Archives de catégorie : Notes de lecture

Les sept piliers de la sagesse

L’Arabie Saoudite est le seul pays au monde qui porte le nom d’une famille. La famille Séoud ou Saoud, c’est selon. Quand j’étais petit on disait d’ailleurs d’Arabie Séoudite. Mais les Anglais semblent avoir gagné et Saoudi Arabia s’est imposé. Ce n’est pas scandaleux puisque l’Arabie Saoudite a une autre singularité : c’est l’un des deux pays au monde, avec le Congo de Stanley, qui doit son existence à un aventurier anglais : Thomas Edward Lawrence, plus connu sous l’appellation Lawrence d’Arabie.

phébus

Cette histoire incroyable : l’unification des tribus de bédouins qui peuplaient la péninsule arabique en 1916 pour briser le joug de l’empire Ottoman, allié de l’Allemagne, est racontée par Lawrence lui-même dans un ouvrage d’anthologie Les sept piliers de la sagesse. Aujourd’hui encore on ne fait pas bien la part entre la réalité historique et les aspects romanesques du récit. Mais peu importe, le fond est bien là. En persuadant le Chérif de La Mecque, Hussein ibn Ali, de prendre la tête de la rébellion contre les Turcs, l’agent anglais Lawrence, réussit à unifier la péninsule sous la souveraineté hachémite. Le récit de la guerilla menée dans le désert avec Faiçal, le fils d’Hussein, contre les troupes ottomanes, ne laisse aucun doute sur la réalité de l’engagement de Lawrence, qui disparait pendant trois ans dans le costume de bédouin, se déplace à dos de chameau et dort sous la tente. Il accompagne ainsi le fils du Chérif jusqu’à Damas.

Malheureusement pour Lawrence, le grand état panarabique qui aurait pu voir le jour suite à la chute de l’empire Ottoman, en 1919, ne sera pas créé. Les Français et les Anglais préférant conserver chacun une partie du gâteau, respectivement la Syrie et l’Irak. Pire, quelques années plus tard, en 1924, Hussein ibn Ali est déposé par le chef d’une famille rivale, Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud, qui donne naissance à l’Arabie Saoudite. L’Abdelazzziz en question, qui n’était pas précisément un modèle de décontraction en matière religieuse, est d’ailleurs le père du nouveau roi qui vient d’être intronisé. Il est permis, au passage, de ne pas être très enthousiaste à l’idée de voir le président de la République française se précipiter pour féliciter le nouveau souverain d’un pays qui professe un islam délirant, où les femmes n’existent pas et où la justice se règle à coups de sabre et de fouet.

Les sept piliers de la sagesse est l’un de ces rares ouvrages qui se lit à la fois comme un document historique et comme une œuvre littéraire. Il fait partie de ces quelques grands récits, avec celui de Bernal Diaz del Castillo, dont on dit désormais qu’il a été écrit par Cortès lui-même, qui racontent l’histoire en marchant. Nous disent quelque chose des hommes qui ont façonné le monde tel qu’il est aujourd’hui, comment en ont été dessinés les contours, physiques mais aussi mentaux. Ce n’est pas rien, en ces périodes où l’on s’interroge beaucoup sur le retour en force de certain islam. Quoi qu’il en soit, c’est un grand souvenir de lecture (attention c’est un pavé). Je l’ai pour ma part lu dans la collection Payot voyageurs, traduit par Charles Mauron. Mais il semble que ce soit la « version d’Oxford » publiée en 2009 par Phébus (traduction d’Eric Chédaille) soit celle qui fasse aujourd’hui référence.

Les sept piliers de la sagesse, T.E. Lawrence, Phébus, 2009. Broché, 25,35€, poche 11,50€.

hypertrophie de l’âme

Cioran. Photo : DR

Si, dans l’ordre de l’esprit, nous voulons peser les réussites depuis la Renaissance jusqu’à nous, celles de la philosophie ne nous arrêteront pas, la philosophie occidentale ne l’emportant guère sur la grecque, l’hindoue ou la chinoise. Tout au plus les vaut-elle sur certains points. comme elle ne représente qu’une variété de l’ordre philosophique en général, on pourrait, à la rigueur se passer d’elle et lui opposer les méditations d’un Cankara, d’un Lao-Tseu, d’un Platon.

