelles lui ont été volées. Leur mise en ligne relève du piratage de données informatiques. Yoann Barbereau pourrait déposer une plainte, cependant c’est lui que les enquêteurs accusent, contre toute logique. Comment imaginer qu’une personnalité en vue comme Yoann Barbereau se livre à un acte aussi absurde ? En outre, il a pu prouver qu’il était absent au moment où il est censé avoir mis en ligne ces images.

12-02-16 au soir fin garde à vue (2)Le lendemain, la fillette du couple Héloïse est à son tour interrogée. « Si tu veux revoir ton papa, réponds “oui” ». L’enfant finit par acquiescer aux policiers qui suggèrent des attouchements sexuels du père sur la petite fille.  Dès la sortie du commissariat, l’enfant explique à sa mère avoir eu la tête « embrouillée » et revient sur ses déclarations. Yoann Barbereau n’a d’ailleurs jamais été interrogé à ce sujet. Il est jeté en prison pendant 71 jours puis séjourne deux semaines en hôpital psychiatrique. Depuis, il est assigné à résidence, muni d’un bracelet électronique. En octobre 2015, la juge chargée de l’affaire ordonne sa mise en liberté. Elle est aussitôt blâmée, dessaisie du dossier tandis que le président du tribunal est muté. On se perd en conjectures sur les raisons de cet acharnement.

Agent du ministère des Affaires étrangères, Yoann Barbereau est pleinement soutenu par son administration, totalement convaincue de son innocence. L’ambassadeur de France à Moscou Jean-Maurice Ripert est fréquemment intervenu auprès des autorités russes. Ces dernières semaines, Jean-Marc Ayrault, le ministre des Affaires étrangères, a évoqué la question à plusieurs reprises en tête-à-tête avec son homologue russe, Sergueï Lavrov.

Mais les espoirs d’une solution diplomatique sont aujourd’hui déçus. Le procès de Yoann Barbereau s’ouvre. Il encourt vingt ans de prison. C’est pourquoi la famille et le comité de soutien ont résolu de rompre le silence qu’ils s’étaient imposés. Ils ont décidé d’alerter l’opinion et les médias français et russes.

En pratique

* Thierry Guidet, journaliste et écrivain, fondateur de la revue Place Publique, est le président du comité de soutien de Yoann Barbereau.

 

Pour saluer Marco

Un grand monsieur vient de disparaitre. L’un des hommes politiques le plus fantasques et les plus créatifs que l’Europe ait connu depuis la seconde guerre mondiale. Marco Pannella, dirigeant historique du Partito Radicale, ce parti transnational “libéral et libertaire”, défenseur de tous les droits humain, était un aristocrate de la politique, inclassable, généreux, imprévisible, profondément attaché à la lutte non-violente.

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Marco Pannella et le Dalaï Lama DR

Admirateur de Gandhi, Il a surtout marqué les esprits par ses jeûnes à répétition, qu’il n’hésitait pas à poursuive jusqu’à la limite extrême de ses forces, pour obtenir un engagement de l’Europe contre la faim et la malnutrition ou, plus récemment, pour alerter l’opinion sur la condition des détenus en Italie. Homme de culture, proche de Leonard Sciascia comme de Pier-Paolo Pasolini, Marco, docteur en droit, parlait un français parfait.

La Cicciolina

La Cicciolina, députée Radicale

Politiquement, il était allergique à tout dogmatisme. Je me souviens des cris d’orfraie poussés par les militants de gauche lorsqu’il s’était rendu à un congrès du MSI, le parti d’extrême-droite Italien. Marco parlait à tout le monde, considérait que chaque être humain, quel qu’il soit, avait droit à la considération, ce qui ne l’empêchait pas de dire ce qu’il pensait, de mener des luttes épiques pour le droit au divorce, à l’avortement ou la légalisation des drogues douces. Il croyait en la liberté et en la responsabilité de chacun.

Marco déployait des trésors d’imagination pour faire valoir son point de vue, allant  jusqu’à faire élire une actrice de films porno à la Camera dei Deputati en 1987, une provocation dont il s’amusait beaucoup. Cette sulfureuse biographie politique n’a pas empêché le pape François de se préoccuper de sa santé ces derniers jours. Marco était un homme aimé des Italiens pour sa générosité et son franc-parler.

J’ai eu la chance de travailler avec lui au début des années quatre-vingt. A Bruxelles, à Strasbourg et surtout à Rome. A Strasbourg il s’agissait de rendre public un débat sur la faim et la malnutrition, que l’Assemblée européenne avait décidé de conduire à huis clos. Il voulait que ce débat soit rendu public. Nous avons donc monté une opération clandestine, installant un émetteur HF dans son bureau, où les débats étaient retransmis, discrètement loué une grosse sono, que nous avions prévu d’installer devant le parlement, dans le périmètre bénéficiant du statut d’extra-territorialité, négocié la retransmission des débats avec une radio strasbourgeoise et préparé une manifestation pacifique sur le parvis. L’affaire a malheureusement fuité et un cordon de CRS entourait le parlement le jour J  lorsque nous avons voulu installer la sono. J’étais désespéré, mais lui riait. Son pari était gagné, nous avions attiré l’attention sur ce débat.

