La malédiction de Rascar-Capac

On ne sait pas si Camille Putois, la directrice adjointe du cabinet du Premier ministre sera frappée par la malédiction de Rasar-Capac pour avoir menacé de la foudre l’avion du président Evo Morales, mais si tel est le cas nous pouvons peut-être glisser une suggestion aux enquêteurs : aller jeter un oeil sur le port de Saint-Nazaire.

affiche st nazC’est en effet sur les quais de Saint-Nazaire que Tintin et le capitaine Haddock retrouvent la trace du professeur Tournesol, mystérieusement disparu, à la fin des 7 boules de cristal. Le hasard – mais est-ce bien un hasard ? vient en effet de remettre en lumière cet épisode obscur de l’histoire qui a marqué les relations entre l’Amérique du Sud et la France. L’association les 7 soleils vient de publier un dépliant très complet, intitulé “Dans les pas de Tintin” qui permet de suivre l’itinéraire des deux héros sur les docks de ce port d’où ont longtemps  les paquebots à destination de l’Amérique Latine. tintinils y croisent d’ailleurs le général Alcazar, en partance pour le Pérou.

Du Pérou à la Bolivie il n’y a qu’un pas. et si la malédiction frappe une nouvelle fois – précisons que le président  Morales est originaire de l’Atliplano – les enquêteurs auraient tout intérêt à se munir de ce dépliant qui leur facilitera grandement la tâche pour emboîter le pas de leurs illustres prédécesseurs.

Nous ne souhaitons évidemment pas à notre chère directrice-adjointe d’être victime de la malédiction de Rascar-Capac, même si une bonne cure de sommeil ne lui ferait peut-être pas, au bout du compte, le plus grand bien. Cela l’inciterait peut-être à tourner sept fois son téléphone dans sa main avant de prendre des décisions inconsidérées et d’humilier gratuitement nos amis Latinos.

Big brother ne parle pas suisse

 On s’en doutait un peu. Les Américains ne sont pas les seuls à espionner leurs contemporains, à observer leurs comportements et à stocker leurs échanges. Les Français font la même chose comme nous l’apprend Le Monde. L’ensemble de nos données serait compressé puis stocké, nos connections enregistrées, nos échanges mis au chaud dans les sous-sols de la DGSE, à disposition des services de l’Etat (douanes, DCRI…).

Les informaticiens français ont donc du temps, de l’argent et de l’énergie  à perdre pour stocker les échanges entre madame Michu et monsieur Dugenou, mais ils sont incapables d’observer les transferts de fonds entre banques, sociétés off-shore et autres faux-nez utilisés par les contribuables indélicats. Ou plutôt, argument, assez joli, le fisc n’a pas le droit d’utiliser ces données sans que la justice soit saisie. Et comme elle n’est pas informée, elle ne risque pas d’être saisie.

On pourrait donc s’asseoir sur la loi pour espionner les citoyens, mais pas pour poursuivre les fraudeurs. « On pense qu’on n’a pas d’argent, mais c’est simplement parce qu’on ne sait pas où il est » expliquait ce vendredi matin sur France Inter le banquier Hervé Falciani, qui a dénoncé les pratiques de la banque Suisse HSBC et fourni sur un plateau une liste de 8 200 comptes en Suisse aux autorités françaises.

Assurance-HSBC-Maison

 Certes, mais la loi actuelle ne permet pas de les poursuivre. Il faut la changer. Et laisser ainsi le temps aux petits malins de se mettre leur magot au chaud, en Malaisie ou aux îles Caïman. De qui se moque-t-on ? L’argent ne s’évapore pas. Il franchit forcément les frontières par des jeux d’écriture, de banque en banque, de sociétés écran en paradis fiscaux. Le liquide c’est vulgaire, c’est bon pour Sarkozy, mais les vrais transferts se font de façon plus élégante, qui laissent donc des traces, aussi discrètes soient-elles.

