du mépris

C’est, à tout le moins, une faute de goût. Mais cela ressemble plus, malheureusement, à une humiliation gratuite infligée à un chef d’Etat étranger pour faire plaisir à une grande puissance amie. La France a interdit cette nuit son espace aérien à l’avion présidentiel bolivien, qui ramenait le président Evo Morales de Moscou, au prétexte qu’un agitateur Américain ayant trahi quelque secret d’Etat pouvait se trouver à l’intérieur. L’avion a été contraint d’atterrir à Vienne.

morales

Que n’aurait-on entendu si le président français avait été ainsi traité, par quelque pays que ce soit, au mépris de toutes les conventions et de tous les usages diplomatiques ? Puisqu’internet donne l’occasion de dire son sentiment par delà les frontières, et même si un geste individuel ne pèse pas bien lourd dans ce genre de circonstance, qu’il me soit permis de dire à mes amis Latinos-américains que ce geste ne traduit pas l’hostilité d’un pays à leur égard, mais l’étonnante servilité et l’absence d’éducation d’un gouvernement apparemment fort mal inspiré sur ce coup-là.

Photo : Morales dans un salon d’attente à Vienne (photo d’agence, non identifiée)

11 réflexions sur « du mépris »

  1. Pierre-Marie Bourdaud

    Pour moi, qui dit Bolivie dit Potosi. Cette mine est dans ce texte, qui mine de rien (pas fait exprès) a quelque rapport avec l’avanie de pleutre faite à Mr Morales.

    …Potosi, un monstre qui a saigné les Andes pendant trois siècles. Une gueule béante qui avalait des hommes et vomissait des cadavres. Une machine à broyer les corps et les âmes. Tant, et si vite qu’il fallut bientôt envoyer la troupe chercher des esclaves de plus en plus loin. Jusqu’au-delà de Cuzco. En trois siècles, Potosi recracha trois millions de cadavres. Ils arrivaient, hébétés, épuisés. On les avait arrachés à leur terre, à leurs champs, à leurs villages. A coup de fouets, encadrés par des soldats en armes, on leur avait fait passer des journées entières à marcher et marcher encore, les femmes et les enfants suivaient comme ils le pouvaient. Au bout de la longue route, il y avait cette ville de maisons splendides, d’églises où l’or n’était que massif. Les seigneurs des mines donnaient des fêtes plus somptueuses que celles des rois d’Europe. Mais les Indiens, eux, on les jetait dans des baraques sordides et glacées, les hommes descendaient sous terre. Il régnait là une chaleur suffocante. Au pic, ils arrachaient du rocher la pierre mélangée d’argent qu’ils ramenaient sur leur dos afin qu’on l’emmène. Leurs mains saignaient, et leur cœur aussi. Ils étaient fils du soleil, fils de la terre, on les transformait en vers. Ironie, leurs tortionnaires leur octroyaient quelques pièces de monnaie pour leurs services. Pièces qu’ils échangeaient contre des feuilles de coca. La coca que l’on mâche afin de retrouver des forces quand on est trop épuisé pour porter sa pioche. La coca qui donne à celui qui va mourir l’illusion qu’il vivra encore. La coca qui enrichit les curés parce qu’ils touchent un pourcentage sur les paniers que les Blancs enfournent dans la mine. Avec la coca, mon cher Père, les Indiens meurent peut-être un peu plus vite, mais ils travaillent tellement mieux. Amen. Quand leur homme s’est éteint de désespoir, écrasé par la pierre qui s’effondre, brisé par la chute du haut d’une échelle, lacéré par les fouets, les poumons silicosés ou tout simplement de misère, les femmes rassemblent leurs enfants, à pied, elles reprennent le chemin de leur village. A Potosi, les élégantes en robe de Paris dansent sur leurs parquets précieux. Pour leur adresser la parole, les domestiques indiens se mettent à genoux.
    (…)
    A Potosi, nul ne peut aller pieds nus, nul ne peut vivre sans maison, il y fait si froid que le vagabond y meurt, crucifié par le gel sous le ciel le plus pur, le plus étoilé du monde. Et pourtant, je ne sens pas le froid en arpentant le Boulevard au milieu de ces gens qui me bousculent. Je perçois une ambiance unique, une sorte de tension dans les âmes comme un chant qui monte : on est ceux de Potosi ! On a résisté aux Espagnols ! Ils nous ont torturés, déportés, massacrés, mais on est ceux de Potosi. Nous mourons aujourd’hui de silicose, les poumons rongés par la poussière des mines. Nos femmes arrivent à peine à alimenter leurs enfants, on est ceux de Potosi. Les galeries des mines s’effondrent, on nous paie une misère, on expulse nos veuves des logements que la mine nous fournit, mais on est ceux de Potosi. On mâche la coca comme nos aïeux, on boit de l’alcool qui nous ronge, pour tenir, pour oublier. Mais on est ceux de Potosi. Les soldats nous tirent dessus quand on fait la grève, ils torturent nos meneurs, ils ont dressé les paysans contre nous ; quand nous nous battons, nous sommes seuls, tant pis, on est ceux de Potosi.