C’était Marco.

 

Jorge Luis Borges : l’électricité des mots

Les cahiers de l’Herne ont eu l’excellente idée de réimprimer le numéro consacré à Jorge Luis Borges, épuisé depuis un demi-siècle (1964). Une somme de témoignages, de regards croisés, qui nous permet de faire connaissance avec le Borges intime, notamment sous la plume de ses meilleurs amis. Impossible évidemment de résumer en une courte note la richesse de cet ouvrage de 464 pages. Pour les lecteurs qui n’auraient pas encore eu la chance de fréquenter cet auteur vertigineux, voici quelques extraits d’un jeu auquel lui a demandé de se livrer l’une de ses connaissances, Carlos Peralta en commentant, au débotté quelques mots choisis. L’entretien, titré « l’électricité des mots » se déroule à l’hôtel Cervantes de Buenos Aires. Borges s’y prête volontiers, amusé.

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INDIVIDU : Je me souviens du traité de Spencer, le philosophe anglais. Spencer pensait l’individualisme à un tel extrême qu’il s’opposait à la monnaie officielle et considérait que chaque personne devait frapper sa propre monnaie. Il rejetait également les armées des Etats, et pensait, sans doute, que les armées appartenant à de petites compagnies privées étaient ce qu’il y avait de mieux. Qu’aurait-il pensé en voyant l’Angleterre nationaliser les chemins de fer ! Peut-être que les compagnies nationalisées deviennent lentes et coûteuses, comme cela s’est produit aussi en Argentine. Je me souviens que mon père se définissait politiquement comme un anarchiste individualiste. Et je crois que moi aussi je me définis comme un anarchiste individualiste.

DIEU : Je dirais que l’idée de Dieu, d’un être sage, tout-puissant, et qui, de plus, nous aime, est une des créations les plus hardies de la littérature fantastique. Je préférerais, malgré tout, que l’idée de Dieu appartint à la littérature réaliste.

FEMMES : Avec une certaine tristesse, je découvre que toute ma vie je l’ai passée à penser à une femme ou à une autre. J’ai cru voir des pays, des villes, mais il y a toujours quelque femme pour faire écran entre les objets et moi. Il est possible que j’eusse aimé qu’il n’en fut pas ainsi : j’aurais préféré me consacrer entièrement à la jouissance de la métaphysique, ou de la linguistique ou à tout autre matière.

MORT : La pensée de la mort, je la recherche pour me consoler des difficultés et des choses fâcheuses. Devant n’importe quel malheur, je pense que j’ai encore à vivre une expérience complètement neuve. Je crois qu’on devrait se sentir excité devant une telle chose, le passage à quelque chose de fondamentalement distinct, à quelque chose qui – à moi du moins – ne m’est jamais arrivé. Non pas pour les châtiments ou les récompenses – ce serait puéril – : parce que s’ouvre une vie nouvelle, ou qu’il n’y a rien, et cela aussi, ce serait nouveau.

CELEBRITE : Pour le peu que j’en connais, c’est une incommodité. L’homme célèbre ne se reconnait pas tout à fait en celui que voient les autres. Cela n’améliore personne. Bien sûr, l’obscurité aussi doit être incommode, et aussi la célébrité ne peut être enviable que pour qui ne l’a pas encore eue.

TEMPS : J’ai pensé ou écrit tellement sur le temps… Mais je vais vous raconter une anecdote : un philosophe argentin et moi, nous conversions au sujet du temps, et le philosophe dit : « Dans ce domaine, on a fait de gros progrès ces dernières années. » et moi j’ai pensé que si je lui avais posé une question sur l’espace, sûr qu’il me répondait : « Dans ce domaine, on fait de gros progrès ces derniers cent mètres. »
Vous vous rendez compte : alors on attend jusqu’à la fin du mois, voilà qu’on sait tout sur le temps…

NB : ce billet a été publié une première fois en mai 2014.

Le goût des autres (éloge de la cocotte en fonte)

Un bel exemple des effets délétères de notre perte progressive de culture technique au profit de produits prêts à l’emploi, est notre dépendance grandissante à l’alimentation industrielle. On le mesure régulièrement en consultant les étiquettes des emballages de plats préparés. On s’en scandalise rituellement en lisant les enquêtes de magazines à grand tirage qui détaillent les horreurs parvenant dans nos assiettes.

