Le Malais de Magellan 2

2 – Almenêches

Léonard accompagne Clément Marot au couvent d’Almenêches. Une étape au manoir d’Avoise, où il est question de propagation des idées nouvelles. Clément évoque le récit d’un marin Vénitien, auteur du découvrement des Indes supérieures. Les garçons au couvent. La prieure aux yeux jaune d’or. Retour en ville en compagnie d’une jeune nonne.

« S’il t’en a fait la demande, il me paraît difficile de refuser. On ne mécontente pas un client de cet aloi, d’autant qu’il vient de me passer commande d’un nouveau recueil de poèmes. Tu en profiteras pour livrer madame d’Avoise à Radon, c’est sur le chemin. » Léonard cache difficilement sa joie : Maitre du Bois l’autorise à déserter l’atelier trois jours durant pour accompagner Clément Marot à Almenêches, où la duchesse envoie son confident annoncer sa venue. Marguerite souhaite se faire une idée précise de l’état de l’abbaye Notre-Dame d’Almenêches, sur laquelle les rumeurs les plus folles courent la ville depuis des semaines. Au fil des visites à l’imprimerie, qu’il fréquente assidûment lors de ses passages à Alençon, Clément Marot s’est pris d’affection pour Léonard, dont il goûte le caractère enjoué et la curiosité. Sans compter le fait qu’être accompagné d’un jeune artisan lui simplifie la tâche. Le premier valet de la duchesse, c’est son titre officiel, doit voyager sans attirer l’attention, de sorte que l’évêque de Séez ne soit pas informé trop tôt de cette visite surprise. Ce grand débauché aurait tôt fait de rétablir un semblant d’ordre pour complaire à la reine de Navarre.

Marguerite a décidé la veille au soir de se rendre à Almenêches, situé à huit lieues au nord d’Alençon, par-delà la forêt d’Ecouves. Elle est coutumière de ce genre de d’expédition impromptue et ne craint pas les longues chevauchées. N’est-elle pas descendue jusqu’à Madrid quelques années plus tôt pour plaider la cause de son frère François, prisonnier de Charles Quint ? Clément est chargé de lui ouvrir la route, de prévoir une étape pour la mi-journée et d’informer la prieure de son arrivée le lendemain, en petit équipage. Outre le plaisir d’assouvir sa curiosité, d’approcher enfin ces moniales qui défraient la chronique – certaines ont, paraît-il, des enfants en nourrice dans le bourg -, Léonard est ravi de faire halte au manoir d’Avoise, où réside l’énigmatique Jeanne, la bienfaitrice de l’imprimerie, qui vient de se porter caution pour Maitre du Bois, menacé par plusieurs créanciers. Il n’a pas trop de la journée pour se préparer et passer le relais à Gaspard, l’apprenti, qui commence à bien se débrouiller. Les deux messagers doivent partir aux premières lueurs du jour. Léonard dormira chez Guillaume pour être prêt à l’aube. Clément Marot se montre aussi enchanté de rendre visite, au passage, à Jeanne d’Avoise, la belle veuve de Radon, qu’il a croisée une fois ou deux dans les appartements de Marguerite.

« Tu sais, Léonard, je suis sûr que nous allons parvenir à imposer les caractères romains. Il faut maintenant passer à l’acte. La duchesse nous soutient, tout comme la reine mère, qui veut donner au parler vulgaire une graphie à l’antique. » Clément se veut rassurant par cette fraîche matinée de mai sur le chemin qui borde la forêt d’Ecouves. Il est persuadé que les vieux barbons de la Sorbonne finiront par lâcher prise. Léonard ne demande qu’à partager son enthousiasme en goûtant chaque pas de cette équipée inespérée offerte par le confident de la duchesse. Clément Marot ne propose pas, au premier coup d’oeil, un visage très avenant : un front large, des yeux trop gros et trop ronds, un nez petit et une bouche indistincte, noyée sous une barbe mal taillée, mais ces défauts s’effacent rapidement et après deux ou trois jours de fréquentation il réussit à paraître extraordinairement bon, gentil et même beau. La vivacité de son esprit, capable d’aimanter l’attention de n’importe quelle assemblée, enchante le jeune imprimeur.

Les deux cavaliers ne tardent pas à rejoindre le manoir d’Avoise, annoncé par une longue allée plantée de chênes. Un enfant joue au pied de la tour d’escalier qui se détache de la façade de cette bâtisse élancée couverte d’ardoises. Ce doit être le fils de Jeanne, qui se rue dans la maison pour annoncer les visiteurs. Jeanne d’Avoise paraît sur le pas de la porte, laissant à peine le temps aux  cavaliers de descendre de leur monture. Un grand sourire éclaire le visage de la maîtresse de maison, qui reconnait immédiatement les deux visiteurs. « Que me vaut cet honneur, de si bon matin ? ». « Nous sommes venus vous apporter le lot d’Evangiles commandé à maître du Bois » bredouille Léonard, en attachant maladroitement son cheval à l’un des anneaux scellés dans la façade. Clément, lui goûte sans rien dire, au plaisir du moment : l’accueil simple et chaleureux de cette femme sans façons, couverte d’un grand tablier, sous le soleil matinal qui dissipe les derniers lambeaux de brume.

Jeanne les reçoit dans la grande cuisine qui s’ouvre à droite de la tour d’escalier, où elle prépare un gâteau en l’absence de sa cuisinière, et les invite à s’asseoir alors qu’elle reprend, sans retard, le travail de la pâte. Les manches retroussées, les cheveux noués à la va-vite n’altèrent pas la charme naturel de cette maitresse femme, à la voix grave et à l’œil clair, qui pilote seule le domaine d’Avoise depuis la mort de son mari.  Jeanne conserve dans cette posture inattendue de pâtissière un savoureux maintien aristocratique qui ravit les garçons. « Ne me dites pas, Clément, que vous avez fait le chemin exclusivement pour me livrer ces Evangiles » lance-t-elle amusée à Marot. « Non, effectivement » répond le valet de Marguerite en souriant « Même si c’eut été un authentique plaisir. Nous filons sur Almenêches, où la duchesse se rend demain pour mettre un peu d’ordre à l’abbaye Notre-Dame. »

« Il est possible qu’il y ait un peu de travail » répond instantanément Jeanne, dont le sens du dialogue enchante Marot, avant d’ajouter, plus grave « mais comment en vouloir à ces moniales, livrées à elles-mêmes depuis la mort de leur abbesse, qui n’ont pour toute autorité qu’un évêque dont la chronique des débauches court tous les chemins du duché ». Jeanne fait partie, avec Marguerite, de ces femmes ulcérées par la désinvolture coupable du clergé, et qui appellent de leurs vœux une sérieuse remise en question de ses mœurs. Conquise par les réflexions du cénacle de Meaux, elle œuvre discrètement à la propagation des idées nouvelles, auxquelles le roi lui-même, croit-on savoir, n’est pas indifférent. Même si François d’Angoulême n’a pas les coudées aussi franches que le souhaiterait sa sœur Marguerite, et doit louvoyer entre son alliance avec le pape en Italie et la perméabilité des princes allemands aux idées neuves.

