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Jorge Luis Borges : l’électricité des mots

Les cahiers de l’Herne ont eu l’excellente idée de réimprimer le numéro consacré à Jorge Luis Borges, épuisé depuis un demi-siècle (1964). Une somme de témoignages, de regards croisés, qui nous permet de faire connaissance avec le Borges intime, notamment sous la plume de ses meilleurs amis. Impossible évidemment de résumer en une courte note la richesse de cet ouvrage de 464 pages. Pour les lecteurs qui n’auraient pas encore eu la chance de fréquenter cet auteur vertigineux, voici quelques extraits d’un jeu auquel lui a demandé de se livrer l’une de ses connaissances, Carlos Peralta en commentant, au débotté quelques mots choisis. L’entretien, titré « l’électricité des mots » se déroule à l’hôtel Cervantes de Buenos Aires. Borges s’y prête volontiers, amusé.

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INDIVIDU : Je me souviens du traité de Spencer, le philosophe anglais. Spencer pensait l’individualisme à un tel extrême qu’il s’opposait à la monnaie officielle et considérait que chaque personne devait frapper sa propre monnaie. Il rejetait également les armées des Etats, et pensait, sans doute, que les armées appartenant à de petites compagnies privées étaient ce qu’il y avait de mieux. Qu’aurait-il pensé en voyant l’Angleterre nationaliser les chemins de fer ! Peut-être que les compagnies nationalisées deviennent lentes et coûteuses, comme cela s’est produit aussi en Argentine. Je me souviens que mon père se définissait politiquement comme un anarchiste individualiste. Et je crois que moi aussi je me définis comme un anarchiste individualiste.

DIEU : Je dirais que l’idée de Dieu, d’un être sage, tout-puissant, et qui, de plus, nous aime, est une des créations les plus hardies de la littérature fantastique. Je préférerais, malgré tout, que l’idée de Dieu appartint à la littérature réaliste.

FEMMES : Avec une certaine tristesse, je découvre que toute ma vie je l’ai passée à penser à une femme ou à une autre. J’ai cru voir des pays, des villes, mais il y a toujours quelque femme pour faire écran entre les objets et moi. Il est possible que j’eusse aimé qu’il n’en fut pas ainsi : j’aurais préféré me consacrer entièrement à la jouissance de la métaphysique, ou de la linguistique ou à tout autre matière.

MORT : La pensée de la mort, je la recherche pour me consoler des difficultés et des choses fâcheuses. Devant n’importe quel malheur, je pense que j’ai encore à vivre une expérience complètement neuve. Je crois qu’on devrait se sentir excité devant une telle chose, le passage à quelque chose de fondamentalement distinct, à quelque chose qui – à moi du moins – ne m’est jamais arrivé. Non pas pour les châtiments ou les récompenses – ce serait puéril – : parce que s’ouvre une vie nouvelle, ou qu’il n’y a rien, et cela aussi, ce serait nouveau.

CELEBRITE : Pour le peu que j’en connais, c’est une incommodité. L’homme célèbre ne se reconnait pas tout à fait en celui que voient les autres. Cela n’améliore personne. Bien sûr, l’obscurité aussi doit être incommode, et aussi la célébrité ne peut être enviable que pour qui ne l’a pas encore eue.

TEMPS : J’ai pensé ou écrit tellement sur le temps… Mais je vais vous raconter une anecdote : un philosophe argentin et moi, nous conversions au sujet du temps, et le philosophe dit : « Dans ce domaine, on a fait de gros progrès ces dernières années. » et moi j’ai pensé que si je lui avais posé une question sur l’espace, sûr qu’il me répondait : « Dans ce domaine, on fait de gros progrès ces derniers cent mètres. »
Vous vous rendez compte : alors on attend jusqu’à la fin du mois, voilà qu’on sait tout sur le temps…

NB : ce billet a été publié une première fois en mai 2014.

Le goût des autres (éloge de la cocotte en fonte)

Un bel exemple des effets délétères de notre perte progressive de culture technique au profit de produits prêts à l’emploi, est notre dépendance grandissante à l’alimentation industrielle. On le mesure régulièrement en consultant les étiquettes des emballages de plats préparés. On s’en scandalise rituellement en lisant les enquêtes de magazines à grand tirage qui détaillent les horreurs parvenant dans nos assiettes.