Le syndicat national unifié des impôts évalue à 50 milliards d’euros le montant de la fraude fiscale annuelle en France, plus de 2% du PIB. Alors messieurs un petit effort, faites mouliner vos moteurs de recherche dans la bonne direction plutôt que de vous amuser à pister les adolescents rebelles. Tout le monde y gagnera. Et le gouvernement sera peut-être un peu plus crédible lorsqu’il demandera aux plus modestes de partager les efforts pour redresser les comptes.

illustration : pub HSBC

du mépris

C’est, à tout le moins, une faute de goût. Mais cela ressemble plus, malheureusement, à une humiliation gratuite infligée à un chef d’Etat étranger pour faire plaisir à une grande puissance amie. La France a interdit cette nuit son espace aérien à l’avion présidentiel bolivien, qui ramenait le président Evo Morales de Moscou, au prétexte qu’un agitateur Américain ayant trahi quelque secret d’Etat pouvait se trouver à l’intérieur. L’avion a été contraint d’atterrir à Vienne.

morales

Que n’aurait-on entendu si le président français avait été ainsi traité, par quelque pays que ce soit, au mépris de toutes les conventions et de tous les usages diplomatiques ? Puisqu’internet donne l’occasion de dire son sentiment par delà les frontières, et même si un geste individuel ne pèse pas bien lourd dans ce genre de circonstance, qu’il me soit permis de dire à mes amis Latinos-américains que ce geste ne traduit pas l’hostilité d’un pays à leur égard, mais l’étonnante servilité et l’absence d’éducation d’un gouvernement apparemment fort mal inspiré sur ce coup-là.

Photo : Morales dans un salon d’attente à Vienne (photo d’agence, non identifiée)

Aborigènes et Navajos

Ethno-roman de Tobie Nathan, dont la note de lecture ici publiée par Pascale est reprise sur le site ethno-psychatrie.net, (mazette !) me renvoie à un genre qui semble rencontrer un succès grandissant : l’ethno-polar. Le rapprochement est certes abusif, mais l’occasion est belle de dire deux mots sur les pionniers du genre, qui ont débroussaillé tour à tour le terrain.

arthur upfield

Le premier se nomme Arthur Upfield. Ce trappeur australien d’origine britannique eut l’idée dans les années 20 de s’inspirer de la vie dans le bush pour écrire des romans policiers mettant en scène les aborigènes d’Australie. Son héros est un policier métis, Napoléon Bonaparte, surnommé Bony, dont la double culture permet de décrypter les comportements et les moeurs parfois déroutants de ses contemporains. Les romans d’Upfield relèvent donc autant du traité d’ethnologie que du roman policier. Ils sont lents, énigmatiques, se déroulent toujours dans des décors insensés, et nous donnent des clefs inédites sur le rapport à la nature, à la vie, à la mort des aborigènes. Je me souviens notamment de La mort d’un lac où le suspens est lié à l’évaporation d’un lac renfermant un cadavre. Il fait chaud, très chaud, l’atmosphère est épaisse, Bony n’est pas très à l’aise dans sa peau déclarée d’éleveur de chevaux, mais le récit n’est pas glauque. Les dialogues sont subtils, les silences évocateurs, et on a le sentiment d’approcher au plus près la psychologie des colons et l’âme aborigène. Je viens de découvrir dans la notice de l’auteur qu’un Australien s’était directement inspiré d’un de ses livres, dans les années 30,  pour faire disparaître trois cadavres. Ce qui avait donné lieu à un procès retentissant.

Tony Hillerman, tony hillerman journaliste américain ne s’est jamais caché s’être inspiré d’Arthur Upfield pour imaginer la saga de John Leaphorn et Jim Chee, eux-aussi policiers métis dans la réserve Navajo située aux confins de l’Arizona et du Nouveau-Mexique. Mais si le principe est le même, les personnages, le contexte et les intrigues sont évidemment d’une toute autre nature. C’est écrit avec une plus grande maîtrise, peut-être un peu plus fin, mais tout aussi lent. Hillerman nous donne le temps de nous imprégner de l’ambiance singulière qui règne dans cette réserve, où les Navajos sont encore profondément attachés à leur mythes. Je me souviens notamment de Vent sombre mais je serais incapable d’en brosser le synopsis. L’atmosphère prime dans les romans de Hillerman, disparu en 2008, avec qui j’avais eu le plaisir de converser un moment, à Saint-Malo, quelques années plus tôt, à l’occasion d’Etonnants Voyageurs. Un homme simple, un brin taciturne.

