Le billet d’humeur

Le billet d’humeur, c’est l’électron libre des genres journalistiques ! Il se place résolument du côté du commentaire, et même dans son aspect le plus subjectif.

Le billet d’humeur, c’est avant tout le regard très personnel, décalé et critique d’un journaliste sur un fait d’actualité. Contrairement à l’éditorial, où celui qui écrit marque traditionnellement la position de “l’éditeur”, du propriétaire du journal (plutôt du directeur de la publication en France) et, en général, de la rédaction, le billet d’humeur n’engage que son auteur (…)

Le billet d’humeur ne s’interdit rien, y compris la mauvaise foi. C’est donc le genre trangressif par excellence, le seul à ne pas toujours respecter – par obligation de genre – les règles qui s’imposent à tous les autres genres journalistiques : recoupement des informations, impartialité dans l’analyse des faits, modération des propos, langue soutenue…

Le billet d’humeur, c’est aussi le lieu de l’indignation, du coup de gueule et de la mauvaise humeur. C’est une prise de parole individuelle qui sort le journal d’un certain conformisme, d’une routine, qui est souvent la contrepartie du travail d’équipe. On dit là ce que “tout le monde” pense, mais que peut-être la rédaction aurait du mal à écrire… Rien d’étonnant donc, par exemple, que le billet d’André Frossard, qu’il a tenu dans Le Figaro de 1963 à 1995, s’intitulât Cavalier seul.

Le billet d’humeur, le genre journalistique qui secoue ! (extrait du dossier d’accompagnement, semaine de la presse Académie de Versailles).

de la résistance low cost

« Nddl c’est la résistance low-cost d’une gauche défaillante sur les vrais sujets ». Parfois la contrainte a du bon. Cette phrase, extraite du fil twitter consacré à Nddl résume en quelques mots judicieusement choisis l’étrange emballement auquel nous assistons dans la lutte délirante contre le transfert d’un équipement public. Ce diagnostic n’en mérite pas mois d’être explicité.

mache libre

Manif 27 février. Photo La Manche libre.

C’est une lutte low-cost en premier lieu dans son objet. Alors que de véritables problèmes se posent à la société – la question des réfugiés pour ne citer qu’elle, autrement plus sérieuse – des milliers de personnes sont capables de dépenser une énergie folle, de couvrir des centaines de kilomètres pour protester contre… un choix d’aménagement urbain, qui ne concerne que des nantis (agriculteurs compris dans ce cas de figure). Les militants anti-Nddl ont un vrai problème de hiérarchie des indignations.

manif 4Certes, répondront certains, mais il s’agit d’une lutte globale, contre un projet « climaticide ». On croit rêver, alors qu’à deux pas, à Nantes et Saint-Nazaire, on construit des centaines d’Airbus, comment peut-on se laisser bercer par la fable selon laquelle empêcher la construction d’un aéroport va jouer un rôle dans le développement du trafic aérien, qui est justement global ? Les avions iront tout simplement voler ailleurs.

moutonsLow-cost cette lutte l’est aussi dans sa forme. Pas très difficile de s’indigner contre des responsables politiques discrédités, aux abois, tétanisés à l’idée de prendre une décision. D’autant que cette lutte, cette « Résistance » est extrêmement généreuse en bonne conscience à peu de frais. Je lutte contre les méchants bétonneurs, les gros capitalistes, avec plein de copains. On est tous d’accords, c’est la teuf. La grégarité a un bénéfice psychologique patent, elle conforte le sentiment d’appartenance à un groupe. On a raison puisqu’on est nombreux.

Low-cost enfin sur les moyens. Une louche d’intimidation, une dose de bons sentiments, un brin d’approximation technique et des médias qui accourent comme des toutous. Que demande le peuple ? Rien de plus simple que de faire monter une mayonnaise quand on a les bons ingrédients. Ne soyons pas injuste, la gauche low-cost a au moins compris une chose : le fonctionnement de la Société du Spectacle.

NB  pour les habitués : je m’autorise à publier ce billet sur le fil général, parce que cette humeur dépasse me semble-t-il le cadre du dossier proprement dit.