Mais comment faire ? Peut-être en réinventant l’eau tiède tout simplement. Je viens, pour ma part, d’adopter une solution qui ne cesse de m’épater : la cocotte en fonte de grand-maman. Certes c’est un investissement important (une véritable cocotte made in France coûte autour de 250€), mais un investissement durable comme on dit maintenant et surtout un outil magique pour préparer d’authentiques petits plats avec des produits simples et peu chers.

1332356-staub-cocotte-round-aLa technique est d’une simplicité biblique : il suffit de laisser mijoter tranquillement une préparation sommaire à feu doux, de sorte que viandes et légumes s’imprègnent lentement du goût des autres, des herbes et des épices que l’on a pris soin d’ajouter à la composition. Avantage notable : cette technique permet de mettre en valeur des légumes basiques, non cuisinés et des viandes peu courues et donc peu chères. Inconvénient majeur : une préparation très en amont du repas, qui demande une disponibilité que tout le monde n’a pas. L’alibi du temps proprement dit n’en est pas un puisque vingt minutes suffisent pour réaliser une préparation courante.

Rassurez-vous, votre serviteur n’a aucune prétention, mais vraiment aucune, en matière de cuisine. Pour l’heure il se contente de tester différentes formules, du petit salé aux lentilles à la jardinière de légumes aux pois cassés (achetés secs c’est l’avantage). Mais il a, pour la première fois, l’impression de disposer d’un outil simple, docile et intelligent, qui ne brusque pas les aliments mais leur donne l’occasion de s’exprimer. Une vraie découverte.

Enfin, n’exagérons pas. Tout le monde a une mère ou une grand-mère qui a l’intelligence pratique d’utiliser les bons outils au bon moment. Et de réussir des préparations divines, l’air de rien, avec quelques légumes qui traînent au frigo.  Il suffit d’observer et de retrouver ce plaisir créatif qui consiste à laisser vagabonder son imagination au moment de choisir les ingrédients ou de faire marcher son intuition en goûtant la préparation.

A ce propos, le tenancier est preneur d’idées simples pour élargir sa palette de possibilités qui épatent jusqu’aux ados, pourtant d’ordinaires assez bégueules et peu aventuriers en matière de préparations culinaires.

Les avions ne tombent pas du ciel

mis à jour le 24/04/16 à 16h40

Il y a une forme de romantisme, d’attachement à la culture technique et scientifique que les opposants à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes semblent ne pas comprendre, préférant réduire le conflit à une bataille entre défenseurs de la nature et bétonneurs. L’invention, l’innovation, la résolution de problèmes techniques apparemment insolubles sont consubstantiels d’un bassin industriel où l’on a conçu les premiers vapeurs, fabriqué les premiers avions. Où l’on planche aujourd’hui sur les EMR (énergies marines renouvelables).  Le supposé aveuglement des populations ne suffit pas à expliquer l’attachement à ce projet, redouté par des opposants qui multiplient les obstacles pour que les électeurs soient consultés.

affiche snOn n’échappe pas à l’histoire pour comprendre cet attachement. Et le travail sur le guide « S’installer à Saint-Nazaire » m’en donne l’occasion. L’aventure industrielle de cette ville passe en effet, très tôt, par la construction aéronautique. Dès 1923 les Chantiers de Penhoët débutent la fabrication d’un premier hydravion. Le Richard-Penhoët, un pentamoteur, n’aura pas un grand avenir – le prototype explose en vol – mais enclenchera une mécanique qui, depuis lors, n’a cessé de tourner et de marquer l’imaginaire local. Une de grandes questions à Saint-Nazaire est de savoir si l’hydravion jaune qui emporte Tintin et le capitaine Haddock dans « Les 7 boules de Cristal » a été fabriqué sur les bords de la Loire ou non.