Il n’en va pas de même pour la musique, cette grande excuse du monde moderne, phénomène sans parallèle dans aucune autre tradition; où trouver ailleurs l’équivalent d’un Monteverdi, d’un Bach, d’un Mozart ? C’est par elle que l’Occident révèle sa physionomie et atteint à la profondeur. S’il n’a créé ni une sagesse ni une métaphysique qui lui fussent absolument propres, ni même une poésie dont on put dire qu’elle est sans exemple, il a projeté, en revanche, dans ses productions musicales, toute sa force d’originalité, sa subtilité, son mystère et sa capacité d’ineffable. Il a pu aimer la raison jusqu’à la perversité; son vrai génie fut pourtant un génie affectif. Le mal qui l’honore le plus : l’hypertrophie de l’âme. Sans la musique il n’eut produit qu’un style de civilisation quelconque, prévu… S’il dépose donc son bilan, elle seule témoignera qu’il ne s’est pas gaspillé en vain, qu’il avait vraiment quoi perdre.

Emil Cioran, La tentation d’exister. Pl, p 290/291.

Cerveau disponible

Depuis le fond des temps, la perception humaine combine l’auditif et le visuel, mais il lui a fallu des millénaires pour en perfectionner l’expression par le langage et par l’écriture, bref par une symbolisation toujours plus exactement liée à son sujet. Cette symbolisation, faite de deux modes complémentaires – mais le second est relativement récent -, a toujours laissé chaque individu libre de les interpréter à sa façon en faisant un effort de conception et d’imagination. Par rapport à cette longue histoire, l’enregistrement mécanique des images d’où naît l’audiovisuel a tout l’air d’une brusque et envahissante précipitation, qui amplifie son effet depuis un demi-siècle. (…)

cerveauweb

image piquée sur le blog de Gaëtan Pelletier

Toutes les œuvres créées jusque-là et dans tous les domaines étaient discrètement incomplètes : elles comptaient sur l’interprétation, l’imagination, donc l’intelligence pour atteindre leur achèvement. Le spectacle audio-visuel se suffit à lui-même parce qu’il est totalement figuré quelle que soit sa qualité ou sa médiocrité. Qu’ils soient originaux ou banals, ses thèmes se valent pourvu qu’ils déclenchent une assimilation rapide et entretiennent un appétit de consommation. Tout cela est désormais bien connu et dénoncé, loin d’avoir un effet disssuasif et populaire, en est réduite à constater que l’image mouvante et augmentée de quelques bulles de discours ssert maintenant de programme et de pensée politique. (…)

Si l’on admet que le passage de la vue à l’image mentale de la vue, qui est la base de la représentation, est aussi la base de la pensée, cette opération, autant dire originelle, suppose, pour se développer, un effort constant de réflexion générateur d’intelligence. Dès lors, si, dans un premier temps il a suffi de voir, il a fallu bien vite savoir ce qu’on voit, comparer déduire, projeter, et même articuler sa vue. Il ne s’agit pas de rêver l’inconnu mais d’agiter du probable dans la mesure ou l’œil, et lui seul, paraît bien être l’unique fondateur de l’humain pensif, même si l’on n’oublie pas l’apport de l’oreille. et si le pensif est attaqué par une agression mentale qui passe par l’œil, n’est-ce pas une raison de se demander ce qui fait de lui l’entrée principale de cette région intime ?

Chaque jour des millions d’yeux sont envahis par un flot d’images audiovisuelles qui s’en va occuper l’esprit dans lequel ce flot se précipite. Entre ces-images là et celles qqui viennent du quotidien, du travail, des rencontres ou des activités, il y a une différence de nature qui, généralement, n’est pas perçue. Les images ordinaires alimentent normalement l’esprit en représentations qu’il analyse et réfléchit ; les autres, celles de l’écran, suscitent en lui une sorte de paralysie mentale que l’ancien directeur de TF1 a parfaitement caractérisée en parlant de « cerveau disponible ».

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Le cerveau disponible, Bernard Noël, les Editions libertaires, 29 p. 5€.

Il faut encore interroger cette disponibilité ? Elle suspend l’activité du cerveau – mot préférable maintenant à esprit – en la neutralisant. Les images défilent à une vitesse normale et en apparence comme d’habitude, sauf qu’elles sont à elles-mêmes leur propre représentation pour une raison que cette normalité dissimule. Ce qui occupe votre cerveau ne cesse à aucun moment de faire que vos yeux confondent le symbole (l’image) et son contenu de telle sorte que la représentation devient la réalité ambiante. Une réalité totalitaire qui ne laisse pas la moindre marge à l’imagination ni, bien entendu, à l’intervention, sauf à couper court. La raison de cette occupation totale de l’espace mental est liée à l’occupation simultanée du circuit visuel et du circuit auditif avec, pour conséquence, que le spectacle n’est plus perçu comme tel, mais entièrement vécu.