Mais comment faire ? Peut-être en réinventant l’eau tiède tout simplement. Je viens, pour ma part, d’adopter une solution qui ne cesse de m’épater : la cocotte en fonte de grand-maman. Certes c’est un investissement important (une véritable cocotte made in France coûte autour de 250€), mais un investissement durable comme on dit maintenant et surtout un outil magique pour préparer d’authentiques petits plats avec des produits simples et peu chers.

1332356-staub-cocotte-round-aLa technique est d’une simplicité biblique : il suffit de laisser mijoter tranquillement une préparation sommaire à feu doux, de sorte que viandes et légumes s’imprègnent lentement du goût des autres, des herbes et des épices que l’on a pris soin d’ajouter à la composition. Avantage notable : cette technique permet de mettre en valeur des légumes basiques, non cuisinés et des viandes peu courues et donc peu chères. Inconvénient majeur : une préparation très en amont du repas, qui demande une disponibilité que tout le monde n’a pas. L’alibi du temps proprement dit n’en est pas un puisque vingt minutes suffisent pour réaliser une préparation courante.

Rassurez-vous, votre serviteur n’a aucune prétention, mais vraiment aucune, en matière de cuisine. Pour l’heure il se contente de tester différentes formules, du petit salé aux lentilles à la jardinière de légumes aux pois cassés (achetés secs c’est l’avantage). Mais il a, pour la première fois, l’impression de disposer d’un outil simple, docile et intelligent, qui ne brusque pas les aliments mais leur donne l’occasion de s’exprimer. Une vraie découverte.

Enfin, n’exagérons pas. Tout le monde a une mère ou une grand-mère qui a l’intelligence pratique d’utiliser les bons outils au bon moment. Et de réussir des préparations divines, l’air de rien, avec quelques légumes qui traînent au frigo.  Il suffit d’observer et de retrouver ce plaisir créatif qui consiste à laisser vagabonder son imagination au moment de choisir les ingrédients ou de faire marcher son intuition en goûtant la préparation.

A ce propos, le tenancier est preneur d’idées simples pour élargir sa palette de possibilités qui épatent jusqu’aux ados, pourtant d’ordinaires assez bégueules et peu aventuriers en matière de préparations culinaires.

Les avions ne tombent pas du ciel

mis à jour le 24/04/16 à 16h40

Il y a une forme de romantisme, d’attachement à la culture technique et scientifique que les opposants à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes semblent ne pas comprendre, préférant réduire le conflit à une bataille entre défenseurs de la nature et bétonneurs. L’invention, l’innovation, la résolution de problèmes techniques apparemment insolubles sont consubstantiels d’un bassin industriel où l’on a conçu les premiers vapeurs, fabriqué les premiers avions. Où l’on planche aujourd’hui sur les EMR (énergies marines renouvelables).  Le supposé aveuglement des populations ne suffit pas à expliquer l’attachement à ce projet, redouté par des opposants qui multiplient les obstacles pour que les électeurs soient consultés.

affiche snOn n’échappe pas à l’histoire pour comprendre cet attachement. Et le travail sur le guide « S’installer à Saint-Nazaire » m’en donne l’occasion. L’aventure industrielle de cette ville passe en effet, très tôt, par la construction aéronautique. Dès 1923 les Chantiers de Penhoët débutent la fabrication d’un premier hydravion. Le Richard-Penhoët, un pentamoteur, n’aura pas un grand avenir – le prototype explose en vol – mais enclenchera une mécanique qui, depuis lors, n’a cessé de tourner et de marquer l’imaginaire local. Une de grandes questions à Saint-Nazaire est de savoir si l’hydravion jaune qui emporte Tintin et le capitaine Haddock dans « Les 7 boules de Cristal » a été fabriqué sur les bords de la Loire ou non.

La suite sera plus convaincante, les Ateliers et Chantiers de la Loire mettent au point un monoplan, le Gourdou-Lesseure 32. Cet avion, à structure bois recouverte de toile, est assemblé près de l’aérodrome d’Escoublac à La Baule. Il en sera fabriqué 257 exemplaires. Quelques années plus tard, la décision est prise de construire un aérodrome sur la commune Montoir. Il s’agit notamment de répondre à la demande d’une compagnie aérienne britannique qui choisit Saint-Nazaire comme escale sur une ligne régulière desservant l’Afrique et les Indes. Les grands espaces n’ont jamais fait peur aux Nazairiens, c’est une ville de pionniers.london

En 1934 Louis Bréguet reprend la société Wibault-Penhoët, issue de Chantiers, et s’installe à Bouguenais, près d’un champ d’aviation créé en 1928, où est aujourd’hui installée l’une des deux usines Airbus du département. L’autre étant naturellement située à Montoir près de la piste de Gron.