La suite sera plus convaincante, les Ateliers et Chantiers de la Loire mettent au point un monoplan, le Gourdou-Lesseure 32. Cet avion, à structure bois recouverte de toile, est assemblé près de l’aérodrome d’Escoublac à La Baule. Il en sera fabriqué 257 exemplaires. Quelques années plus tard, la décision est prise de construire un aérodrome sur la commune Montoir. Il s’agit notamment de répondre à la demande d’une compagnie aérienne britannique qui choisit Saint-Nazaire comme escale sur une ligne régulière desservant l’Afrique et les Indes. Les grands espaces n’ont jamais fait peur aux Nazairiens, c’est une ville de pionniers.london

En 1934 Louis Bréguet reprend la société Wibault-Penhoët, issue de Chantiers, et s’installe à Bouguenais, près d’un champ d’aviation créé en 1928, où est aujourd’hui installée l’une des deux usines Airbus du département. L’autre étant naturellement située à Montoir près de la piste de Gron.

Autre histoire facétieuse déjà évoquée ici, c’est Notre-Dame-des-Landes que les Américains choisissent en 1944 pour installer un petit aérodrome de campagne d’où décollent leurs avions d’observation qui surveillent la poche de Saint-Nazaire jusqu’en mai 1945. La ligne de démarcation se situe à quelques kilomètres entre Fay-de-Bretagne et Bouvron. Il s’agit de Piper, vraisemblablement du modèle Grassshoper.

On pourrait ainsi dérouler l’aventure jusqu’à nos jours et notamment évoquer le Beluga, familier des habitants du département, ce gros nounours qui transporte les pièces des Airbus entre les différentes usines. Mais là n’est pas la question. Allez dire à cette région d’inventeurs, qui a toujours cherché des solutions pour adapter, améliorer ses productions – Nantes a allégé les Airbus avec ses caissons centraux de voilure en carbone, dotés d’une structure en nid d’abeille – allez dire que le transport aérien est condamné.

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Cette peur de l’avenir ne lui ressemble pas. Les ingénieurs préfèrent inventer les hydroliennes et les avions du futur, qui mangeront moins d’énergie évidemment. Et si la régression qui consiste à refuser un équipement plus adapté aux contraintes du jour les étonne, ils ne la cautionneront vraisemblablement pas, comme le montrent toutes les enquêtes d’opinion. Même s’ils ne se déplacent pas en foule. C’est ce qui fait peur aux opposants, pour la plupart venus d’ailleurs, de régions où ne construit pas d’avions, et prisonniers de représentations bucoliques. Souhaitons malgré tout que la population puisse s’exprimer et que son vote soit respecté.

Images : DR

L’apparente simplicité du récit

Il est des bonheurs de lecture que l’on voudrait ne pas avoir vécus, pour en retrouver la fraîcheur originelle, les revivre à nouveau. Je ne pensais pas que ce pouvait être le cas pour le cinéma. C’est fait. La découverte d’Andreï Zviaguintsev est de l’ordre du trouble provoqué par la lecture de Tchékov. Quatre films d’une beauté formelle sidérante, d’une précision redoutable, mais surtout d’une profondeur infinie, que seuls, peut-être, les Russes sont en mesure explorer. C’est à se demander.

Le retour“Il n’y pas de héros dans mes films” explique Andreï Zviaguintsev dans le livret qui accompagne le coffret regroupant ces quatre premiers films “Il y a seulement une situation dans laquelle se retrouvent des personnages – hommes ou femmes, peu importe. C’est une situation de choix, et c’est ce choix auquel le personnage est confronté qui est le premier héros du film. L’autre héros, c’est le langage cinématographique qui va montrer le comportement des personnages à l’écran; et c’est l’idée du film qui en est l’héroïne (…) La lourde tâche du cinéaste, du créateur en général, consiste à essayer de rendre visible l’invisible. Ce qui se voit est temporel. Ce qui ne se voit pas est éternel.”