Ces remarques sont extraites d’un tout petit livre « Cerveau disponible » du poète Bernard Noël, invité des Rendez-vous du Bois Chevalier le week-end dernier. C’est l’évocation des « Vingt leçons de journalisme » de Robert de Jouvenel par Elena sous le précédent billet qui m’a donné l’idée d’en proposer ces extraits. C’est aussi la lecture glaçante d’un sujet sur l’évolution de l’algorithme de facebook, qui va dorénavant privilégier les vidéos au détriment des textes et, par conséquent, envahir un peu plus l’espace mental des utilisateurs des réseaux sociaux, anesthésiant un peu plus leur imagination ou confortant les représentations toutes faites. Certes, ce petit essai (29 pages) fait essentiellement référence à la télévision, mais ouvre évidemment sur la fréquentation de tous les écrans qui font désormais notre quotidien.

Voilà une belle invitation à se déprendre cet été de ces écrans cannibales au profit d’un effort de « conception et d’imagination » auquel nous invite la lecture. Pour ma part, c’est pour l’heure la (re)lecture d’un essai vivifiant, « Les sceptiques grecs » de V. Brochard, publié la première fois en … 1884.

Tout le monde sait bien que Descartes était membre du parti socialiste

Tombé, par le jeu des liens sur les réseaux sur ces perles du bac 2015, compilées par Sarah Redon sur le site Terrafemina. Soit Sarah est une reine de l’enquête, puisque les copies sont à peine corrigées, soit ces perles sont un best of des années précédentes ou c’est une pure création. Dans tous les cas elles méritent d’être reproduites, parce que la rédactrice a du bien s’amuser.

descartesLes perles de philosophie

Socrate est un bon exemple de choix car il aurait pu aller se cacher dans les milliers d’îles grecques, surtout qu’à lépoque elles n’étaient pas envahies par les touristes, mais il a choisit la cigue.

Je pense avoir démontré dans mon exposé qu’à part les masochistres, on vit pour être heureux.

N’oublions pas le proverbe : la parole est d’argent mais le silence endort.

C’est plus facile de se connaître pour savoir ce que l’on fera comme métier plus tard. Par exemple j’ai renoncé à ma vocation d’être prof quand je vois le bordel qu’ils doivent gérer.
Des fois, je rencontre des textes où on peut lire des âneries comme ce connais-toi toi-même de je sais plus qui. Comme si on se connaissais pas.

C’est comme si on vous demande votre nom et que vous ne savez pas. Ça risque de mal finir et de vous conduire au poste. Conclusion : il vaut mieux savoir qui on est.

Après une visite à une expo d’art contemporain, j’ai changé ma perception de ma vie car j’ai compris que l’on pouvait gagner de l’argent avec n’importe quoi.

La calomnie se répand comme une traînée de poulpes.

La politique n’a rien à faire en philosophie. Tout le monde sait bien que Descartes était membre du Parti Socialiste, et pourtant il a écrit de très bons livres.

Le langage ne se limite pas à la parole. Si on prend l’exemple du Gangnam Style, c’est une dance qui est très connue dans le monde mais dont personne ne comprend les paroles.
Le bonheur, ça se gagne. Comme disait le philosophe Nicolas Sarkozy : Il n’y a pas de plaisir sans effort.

Voltaire disait “l’art de la citation est l’art de ceux qui ne savent pas réfléchir par eux-mêmes”. Par conséquent, je n’utiliserai aucune citation.

Enfin, il est à noter que nous devons également à l’État certains de nos états psychologiques : tristesse, déprime, rage, dégoût, envie de partir…

Le langage corporel devient un outil de survie quand il s’agit de la reproduction de l’espèce.

Les perles de français et de littérature

En rouge et noir et Stendhal.

Les auteurs du Moyen-âge se sont beaucoup inspirés des auteurs de la renaicance.
Parfois on se demande si certains écrivains comprennent ce qu’ils écrivent.

Le personnage du roman de Stendhal en fait, c’est un grand romantique, il est tellement love qu’il peut rester deux heures devant une fenêtre sans bouger.

Le titre de Giono est bizarre car s’il y en a qui ne manquent pas de divertissement c’est bien les rois avec les banquets et leurs maîtresses.

On peut comparer ce texte à l’Entonnoir d’Émile Zola.

Selon Platon les androïdes seraient la raison de l’amour.
L’utilisation du sonnet remonte au XVe siècle, où des auteurs comme Plutarque vont généraliser son utilisation.

Le XIXème siècle, siècle des Lumières, réuni beaucoup de mouvements & d’auteurs. (…) Paul Verlaine est connu pour ses romans tel que Le Tour du Monde en 80 jours.