    Anne-France DAUTHEVILLE

    (Si un prof de Français passe par là, il a sous les yeux un texte parfait pour étudier la métaphore filée, les contrastes, la réitération et le et le rythme ternaire)

  2. Elena

    Et Bradley Manning, dont le procès est en cours (“procès-lynchage disent certains)  ?

    Le mépris nous est renvoyé et c’est bien normal ; la présidente de l’assemblée nationale équatorienne fait le lien avec la sombre histoire qui a couvert d’ignominie les pays concernés par ce refus du survol de leur espace aérien (Franco, Mussolini, Salazar et pour nous non pas le nom d’un seul homme mais d’un gouvernement et d’un certain état d’esprit, “Vichy”) et s’étonne qu’au lieu de dénoncer le fait d’être victimes d’un “espionnage impérialiste” les gouvernements de ces pays aient fait preuve d’une attitude servile (avec le pays fort) et agressive — et aient porté atteinte à la souveraineté bolivienne.

    http://www.telegrafo.com.ec/actualidad/item/alianza-pais-rechaza-atentado-contra-presidente-evo-morales.html

  3. Philippe Auteur de l’article

    Je viens d’en lire un peu plus sur Edward Snowden, intrigué quand même. et je découvre l’histoire (à ma décharge, je n’étais pas là quand elle a éclaté), et surtout sur le programme d’espionnage universel PRISM. C’est effrayant. Google, facebook, apple… tout le trafic internet et mail est consultable, collationné je ne sais pas (ou pas compris).
    Et puis en même temps c’est un tel volume de données que c’est intraitable. Peut-être Gaëtan pourrait-il nous aider sur ce coup là. Une petit décryptage maison sur ton blog ?

  4. Philippe Auteur de l’article

    Merci Elena pour cet éclairage. Je ne connaissais pas plus Mordechai Vanunu que vous Daniel Mermet. Lu sa bio sur Wiki. Glaçant. Les Israeliens, comme les Américains ne font pas dans la dentelle quand il s’agit de protéger des programmes militaires ou des systèmes d’espionnage. Mais il n’est pas certain que les Russes ou les iraniens soient beaucoup plus prévenants.
    A vrai dire je n’ai pas cherché à en savoir plus sur Snowden, comme sur Assange. C’est peut-être une erreur. Parce que d’évidence le numérique donne de la porosité à l’information, et ne protège plus grand monde. Et des affaires comme celles-là pourraient se multiplier, donnant au citoyen une plus grande visibilité sur les arrières-cours de la politique internationale.
    Nous entrons dans l’ère de la visibilité mais aussi dans celle de l’enfumage. C’est intéressant à suivre mais bougrement difficile. Il faut avoir de bonnes lunettes.

  5. Elena

    Désolée pour l’insistance : j’ai à nouveau qq problèmes avec les commentaires, mystérieusement inaccessibles.

    Un petit rappel : devenir un whistle blower peut se payer très cher, par ex 18 ans de prison dont 11 en isolement et ensuite (à vie ?) l’interdiction de quitter le pays, de rencontrer des journalistes étrangers, etc.