Quoi qu’il en soit, pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas ces deux oiseaux et qui cherchent un peu de dépaysement, physique et mental, en ce début d’été, Upfield et Hillerman sont des valeurs sûres. Arthur Upfield est publié en 10/18, Tony Hillerman chez Rivages/Noir.

Illustrations : Tina McKimmie (GNU free documentation license), portrait de Tony Hillerman (source inconnue).

L’avenir dure longtemps

Passionnante plongée dans un passé pas si lointain avec l’Almanach des années 80 d’Actuel, pour les besoins d’un travail sur cette période un peu folle. Surprise de constater à quel point l’histoire bégaie, plaisir de goûter la liberté avec laquelle certaine presse regardait le monde à la fin des années 70 (l’almanach est publié fin 78).

alamanach actuelUne première évidence : 1978 marque bien la fin des utopies. La révolution aura duré dix ans, comme la grande, avant de se noyer dans le réel. « Les idéologies ruminent depuis dix ans, les polémiques sentent le vieux, les révoltes ne révèlent plus que la fatigue et l’ennui, on vit en circuit coincé dans la confusion. Les clichés cherchent une sortie de secours, gauchistes, cadres, syndicalisme et politique, gauche, réformisme, extrême-gauche, punks, nouveaux économistes, hippies moins frais, et comme personne n’a l’air de trouver, nous n’avions rien à perdre à aller rencontrer monsieur Réel. »

Le propos de cet almanach est de dresser, sans complexe, un état des lieux de la planète (une partie est dédiée aux découvertes scientifiques) pour tenter de régénérer les utopies moribondes, embourbées dans un gauchisme radical ou carrément enterrées par le « No future» naissant. L’objet propose donc une vision panoramique et subjective du monde à la veille des années 80, à la manière singulière d’Actuel. Sujets improbables, papiers rédigés à la première personne, liberté totale de ton. Petit survol du sommaire : « J’ai rencontré les pirates de Lagos », « J’ai chanté au Max’s Kansas à New-York », « J’ai empoisonné des hectares de marijuana », « J’ai vu Babar, roi de Tonga », « J’ai retrouvé la thèse de Khieu Samphan », « J’ai visité un camp nazi en Bolivie», « Science et luxure en Sibérie ».

 Une chose est acquise pour ces jeunes gens atypiques, nourris de contre-culture américaine : le communisme est mort. Ils dynamitent en effet, dix ans avant la chute du Mur, la légende des pays de l’Est en proposant des reportages en immersion, qui révèlent la déliquescence du système (et dénoncent dès 78 le délire des Khmers rouges, alors que nos intellectuels patentés, Alain Badiou en tête, le cautionnent encore l’année suivante, dans la grande presse). Sans complexe donc, la bande à Jean-François Bizot, qui compte dans ses rangs un futur prix Goncourt, Patrick Rambaud, propose une vision crue, parfois extrêmement violente du monde tel qu’il court en 1978 : « Cet homme habite dans une brouette. Au Pakistan, le général Zia rétablit la peine du fouet». actuel

Ces journalistes un brin fêlés, cultivés pour la plupart (pas de prévention pour se référer à Emerson, Montaigne ou Wittgenstein), interrogent le monde avec une curiosité, un appétit et une énergie qui paraissent aujourd’hui insensés. Certes, le style direct, un brin débraillé, peut sembler un peu daté « j’en ai fumé, refumé ; j’en ai planté, biné, arrosé, j’en ai roulé à la main et la machine, dans les chiottes des trains et les parkings souterrains… mais je n’en avais jamais empoisonné », mais la soif de comprendre ce monde comme il va, à la fin des années 70,éclate à toutes les pages (l’icono est superbe).

