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Aborigènes et Navajos

Ethno-roman de Tobie Nathan, dont la note de lecture ici publiée par Pascale est reprise sur le site ethno-psychatrie.net, (mazette !) me renvoie à un genre qui semble rencontrer un succès grandissant : l’ethno-polar. Le rapprochement est certes abusif, mais l’occasion est belle de dire deux mots sur les pionniers du genre, qui ont débroussaillé tour à tour le terrain.

arthur upfield

Le premier se nomme Arthur Upfield. Ce trappeur australien d’origine britannique eut l’idée dans les années 20 de s’inspirer de la vie dans le bush pour écrire des romans policiers mettant en scène les aborigènes d’Australie. Son héros est un policier métis, Napoléon Bonaparte, surnommé Bony, dont la double culture permet de décrypter les comportements et les moeurs parfois déroutants de ses contemporains. Les romans d’Upfield relèvent donc autant du traité d’ethnologie que du roman policier. Ils sont lents, énigmatiques, se déroulent toujours dans des décors insensés, et nous donnent des clefs inédites sur le rapport à la nature, à la vie, à la mort des aborigènes. Je me souviens notamment de La mort d’un lac où le suspens est lié à l’évaporation d’un lac renfermant un cadavre. Il fait chaud, très chaud, l’atmosphère est épaisse, Bony n’est pas très à l’aise dans sa peau déclarée d’éleveur de chevaux, mais le récit n’est pas glauque. Les dialogues sont subtils, les silences évocateurs, et on a le sentiment d’approcher au plus près la psychologie des colons et l’âme aborigène. Je viens de découvrir dans la notice de l’auteur qu’un Australien s’était directement inspiré d’un de ses livres, dans les années 30,  pour faire disparaître trois cadavres. Ce qui avait donné lieu à un procès retentissant.

Tony Hillerman, tony hillerman journaliste américain ne s’est jamais caché s’être inspiré d’Arthur Upfield pour imaginer la saga de John Leaphorn et Jim Chee, eux-aussi policiers métis dans la réserve Navajo située aux confins de l’Arizona et du Nouveau-Mexique. Mais si le principe est le même, les personnages, le contexte et les intrigues sont évidemment d’une toute autre nature. C’est écrit avec une plus grande maîtrise, peut-être un peu plus fin, mais tout aussi lent. Hillerman nous donne le temps de nous imprégner de l’ambiance singulière qui règne dans cette réserve, où les Navajos sont encore profondément attachés à leur mythes. Je me souviens notamment de Vent sombre mais je serais incapable d’en brosser le synopsis. L’atmosphère prime dans les romans de Hillerman, disparu en 2008, avec qui j’avais eu le plaisir de converser un moment, à Saint-Malo, quelques années plus tôt, à l’occasion d’Etonnants Voyageurs. Un homme simple, un brin taciturne.

Quoi qu’il en soit, pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas ces deux oiseaux et qui cherchent un peu de dépaysement, physique et mental, en ce début d’été, Upfield et Hillerman sont des valeurs sûres. Arthur Upfield est publié en 10/18, Tony Hillerman chez Rivages/Noir.

Illustrations : Tina McKimmie (GNU free documentation license), portrait de Tony Hillerman (source inconnue).