Un peu d’air

L’atelier a connu, ces derniers jours, une effervescence inédite. Un sujet de société a monopolisé l’attention du tenancier et provoqué une fréquentation inégalée. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Le lieu n’a pas a priori vocation à traiter d’un sujet unique et récurrent.

photo : DR

Après réflexion et quelques tâtonnements techniques, nous allons donc modifier légèrement l’ergonomie de la maison, de sorte que chacun puisse y circuler à son aise, sans être pollué par un débat qui ne l’intéresse ou ne le concerne pas. Une fenêtre, sur la colonne de droite, baptisée le feuilleton va permettre de suivre les développements de cette affaire. Mais ces informations, contributions ou billets n’apparaîtront plus en tête du fil général, lequel va progressivement retrouver ses thématiques habituelles.*

jaunais 2

plage des Jaunais, Saint-Nazaire, DR

Ceci pour donner un peu d’air à la maison, et éviter les télescopages inutiles. Cette semaine retour à la table de travail pour avancer le guide sur Saint-Nazaire, après une délicieuse balade sur la côte sauvage pour repérer les plages les plus sympas.

Bonne semaine à tous

 

*comme c’est la règle ici, les billets d’humeur liés à une actualité précise n’ont pas vocation à rester en ligne. Ils restent toutefois consultables sur demande.

démocratie à géométrie variable

Il se produit un phénomène étrange au lendemain de l’annonce par François Hollande de le tenue d’un referendum sur Notre-Dame-des-Landes. Tous les démocrates d’hier, opposants et soutiens au transfert à quelques exception près, crient à la manoeuvre dilatoire.

Ce n’est pas foncièrement surprenant de la part des opposants, conscients du fait qu’il ne suffit pas nécessairement de crier le plus fort pour être le plus crédible, et qui s’inquiètent légitimement de la position de certaine majorité silencieuse, notamment les 600 000 habitants de l’agglomération nantaise qui subissent le survol de la ville à basse altitude. Ce l’est plus du côté des soutiens au transfert, qui se targuent d’avoir toujours bénéficié de la légitimité démocratique, un candidat hostile au projet n’ayant jamais gagné une élection. Est-ce à dire que dans les deux camps on se méfie du verdict populaire  ? On n’ose y croire.

non aCertes, il faut attendre les modalités de la consultation pour mesurer la sincérité du pouvoir dans cette affaire. La question ne pose pas vraiment de problème : le choix est binaire : oui ou non au transfert. En revanche le périmètre de la consultation est plus délicat à établir. Doit-il être départemental comme le suggère implicitement le mot “local”, doit-il être régional ou interrégional ? Dans ce second cas de figure la question est délicate parce que si le sud de la Bretagne (Morbihan, Ille et Vilaine), fait partie de la zone d’attraction du futur équipement, le nord l’est beaucoup moins. Brest disposant d’un aéroport bien dimensionné qu’il est nécessaire de conserver. Mais est-il possible institutionnellement de découper une région administrative ? Ce n’est pas certain. La Commission du débat public va pouvoir s’arracher les cheveux sur la question.

Quoi qu’il en soit, je partage sur ce coup là, la position de Ronan Dantec (sénateur EELV) et de François de Rugy (Député Ecolo) : l’arbitrage populaire est désormais la seule solution pour sortir du bourbier “par le haut”. On peut certes redouter la virulence de la campagne, le projet-daeroport-dame-landes-pourrait-etre-il-L-GVlOQNconcours de mauvaise foi qui se dessine, la foire aux  expertises en chambre, qui ne vont pas manquer de se multiplier, mais après tout, c’est bien aux populations concernées de s’exprimer sur le sujet et pas nécessairement aux activistes de Strasbourg, de Grenoble ou d’ailleurs. Cela permettra sans doute à la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) de sortir du bois, et de faire enfin valoir ses arguments. Après tout c’est quand même l’aviation civile qui organise, régule, dispatche le trafic sur le territoire. Il est possible qu’elle sache de quoi elle parle.

Et puis cela va permettre de clarifier les positions des uns et des autres. Ainsi l’extrême-gauche va-t-elle devoir gérer publiquement son alliance contre-nature avec le Front National sur le sujet. Reste maintenant à poser calmement les termes du débat et il n’est plus certain que, cette fois, les opposants bénéficient du boulevard médiatique dont ils ont disposé jusqu’alors. La partie commence. il est vraisemblable que nous en suivrons quelques épisodes.

Le premier aéroport de Notre-Dame-des-Landes

L’histoire est parfois facétieuse. C’est en effet Notre-Dame-des-Landes que les Américains avaient choisi pour installer un petit aérodrome de campagne d’où décollaient leurs avions d’observation qui surveillaient la poche de Saint-Nazaire entre août 1944 et mai 1945. La ligne de démarcation se situait à quelques kilomètres entre Fay-de-Bretagne et Bouvron. Les allemands les appelaient “les mouchards”. Il s’agissait de Piper, vraisemblablement du modèle Grassshoper.

piper

Le piper grasshoper pouvait décoller sur une route au besoin (photo DR)

Placée à l’abri de la forêt de Rohanne, où sont actuellement installés les opposants au projet d’aéroport, la piste, aménagée dans une prairie de 5 hectares, permettait aux avions légers d’effectuer des missions de reconnaissance pour observer le no man’s land entre les lignes et localiser l’artillerie ennemie. Les Allemands avaient en effet réparti plus d’une centaine de pièces d’artillerie au nord et soixante-dix canons au sud. Canons pour la plupart protégés dans des bunkers, mais parfois installés dans les sous-bois, près de la ligne de front, qu’ils déplaçaient à l’aide de chevaux pour échapper à la vigilance américaine.