La poésie satirique correspond à de la poésie qui parle de Satan. C’est un sujet très intéressant, mais pas toujours facile à traiter.

Probablement que Musset voulait que sa pièce soit lue dans un fauteuil et pas joué au théâtre, mais on ne peut pas lui demander parce qu’il est mort.

Les perles de mathématiques

On trouve le binôme, le trinôme et le polygone.

L’angle aigu a été trouvé par le savant Cosinus.

Le triangle est un rectangle avec un côté en moins.

Vu la complexité de ce sujet, la probabilité d’avoir la moyenne à cette épreuve diminue…

Si le nombre complexe est un nombre réel, j’en conclu par conséquent qu’une réponse est possible, néanmoins, je ne sais pas laquelle.

Cette question est tellement facile que je n’ai pas pris le temps de recopier la réponse (j’ai fait le calcul dans ma tête).

Les perles d’histoire

Le président américain a rencontré son monologue français Hollande…

Margaret Tadechair n’était pas bien vue par les Anglais.

Le régime de Vichy a toujours été très bon pour la santé.

Finalement, les Chinois sont punis de confectionner tous nos objets car ils ne peuvent plus rapporter de souvenirs Made in France à leurs amis car en dessous c’est marqué “Made in China”.

Jacques Chirac a dit que le gouvernement précédent a été laxatif dans la conduite de l’État.
La Chine a trois religions : le taoïsme, le kungfusiannisme, le bouddhisme.

En 1792 les Français déclarent la guerre à plusieurs pays d’Europe, pour leur apporter la paix.

L’ONU est une institution qui permet au pays riche de contrôler les pays pauvres tout en douceur. Cela évite des guerres et des morts, ce qui est plutôt positif.

Aux États-Unis, on ne voit pas pourquoi leur 14 juillet tombe le 4 juillet. Preuve qu’ils veulent toujours se faire remarquer.

Les perles de géographie

L’Amérique du sud ne peut pas lutter avec l’Amérique du Nord, à part le Brésil qui s’en sort grâce au football et à son carnaval.

On voit que l’Union Européenne occupe une place centrale dans les échangismes internationaux.

L’Afrique du sud a été créée en 1815 par Nelson Mandela.

Les pays pauvres se sont quasiment tous rassemblés en Afrique. Il aurait plutôt dû se rapprocher des États-Unis, comme l’ont fait le Mexique et le Canada.

La Russie est un grand pays qui possède d’importantes réserves de pétrole, mais également de barils de vin. C’est important pour attirer de nouveaux investisseurs tels que Gérard Depardieu.

Au Japon, le manque de place oblige les autorités à construire des aéroports sous-marins.
Actuellement, la population chinoise s’élève à plus de 20 milliards d’habitants.

On voit bien le racisme dans le nom que l’on a donné aux pays africains comme le Monte-Negro.

La culotte glacière fond et fait dévier les ours polaire.

La prochaine coupe du monde de football aura lieu au Brésil, juste à côté de l’Afrique du Sud.

Les perles de physique-chimie

Les ondes sismiques ne se déplacent pas le lundi.

Tous les GPS ne sont pas en orbite autour de la Terre. Il y en a beaucoup qui restent dans les voitures afin de trouver la route plus facilement.

Les bombes atomiques sont inoffensives quand elles servent à produire de l’électricité.
Nous savons par exemple que les satellites de Jupiter ont une trajectoire épileptique.

Une lumière monochromatique est une lumière qui n’a qu’un seul chromosome.

L’eau dissée d’Homer est un concept physique écrit dans un livre encore très connu de notre temps.

Il faut prendre garde à ne pas confondre la fiction nucléaire et la fission nucléaire.

On l’a appelée bombe H car elle a été inventée par l’ingénieur Hiroshima.

Le mercure est si lourd que la tonne de mercure peut égaler 100kg.

Le mur du son est dépassé ; maintenant on peut écouter des films et de la musique dans les avions.

Le robot Curiosity est soumis à la traction gravitante du Soleil.

Le cheval transpirait et faisait de la vapeur quand il tirait les wagons, d’où le cheval-vapeur.

Les ondes électromagnétiques : les ondes les ultra violées, les micro-ondes, les grandes ondes (comme RTL).

 

Pour saluer Zénobie de Palmyre

La tragédie qui se déroule à Palmyre invite à ouvrir Gibbon, l’historien favori de Borgès, et sa fabuleuse histoire de la chute de l’Empire Romain. Ici un extrait consacré à Zénobie, impératrice d’Orient et reine de Palmyre au IIIe siècle. Précisons que ce portrait est brossé par un auteur du XVIIIe.