Mais trêve de bavardages, il est temps de se remettre en selle. Le chemin est encore long jusqu’à Almenêches. Après ce plaisant détour, il faut reprendre par le travers pour rejoindre la Croix-Médavy et dévaler le versant septentrional de la forêt menant à La Ferrière où les parents de Guillaume occupent une grande ferme qui pourra accueillir l’équipage de Marguerite le lendemain. L’accueil est là-aussi chaleureux même si la mère de Guillaume, surprise en train de chantonner alors qu’elle plume une poule sur le pas de la porte, se montre terrorisée à l’annonce du passage de la duchesse le lendemain. Une journée pour tout mettre en ordre, nettoyer la cour, préparer une collation « c’est bien trop peu, c’est bien trop peu. Oh mon dieu, mon dieu ! » se lamente-t-elle. « Ne vous inquiétez pas » sourit Clément « la duchesse sera, au contraire, ravie, de passer un moment dans une ferme de son apanage, qu’elle regrette de ne pas arpenter plus souvent». Il est vrai que sur cette terre grasse des marches de Normandie, les fermes sont plutôt prospères et ont belle allure avec leurs cours carrées et leurs toits de tuiles rousses. 

« Il faut que je te confie quelque chose, Léonard, une découverte qui pourrait singulièrement changer la donne face aux sorbonnards » reprend Clément alors qu’ils quittent le couvert de la forêt. « Accroche-toi à ta selle parce que la nouvelle est proprement renversante. La duchesse m’a prêté le mois dernier un petit ouvrage, écrit en italien, offert à sa mère, la reine Louise, par le duc de Mantoue. Il s’agit du récit du découvrement de l’Inde supérieure et des îles Malucques fait par un marin vénitien, Antonio Pigafetta. Je ne suis pas certain que la reine mère, ni la duchesse aient mesuré la portée incroyable de ce récit, et les conséquences qui en découlent. Ce Pigafetta, parti sous les ordres d’un certain capitaine Magellano chercher une nouvelle route pour atteindre les îles Malucques et en prendre possession au nom du roi d’Espagne, prétend être revenu à Séville sans jamais avoir rebroussé chemin. En d’autres termes, il aurait effectué une circumnavigation autour du globe terrestre. Incroyable non ? Le plus étonnant est que ce récit, qui bouleverse notre perception du monde, n’a pour l’heure provoqué qu’une misérable querelle entre Charles Quint et le roi du Portugal, lesquels s’écharpent pour savoir à qui revient la souveraineté des Malucques au regard du traité de Tordesillas. Personne n’a encore réagi officiellement à ce qui apparaissait jusqu’alors comme une vue de l’esprit : la terre est définitivement ronde, et quelques hommes – ils seraient une vingtaine à être revenus – en sont la preuve vivante. » 

La lumière commence à décliner lorsque les deux cavaliers découvrent le bourg d’Almenêches, dominé par l’abbaye bénédictine et son imposante abbatiale. Le village fait penser à une couvée de poussins blottie autour d’une grosse mère-poule. Courbatus, morts de faim, mais surtout curieux de pénétrer dans l’enceinte de cette sulfureuse abbaye, Clément et Léonard s’empressent de toquer à la porte de la conciergerie, après avoir confié leurs chevaux à la ferme jouxtant le couvent. C’est sœur Théophanie, une grasse moniale au visage rubicond, qui leur ouvre la lourde porte. D’évidence, la sœur portière ne s’attendait pas à découvrir deux jeunes cavaliers sur le seuil. Les présentations faites, elle bredouille quelques mots de bienvenue, relève sa robe et court chercher la prieure pour faire face à la situation. Clément et Léonard ne sont pas mécontents du branle-bas de combat qu’ils vont vraisemblablement provoquer dans l’abbaye. La soirée s’annonce fort bien.

Sœur Théophanie réapparaît quelques instants plus tard en compagnie de la prieure, une souriante quadragénaire dont le léger voile blanc laisse échapper quelques mèches de cheveux blonds. « Entrez, je vous prie, nous sommes en train de préparer le souper. » Les sœurs, vêtues de simples robes grises – ou s’agit-il de blouses ? – les conduisent dans une pièce rectangulaire, donnant sur le cloître, où s’agitent trois ou quatre moniales autour d’une grande table de bois. « Souhaitez-vous vous restaurer un peu » questionne soeur Geneviève, la prieure, dont Léonard découvre étonné les yeux jaune d’or. « Si cela ne vous ennuie pas nous resterons à l’office, pendant que les sœurs assureront le service au réfectoire. » Les garçons ne demandent pas mieux que de partager une tranche de pâté dans cette salle odorante avec cette énigmatique prieure au débit lent et posé, mais au ton chaleureux et imperceptiblement enjoué, trahissant une sorte de distance bienveillante à l’égard du monde qui l’entoure. « Ainsi la duchesse arrive demain. Les appartements de l’abbesse sont libres, elle pourra s’y installer avec sa dame de compagnie. » Contrairement à ce que les garçons imaginaient, sœur Geneviève n’est nullement troublée par cette visite impromptue, qui aurait pu, logiquement, l’inquiéter. Elle se montre, au contraire, ravie. « J’espère qu’elle nous apporte de bonnes nouvelles, nous attendons la nomination d’une abbesse depuis deux ans maintenant, et je dois avouer que la tâche me dépasse un peu. »

Sœur Geneviève ne semble pas se sentir coupable des errements supposés des trente-sept pensionnaires du couvent, dont on fait des gorges chaudes en ville. De fait, l’atmosphère du lieu ne trahit apparemment aucun laisser-aller, mais révèle plutôt une ambiance familiale, un train domestique amical et familier. Les robes grises et les voiles blancs ne sont peut-être pas conformes aux canons des Bénédictines, mais ces tenues de travail montrent que chacune s’active à une tâche ou à une autre, dans cette communauté singulière. La plupart des moniales sont des filles de famille, dont les parents se sont débarrassés poliment faute de ressources suffisantes pour les doter convenablement. Ces femmes n’ont pas choisi leur condition et tentent de s’en accommoder du mieux qu’elles le peuvent. « Vous me direz demain ce que la duchesse attend de nous » conclut sœur Geneviève alors que les garçons achèvent leur collation « pour l’heure, il est temps pour vous de regagner la ferme, où maître Colin vous trouvera un endroit pour vous reposer. Je vous attendrai après la première messe. »

C’est dans le petit salon de réception de l’abbesse que Sœur Geneviève reçoit Clément le lendemain matin. Elle est cette fois vêtue de noir et pas un cheveu ne dépasse de sa coiffe amidonnée. Léonard n’a pas été convié à cet entretien mais doit se rendre au haras voisin, à une lieue d’Almenêches, pour y préparer quelques chevaux débourrés, appelés à rejoindre les écuries d’Alençon. Clément conduit  sans artifice la mission diplomatique que lui a confiée Marguerite, et dont il ne s’est pas complètement ouvert à Léonard : « La duchesse Marguerite est consciente du sort infligé à certaines jeunes filles présentes ici. Elle propose d’en ramener une à la cour d’Alençon, parmi celles qui n’ont pas prononcé leurs vœux naturellement,  pour parfaire son éducation et, sait-on jamais, lui ouvrir un avenir moins contraint. Par ailleurs, elle souhaite que les deux sœurs qui ont eu un enfant – elle en est informée – rejoignent en toute discrétion le couvent des Clarisses d’Alençon, avant que la prochaine abbesse ne prenne ses fonctions. » Le visage de soeur Geneviève s’empourpre légèrement mais la prieure reprend vite ses esprits. « Je reconnais la générosité de la duchesse ». Un silence, puis « Je crois savoir quelle moniale lui suggérer pour la cour. Elle va être enchantée, vous l’imaginez. En revanche, ce sera douloureux pour nos deux jeunes mères, qui sont avant tout victimes de leur naïveté et de la fourberie d’une bande  de cordeliers de passage l’an dernier. Mais la duchesse a raison, cette situation devenait périlleuse dans le village, où les enfants ont été placés en nourrice ». Clément goûte la franchise de la prieure, une femme décidément étonnante sous ses airs nonchalants, et se réjouit de pouvoir défendre l’intégrité de cette communauté malmenée par la rumeur, lorsque Marguerite lui demandera tout à l’heure de rendre compte de sa mission.