Je viens de retrouver cette info, que j’avais publiée il y a quelques années dans un dossier sur la Libération de Nantes, en travaillant sur un ouvrage à paraître sur la poche de Saint-Nazaire.

 

petite chronique du lundi matin

Il est temps de revenir au calme de l’atelier et de remettre l’ouvrage sur le métier. D’autant qu’un gros chantier démarre aujourd’hui, celui du guide “S’installer à Saint-Nazaire” que m’ont commandé en janvier les éditions Héliopoles. La réunion de cadrage a lieu ce lundi, mais au préalable j’aurai eu le plaisir de faire découvrir la ville et le port à mes chers éditeurs, Christophe et Zoé, pour qui j’ai déjà réalisé “S’installer à Nantes”. C’est un travail délicat mais passionnant puisqu’il s’agit, en premier lieu, de faire sauter les clichés qui embrument l’image de Saint-Nazaire.

18 - velo sautron

Le front de mer, Saint-Nazaire. DR.

Dieu sait pourtant que cette ville, posée au bord de l’océan, face au soleil couchant, peut avoir du charme. Une des seules villes, sans doute, qui offre des HLM avec vue sur la mer. Mais bon, n’anticipons pas trop. Il s’agit, dans un premier temps de préciser le périmètre du travail. La Brière est-elle incluse, la presqu’île guérandaise ? Il ne faudra pourtant pas traîner puisque la copie doit être livrée au fil de l’eau avant mai, pour une sortie prévue en octobre.

Seconde contrainte de la semaine : trouver deux sujets pour Courriercab, la lettre d’infos sur les politiques publiques pour laquelle j’assure le suivi de la réforme territoriale. J’ai déjà un sujet sous le coude, aimablement suggéré par mon rédac chef, Jérôme : les associations nationales d’élus commencent à tousser face au calendrier prévu par la loi Notre : les regroupements intercommunaux doivent être décidés fin mars. Mais les choses ne se passent pas aussi bien et aussi vite que souhaité sur le terrain. Si vous avez des exemples de réussite ou d’échec dans votre région, n’hésitez pas à le me le signaler, par messagerie au besoin (adresse col de droite).

atlantide

Bouquinistes sur le parvis du Lieu Unique, Atlantide 2015. DR.

Enfin, troisième chantier ouvert : la lecture de quelques ouvrages d’Antionio Munoz Molina, un auteur Espagnol invité de la prochaine édition d‘Atlantide, le festival du livre de Nantes, qui aura lieu cette année en mars, à quelques jours du salon du livre de Paris. La librairie Vent d’Ouest m’a demandé d’animer une rencontre avec cet auteur, que je ne connaissais pas. Je viens de commencer l’un de ses bouquins “Le Vent de la lune”, pas mal. Mais il a une oeuvre colossale et je n’aurai pas le temps de tout lire d’ici mars. Si certain(e)s d’entre vous connaissent ou ont envie de s’y coller, je suis preneur. C’est une grosse pointure (prix des Asturies) et sans doute une belle découverte.

Voilà, voilà, autant dire que je vais lâcher la guerilla politique qui continue à faire rage dans le secteur sur l’épineuse question de l’aéroport. Et qui va, sans nul doute, se poursuivre ce lundi avec la venue d’Emmanuel Macron à… Saint-Nazaire.

Bonne semaine.

Nddl : Paris et le désert nantais

L’armature urbaine de l’Hexagone était, à la fin du XVIIIe, comparable à celle des autres pays européens, composée de grandes villes, lieux d’échanges, places de marché ou grands ports. Lyon pesait plus lourd que Barcelone, En 1800, Nantes était plus peuplée que Rotterdam ou Munich.* L’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne ont aujourd’hui conservé de grandes villes, qui se sont logiquement développées avec le temps, sans pour autant faire d’ombre à leur capitale.

affiche-soiecanon

Les premiers échanges avec la Chine ont débuté à Nantes en 1700. Affiche de l’expo du musée du Château des ducs.