Dans l’Europe moderne plusieurs femmes ont soutenu glorieusement le fardeau d’un empire ; et notre siècle a produit des héroïnes dignes des regards de la postérité. Mais, si nous exceptons Sémiramis, dont les exploits paraissent si incertains, Zénobie est la seule dont le génie supérieur ait brisé le joug indigne sous lequel les moeurs et le climat de l’Asie tenaient son sexe. 

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Elle se disait descendue des anciens rois macédoniens qui régnèrent en Egypte ; sa beauté égalait celle de Cléopâtre et elle surpassait de bien loin cette princesse en valeur et en chasteté. Elevée au dessus de son sexe par ses qualités éminentes, Zénobie était encore la plus belle des femmes. Elle avait (en parlant d’une reine les moindres détails intéressent) le teint brun, les dents d’une blancheur éclatante, une voix forte et harmonieuse, et de grands yeux noirs dont une douceur attrayante tempérait la vivacité. L’étude avait éclairé son esprit, et en avait augmenté l’énergie naturelle. Elle n’ignorait pas le latin mais elle possédait au même degré de perfection le grec, le syriaque et la langue égyptienne. L’histoire orientale lui parut si importante qu’elle en avait composé un abrégé pour son usage; et guidée par le sublime Longin, elle comparait familièrement les beautés d’Homère et de Platon.

Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire Romain, Edouard Gibbon, vol 1, Paris, 1837, trad. J-A-C Buchon.

La fabrique à glace

image jean blaiseReçu le premier exemplaire du petit dernier. Le livre est annoncé en librairie pour le 21 mai. Un petit extrait pour fêter cette parution : un passage du chapitre consacré aux Allumées, manifestation qui a bousculé Nantes pendant six ans, durant six nuits, de six heures du soir à six heures du matin, et dont s’est inspirée la Nuit blanche parisienne.  Qu’il me soit permis de remercier ici Marie et Pascale pour leur amicale et bienveillante relecture. Et bien sûr tous les témoins qui m’ont permis de recomposer cet itinéraire singulier. Ce récit, forcément lacunaire, est une forme d’hommage rendu à Nantes par un petit gars d’Alençon qui a découvert sur les bords de la Loire comment l’art pouvait s’emparer de l’espace public, comment les cultures venues d’ailleurs pouvaient questionner, bousculer et enrichir nos représentations.

La singularité de la manifestation consiste à investir des lieux méconnus, oubliés ou carrément abandonnés dans les franges de la ville, dans les faubourgs peu à peu désertés par les activités laborieuses et pas encore gagnés par l’habitat. La reconquête éphémère de la Fabrique à glace, au sud de l’île de Nantes, près d’une grande sucrerie en activité, est de ce point de vue un pari qui semble, avec le recul, insensé. Jean Blaise décide en effet de transformer cette ancienne usine aux allures de grand blockhaus, que pas un Nantais sur dix ne sait situer sur un plan de la ville, en un gigantesque lieu de rendez-vous pour accueillir les festivaliers à partir de vingt-trois heures chaque soir. En trois semaines, Daniel Sourt fait débarrasser la friche de 500 mètres cubes de gravats et construit un espace pouvant recevoir plusieurs milliers de personnes : une scène pour le rock et un bar de 27 mètres dans la première partie, un sas de décompression où prend place une exposition sur l’architecture, et un restaurant de 2 800 mètres carrés au centre duquel il a conçu un gigantesque carré cuisine, enfermant les fourneaux, où s’agitent une dizaine de jeunes cuistots issus d’un chantier d’insertion. En trois semaines, il a fallu poser des portes, installer la plomberie, la piste de danse, les décorations.

La fabrique à glace. Photo Ouest-France

Outre la découverte de lieux inconnus ou inexplorés, Jean Blaise va s’évertuer à cultiver un autre genre de décalage durant ces longues nuits, celui des formes. C’est ainsi qu’à côté de spectacles monumentaux ou carrément monstrueux – comment ne pas évoquer La Véritable histoire de France de Royal de Luxe donnée à deux reprises sur le parvis de la cathédrale –, il tient à proposer de toutes petites formes, qui encouragent un commerce intime avec la création. Plusieurs plasticiens sont ainsi invités à exposer dans des appartements privés, qui restent ouverts toute la nuit, où le public défile, bon enfant, au fil d’un parcours que chacun compose à sa guise. Lors de la première édition, c’est l’hôtel de France qui est choisi comme repaire pour les auteurs et les amateurs de littérature. Mais les causeries nocturnes et les discussions enflammées viendront à bout de la patience des hôteliers et la manifestation migrera les années suivantes vers l’hôtel de la Duchesse-Anne, près du château.