L’équipage de Marguerite se présente de bonne heure aux portes du couvent. La demi-douzaine de soldats qui compose son escorte rejoint Léonard à la ferme, où un dortoir a été préparé près de l’écurie. Et alors que sœur Geneviève et la duchesse entrent en conciliabule, les hommes se dirigent vers la taverne du Pot cassé, pour une soirée d’agapes qui ponctuera parfaitement l’escapade. Clément et Léonard sont de la partie mais s’isolent rapidement dans un coin de la taverne pour partager le récit des évènements de la journée. « Je crois savoir quelle est l’heureuse élue, confie Clément, après avoir raconté par le menu son entretien avec la prieure. Elle s’appelle Louise, je l’ai croisée au détour du cloître. Pas une beauté fatale, mais manifestement une fille de caractère. Le retour sur Alençon va être délicieux. »

Délicieux, ce retour l’est en effet, d’autant que passée la forêt d’Ecouves, la duchesse bifurque vers le château de Longrai, pour rendre visite à sa fille Jeanne qu’elle a confiée à son amie, Aimée de La Fayette, où la fillette est élevée à l’abri du tintamarre de la cour. La jeune Louise de Chauvigny – c’est bien elle qui a été choisie -, excellente cavalière, accompagne les garçons pour les deux dernières lieues qui séparent le pied de la forêt du château d’Alençon. Léonard a cru déceler un buste prometteur sous le flou de la chemise de la jeune fille qui ne revient toujours pas de la chance que lui procure la duchesse et fait preuve d’une grande volubilité, goûtant avec un plaisir communicatif ce chemin vers la liberté. Clément et Léonard en profitent pour la cuisiner discrètement sur les deux moniales appelées à rejoindre les Clarisses. Louise, de bonne composition envers ses deux anges gardiens, ne se fait guère prier. « L’histoire des cordeliers est un habillage convenu avec la prieure pour ne pas envenimer les choses. Mais en fait, les pères sont deux artisans du village, avec lesquels elles ont un peu trop lutiné ». Les garçons sont presque déçus. L’aventure de moines cordeliers abusant d’une nuée de moniales aurait eu de l’allure à la taverne des Sept colonnes, mais une amourette entre villageois et religieuses n’est pas mal non plus. « L’explication est en fait assez simple poursuit Louise, nous ne sommes pas cloîtrées et nous allons et venons régulièrement dans le village. C’est une sorte de compensation au fait qu’aucune d’entre nous, ou presque, n’a choisi de finir ses jours vieille fille » avant d’ajouter, facétieuse, en effleurant le regard de Léonard « mais pour ma part, le prince charmant n’est pas encore apparu. »

Le Malais de Magellan 1

1 – La Belle Charpente

Où l’on fait la connaissance de Léonard Cabaret, typographe à Alençon, et de Guillaume Bonaventure, son ami graveur. Une visite à La Belle Charpente. La cour de Marguerite de Navarre. Rumeurs de débauche au couvent d’Almenêches. Un clerc à l’imprimerie. La colère de maître du Bois.

Cette page ne respire pas, elle est beaucoup trop compacte. Léonard examine, dubitatif, la feuille qu’il vient de retirer de la presse. Ces satanés caractères gothiques, avec lesquels maître du Bois le contraint à composer, dressent une barrière hérissée de piquets entre l’œil et le texte, dessinent un champ clos inhospitalier et impénétrable à ses yeux fatigués. Léonard aimerait tant disposer d’une fonte de caractères romains, ces lettres souples et rondes qui caressent les yeux et parlent sans détour à l’esprit. Mais il sait que Simon du Bois n’en démordra pas. L’utilisation du gothique bâtard reste pour l’imprimeur la meilleure façon de se faire comprendre des simples et des rudes. Et puis le bâtard et ses caractères effilés est beaucoup moins gourmand en papier que ne l’est le romain. Léonard en convient à regret en épinglant la feuille sur le fil qui court le long des poutres au-dessus de sa tête.

La nuit commence à envelopper Alençon et la place du Palais se vide peu à peu devant les croisées de l’atelier. Le jeune compagnon est las, ses yeux se sont rougis au fil d’une longue journée passée à composer les premières pages du Sommaire de toute médecine et chirurgie que vient de confier à la maison Jehan Coëvrot, le médecin de la duchesse Marguerite. Gaspard, l’apprenti, après avoir gratté les tampons, a filé ; il est temps de regagner La Belle Charpente et de se caler devant un bon souper. Tant pis pour Guillaume, son ami graveur attendra demain pour partager un pichet de cidre. Léonard nettoie consciencieusement la presse à deux coups, ferme les volets avec application puis se dirige vers l’écurie voisine, où patiente sa monture. Indifférent aux échos de la rue, il franchit au pas la porte de la Barre avant de se diriger vers le bourg de Saint-Germain. Chemin faisant, le typographe – il aime ce titre nouveau qui commence à courir les ateliers – ne peut s’empêcher de songer à la manière d’aérer les textes qu’il compose. Il parait qu’à Paris on a introduit récemment de petites baguettes crochues entre les phrases pour reposer l’attention. Il faudra qu’il aille y voir de plus près.

Le bourg de Saint-Germain est silencieux, assoupi sous un gros nuage. Seule une lanterne témoigne d’un peu de vie à l’entrée de l’auberge d’où s’échappent quelques éclats de voix. Mais la lune est de bonne humeur ce soir et le chemin est sûr jusqu’à La Belle Charpente, la ferme familiale plantée un peu plus haut en bordure du bois d’Héloup. Léonard n’est pas peu fier de se déplacer à cheval. C’est un privilège accordé par le roi François aux imprimeurs, qui peuvent désormais porter l’épée quand ils sont passés maîtres, à l’image de Simon du Bois, parti quelques jours en vadrouille pour faire relier discrètement un lot d’ouvrages imprimés de frais. C’est son père, Mathurin, qui lui a offert ce cheval au printemps dernier, le jour de l’obtention de son brevet. Avec un sourire, sans dissimuler un beau soulagement, lui qui ne pensait rien faire de ce fils turbulent, envoyé à l’école paroissiale pour donner du grain à moudre à une insatiable curiosité. La vivacité d’esprit et la ténacité du garçon lui ont permis de maîtriser le latin et d’acquérir de précieux rudiments de grec.

La Belle Charpente est une ferme fortifiée construite à flanc de côteau sur les hauteurs d’Héloup. Elle est entourée de hauts murs en pierre ocre, percés de trois portes et dominée par une tour carrée qui rehausse le corps de logis et permet, au besoin, de surveiller les alentours. Ce modeste appareil défensif est dû à l’isolement de la ferme, qui fut construite au siècle précédent, aux grandes heures de la guerre avec les Anglais, à une époque où il était encore fort dangereux de vivre à l’écart des villages. Les temps ont bien changé, certes, et les bandes de soudards écumant les campagnes se sont raréfiées, mais Mathurin Cabaret ne glisse pas moins chaque soir d’épaisses barres en bois derrière les vantaux des portes, avant de lâcher ses deux gros chiens dans l’enceinte de la ferme.