Pourquoi penser à Tchékov ? Sans doute pour la maitrise de la technique narrative. On est ici aussi dans le domaine de l’épure : pas un plan de trop, pas une ficelle attendue, pas une once de gras, tout s’emboîte parfaitement, tout fait sens. Et puis sans doute l’absence de chute. Zviaguintsev n’est pas un moraliste. C’est un observateur de la nature humaine, qui explore  les ressorts cachés de nos comportements, qu’il s’agisse des rapports ambigus entre un père et ses fils (Le Retour), entre un mari et sa femme (Le Bannissement), ou qu’il s’agisse de la déchirure entre classes sociales (Elena et Leviathan). c’est à la fois diablement contemporain – le tableau brossé de la Russie d’aujourd’hui est d’une précision clinique – et complètement intemporel. On n’est jamais dans le jugement, toujours dans l’observation. Et on joue évidemment avec les genres cinématographique. Elena est un authentique polar noir, qu’aurait pu écrire Edgard Poe.

Andreï Zviaguintsev est un admirateur d’Edward Hopper. Ce n’est pas étonnant. La Leviathanphotographie est extrêmement léchée, il travaille d’ailleurs avec le même chef opérateur depuis le départ. Mais cette beauté formelle n’est pas gratuite, elle n’habille pas le récit. Elle en participe. Il y a une véritable osmose entre le fond et la forme. Bref, du vrai grand cinéma, qu’on aimerait pouvoir partager, si on avait une plume de critique. Alors laissons la parole à un professionnel de la profession, Arnaud Schwartz de La Croix, pour conclure :”Ils ne sont pas si nombreux les films qui vous atteignent au plus profond de l’âme et vous accompagnent longtemps après, tandis que les questions affleurent à l’esprit. On les cherche ces oeuvres qui élèvent par la beauté de leurs images, l’épure de leur décor, l’évidence de leur lumière, l’apparente simplicité de leur récit pour vous entraîner vers ce que le cinéma porte de plus ouvert et de plus noble.”

Le billet d’humeur

Le billet d’humeur, c’est l’électron libre des genres journalistiques ! Il se place résolument du côté du commentaire, et même dans son aspect le plus subjectif.

Le billet d’humeur, c’est avant tout le regard très personnel, décalé et critique d’un journaliste sur un fait d’actualité. Contrairement à l’éditorial, où celui qui écrit marque traditionnellement la position de “l’éditeur”, du propriétaire du journal (plutôt du directeur de la publication en France) et, en général, de la rédaction, le billet d’humeur n’engage que son auteur (…)

Le billet d’humeur ne s’interdit rien, y compris la mauvaise foi. C’est donc le genre trangressif par excellence, le seul à ne pas toujours respecter – par obligation de genre – les règles qui s’imposent à tous les autres genres journalistiques : recoupement des informations, impartialité dans l’analyse des faits, modération des propos, langue soutenue…

Le billet d’humeur, c’est aussi le lieu de l’indignation, du coup de gueule et de la mauvaise humeur. C’est une prise de parole individuelle qui sort le journal d’un certain conformisme, d’une routine, qui est souvent la contrepartie du travail d’équipe. On dit là ce que “tout le monde” pense, mais que peut-être la rédaction aurait du mal à écrire… Rien d’étonnant donc, par exemple, que le billet d’André Frossard, qu’il a tenu dans Le Figaro de 1963 à 1995, s’intitulât Cavalier seul.

Le billet d’humeur, le genre journalistique qui secoue ! (extrait du dossier d’accompagnement, semaine de la presse Académie de Versailles).

de la résistance low cost

« Nddl c’est la résistance low-cost d’une gauche défaillante sur les vrais sujets ». Parfois la contrainte a du bon. Cette phrase, extraite du fil twitter consacré à Nddl résume en quelques mots judicieusement choisis l’étrange emballement auquel nous assistons dans la lutte délirante contre le transfert d’un équipement public. Ce diagnostic n’en mérite pas mois d’être explicité.

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Manif 27 février. Photo La Manche libre.