La contagion gagne et une partie de la ville reste éveillée toute la nuit. « On assurait des départs de cars à quatre heures du matin, se souvient Thérèse Jolly. Il nous arrivait de ne pas dormir pendant trente-six heures. » Cette impossibilité de conjuguer la nuit et le jour conduira de nombreux Nantais à poser une semaine de congé dès la deuxième édition, pour ne pas terminer la manifestation complètement épuisés. Des Nantais, mais pas seulement : le bouche-à-oreille fonctionne à plein, et les aficionados venus de La Rochelle, de Brest ou de la région parisienne posent de plus en plus nombreux leurs valises à Nantes au cours de cette semaine d’octobre.

« Quand on a vu, lors de la première édition, la traînée de fourmis qui franchissait les ponts sur la Loire pour se rendre à la Fabrique à glace, on s’est dit que c’était gagné. C’est vrai qu’il fallait aller le chercher ce lieu, mais cette manière d’investir l’espace est un peu dans nos gènes », commentera plus tard Jean Blaise, qui décide de pousser le bouchon un peu plus loin pour la deuxième édition puisqu’il obtient de la ville de Leningrad, qui deviendra Saint-Pétersbourg quelques semaines avant la manifestation, la mise à disposition d’un équipage et l’envoi d’un navire pour convoyer les artistes russes. Plus de trois cents personnes. Navire qui sera amarré sur un quai près du terminal à bois de Cheviré. « Pendant la manifestation, c’était la panique totale, sourit Thérèse Jolly, les artistes ne dormaient pas sur le bateau, on les cherchait partout. À la fin, il en manquait trente ! »

Casanova : le malentendu

casanovaLes tomes 2 et 3 de L’histoire de ma vie de Casanova dans La Pléiade sont annoncés pour le 13 mai prochain.  Ci-dessous, la chronique publiée à l’occasion de la publication du premier volume en 2013.

Le passage à la postérité est parfois facétieux. Monsieur de la Palisse est victime d’une chanson écrite à sa gloire de combattant (un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie), Machiavel était un diplomate éclairé que la postérité a fait machiavélique, et Casanova reste l’archétype de l’infréquentable séducteur, ce dont il se défendait avec indignation. Tout cela ne serait pas très grave si cela ne provoquait de coupables préventions à l’égard de l’un des plus grands textes du XVIIIème siècle.

« Je considère les Mémoires comme la véritable encyclopédie du XVIIIème siècle » écrivait Blaise Cendrars, en évoquant l’Histoire de ma vie de Casanova. Ce texte est, de fait, un monument littéraire, du calibre des Mémoires de Saint-Simon, des Confessions de Rousseau ou des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand. C’est à la fois la confession d’un aventurier vénitien, tour à tour religieux, militaire, musicien, diplomate, espion… et homme du monde, un récit de voyages à travers l’Europe, de Londres à Constantinople, de Naples à Amsterdam, et un témoignage unique des mœurs de l’aristocratie et de la société au siècle des Lumières. C’est aussi un ouvrage philosophique, imprégné des théories de l’époque. De Montaigne à Voltaire, il avait lu tous les philosopohes qui nourrissaient ses contemporains. Le tout est écrit dans un français incroyablement délié, teinté de quelques délicieux italianismes.

casanova

Le puritanisme du XIXème siècle ne pouvait tolérer la liberté de ton de Casanova, qui ne s’embarrasse pas, il est vrai, de périphrases pour raconter ses frasques, et il nous aura fallu attendre plus de deux siècles pour – enfin – disposer du texte original, acquis en 2010 par la Bnf, et dont la Pléiade vient de publier le premier volume. Ce premier tome est un régal. Comparé au texte jusqu’alors disponible –caviardé et pour une grande part réécrit au XIXème – il rafraîchit avec bonheur les aventures de cet escroc génial, d’une intelligence et d’une culture prodigieuses, et les leste d’une rudesse de corps de garde vivifiante, sans en ôter un poil d’intérêt.

Et, pour une fois, l’appareil critique de La Pléiade est d’une grande utilité, il permet de situer les lieux, d’identifier, quand c’est possible, les personnages et éclaire le texte de toutes les connaissances acquises par les cercles de casanovistes, qui ont conduit d’inlassables recherches pour vérifier, préciser les propos de Casanova. Mais si le Vénitien, qui se vivait avant tout comme un « homme de lettres » et qui finira d’ailleurs bibliothécaire dans un château allemand, enjolive à n’en pas douter certains évènements, les experts ne mettent aujourd’hui plus en doute la véracité de la plupart des faits rapportés, à commencer par son évasion de la prison des Plombs à Venise, épisode qui à lui seul, vaut le meilleur des romans.