La Belle Charpente est un assemblage composite, bâti à plusieurs époques, recouvert de toits pentus en tuiles plates que le temps a teintés d’un brun chaud, auquel le soleil donne parfois des allures de velours rouillé. Dans la grande salle basse, où crépite été comme hiver le feu qui réchauffe la marmite, sous le manteau de la cheminée, on se réunit sans façons pour le repas et l’on plonge allégrement les mains dans le grand plat, comme c’est l’usage. Ce soir, Léonard n’est pas très attentif aux conversations de la maisonnée, indifférent aux rituelles questions de sa mère, Anne, qui s’inquiète de lui voir le visage aussi fermé. Il est tout entier absorbé par cette affaire de clôture graphique. Le jeune homme est persuadé que les caractères romains, plus doux, composant des ensembles plus fluides, débarrasseraient la langue vulgaire de son aspect rugueux, l’aideraient à sortir de la gangue dans laquelle elle est encore prisonnière. Certes ce n’est pas à lui, modeste compositeur, de décider sur quel chemin doit s’engager la graphie, même si, il le sent bien, l’époque est à l’exploration, comme en témoignent les évolutions qui se font jour chaque année dans les ateliers de la rue Saint-Jacques à Paris. 

Guillaume Bonaventure est penché sur son pupitre face à la croisée ouverte dont les battants recouverts de papier huilé reflètent le soleil du matin. Tout entier absorbé par un tracé à l’encre sur une planche de poirier, une jambe curieusement tendue vers l’arrière, il n’a pas entendu Léonard pénétrer dans la pièce, pourtant desservie par un sonore escalier en bois. L’étrange posture de Guillaume fait naître un léger sourire sur le visage du visiteur, qui profite de cet instant de silence pour observer, depuis le chambranle de la porte, la précision et la sûreté du geste de son compagnon. « Tu n’as pas encore fait un sort à ce pestiféré ? » lance Léonard, un tantinet moqueur, qui découvre en s’approchant du pupitre le profil d’un homme couvert de bubons. « Arrête, j’ai gâché la planche hier soir en donnant un malheureux coup de gouge. Deux jours de labeur perdus d’un geste maladroit » répond Guillaume, sans se retourner « je commence à me demander si j’ai bien fait d’accepter l’offre de maître du Bois. Mais bon, à toute chose malheur est bon, je crois que ce pestiféré sera plus réussi que le précédent. »

Léonard passe rarement une journée sans rendre visite à son ami, même s’il attend habituellement la tombée de la nuit pour grimper les escaliers de la taverne des Sept Colonnes, au-dessus de laquelle Guillaume a installé son repaire. Histoire de commenter ensemble devant une chopine les évènements de la journée, qui ne font pas défaut à Alençon lorsque duchesse y tient sa cour. Ce matin,  Léonard souhaitait s’enquérir de l’avancée des travaux de Guillaume, récemment promu graveur attitré de Simon du Bois. L’imprimeur veut en effet rehausser le Sommaire de toute médecine et chirurgie de quelques estampes, à la manière des ouvrages illustrés qui commencent à voir le jour à Lyon, et c’est à Guillaume qu’il a confié la réalisation des planches. Léonard n’est pas innocent dans le choix de cet artisan discret et solitaire, qui n’était pas, il y a quelques mois encore, un familier de l’exercice. Mais les graveurs sont rares dans la petite cité des ducs, où l’imprimerie était encore inconnue voilà un couple d’années. Il fallait donc trouver un fin connaisseur du décor sur bois qui accepterait de travailler en creux plutôt qu’en volume. Et c’est tout naturellement que le choix s’est porté sur Guillaume, avec qui Léonard a usé ses culottes sur les bancs de l’école de la paroisse. Certes Guillaume est plutôt porté sur les monstres, les diables et les farfadets, à l’image de ceux sculptés aux encoignures du retable de l’église Notre-Dame, mais l’exercice ne lui déplait pas et l’impétrant se tire plutôt bien de la mission qui lui a été confiée.

Les yeux plissés par un sourire malicieux, Guillaume se retourne enfin après avoir reposé sa plume. « Voilà, je vais maintenant pouvoir me remettre à l’ouvrage, tu devrais l’avoir demain soir. » « Rien ne presse, maître du Bois n’est pas là, et je ne me risque pas encore à insérer les gravures dans la presse. Il ne m’a pas dit où il allait, mais je le soupçonne d’être parti relier le manuel d’instruction chrétienne de ses amis évangélistes qu’il imprime la nuit, en mon absence. A vrai dire, toutes ces cachoteries, qui ne trompent personne, me font plutôt rigoler, d’autant qu’elles font enrager le vicaire de Montsort, cette grosse outre avinée qui nous a tant tapé sur les doigts à l’école. Bon, je dois filer, il me faut préparer un nouveau pot d’encre et je n’ai pas intérêt à me rater si je veux avoir tiré le premier cahier du Sommaire avant son retour. Je repasse ce soir pour que tu m’en dises un peu plus sur l’histoire des sœurs d’Almenêches. Il paraît que la duchesse est inquiète et qu’elle a écrit à l’évêque pour se plaindre de la débauche qui semble régner au couvent. N’hésite pas à laisser traîner tes oreilles aux Sept Colonnes en m’attendant. »

La ville est en effervescence depuis l’arrivée de Marguerite, venue, pour la première fois, accompagnée de son nouvel époux, le roi de Navarre. Les commerçants, qui ouvrent, à cette heure matinale, leurs étals au pied des maisons à pans de bois de la Grand rue, rivalisent d’imagination pour marquer leur attachement à la duchesse. D’autant que les membres de la petite cour, l’imprévisible Clément Marot en tête, ne dédaignent pas arpenter les rues du centre pour échapper à la froideur des coursives du vieux donjon. Alençon a eu peur lorsque le duc Charles, qui avait apporté la prospérité à la ville, est mort au lendemain de la triste bataille de Pavie. Et c’est avec une joie partagée que la ville retrouve sa duchesse, à qui son frère de roi, François Ier, a laissé le duché de feu Charles IV d’Alençon en usufruit.

Belle surprise en arrivant rue du jeudi, l’atelier est ouvert. Simon du Bois est revenu plus tôt que prévu et converse avec un vieux monsieur sur le pas de la porte, indifférent au vacarme provoqué par les barriques qui roulent sur le pavé de la place du Palais. Le cheveu argenté débordant d’un chapeau de feutre,  les joues creusées de profondes rides sous des pommettes hautes, l’inconnu est vêtu d’un long manteau noir trahissant son appartenance au groupe de clercs qui entoure Marguerite.  Les deux hommes semblent bien se connaître et ne cachent pas le plaisir qu’ils ont à se retrouver. « Léonard, je te présente Jacques Lefevre, un ami très cher, dont j’ai eu le privilège d’imprimer quelques ouvrages lorsque j’étais à Paris » lance l’imprimeur en apercevant son jeune compagnon. « Maitre Lefevre d’Etaples ? »  « Lui-même, mon garçon »  répond le vieux monsieur, amusé, par la perte de contenance du jeune homme, rouge jusqu’aux oreilles, manifestement perturbé par cette rencontre inattendue. « Enchanté maître, bredouille Léonard, je… je n’imaginais pas vous rencontrer un jour en chair et en os ». Léonard peste intérieurement contre lui-même, maudissant cette ridicule émotivité qui lui empoisonne, si souvent, l’existence. A sa décharge, cette présence à Alençon du théoricien du cénacle de Meaux – si c’est bien lui, il a du mal à y croire – que certains comparent déjà au grand Erasme, est une telle surprise, que ce moment d’émotion est, somme toute, assez naturel. Certes, dans les rues d’Alençon, le philosophe ami de la duchesse ne doit guère être embarrassé par les admirateurs, qui sont bien peu nombreux à connaître les écrits. La nouvelle n’en est pas moins extraordinaire aux yeux de Léonard, qui sait le prix du travail de cet esprit éclairé, dont la traduction du Nouveau Testament vient de paraître à Anvers, en caractères romains s’il-vous-plait.