    JE SUIS VOTRE ESPION
    Mordechai Vanunu

    Je suis l’employé, le technicien, le mécanicien, le chauffeur.
    Ils disent. Faites ceci, faites cela, ne regardez ni à gauche
    ni à droite,
    Ne lisez pas ce qui est écrit. Ne regardez pas l’ensemble
    de la machine. Vous
    n’êtes responsable que de ce boulon. De ce
    tampon en caoutchouc.
    C’est tout ce qui vous concerne. Ne vous occupez pas
    de ce qui vous dépasse.
    N’essayez pas de penser pour nous. Allez, conduisez.
    Continuez. En avant, en avant.
    C’est ce qu’ils pensaient, les grosses têtes, les intelligents,
    les futurologues.
    Il n’y a rien à craindre. Ne vous en faites pas.
    Tout va très bien.
    Notre petit employé est un travailleur consciencieux. C’est un
    simple mécanicien.
    C’est un homme insignifiant
    Les oreilles des hommes insignifiants n’entendent pas, leurs yeux
    ne voient pas.
    Nous avons des têtes, ils n’en ont pas
    Réponds-leur, se dit-il en lui-même, se dit
    l’homme insignifiant,
    l’homme avec une tête bien à lui. Qui est
    responsable? Qui sait
    où mène ce train?
    Où est leur tête? Moi aussi j’ai une tête.
    Pourquoi est-ce que je vois la machine tout entière.
    Pourquoi est-ce que je vois le précipice –
    y a-t-il un conducteur sur ce train?
    L’employé chauffeur technicien mécanicien
    leva les yeux.
    Il fit un pas en arrière et vit –quel monstre..
    Impossible à croire. Se frotta les yeux et –oui,
    C’est bien là. Je ne délire pas. Je vois bien
    le monstre. Je fais partie du système.
    j’ai signé ce formulaire. Ce n’est que maintenant que j’en lis
    le reste.
    Ce boulon fait partie d’une bombe. Ce boulon c’est moi.
    Comment
    ne l’ai-je pas vu plus tôt, et comment se fait-il que les autres
    continuent à ajuster les boulons. Qui d’autre sait?
    Qui a vu? Qui a entendu – L’empereur
    est vraiment tout nu.
    Je le vois. Pourquoi moi? Ce n’est pas pour moi. C’est trop énorme.
    Dresse-toi et crie-le. Dresse-toi et dis-le au peuple.
    Tu peux.
    Moi, le boulon, le technicien, mécanicien –
    Oui, toi.
    Tu es l’agent secret du peuple. Tu es
    les yeux de la nation.
    Agent-espion, dis-nous ce que tu as vu. Dis-nous
    ce que les initiés, les intelligents, nous ont
    caché.
    Sans toi, il n’y a que le précipice.
    Que la catastrophe.
    Je n’ai pas le choix. Je suis un petit homme, un citoyen,
    un du peuple.
    mais je ferai ce que j’ai à faire. J’ai entendu la voix
    de ma conscience
    Et il n’y a pas d’endroit où me cacher.
    Le monde est petit, petit pour Big Brother.
    Je suis votre mission. Je fais mon devoir. Prenez-le
    de mes mains.
    Venez voir par vous-mêmes. Allégez mon
    fardeau. Arrêtez le train.
    Descendez du train. Le prochain arrêt – désastre
    nucléaire. Le prochain livre,
    la prochaine machine. Non. Il n’y en a pas.

  6. Philippe Auteur de l’article

    Vous avez raison Elena, “agitateur ayant trahi quelque secret d’Etat” est une formulation ambigüe qui reprend la réthorique officielle. Mais il ne s’agissait pas surtout pas de dédouaner les autorités françaises. Parce que même dans cette hypothèse, l’affront fait au président Bolivien est inadmissible (et n’est d’ailleurs pas admis en Amérique Latine). Il est souverain au même titre que nous le sommes, au même titre que toutes les ambassades du monde.
    L’atteinte à la dignité du représentant d’un peuple, quel qu’il soit, est une offense dont on ne mesure pas les conséquences. Les excuses de Hollande ce soir http://www.liberation.fr/monde/2013/07/03/l-attitude-francaise-envers-evo-morales-suscite-la-polemique_915644 ne changent pas grand chose à l’affaire. Le mal est fait. Pas très glorieux d’être Français aujourd’hui.

  7. Elena

    Merci ! Je m’étais étranglée en lisant les articles.
    Nous nous blairisons à grandes enjambées — l’Europe des caniches, c’est maintenant.

    “agitateur ayant trahi qq secrets d’état” ou “whistle blower” c’est-à-dire “lanceur d’alerte” ou conscience ?
    Un article de la LRB sur la question Snowden où l’on voit que la définition que l’on donne du bonhomme n’est (évidemment) pas neutre et que l’on s’est efforcé de focaliser l’attention sur le personnage (des accusations de “narcissisme” à celles de traîtrise) pour mieux balayer sous le tapis ce qu’il révèle :
    http://www.lrb.co.uk/v35/n13/david-bromwich/diary

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