Le plus étonnant est que ce regard posé sur la planète, truffée de dictatures africaines, de magnats du pétrole, où démarrent les manipulations génétiques et où sortent les premiers ordinateurs individuels « un micro-processeur capable de jouer tout Jean-Sébastien Bach », pourrait être quasi contemporain. Un peu comme si nous vivions actuellement une longue parenthèse historique, une Restauration qui ne dit pas son nom, après dix ans de folle révolution, intellectuelle, scientifique, sexuelle, culturelle, qui aurait épuisé les cœurs et les esprits pour un siècle.

 Actuel s’est noyé dans cette Restauration, en essayant de maintenir une flamme qui s’est progressivement éteinte au cours des années 80 et 90. Ce mensuel improbable aux deux vies est au purgatoire, tout comme les années 70, aujourd’hui observées avec une condescendance amusée. Jean-François Bizot est mort, mais il n’est pas exclu que l’Histoire ne réévalue un jour cette aventure éditoriale qui a eu l’élégance de se saborder, à deux reprises, quand elle a considéré ne plus être en prise avec la société.

Les plus vigilants l’auront noté, le titre est d’Althusser. Illustrations : Actuel.

Fermes de contenus et faux amis

On en apprend un peu plus chaque année sur les arrière-cuisines du web lors de la restitution des travaux et le retour de stage des étudiants qui se destinent aux métiers du numérique. La révélation cette saison est l’explosion des « fermes de contenus » ces entreprises qui déversent en continu un torrent d’informations sur internet.

fermes de contenu

Une ferme de contenus est une entreprise commerciale dont l’objectif avoué est d’affoler les compteurs de statistiques pour capitaliser un maximum de clics et engranger ainsi un maximum de publicité. Le contenu proprement dit est la dernière préoccupation de ces fermes, qui n’ont aucun scrupule à élever des jeunes gens en batterie pour produire de la copie et mettre en ligne photos et vidéos au pas de charge.

Une seule religion : celle du mot-clef. L’une d’entre elle a ainsi mis au point un programme maison qui lui permet de connaître chaque jour le hit-parade des mots-clefs utilisés sur les principaux moteurs de recherche, par tranche d’âge et par sexe. Conjugué à une étude très fine des algorithmes de google, cette information permet d’affiner chaque jour le tir sur le type d’informations recherchée par les internautes et d’adapter sa production.

Les consignes données aux rédacteurs sont claires : utiliser systématiquement ces mots-clefs dans le titre des papiers, le plus à gauche possible, éviter les articles (un, le) et marteler le nom du site tout au long du texte. Des techniques plus classiques sont utilisées pour motiver les producteurs, tel un écran géant visible par tous qui donne en direct l’état des connections sur chaque article : voyant rouge si le score de la semaine précédente à la même heure n’est pas dépassé, voyant vert si ce score est atteint. Ces fermes ont, par ailleurs, recours aux « community managers » dont le travail est de rabattre du trafic depuis les réseaux sociaux, de « faux amis » de plus en plus prescripteurs en matière de connections.

Pillage d’images sans mention d’origine, informations pompées sans vergogne sur les sites voisins, tout est bon pour faire du chiffre, pourvu que l’info soit chaude, attractive, provoque de l’émotion et génère du clic. Les fermes de contenu sont particulièrement affûtées auprès des adolescents, mais pas que. Certaines sont spécialisées dans les publics ciblés, qui recherchent des infos sur la santé, le bricolage ou les voyages. Des étudiants sont ainsi mis à contribution pour rédiger à la chaine des fiches bricolage ou… des conseils pour voyager avec des bébés.

Une consolation toutefois, dans les replis du web, à l’abri derrière de solides procédures d’abonnement, quelques sites spécialisés à haute valeur ajoutée sont en train de construire leur niche. L’utilisateur averti a fait son deuil de l’illusion de la gratuité, qui a un temps prévalu. Il a compris que l’information demandait du temps et du travail et se montre prêt à en payer le prix.