« Entrons, si vous le voulez bien, nous serons au calme pour bavarder » tranche maître du Bois, sortant ainsi Léonard de l’embarras « et toi, jeune homme, file nous préparer un pot d’encre, nous avons du pain sur la planche aujourd’hui. » L’atelier n’étant pas très spacieux,  Léonard, calé derrière un pilier, peut suivre la conversation qui se poursuit entre les deux hommes tout en incorporant ses pigments à un pot d’huile de lin. « L’atmosphère devient de plus en plus malsaine à Paris, explique le clerc, qui s’est assis sans façons sur un banc devant la casse, où sont soigneusement rangés les caractères « et la Sorbonne n’attend qu’une étincelle pour rallumer les bûchers. C’est pourquoi la reine de Navarre m’a suggéré de l’accompagner ici et de la suivre le mois prochain à Nérac, où je pourrai poursuivre mes travaux sous sa protection ». Simon du Bois fronce les sourcils et se laisse emporter par un de ces accès de colère dont il est coutumier : « Ces sorbonnards ne lâchent décidément rien. Même la protection du roi s’avère insuffisante désormais. Il ne leur suffit donc pas que Briçonnet soit rentré dans le rang et que votre cénacle ait été dissous. Je me demande comment tout cela va tourner. Quoi qu’il en soit la duchesse a eu une riche idée de m’inviter à déménager mon atelier dans cette bonne ville. La main d’œuvre est plus difficile à trouver, ajoute-t-il en jetant un regard amusé vers le pilier derrière lequel se cache Léonard, mais à tout le moins on peut y travailler au calme, à l’abri des foudres de ces imbéciles encapuchonnés. »

 

La retraite d’un grand éléphant

crédit photo : Le voyage à Nantes

Pierre Oréfice prend sa retraite. A 69 ans, Le directeur des Machines de l’île et créateur avec François Delarozière du Grand Eléphant de Nantes passe la main à Hélène Madec ainsi qu’à Laurent Mareschal pour la programmation des nefs (ce qui est bonne nouvelle).

Il est de bon ton, ces dernières années, dans les couloirs de l’Empire du Bien, de dénoncer la folie des grandeurs de ces créateurs qui ont joué depuis trente ans avec la ville, en ont fait une scène de théâtre permanent. Jean Blaise, François Delarozière, Pierre Oréfice, Jean-Luc Courcoult, les Machines, Royal de Luxe, sont devenus les punching-balls préférés de certaine gauche bien-pensante, prompte à brûler ce qu’elle a adoré. Au point d’acculer Johanna Rolland à abandonner L’arbre aux hérons, pour éviter d’être sacrifiée en place publique. 

C’est sans doute une forme de rançon du succès. Mais il n’est pas interdit d’avoir de la mémoire. De se souvenir du Water clash, de La véritable histoire de France, de la déambulation du Géant, de la catapulte à pianos, de la machine à croquer les pommes… Et de quelques explosions de scènes absurdes et sidérantes en pleine rue. Des folles émotions ressenties, dans les endroits, aux moments les plus inattendus. 

Il ne s’agit pas ici d’entamer un morceau de violon sur les Machines de l’île, chacun se fait bien l’idée qu’il en veut, tout en ne manquant pas d’y conduire ses amis de passage à Nantes, mais de saluer Pierre Oréfice. Administrateur historique du Royal de luxe, à l’époque où la troupe n’était qu’une bande de saltimbanques infréquentables. “Le tout n’est pas d’avoir des idées, encore faut-il les mettre en oeuvre” dit volontiers François Delarozière. C’est à cela que Pierre Oréfice s’est employé tout au long de son parcours (il est possible que lui-même n’en revienne pas). N’ayant pas nécessairement le beau rôle, mais assurant avec une constance et une détermination remarquables la faisabilité des projets, en construisant leur architecture.  

L’histoire rendra évidemment justice à ces créateurs, qui ont fait sortir la culture de ses boîtes noires, pour l’installer dans la rue. Qui ont rendu à tant de grandes personnes, leur regard d’enfant, les a projetées du fond d’elles-mêmes dans un univers qu’elles avaient coupablement oublié. Mais il est aussi autorisé de le dire au présent. Et c’est un plaisir de le faire. Amen. 

Le retour du Malais de Magellan

Marguerite de Navarre

Les familiers de cet atelier ont peut-être en mémoire les premiers essais de la suite que j’entendais donner au Malais de Magellan, paru en 2018. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la littérature ? Je ne sais, mais j’ai décidé de reprendre ce second volet, désormais bien avancé, qui pourrait paraître au printemps 2024. Si ces Essences souveraines, titre provisoire, sont appelées à se tenir toutes seules, elles mettront en scène les mêmes personnages et les lecteurs du Malais bénéficieront de précieux éléments de contexte. Problème, le livre, qui a recueilli un succès d’estime à la hauteur de ses modestes ambitions (300 exemplaires) est épuisé. Il n’est pas exclu qu’il soit réédité un jour, en compagnie du deuxième, voire du troisième volet, mais la question ne se pose pas pour le moment. J’ai donc eu l’idée de le publier en feuilleton dans cet atelier pour permettre à tous de le feuilleter, de se rafraîchir la mémoire, ou tout simplement de le découvrir. Si tout va bien – si je maîtrise convenablement la presse numérique – ce qui n’est pas gagné -, à raison d’un chapitre semaine, l’ensemble sera mis en ligne fin 2023 et pourra être consulté à loisir chapitre par chapitre.

Pour ce numéro zéro, je vous propose de consulter la maquette de la couverture (ci-dessus), qui donne l’argument, et de jeter un oeil sur l’avertissement, avec une singularité. Cet avertissement, retrouvé dans les archives de l’édition papier, n’est pas celui qui a été imprimé. Il en diffère dans la forme, mais l’esprit est le même. Il est, par ailleurs précisé que ce petit livre est imprimé en Garamond, ce qui est la cas sur papier, une police de caractère créée à l’époque par Claude Garamont (avec un t). Ce ne sera pas le cas dans cet atelier puisque wordpress ne propose pas ce caractère. Bonne entrée en matière et à la semaine prochaine pour le début des hostilités.

Avertissement

Prends garde, ami lecteur, au titre de ce petit livre. Le Malais de Magellan ne t’emmène pas naviguer sur les océans. Il n’est guère question, dans les pages qui suivent, du capitaine génial et sanguinaire qui franchit pour la première fois l’obstacle têtu qui barrait la route des Indes orientales. Si c’est cette perspective qui t’a conduit à prendre en mains ce livret, passe ton chemin, tu éviteras un malentendu. Si, en revanche, tu es curieux de connaître les femmes et les hommes qui ont mis en lumière le récit de cette première navigation autour du monde, tu peux tenter la plongée.