C’est une lutte low-cost en premier lieu dans son objet. Alors que de véritables problèmes se posent à la société – la question des réfugiés pour ne citer qu’elle, autrement plus sérieuse – des milliers de personnes sont capables de dépenser une énergie folle, de couvrir des centaines de kilomètres pour protester contre… un choix d’aménagement urbain, qui ne concerne que des nantis (agriculteurs compris dans ce cas de figure). Les militants anti-Nddl ont un vrai problème de hiérarchie des indignations.

manif 4Certes, répondront certains, mais il s’agit d’une lutte globale, contre un projet « climaticide ». On croit rêver, alors qu’à deux pas, à Nantes et Saint-Nazaire, on construit des centaines d’Airbus, comment peut-on se laisser bercer par la fable selon laquelle empêcher la construction d’un aéroport va jouer un rôle dans le développement du trafic aérien, qui est justement global ? Les avions iront tout simplement voler ailleurs.

moutonsLow-cost cette lutte l’est aussi dans sa forme. Pas très difficile de s’indigner contre des responsables politiques discrédités, aux abois, tétanisés à l’idée de prendre une décision. D’autant que cette lutte, cette « Résistance » est extrêmement généreuse en bonne conscience à peu de frais. Je lutte contre les méchants bétonneurs, les gros capitalistes, avec plein de copains. On est tous d’accords, c’est la teuf. La grégarité a un bénéfice psychologique patent, elle conforte le sentiment d’appartenance à un groupe. On a raison puisqu’on est nombreux.

Low-cost enfin sur les moyens. Une louche d’intimidation, une dose de bons sentiments, un brin d’approximation technique et des médias qui accourent comme des toutous. Que demande le peuple ? Rien de plus simple que de faire monter une mayonnaise quand on a les bons ingrédients. Ne soyons pas injuste, la gauche low-cost a au moins compris une chose : le fonctionnement de la Société du Spectacle.

NB  pour les habitués : je m’autorise à publier ce billet sur le fil général, parce que cette humeur dépasse me semble-t-il le cadre du dossier proprement dit.

Un peu d’air

L’atelier a connu, ces derniers jours, une effervescence inédite. Un sujet de société a monopolisé l’attention du tenancier et provoqué une fréquentation inégalée. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Le lieu n’a pas a priori vocation à traiter d’un sujet unique et récurrent.

photo : DR

Après réflexion et quelques tâtonnements techniques, nous allons donc modifier légèrement l’ergonomie de la maison, de sorte que chacun puisse y circuler à son aise, sans être pollué par un débat qui ne l’intéresse ou ne le concerne pas. Une fenêtre, sur la colonne de droite, baptisée le feuilleton va permettre de suivre les développements de cette affaire. Mais ces informations, contributions ou billets n’apparaîtront plus en tête du fil général, lequel va progressivement retrouver ses thématiques habituelles.*

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plage des Jaunais, Saint-Nazaire, DR

Ceci pour donner un peu d’air à la maison, et éviter les télescopages inutiles. Cette semaine retour à la table de travail pour avancer le guide sur Saint-Nazaire, après une délicieuse balade sur la côte sauvage pour repérer les plages les plus sympas.

Bonne semaine à tous

 

*comme c’est la règle ici, les billets d’humeur liés à une actualité précise n’ont pas vocation à rester en ligne. Ils restent toutefois consultables sur demande.

démocratie à géométrie variable

Il se produit un phénomène étrange au lendemain de l’annonce par François Hollande de le tenue d’un referendum sur Notre-Dame-des-Landes. Tous les démocrates d’hier, opposants et soutiens au transfert à quelques exception près, crient à la manoeuvre dilatoire.

Ce n’est pas foncièrement surprenant de la part des opposants, conscients du fait qu’il ne suffit pas nécessairement de crier le plus fort pour être le plus crédible, et qui s’inquiètent légitimement de la position de certaine majorité silencieuse, notamment les 600 000 habitants de l’agglomération nantaise qui subissent le survol de la ville à basse altitude. Ce l’est plus du côté des soutiens au transfert, qui se targuent d’avoir toujours bénéficié de la légitimité démocratique, un candidat hostile au projet n’ayant jamais gagné une élection. Est-ce à dire que dans les deux camps on se méfie du verdict populaire  ? On n’ose y croire.

non aCertes, il faut attendre les modalités de la consultation pour mesurer la sincérité du pouvoir dans cette affaire. La question ne pose pas vraiment de problème : le choix est binaire : oui ou non au transfert. En revanche le périmètre de la consultation est plus délicat à établir. Doit-il être départemental comme le suggère implicitement le mot “local”, doit-il être régional ou interrégional ? Dans ce second cas de figure la question est délicate parce que si le sud de la Bretagne (Morbihan, Ille et Vilaine), fait partie de la zone d’attraction du futur équipement, le nord l’est beaucoup moins. Brest disposant d’un aéroport bien dimensionné qu’il est nécessaire de conserver. Mais est-il possible institutionnellement de découper une région administrative ? Ce n’est pas certain. La Commission du débat public va pouvoir s’arracher les cheveux sur la question.