Le centralisme, initié par la monarchie, conforté par la Révolution française et consolidé par la révolution des transports, a bouleversé cet équilibre en France, laissant des villes « de province » atrophiées. Certaines cités ont même été punies par Paris, Lyon privée d’un véritable département, ou Nantes privée d’université (fermée de 1793 à 1962) pour cause de rébellion envers le pouvoir central**. Les réseaux ferroviaires et routiers participent de l’étrange cartographie en étoile qui s’est dessinée au fil du temps, qui fait que pour aller de Nantes à Lyon en train, il faut encore aujourd’hui passer par Paris.

Ce centralisme outrancier qui produit des distorsions remarquables à l’égard des provinciaux (il fut en temps, pas si lointain, où 90% du budget du ministère de la culture était dépensé dans une aire desservie par un ticket de métro), a produit un pays hydrocéphale, qui ne sait plus réfléchir en termes d’équilibre bien compris. L’exemple des médias est de ce point de vue intéressant à observer. Les journaux parisiens, dits nationaux, ne pèsent pas grand-chose en termes de diffusion, mais disposent d’une remarquable chambre d’écho grâce à la centralisation des agences et des médias audiovisuels à Paris.

Pour en venir à notre sujet, il n’est pas foncièrement surprenant que les médias parisiens aient pris fait et cause contre le déplacement de l’aéroport de Nantes. Il y a tout d’abord une projection bucolique sur l’espace rural, (même si, notons-le au passage, la plupart d’entre eux ont bien du mal à comprendre la crise de l’élevage), et la vision caricaturale du village gaulois contre l’Empire du mal. Un conte facile à dérouler, à suivre, avec des gentils et des méchants. Mais il y a surtout, me semble-t-il, une condescendance inconsciente à l’égard de la province, qui fait bien de rester où elle est, réserve naturelle et lieu de villégiature.

Pourquoi les Nantais voudraient-ils un aéroport correctement dimensionné, alors qu’il est si simple de venir à Paris ? Les écologistes avaient bien compris cette nécessité d’équilibrer les trafics, pour qu’un ingénieur allemand puisse accéder en une heure à Nantes ou un chercheur espagnol éviter une correspondance à Charles-de-Gaulle, au bilan carbone redoutable. Dominique Voynet, quand elle était ministre, s’était d’ailleurs prononcée pour le projet : Vous serez d’accord avec moi pour reconnaître que nous avons un effort particulier à réaliser en faveur du rééquilibrage de la localisation des équipements vers l’ouest de notre pays. C’est pourquoi il a semblé nécessaire, compte tenu des nuisances qui pesaient sur les habitants de Nantes, de déplacer l’aéroport actuel sur le nouveau site de Notre-Dame-des-Landes, à une douzaine de kilomètres au nord de la ville.

trafic 2

La répartition du trafic aérien en 2013

Depuis, par un curieux changement de posture, pour des raisons d’opportunité médiatique et politique, s’appuyant sur la pression des éleveurs de la Confédération paysanne, et jouant avec le romantisme de certains défenseurs de l’environnement (de bonne foi), les écologistes ont opéré un virage à 180°. Ce qui ne les honore pas mais c’est ainsi. La Confédération paysanne a dans cette affaire des intérêts beaucoup plus clairs (il sera intéressant un jour ou l’autre de décrypter le bras de fer qui se joue en sous-main entre la Conf et le gouvernement). Mais le plus étonnant est que les rebelles du jour, qui se sont auto-intoxiqués en croyant s’opposer au pouvoir central, se sont mis au service du centralisme historique. En ce sens il y a un côté réactionnaire, au sens premier du terme, dans cette lutte.

Il est vraisemblable que ce pouvoir central, qui n’a pas grand-chose à faire de Nantes, finira par choisir de développer un peu plus les plates-formes parisiennes. En contradiction avec le bon sens le plus élémentaire et au détriment de cette chère province, qui ne comprend décidément rien à rien, et sort les fourches dès que l’on veut déplacer une clôture.

Ainsi soit-il.

*voir l’excellent blog de Michel François “Les ravages urbains de la centralisation française”.

** l’argument est contesté. Une chose est sûre, l’université a été fermée en août 1793 par décret de la Convention, à l’exception de la faculté de médecine, où oeuvrait Guillaume-François Laënnec.