Mais sache que tu arpenteras plus souvent les ateliers des imprimeurs normands que tu ne fréquenteras les îles aux épices. Tu passeras l’essentiel de ton temps en compagnie d’un jeune typographe, d’une nonne défroquée et d’un poète de cour. Tu t’étonneras peut-être du rôle des femmes dans la configuration du monde qui se dessine, tu n’en sentiras pas moins l’odeur du bûcher.

Arrivé au terme de ce voyage en Garamond, c’est le caractère d’imprimerie que tu déchiffres en ce moment même – tu croiseras Claude Garamont – tu seras tenté de mettre en doute la véracité de cette aventure. C’est ta liberté. Enrique de Malacca, le Malais de Magellan n’a pas bonne presse dans l’histoire officielle. Peu importe. J’espère simplement que ce récit te permettra de passer un bon moment et, je le souhaite, de considérer d’un œil neuf  le rôle des imprimeurs dans la représentation du monde qui est la nôtre.

Porte-toi bien.

Mayotte a soif

Les fourmis s’attaquent désormais aux éponges à Mayotte, non pour manger, mais pour boire. L’ensemble de l’île a soif : plantes, animaux, humains, sans distinction. A compter du lundi 4 septembre l’eau, qui n’est plus potable depuis des jours, sera coupée deux jours sur trois au robinet -deux jours sur trois -. Et le “préfet de l’eau” nommé en urgence cet été, n’exclut pas une coupure définitive si les retenues collinaires sont à sec, ce qui ne saurait tarder. Les écoles ont commencé à renvoyer les enfants chez eux faute d’eau dans les toilettes.

Il y a bien sûr une explication à cette pénurie, l’insuffisance de précipitations lors de la dernière saison des pluies (de novembre à mars), or Mayotte tire 92% de son eau de la pluviométrie, stockée sur deux retenues collinaires. L’une d’elles ne propose plus aujourd’hui que de la boue. Ajoutons à cela un réseau de distribution assez folklorique qui laisse échapper environ 30% de la ressource. Et une gestion du syndicat mixte d’eau et d’assainissement, pour le moins fantaisiste dont une partie des responsables font l’objet d’une enquête pour favoritisme, corruption active et passive et abus de biens sociaux. Bref, l’enfer. 

L’enfer parce qu’on ne mesure pas ce que signifie ne pas disposer d’eau quand elle coule, comme un miracle permanent, au robinet. Pas de douche le matin, pas le soir, pas de possibilité de laver la vaisselle, le linge, pas d’eau dans la chasse pour évacuer petites et grosses commissions. Le tout en milieu tropical, où l’on transpire beaucoup, où les parasites se jettent sur le moindre déchet comme la petite vérole sur le bas-clergé. Certes l’Etat, dans sa grande bienveillance, a bloqué le prix du pack d’eau, et l’on trouve de l’eau en bouteille pour boire. Mais pour le reste, il faut se débrouiller, trouver des combines, stocker dans des bassines, des seaux, des gamelles et des bidons. 

On ne sait pas trop comment les choses vont tourner si l’eau est définitivement coupée fin septembre. La vie va probablement changer, l’activité se réduire, les entreprises, les écoles fermer, les problèmes d’hygiène se multiplier, tout comme les queues interminables au cul du camion pour remplir quelques bidons (des camions citerne sont annoncés). Mais on peut souligner une chose, la remarquable résilience des Mahorais, leur patience infinie, face à une pénurie qui aurait, sans aucun doute mis la France à feu et à sang pour dix fois moins. L’hiver dernier dans la perspective d’une possible coupure d’électricité de quelques heures en métropole, la France entière avait crié au scandale. Peut-on avancer que l’électricité n’est pas vitale ? L’eau si. 

Wuambushu 3

Le nuage de fumée qui enveloppait l’opération wuambushu s’est un peu dissipé ces derniers jours. Les liaisons maritimes permettant de reconduire les résidents sans papiers aux Comores ont repris à petite vapeur et les bulldozers appelés à raser quelques bidonvilles ont commencé à oeuvrer. Mais que s’est-il donc passé pour cette opération, qui semblait paralysée en raison du refus des Comores de récupérer leurs ressortissants et de l’opposition de la justice française à la destruction des bangas, puisse démarrer comme par magie  ? 

photo : info migrants

Il faut pour cela revenir à un opportun papier du Monde, daté du 22 mai : “Le ministre comorien des affaires étrangères soupçonné de 251 000 euros de fraude aux prestations sociales à La Réunion”. Comme indiqué dans le précédent billet, une bonne moitié des ministres Comoriens jouit en effet de la double nationalité franco-comorienne, et ne se prive pas d’en tirer quelques avantages pratiques. La République française s’est donc chargée de rappeler par voie de presse aux responsables du pays voisin, qu’ils étaient autorisés à reconsidérer leur position au risque d’entendre résonner quelques rutilantes casseroles. 

Côté justice française, c’est la cour d’appel de la Réunion qui a sauvé la mise du préfet en validant ses arrêtés de destruction. Il faut préciser, en l’espèce, qu’un procès public en partialité, avait été intenté à la juge oeuvrant à Mayotte, qui avait retoqué en référé les susdits arrêtés. Argument invoqué par les élus Mahorais : la juge en question était une ancienne responsable du syndicat de la magistrature, lequel s’est publiquement prononcé contre l’opération de décasage. Elle était donc accusée d’être juge et parti. La cour d’appel de la Réunion a manifestement préféré calmer le jeu. 

Côté forces de l’ordre, on se prévaut d’avoir démantelé quelques bandes de coupeurs de routes, ce qui est difficile à vérifier, même si les affrontements semblent se calmer ces derniers temps. Bref, wuambushu va pouvoir se poursuivre, avec des objectifs malgré tout revus à la baisse. Mais les positions des uns et des autres vont rester inchangées : la gauche et les Comoriens vont continuer à dénoncer ce qu’ils considèrent comme une opération inhumaine et injustifiée, la droite et les Mahorais à encourager ce qu’ils estiment comme une opération de salubrité et de sécurité publiques. 

Le drame est que tout le monde a raison et tout le monde a tort. Il est facile d’un côté d’afficher des positions de principe quand on ne vit pas quotidiennement dans la peur d’une violence redoutable et incontrôlée. Même les écoles sont attaquées à la  machette ces derniers temps. Et il est vain de l’autre, de croire qu’un nettoyage de surface va régler le problème. Il est un questionnement qui n’apparaît toutefois pas dans le débat public : si l’on met volontiers en cause la responsabilité de la France dans cette affaire, et il est vrai que la méthode Darmanin est sérieusement contestable, quid de la responsabilité du gouvernement Comorien, qui laisse son peuple vivre dans une misère noire, le soumet à une discipline islamique de fer, et le conduit à fuir en masse son pays, tout en se servant dans la caisse ? 

Wambushu 2

L’une des vertus inattendues de l’opération Wuambushu est la libération de la parole des uns et des autres, Mahorais comme Comoriens. Et la mise en lumière du festival de mauvaise foi qui a conduit à la situation actuelle. Un délice pour l’observateur.

Sada, à l’ouest de l’île

Commençons par les Mahorais, les élus en premier lieu. Il n’est un secret pour personne, et surtout pas pour la chambre régionale des comptes, qu’un clientélisme effréné régit les relations sociales sur l’île. Mayotte compte sans doute le record de France de secrétaires illettrées et d’employés fantômes dans les collectivités locales et les services publics.  Les institutions sont régulièrement épinglées par les contrôleurs des comptes, sans grand effet; les préfets successifs ayant pour mission première d’éviter les vagues avec des élus locaux. Le pompon a été décroché récemment par un maire qui se payait de lestes virées à Madagascar au frais de sa collectivité. Il a quand même été déposé et condamné.