On s’oriente donc de plus en plus vers un web à deux vitesses. Un grand robinet d’eau tiède, charriant ses scories publicitaires, qui inonde les écrans sans discernement, surfe sur l’émotion publique, et des sites qualifiés, réservés à un public averti. La presse généraliste va devoir se trouver un chemin entre ces deux extrêmes. Ce n’est pas gagné mais c’est passionnant à observer.

Illustration : concentration d’internautes lors d’une rencontre de jeux vidéos : forx.fr

NB :pour les lecteurs attentifs de ce blog, cette chronique est une nouvelle version de “la religion du clic” que j’ai retirée parce que trop précise.

Barcelone, les yeux grands ouverts

C’était mieux avant, évidemment. Barcelone était plus agitée, plus vivante, plus déjantée il y a quelques années, commente Gabriel dans la voiture de location qui fend la nuit sur le chemin du retour (le ciel français était en grève ce mercredi). Certes. Pour autant Barcelone reste en enchantement pour les yeux du profane. Il est des lieux qu’on est riche de ne pas avoir vus, comme il est des livres qu’on est riche de ne pas avoir lus.

casa batlo

Barcelone est de ceux-là. Ne serait-ce que pour Gaudi. La dette des cinéastes américains à l’égard du génial architecte ne cesse d’enfler, comme en témoigne la foule de jeunes gens qui se presse autour de la Sagrada Familia, cette basilique tout droit sortie du Seigneur des Anneaux, ou sur le toit de la Pedrera, où les cheminées ont de furieux airs de Dark Vador. A tel point que l’on en vient à se demander qui a inspiré qui. Le curieux paradoxe souligné par Borgès “les créateurs créent leurs précurseurs” (de mémoire), prend ici toute sa force : le cinéma fantastique américain a, en quelque sorte, inventé Gaudi, en puisant dans son infinie palette créative.

En déstructurant les bâtiments, en les dotant d’une enveloppe floue, en leur donnant le droit à l’expression, en bannissant la symétrie, Gaudi a non seulement régénéré  l’architecture, il a ouvert une voie qui commence tout juste à être explorée. Mais ce n’est pas tout : en laissant son grand oeuvre inachevé, l’architecte catalan, mort en 1926, nous permet d’assister à un gigantesque “work in progress” puisque la Sagrada Familia reste pour de longues années encore un grand chantier à ciel ouvert, qu’il nous est permis de voir avancer, à la manière du spectacle urbain que devaient offrir les bâtisseurs de cathédrales à la fin du moyen-âge. Ecrasant et vertigineux.

“Ne vous inquiétez pas” disait-il lorsque l’on lui faisait mesurer la folie du projet “mon commanditaire a tout son temps”. Il est vrai que Gaudi était un brin mystique. Comme si les hommes avaient toujours besoin d’un dieu pour réaliser des prouesses insensées.

illustration : La casa Batllo (photo Ph.D.)

 

 

Sur les routes de l’Inde

Les éditions du Petit Véhicule viennent de m’informer qu’elles procédaient à nouveau tirage de La Moto bleue, le récit du voyage en Inde avec Gauvain, 11 ans à l’époque. Mais cette fois la couverture sera rouge, comme celle d’Au Royaume de Siam (l’illustration est un photo-montage approximatif). moto rouge 2C’est toujours un plaisir de savoir qu’un livre poursuit son petit bonhomme de chemin plusieurs années après sa publication (2010). D’autant que la mission confiée à ce récit, à ces récits, est celle de durer, d’être indifférents au temps qui passe, de ne pas être prisonniers de la nouveauté. “Derrière la Montagne”, le récit du voyage en Mongolie avec Louis, vient ainsi d’achever son existence, épuisé, après douze ans de présence, et trois éditions. C’est à la fois le prix (moins d’exposition spatiale) et le luxe (plus de profondeur de temps) de l’édition en province.

