de l’économie libidinale

Le Divin Marché, de Dany-Robert Dufour, date un peu (2007), mais c’est un précieux bréviaire pour remonter aux sources de la divinisation du sus-dit marché. Je tombe, en premier lieu sur une information qui a de quoi laisser pensif : Edward Bernays, théoricien et praticien assumé de la manipulation des foules en démocratie, n’était autre que le neveu de Sigmund Freud. pub

Les théories de Freud ont été mises à profit, via leur adaptation au monde de l’industrie réalisée par… Edward Bernays, son neveu américain, qui a exploité (d’abord pour le fabricant de cigarettes Philip Morris) les immenses possibilités d’incitation à la consommation de ce que son oncle appelait l'”économie libidinale”. Le génie de Bernays, c’est d’avoir vu très tôt le parti des idées qu’il pourrait tirer de Freud (…) Il indique que “la solitude physique est une vraie terreur pour l’animal grégaire, et que la mise en troupeau lui cause un sentiment de sécurité. Chez l’homme, cette crainte de la solitude suscite un désir d’identification avec le troupeau et avec ses opinions”. Mais une fois dans le troupeau, l’animal grégaire souhaite toujours exprimer son avis “par conséquent les communicateurs doivent toujours faire appel à son individualisme qui va toujours de pair avec son égotisme.” (Le divin marché pp 41/42)

J’ai fait quelques recherches sur cet Edward Bernays (un bon papier ici), c’est assez hallucinant. Il a été de tous les coups au XXe siècle (il est mort à 103 ans en 1995), du célèbre “I Want you for US Army” en 1917 à la création, au terme d’une campagne de subtiles manipulations de l’opinion, des Républiques bananières en Amérique centrale, en passant par l’enfumage des populations pour l’industrie cigarettière. Goebbels, paraît-il avait toutes ses oeuvres, dont le célèbre Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie.  extra

Il me semble qu’on trouve un parfait exemple du formatage esthétique de l’économie libidinale dont parle Stiegler dans l’invention graphique de la pin-up des années 30. La pin-up deviendra le support nécessaire d’objets à vendre en tout genre. On sait que l’invention passera ensuite au cinéma, avec celle qui deviendra la plus célèbres des pin-up, Marilyn Monroe – elle et toutes ses soeurs étant constamment mobilisées pour vendre tout et rien : des cigarettes, du parfum, des châteaux en Espagne, des pavillons de banlieue, des voitures, des tracteurs, des poids lourds, des voyages, des manteaux de fourrure, des dessous affriolants, du whisky, du rêve… (Le divin marché p 43). 

Je ne connais pas assez cet Edward pour en faire une note sérieuse, mais l’affaire mérite d’être creusée. Elle me conforte, quoi qu’il en soit, dans l’intuition qui est la mienne et que les familiers de l’atelier connaissent bien. “Notre véritable bulletin de vote c’est notre ticket de caisse.” Cela dit c’est un peu court. Et la liberté en démocratie cette “liberté de faire ce qu’on veut” est dans bien des cas une illusion, telle l’illusion de la gratuité de l’information généreusement payée par du temps de cerveau disponible, dont il pourrait être utile de prendre conscience. Non ?

Dany-Robert Dufour sera l’invité de la prochaine édition  d’Impressions d’Europe, le vendredi 10 avril au grand T, Nantes.