Mais le plus embarrassant est le double jeu de ces élus en matière d’immigration clandestine. Certains d’entre eux autorisent ainsi volontiers des immigrants à construire leurs bangas sur des terrains publics – on ne connaît pas la nature de l’échange mais on peut le subodorer – les rendant ainsi inexpulsables, comme on le constate en ce moment. Les propriétaires privés ne se privent pas non plus de céder un morceau de terrain contre rémunération, pour se faire construire à des tarifs défiant toute concurrence (le salaire mensuel d’un Comorien sans papiers se situe autour de 150 ou 200 €) de belles maisons dans le voisinage.  Les riches Mahorais y trouvent leur compte, achètent de splendides voitures à crédit et manifestent le lendemain contre cette satanée immigration clandestine. Situation que pointait la semaine dernière le sociologue Faissoil Solihi en un doux euphémisme : “Il y a un laxisme réel à Mayotte, nous sommes trop attentistes.” 

Côté Comorien, on n’est pas en reste. Après avoir ravagé l’île d’Anjouan en pratiquant une déforestation sauvage, provoquant un désastre environnemental et économique, on se tourne allègrement vers l’El Dorado voisin, Mayotte, que l’on revendique comme une possession. Les responsables Comoriens s’appuient pour cela sur la courte période (de 1946 à 1974) où les Comores ont formé un ensemble politique. Et l’on débarque en masse, notamment les femmes pour accoucher à Mayotte et, n’ayons pas peur des incohérences, obtenir la nationalité française pour les enfants. Le pompon de la mauvaise foi revient ici aux élus Comoriens, qui refusent en même temps de reconnaître l’appartenance de Mayotte à la République française mais, pas fous, demandent la double nationalité pour eux-mêmes (la moitié des ministres aurait cette double nationalité) et, summum de cette délicieuse mauvaise foi, refusent désormais d’autoriser l’accès de leur territoire à leurs propres ressortissants. Du grand art. 

C’est dans ce contexte ubuesque que se déroule l’opération Wuambushu, bloquée de toutes part. La destruction des bangas est refusée par la justice française, l’expulsion des immigrés sans papiers est impossible en raison du refus des Comores de récupérer leurs ressortissants et les centres de rétention sont quasi pleins. Les  1 800 gendarmes se contentent donc de notifier aux étrangers qu’ils doivent quitter Mayotte et les laissent vaquer à leurs occupations. Ils continuent toutefois à jouer au chat et à la souris avec les jeunes les plus énervés et d’en coffrer une demi-douzaine par semaine pour nourrir les communiqués du ministère de l’intérieur. Tout va bien. 

Wuambushu 1

Comme prévu la presse hexagonale s’est enflammée aux premiers jours de l’opération Wambushu, et quelques amis ont manifesté leur inquiétude à la lecture des premiers reportages diffusés en métropole.

Qu’ils se rassurent. A l’exception des quartiers chauds autour de Mamoudzou et de quelques barrages sporadiques sur les routes, la situation est calme. Plus calme qu’à l’ordinaire au demeurant, en raison de l’impressionnante présence policière aux  carrefours. Les résidents sans papiers se cachent en attendant que l’orage passe et la circulation sur l’île a rarement été aussi fluide. 

La réaction de quelques bandes organisées, qui jouent au chat et à la souris avec les gendarmes n’est pas surprenante et fait, en quelque sorte, partie du folklore. Plus étonnant en revanche est l’amateurisme apparent dont a fait preuve l’Etat. Le Maria Galanta, chargé des premiers expulsés a été refoulé dès le premier jour du port des Comores où il était censé débarquer ses passagers, et la justice a suspendu la destruction des premiers bangas prévue mardi, retoquant l’arrêté du préfet. Donc pas d’expulsion réussie pour l’heure, pas plus que la destruction de logements insalubres (1). Le préfet n’en reste pas moins droit dans ses bottes et tente de lever rapidement les obstacles qui se dressent devant lui. Il a fait appel de la décision de justice et la reprise des liaisons maritimes avec les Comores, (plus précisément Anjouan) est annoncée pour vendredi. 

Concrètement les résidents s’organisent, les réseaux sociaux tournent à plein. Les messageries dédiées également, où l’on s’informe mutuellement des éventuels barrages en temps réel. Ce jeudi matin, par exemple, j’ai su dès 6 heures du matin, qu’une route du nord-ouest avait été coupée dans la nuit, mais le barrage levé par les gendarmes à l’aube. La tonalité des échanges entre muzungus (blancs) résidents de longue date est plutôt ironique à l’égard de la presse hexagonale, qui manie, il est vrai, le cliché à la pelleteuse. J’ai essayé d’esquisser la complexité de la situation dans les billets précédents, on peut s’y reporter. Une donnée technique complémentaire : le niveau de vie des Comoriens est, en moyenne, six fois inférieur à celui des Mahorais, où pourtant 71% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté. Ceci pour aider les bonnes âmes françaises à se poser les bonnes questions. 

Si j’en ai le courage, j’essaierai une prochaine fois d’évoquer le partage des responsabilités entre le régime islamique autoritaire des Comores, d’où les habitants fuient en masse, et celles de la France dans cette affaire complexe. Pour l’heure je me contente d’observer les faits et de communiquer les plus saillants à une agence de presse amie. On ne se refait pas. Mais l’Ouest de l’île est plutôt calme depuis le début de l’opération. Même si Ouambouchou, comme l’orthographient certains esprits malicieux, ne fait que débuter. 

(1) Les choses vont vite, le préfet annonce de jeudi matin à 7 heures la destruction d’une dizaine de bangas vides à Longoni eu nord de l’île. 

Mayotte entre les lignes

Il est possible qu’il s’imprime un peu de papier sur Mayotte au printemps écrivais-je dans mon dernier billet, en février. L’opération Wambushu (reprise) n’était alors qu’une lueur dans le regard du ministre de l’intérieur. C’est désormais parti, la presse hexagonale s’est emparée de l’affaire, qui semble se confirmer, et les rédactions parisiennes commencent à chercher des chambres d’hôtel pour leurs équipes fin avril. Pas simple au passage puisque les rares hôtels de l’île ont été en grande partie réquisitionnés pour les centaines de policiers appelés à intervenir, et qui sont déjà pour certains à pied d’oeuvre. En deux mots, l’opération Wambushu a pour objectif de « décaser » et d’expulser quelques milliers de résidents sans papiers, pour la plupart Comoriens, qui logent dans les bidonvilles qui surplombent le chef-lieu, Mamoudzou. Des logements insalubres, en tôle, qui abritent des nuées de mioches et font, de fait, courir un risque sanitaire majeur à l’ensemble de l’île. Notamment en prévision du manque d’eau potable lors de la saison sèche à venir. Mais c’est surtout la violence quotidienne de bandes de jeunes gens en déshérence qui motive aux yeux des élus Mahorais cette opération qu’ils appellent de leurs vœux depuis des mois.