Illustration : Casanova et la belle religieuse (droits inconnus)

La muraille et les livres

“J’ai lu, ces derniers jours, que l’homme qui ordonna la construction, aux frontières de la Chine, d’une muraille presque infinie fut ce même empereur, Chi Hoang-ti, qui fit également brûler tous les livres antérieurs à lui. Que les deux vastes opérations – les cinq à six cents lieues de pierre opposées aux barbares, l’abolition rigoureuse de l’histoire, c’est-à-dire du passé, fussent dues à la même personne, qu’elles fussent en quelque sorte ses attributs, j’en éprouvai à la fois, inexplicablement de la satisfaction et de l’inquiétude. (…)

livres brûlés

livres brûlés dans la vallée de l’Euphrate. D.R.

 

Enclore un verger ou un jardin est chose commune, mais non enclore un empire. Il n’est pas banal non plus de prétendre que la plus traditionnelle de toutes les races renonce à la mémoire de son passé, mythique ou véritable. Les Chinois avaient trois mille ans de chronologie (qui contenaient l’Empereur Jaune, Tchouang Tse, Confucius, Lao-Tse), quand Chi Hoang-ti ordonna que l’histoire commence avec lui. (…)

“Toutes choses veulent persévérer dans leur être” a écrit Baruch Spinoza : peut-être l’empereur et ses mages crurent-ils que l’immortalité nous est intrinsèque et que la corruption ne peut entrer dans un monde fermé. Peut-être l’empereur voulut-il recréer le commencement du temps et se donna-t-il le nom de Hoang-ti pour être en quelque façon Hoang-ti le légendaire empereur qui inventa l’écriture et la boussole. (…)

Chi Hoang-ti, peut-être, entoura l’Empire d’une muraille parce qu’il le savait périssable, et détruisit les livres dans la pensée que c’étaient des livres sacrés, c’est-à-dire des livres qui enseignent ce qu’enseigne l’univers entier ou la conscience de chaque homme. L’incendie des bibliothèques et la construction de la muraille sont peut-être des opérations dont chacune, secrètement, s’annule elle-même.(…)”

Jorge Luis Borgès, La muraille et les livres, Autres inquiistions, Buenos Aires 1950

 

de l’économie libidinale

Le Divin Marché, de Dany-Robert Dufour, date un peu (2007), mais c’est un précieux bréviaire pour remonter aux sources de la divinisation du sus-dit marché. Je tombe, en premier lieu sur une information qui a de quoi laisser pensif : Edward Bernays, théoricien et praticien assumé de la manipulation des foules en démocratie, n’était autre que le neveu de Sigmund Freud. pub

Les théories de Freud ont été mises à profit, via leur adaptation au monde de l’industrie réalisée par… Edward Bernays, son neveu américain, qui a exploité (d’abord pour le fabricant de cigarettes Philip Morris) les immenses possibilités d’incitation à la consommation de ce que son oncle appelait l'”économie libidinale”. Le génie de Bernays, c’est d’avoir vu très tôt le parti des idées qu’il pourrait tirer de Freud (…) Il indique que “la solitude physique est une vraie terreur pour l’animal grégaire, et que la mise en troupeau lui cause un sentiment de sécurité. Chez l’homme, cette crainte de la solitude suscite un désir d’identification avec le troupeau et avec ses opinions”. Mais une fois dans le troupeau, l’animal grégaire souhaite toujours exprimer son avis “par conséquent les communicateurs doivent toujours faire appel à son individualisme qui va toujours de pair avec son égotisme.” (Le divin marché pp 41/42)

J’ai fait quelques recherches sur cet Edward Bernays (un bon papier ici), c’est assez hallucinant. Il a été de tous les coups au XXe siècle (il est mort à 103 ans en 1995), du célèbre “I Want you for US Army” en 1917 à la création, au terme d’une campagne de subtiles manipulations de l’opinion, des Républiques bananières en Amérique centrale, en passant par l’enfumage des populations pour l’industrie cigarettière. Goebbels, paraît-il avait toutes ses oeuvres, dont le célèbre Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie.  extra

Il me semble qu’on trouve un parfait exemple du formatage esthétique de l’économie libidinale dont parle Stiegler dans l’invention graphique de la pin-up des années 30. La pin-up deviendra le support nécessaire d’objets à vendre en tout genre. On sait que l’invention passera ensuite au cinéma, avec celle qui deviendra la plus célèbres des pin-up, Marilyn Monroe – elle et toutes ses soeurs étant constamment mobilisées pour vendre tout et rien : des cigarettes, du parfum, des châteaux en Espagne, des pavillons de banlieue, des voitures, des tracteurs, des poids lourds, des voyages, des manteaux de fourrure, des dessous affriolants, du whisky, du rêve… (Le divin marché p 43). 