Un court extrait, pour fêter ce minuscule évènement. Il prend place à Madurai à l’extrême-sud du sous-continent :

“La bouillie sonore dans laquelle nous avions parfois l’impression de baigner depuis notre arrivée commence à s’éclaircir, et nous avons beaucoup progressé dans la lecture de ce paysage, qui s’avère plus subtil et contrasté que nous l’imaginions au premier abord. Chaque jour apporte ainsi une nuance dans la connaissance de la hiérarchie des avertisseurs sonores. A Madurai, les rickshaws n’utilisent pas de klaxon mais une bonne vieille trompe à poire, fixée à l’avant droit du véhicule. Ce qui les place au dessus de la sonnette des vélos dans l’échelle des priorités, mais au dessous des scooters et des motos. L’espace sonore est aussi un lieu d’expression privilégié des différents cultes religieux. J’avais remarqué à Kochi que les chants provenant de la basilique Santa-Cruz arrosaient allégrement l’ensemble du quartier, sans savoir s’ils étaient artificiellement amplifiés. A l’heure qu’il est, sept heures trente précises à Madurai, ce sont les chants des adeptes de Vishnu, provenant du temple voisin, qui occupent le terrain. Ils avaient été précédés à cinq heures par l’appel du muezzin, puis, aux alentours de six heures par le carillon d’une église. La présence de l’hindouisme est plus diffuse dans le paysage sonore, elle part de plus bas et s’exprime depuis de multiples sources, nichées dans les replis de la ville. Ces chants rituels ne cherchent pas à occuper l’ensemble de l’espace, insoucieux de leur effet sur le voisinage, à la différence des cloches ou du muezzin qui affichent, du haut de leurs tours de guet, une altière puissance de feu.”

NB : “La moto bleue” aujourd’hui disponible en librairie ou en ligne (fnac) est sous jaquette verte, cette première édition sera progressivement remplacée par la couverture rouge, disponible chez l’éditeur dans un premier temps.

Une belle plume

C’est une petite librairie de rien du tout. Une boutique discrète dehors et lumineuse dedans, que l’on remarque à peine au détour de l’église. Et pourtant c’est une vraie librairie, qui fait la part belle à la littérature, où Montaigne et Kerouac sont chez eux. Où Léonard de Vinci dresse le doigt à l’entrée.

vinciOn pensait les créations de ce genre révolues, qui plus est dans les petite villes de campagne, où les supermarchés se chargent désormais de commercialiser quelques best-sellers « vus à la télé » entre deux vêtements fabriqués au Bangladesh. Et pourtant elle l’a fait. Julie Beauparlant-Routier a ouvert « La Plume » en juin dernier dans le bourg de Blain, chef-lieu de canton de Loire-Inférieure.

 Pour ne pas être noyée par la marée des nouveautés, cette jeune libraire lettrée a renoncé aux bons « offices » des éditeurs. Elle compose elle-même son fonds, où la littérature classique est bienvenue, où Maupassant et Proust ont toute leur place. Mais pas que. La littérature étrangère y est aussi bien représentée, tout comme le roman policier et la littérature enfantine. Et puis quelques coups de cœur, dans la production récente évidemment, parfois assortis de notes de lecture. Pour le reste, « La Plume » travaille sur commande.

 la plumeOn n’attendra pas plus longtemps à La Plume un livre qu’on ne l’attendra chez Amazon et on fera vivre ce rêve fou de conserver une librairie de chair et de papier à deux pas de chez soi. On aura même le loisir désormais de se procurer les récits de voyage du polygraphe, qui ont trouvé ici le havre qui leur manquait dans cette « campagne au sommeil épais » moquée par Julien Gracq dans La forme d’une ville. Un sommeil pas si épais que ça finalement.

Illustrations : Toute l’oeuvre peinte et graphique de Vinci, chez Taschen pour 20€, Julie Beauparlant-Routier dans sa librairie (photo Ouest-France).