Quoi qu’il en soit, je partage sur ce coup là, la position de Ronan Dantec (sénateur EELV) et de François de Rugy (Député Ecolo) : l’arbitrage populaire est désormais la seule solution pour sortir du bourbier “par le haut”. On peut certes redouter la virulence de la campagne, le projet-daeroport-dame-landes-pourrait-etre-il-L-GVlOQNconcours de mauvaise foi qui se dessine, la foire aux  expertises en chambre, qui ne vont pas manquer de se multiplier, mais après tout, c’est bien aux populations concernées de s’exprimer sur le sujet et pas nécessairement aux activistes de Strasbourg, de Grenoble ou d’ailleurs. Cela permettra sans doute à la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) de sortir du bois, et de faire enfin valoir ses arguments. Après tout c’est quand même l’aviation civile qui organise, régule, dispatche le trafic sur le territoire. Il est possible qu’elle sache de quoi elle parle.

Et puis cela va permettre de clarifier les positions des uns et des autres. Ainsi l’extrême-gauche va-t-elle devoir gérer publiquement son alliance contre-nature avec le Front National sur le sujet. Reste maintenant à poser calmement les termes du débat et il n’est plus certain que, cette fois, les opposants bénéficient du boulevard médiatique dont ils ont disposé jusqu’alors. La partie commence. il est vraisemblable que nous en suivrons quelques épisodes.

Le premier aéroport de Notre-Dame-des-Landes

L’histoire est parfois facétieuse. C’est en effet Notre-Dame-des-Landes que les Américains avaient choisi pour installer un petit aérodrome de campagne d’où décollaient leurs avions d’observation qui surveillaient la poche de Saint-Nazaire entre août 1944 et mai 1945. La ligne de démarcation se situait à quelques kilomètres entre Fay-de-Bretagne et Bouvron. Les allemands les appelaient “les mouchards”. Il s’agissait de Piper, vraisemblablement du modèle Grassshoper.

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Le piper grasshoper pouvait décoller sur une route au besoin (photo DR)

Placée à l’abri de la forêt de Rohanne, où sont actuellement installés les opposants au projet d’aéroport, la piste, aménagée dans une prairie de 5 hectares, permettait aux avions légers d’effectuer des missions de reconnaissance pour observer le no man’s land entre les lignes et localiser l’artillerie ennemie. Les Allemands avaient en effet réparti plus d’une centaine de pièces d’artillerie au nord et soixante-dix canons au sud. Canons pour la plupart protégés dans des bunkers, mais parfois installés dans les sous-bois, près de la ligne de front, qu’ils déplaçaient à l’aide de chevaux pour échapper à la vigilance américaine.

Je viens de retrouver cette info, que j’avais publiée il y a quelques années dans un dossier sur la Libération de Nantes, en travaillant sur un ouvrage à paraître sur la poche de Saint-Nazaire.

 

Nddl : Paris et le désert nantais

L’armature urbaine de l’Hexagone était, à la fin du XVIIIe, comparable à celle des autres pays européens, composée de grandes villes, lieux d’échanges, places de marché ou grands ports. Lyon pesait plus lourd que Barcelone, En 1800, Nantes était plus peuplée que Rotterdam ou Munich.* L’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne ont aujourd’hui conservé de grandes villes, qui se sont logiquement développées avec le temps, sans pour autant faire d’ombre à leur capitale.

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Les premiers échanges avec la Chine ont débuté à Nantes en 1700. Affiche de l’expo du musée du Château des ducs.