Je ne connais pas assez cet Edward pour en faire une note sérieuse, mais l’affaire mérite d’être creusée. Elle me conforte, quoi qu’il en soit, dans l’intuition qui est la mienne et que les familiers de l’atelier connaissent bien. “Notre véritable bulletin de vote c’est notre ticket de caisse.” Cela dit c’est un peu court. Et la liberté en démocratie cette “liberté de faire ce qu’on veut” est dans bien des cas une illusion, telle l’illusion de la gratuité de l’information généreusement payée par du temps de cerveau disponible, dont il pourrait être utile de prendre conscience. Non ?

Dany-Robert Dufour sera l’invité de la prochaine édition  d’Impressions d’Europe, le vendredi 10 avril au grand T, Nantes.

 

Ce bon vieux canard

L’une des conséquences de l’affaire Charlie aura été la lumière portée sur certaine presse papier, victime, dans une relative indifférence, d’une progressive désaffection du public. Désaffection qui pouvait s’avérer mortelle pour les supports vivant du seul produit de leurs ventes, Charlie hebdo était d’ailleurs au bord de la faillite.

Petillon_drawingCe n’est pas le cas du Canard enchaîné, qui va fêter cette année son centième anniversaire, lequel reste solide sur ses appuis, sans échapper à l’érosion de la diffusion qui frappe l’ensemble du papier (399 567 ex de moyenne en 2013, en baisse de 16% par rapport à 2012, selon les derniers chiffres trouvés en ligne).

La saine gestion du volatile, la structure de son capital (le journal appartient aux salariés en exercice), la prudence de ses responsables, qui se sont gardés de livrer gratuitement leurs contenus en ligne, ne doivent toutefois pas occulter une réalité : le lectorat du Canard vieillit et son équilibre économique est à terme en danger.

Certes, l’univers de référence peut parfois sembler un peu trop confiné à la buvette de l’Assemblée, l’habillage peut sembler un peu daté pour les jeunes lecteurs, mais ces reproches ne pèsent pas bien lourd devant ce qui reste un monument de la presse hexagonale. Parce que le Canard enchaîné ce n’est pas seulement une légendaire liberté de ton, une farouche indépendance, des nerfs d’acier (il faut avoir tâté de l’intimidation pour mesurer à quel point les journalistes du Canard s’exposent), c’est aussi une certaine façon de concevoir l’irrévérence, avec une forme d’élégance propre à la presse française.

Et puis le Canard enchaîné, c’est aussi un rapport unique entre le texte et le dessin. Je suis notamment un fan absolu des « culs de lampe » ces petits dessins qui servaient par le passé à boucher les trous au marbre, à animer la page. Ah les soirées de bouclage où les dessinateurs crayonnent dans les coins ! Et puis le Canard ce sont des rubriques irremplaçables, comme la chronique judiciaire de Dominique Simonnot, du brut de chez brut. C’est aussi les films qu’on peut ne pas voir, l’album de la comtesse, la voie aux chapitres… Bref une demi-heure de bonheur quasi garanti.premiercanard

Il n’est pas certain que le lecteur lambda, qui achetait de temps en temps son canard en prenant le train et se réfugie désormais sur sa tablette en picorant des contenus gratuits, ait bien pris la mesure du danger qu’il fait courir à cette presse irrévérencieuse. En ne lui donnant plus les moyens de vivre, de payer son personnel, son imprimeur. Du danger qu’il se fait courir à lui-même en appauvrissant les derniers supports indépendants des puissances de l’argent.

Je suis souvent frappé par la naïveté du discours de mes étudiants, qui n’achètent plus de papier, considèrent comme superflu l’abonnement payant à la presse en ligne et prétendent être informés correctement. Comme si l’information tombait du ciel. Comme la démocratie allait de soi. Le Canard nous le opportunément rappelle chaque semaine : « la liberté de la presse ne s’use qui l’on ne s’en sert pas. » Et elle s’use assez vite si on n’y prend pas garde.

Illustrations : Pétillon, le 1er numéro du Canard.