Autre histoire facétieuse déjà évoquée ici, c’est Notre-Dame-des-Landes que les Américains choisissent en 1944 pour installer un petit aérodrome de campagne d’où décollent leurs avions d’observation qui surveillent la poche de Saint-Nazaire jusqu’en mai 1945. La ligne de démarcation se situe à quelques kilomètres entre Fay-de-Bretagne et Bouvron. Il s’agit de Piper, vraisemblablement du modèle Grassshoper.

On pourrait ainsi dérouler l’aventure jusqu’à nos jours et notamment évoquer le Beluga, familier des habitants du département, ce gros nounours qui transporte les pièces des Airbus entre les différentes usines. Mais là n’est pas la question. Allez dire à cette région d’inventeurs, qui a toujours cherché des solutions pour adapter, améliorer ses productions – Nantes a allégé les Airbus avec ses caissons centraux de voilure en carbone, dotés d’une structure en nid d’abeille – allez dire que le transport aérien est condamné.

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Cette peur de l’avenir ne lui ressemble pas. Les ingénieurs préfèrent inventer les hydroliennes et les avions du futur, qui mangeront moins d’énergie évidemment. Et si la régression qui consiste à refuser un équipement plus adapté aux contraintes du jour les étonne, ils ne la cautionneront vraisemblablement pas, comme le montrent toutes les enquêtes d’opinion. Même s’ils ne se déplacent pas en foule. C’est ce qui fait peur aux opposants, pour la plupart venus d’ailleurs, de régions où ne construit pas d’avions, et prisonniers de représentations bucoliques. Souhaitons malgré tout que la population puisse s’exprimer et que son vote soit respecté.

Images : DR

L’apparente simplicité du récit

Il est des bonheurs de lecture que l’on voudrait ne pas avoir vécus, pour en retrouver la fraîcheur originelle, les revivre à nouveau. Je ne pensais pas que ce pouvait être le cas pour le cinéma. C’est fait. La découverte d’Andreï Zviaguintsev est de l’ordre du trouble provoqué par la lecture de Tchékov. Quatre films d’une beauté formelle sidérante, d’une précision redoutable, mais surtout d’une profondeur infinie, que seuls, peut-être, les Russes sont en mesure explorer. C’est à se demander.

Le retour“Il n’y pas de héros dans mes films” explique Andreï Zviaguintsev dans le livret qui accompagne le coffret regroupant ces quatre premiers films “Il y a seulement une situation dans laquelle se retrouvent des personnages – hommes ou femmes, peu importe. C’est une situation de choix, et c’est ce choix auquel le personnage est confronté qui est le premier héros du film. L’autre héros, c’est le langage cinématographique qui va montrer le comportement des personnages à l’écran; et c’est l’idée du film qui en est l’héroïne (…) La lourde tâche du cinéaste, du créateur en général, consiste à essayer de rendre visible l’invisible. Ce qui se voit est temporel. Ce qui ne se voit pas est éternel.”

Pourquoi penser à Tchékov ? Sans doute pour la maitrise de la technique narrative. On est ici aussi dans le domaine de l’épure : pas un plan de trop, pas une ficelle attendue, pas une once de gras, tout s’emboîte parfaitement, tout fait sens. Et puis sans doute l’absence de chute. Zviaguintsev n’est pas un moraliste. C’est un observateur de la nature humaine, qui explore  les ressorts cachés de nos comportements, qu’il s’agisse des rapports ambigus entre un père et ses fils (Le Retour), entre un mari et sa femme (Le Bannissement), ou qu’il s’agisse de la déchirure entre classes sociales (Elena et Leviathan). c’est à la fois diablement contemporain – le tableau brossé de la Russie d’aujourd’hui est d’une précision clinique – et complètement intemporel. On n’est jamais dans le jugement, toujours dans l’observation. Et on joue évidemment avec les genres cinématographique. Elena est un authentique polar noir, qu’aurait pu écrire Edgard Poe.

Andreï Zviaguintsev est un admirateur d’Edward Hopper. Ce n’est pas étonnant. La Leviathanphotographie est extrêmement léchée, il travaille d’ailleurs avec le même chef opérateur depuis le départ. Mais cette beauté formelle n’est pas gratuite, elle n’habille pas le récit. Elle en participe. Il y a une véritable osmose entre le fond et la forme. Bref, du vrai grand cinéma, qu’on aimerait pouvoir partager, si on avait une plume de critique. Alors laissons la parole à un professionnel de la profession, Arnaud Schwartz de La Croix, pour conclure :”Ils ne sont pas si nombreux les films qui vous atteignent au plus profond de l’âme et vous accompagnent longtemps après, tandis que les questions affleurent à l’esprit. On les cherche ces oeuvres qui élèvent par la beauté de leurs images, l’épure de leur décor, l’évidence de leur lumière, l’apparente simplicité de leur récit pour vous entraîner vers ce que le cinéma porte de plus ouvert et de plus noble.”