Le centralisme, initié par la monarchie, conforté par la Révolution française et consolidé par la révolution des transports, a bouleversé cet équilibre en France, laissant des villes « de province » atrophiées. Certaines cités ont même été punies par Paris, Lyon privée d’un véritable département, ou Nantes privée d’université (fermée de 1793 à 1962) pour cause de rébellion envers le pouvoir central**. Les réseaux ferroviaires et routiers participent de l’étrange cartographie en étoile qui s’est dessinée au fil du temps, qui fait que pour aller de Nantes à Lyon en train, il faut encore aujourd’hui passer par Paris.

Ce centralisme outrancier qui produit des distorsions remarquables à l’égard des provinciaux (il fut en temps, pas si lointain, où 90% du budget du ministère de la culture était dépensé dans une aire desservie par un ticket de métro), a produit un pays hydrocéphale, qui ne sait plus réfléchir en termes d’équilibre bien compris. L’exemple des médias est de ce point de vue intéressant à observer. Les journaux parisiens, dits nationaux, ne pèsent pas grand-chose en termes de diffusion, mais disposent d’une remarquable chambre d’écho grâce à la centralisation des agences et des médias audiovisuels à Paris.

Pour en venir à notre sujet, il n’est pas foncièrement surprenant que les médias parisiens aient pris fait et cause contre le déplacement de l’aéroport de Nantes. Il y a tout d’abord une projection bucolique sur l’espace rural, (même si, notons-le au passage, la plupart d’entre eux ont bien du mal à comprendre la crise de l’élevage), et la vision caricaturale du village gaulois contre l’Empire du mal. Un conte facile à dérouler, à suivre, avec des gentils et des méchants. Mais il y a surtout, me semble-t-il, une condescendance inconsciente à l’égard de la province, qui fait bien de rester où elle est, réserve naturelle et lieu de villégiature.

Pourquoi les Nantais voudraient-ils un aéroport correctement dimensionné, alors qu’il est si simple de venir à Paris ? Les écologistes avaient bien compris cette nécessité d’équilibrer les trafics, pour qu’un ingénieur allemand puisse accéder en une heure à Nantes ou un chercheur espagnol éviter une correspondance à Charles-de-Gaulle, au bilan carbone redoutable. Dominique Voynet, quand elle était ministre, s’était d’ailleurs prononcée pour le projet : Vous serez d’accord avec moi pour reconnaître que nous avons un effort particulier à réaliser en faveur du rééquilibrage de la localisation des équipements vers l’ouest de notre pays. C’est pourquoi il a semblé nécessaire, compte tenu des nuisances qui pesaient sur les habitants de Nantes, de déplacer l’aéroport actuel sur le nouveau site de Notre-Dame-des-Landes, à une douzaine de kilomètres au nord de la ville.

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La répartition du trafic aérien en 2013

Depuis, par un curieux changement de posture, pour des raisons d’opportunité médiatique et politique, s’appuyant sur la pression des éleveurs de la Confédération paysanne, et jouant avec le romantisme de certains défenseurs de l’environnement (de bonne foi), les écologistes ont opéré un virage à 180°. Ce qui ne les honore pas mais c’est ainsi. La Confédération paysanne a dans cette affaire des intérêts beaucoup plus clairs (il sera intéressant un jour ou l’autre de décrypter le bras de fer qui se joue en sous-main entre la Conf et le gouvernement). Mais le plus étonnant est que les rebelles du jour, qui se sont auto-intoxiqués en croyant s’opposer au pouvoir central, se sont mis au service du centralisme historique. En ce sens il y a un côté réactionnaire, au sens premier du terme, dans cette lutte.

Il est vraisemblable que ce pouvoir central, qui n’a pas grand-chose à faire de Nantes, finira par choisir de développer un peu plus les plates-formes parisiennes. En contradiction avec le bon sens le plus élémentaire et au détriment de cette chère province, qui ne comprend décidément rien à rien, et sort les fourches dès que l’on veut déplacer une clôture.

Ainsi soit-il.

*voir l’excellent blog de Michel François “Les ravages urbains de la centralisation française”.

** l’argument est contesté. Une chose est sûre, l’université a été fermée en août 1793 par décret de la Convention, à l’exception de la faculté de médecine, où oeuvrait Guillaume-François Laënnec.