Comment comprendre, depuis Paris ou Nantes, où l’on s’indigne légitimement de la préparation d’une telle expulsion industrielle, le décalage de perception entre Mahorais (les habitants de Mayotte) et métropolitains. Il faut pour cela se pencher sur l’histoire et la géographie des quatre îles qui composent l’archipel de Comores, dont Mayotte fait partie (1). A grands traits, Mayotte, île pauvre et peu peuplée, a été, durant de longues périodes, vassalisée par les souverains successifs basés sur l’île principale de l’archipel, Grande Comore. Les Mahorais étaient un peu considérés comme les ploucs de l’archipel. Misérables, peu éduqués, ils sont encore l’objet d’un certain mépris d’une partie des Comoriens. Il est d’ailleurs toujours étonnant, en prenant des passagers en auto-stop à Mayotte, de constater que les Comoriens parlent souvent un français plus pur, plus élégant, que la plupart des Mahorais, bien souvent illettrés. La colonisation n’a d’évidence pas laissé les mêmes traces sur toutes les îles.

Mais les Mahorais ont pris leur revanche dans les années soixante-dix, en se prononçant par référendum pour le rattachement à la France, contrairement aux trois autres îles. Revanche d’ailleurs conduite par des femmes, que l’on surnomme « les chatouilleuses ». Et depuis, Mayotte a vu son niveau de vie s’élever de façon spectaculaire. De l’île la plus pauvre, elle est devenue la plus riche, et de loin. Les Mahorais sont ainsi devenus plus royalistes que le roi puisqu’ils ont voté à 60% pour Marine Le Pen lors de la dernière présidentielle. Et ils ne se privent pas, désormais, de rouler dans de rutilantes Peugeot, de construire de belles villas en parpaing, alors que les Comoriens, soumis à un régime Islamique autoritaire, continuent à végéter sur leurs iles dans un paysage économique famélique et atone. Attirés par les lumières de Mayotte, les scooters et les mariages princiers des Mahorais, ils ont donc accouru en masse depuis une vingtaine d’années, provoquant une immigration clandestine stratosphérique. On considère que l’île abrite, au bas mot deux cent mille sans-papiers.

Pour compliquer un peu plus l’histoire, de nombreuses femmes Comoriennes sont venues accoucher à Mamoudzou pour faire bénéficier leurs enfants du droit du sol français. Les milliers d’enfants qui naissent chaque année à Mayotte peuvent donc revendiquer la nationalité française, mais pas leurs parents. C’est l’une des causes de la violence qui sévit sur l’île. Les parents renvoyés, les enfants sont livrés à eux-mêmes et n’ont d’autre recours que le vol ou la violence pour survivre. Et les Mahorais sont contraints de se barricader derrière les barreaux de leurs fenêtres pour ne pas être dévalisés, quand ils ne sont pas caillassés er rackettés sur les routes.

Ces éléments de contexte seront-ils mis en lumière par les journalistes qui passeront deux semaines sur l’île à filmer les bulldozers et les expulsions manu militari ? Ce n’est pas certain. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cette opération est un non-sens absolu. Elle ne traite en aucune façon le problème au fond. Tant qu’un développement régional conjoint avec les Comores et Madagascar n’est pas envisagé, le problème ne fera que s’aggraver. Les Comoriens reprendront, dès la fin de l’opération Wanbushu, leurs kwasa-kwasa pour revenir à Mayotte grapiller quelques miettes du festin. Et les gamins perdus reprendront leurs machettes pour s’accaparer le téléphone portable de leur voisin. Mais on aura montré que la République savait gonfler ses muscles de temps en temps, on aura fait de belles images pour les télévisions, écrit de beaux papiers indignés dans la presse écrite et contenté les élus Mahorais pour quelques mois.

PS : (1) pour une lecture de l’actualité géopolique, on peut jeter un œil sur le papier précédent.

Coup de billard à trois bandes entre la France, les Comores et Mayotte

Azali Assoumani président de la république des Comores, a été élu dimanche 18 février président de l’Union Africaine, avec le soutien discret mais efficace de la France. Selon Le Monde le président Comorien avait été reçu cinq fois à l’Elysée les trois dernières semaines précédent l’assemblée générale de l’UA, et le Kenya a opportunément retiré sa candidature avant le scrutin. Cette information exaspère au plus haut point les élus Mahorais (du département de Mayotte) qui ne comprennent pas cette alliance contre-nature à leurs yeux puisque Le Comores revendiquent la possession de Mayotte avec le soutien de l’ONU (Mayotte est issue du démantèlement de l’archipel des Comores qui comptait à l’origine quatre îles, dont Mayotte, et le rattachement de l’île aux parfums à la France, suite à deux référendums d’auto-détermination, n’est pas reconnu par la communauté internationale).

maison mahoraise construite sans permis par des Comoriens sans papiers

Mais si l’on croise quelques informations, ce cadeau français au président Comorien pourrait s’avérer une subtile monnaie d’échange entre les deux pays pour résoudre provisoirement le problème endémique de Mayotte, confrontée à une immigration stratosphérique de clandestins Comoriens, qui représentent selon certaines sources prés de moitié de la population effective de Mayotte (250 000 habitants officiellement, 450 000 si l’on se fie à la consommation de riz). En premier lieu, la France s’est engagée à injecter quelques centaines de millions d’euros dans l’économie des Comores pour aider le développement de l’archipel, l’un des ensembles les plus pauvres de la planète. Ce qui est une bonne nouvelle. Sans développement régional, l’immigration clandestine ne peut être contenue. Les lumières de Mayotte, son niveau de vie (bien que l’île soit le département le plus pauvre de l’Union européenne) continueront à attirer par milliers des Comoriens sans avenir, sans travail, aux libertés restreintes par un régime islamique autoritaire.  

Mais ce n’est pas tout, et là je vais m’exprimer avec quelques réserves, mais il me semble que l’information, que je ne peux pas sourcer, est à prendre en considération pour comprendre ce qui se joue. La France préparerait pour le printemps une grande opération de décasage, visant à éradiquer une partie de l’habitat insalubre qui gangrène la banlieue de Mamoudzou, le chef-lieu. Cette opération, qui nécessite le concours d’importantes forces de l’ordre, ne peut se faire qu’avec l’accord des Comores, puisqu’elle implique le renvoi de milliers de Comoriens dans leurs îles natives. Or, jusqu’à présent les Comores rechignaient à récupérer leurs ressortissants puisqu’ils considèrent qu’ils sont chez eux à Mayotte. 

Etrangement, si l’on suit Le Monde, c’est la guerre en Ukraine qui aurait modifié la donne. Le président Comorien s’est en effet rangé dès le début du conflit du côté des occidentaux dans ce conflit, un précieux soutien africain, qui plus est à la présidence de l’Union Africaine. Il s’agirait donc d’un coup de billard à trois bandes, qui permettrait à Mayotte, confrontée à la multiplication de bidonvilles et à la violence de jeunes clandestins en déshérence de respirer un peu et conforterait le rattachement à la métropole. Les Russes semblent voir le coup venir puisque Sergeï Lavrov a récemment réitéré son soutien aux Comores dans leur revendication à la récupération de Mayotte, histoire de troubler un peu plus le jeu. Poutine ne s’était d’ailleurs pas gêné à L’Onu, lors de l’annexion de la Crimée, suite à un référendum d’auto-détermination, de rappeler à la France qu’elle avait la même chose à Mayotte.

Les prochaines semaines nous en diront sans doute un peu plus sur cette salade géopolitique, qui débute par l’accession d’un pays minuscule (moins d’un million d’habitants) à la tête d’une organisation continentale. Il est possible qu’un peu de papier s’imprime sur le sujet au printemps.