 

La révolte des vieux crabes

Une bande de vieux schnoques à moitié décatis s’enfuit, qui de sa maison de retraite, qui de sa chambre d’hôpital, et se lance dans une improbable équipée à la poursuite d’un moment charnière de son passé. Tel est le prétexte de deux ouvrages (une bande dessinée et un roman), que le hasard des recommandations a placé ces derniers jours sur ma table de chevet. Est-ce simplement un hasard, ou l’air du temps serait-il imprégné par la révolte d’une génération qui se voit basculer du côté obscur de la vieillesse et entend exprimer sa révolte face au sort qui lui est réservé, par la dépossession rampante de sa propre fin.

vieux fourneauxCes deux bouquins sont, quoi qu’il en soit, extrêmement toniques et contraignent le lecteur à décaler son regard sur la vieillesse. Extirpés de leurs mouroirs respectifs, et s’assurant, au besoin par la contrainte, de la complicité de leurs petits enfants, les deux bandes de copains se livrent en effet dans chacun des récits à une virée endiablée, digne des adolescents les plus inconscients, n’hésitant pas au besoin à casser des voitures, à semer les flics et à squatter les lieux les plus mal famés. La concordance des fils conducteurs est troublante même si le prétexte et le déroulement de ces deux virées sont très différents. Les vieux fourneaux débute en France et se poursuit en Italie sur les banquettes d’un J7 Peugeot rouge, conduite par la petite fille de l’un des protagoniste, enceinte jusqu’au cou. Manière de montrer que la société de la précaution est jetée aux orties passé le portail de la maison de retraite. C’est décalé, drôle, jouissif, déconnant mais cela reste intelligent et grave, qui plus est les dialogues sont excellents, telle cette réplique de la jeune femme, excédée par les exigences de son chargement de vieux  : “En 80 ans, vous avez fait disparaître la quasi-totalité des espèces vivantes, vous avez épuisé les ressources, bouffé tous les poissons, il y a 50 milliards de poulets en batterie élevés chaque année dans le monde, et les gens crèvent de faim ! Vous êtes la pire génération de l’histoire de l’humanité !”

fugueursLes fugueurs de Glasgow, de Peter May, est un récit à double entrée. Celui de cinq vieux Ecossais au bout du rouleau, dont l’un atteint d’un cancer en phase terminale, qui décident de revivre la fugue qu’ils avaient tentée cinquante ans plus tôt pour échapper à leur condition de prolos et tenter leur chance à Londres, la guitare en bandoulière. Fugue qui s’était soldée par un misérable fiasco. Le procédé est assez classique mais plutôt réussi. On suit alternativement les deux équipées espacées de cinquante années (1965/2015) aussi cinglées l’une que l’autre. Rien ne se passe comme prévu, naturellement. La première est imprégnée de violence et de drogue, brossant au passage un portrait au vitriol de la société britannique des années soixante. Mais il y a aussi de l’amour et de la musique, beaucoup de musique. C’est un récit prenant, répondant aux codes du roman noir, dont la clef n’est donnée qu’à la toute fin. Mais peu importe l’intrigue, c’est la confrontation des vieux crabes avec leurs fantômes jeunes qui est la substance de cet ouvrage, sous le regard héberlué d’un petit-fils obèse, sorte de papate de canapé, emmené de force dans l’aventure par son grand-père, pour conduire la troupe à Londres dans sa Nissan Micra. L’énergie, la fantaisie, le courage sont du côté des vieux dans cette confrontation étonnante avec le temps. En dépit de l’image renvoyée par le miroir.

Les Vieux fourneaux, Lupano, Cauuet, Dargaud (3 tomes parus), Les fugueurs de Glasgow, Peter May, traduit par Jean-René Dastugues, Rouergue noir.

 

 

Inflation patrimoniale

Lectrice de mon dernier forfait  (col de droite) Cloé, étudiante à l’école nationale supérieure du paysage de Versailles, me fait travailler depuis plusieurs semaines sur Le grenier du siècle dans le cadre de son mémoire de fin d’études, lequel traite de l’inflation patrimoniale. Puisque l’heure est au préoccupations calendaires, voici les réponses que je viens de rédiger à sa demande.

grenier du siècle

Vous avez participé au grenier du siècle à Nantes, comment avez-vous entendu parler de cet évènement ? Quelle était votre motivation première ?

C’était une opération publique, bien relayée par les médias, j’en ai eu connaissance assez vite. Le passage à l’an 2000 et son cortège de fantasmes occupait alors les esprits et l’idée de laisser un témoignage du siècle qui s’achevait m’a tout de suite séduit.

Qu’avez-vous déposé comme objet ?

Un recueil de citations d’auteurs du XXème, un objet unique conçu et fabriqué par un ami artiste, Claude Lefebvre, qui l’a réalisé en papier, cuir, plexyglas et métal. Une contrainte : une seule citation par auteur.

Quel en était sa signification à vos yeux ? Cet objet est-il représentatif de votre vie ?

L’idée est de proposer à la génération qui ouvrira le grenier, une représentation du siècle par lui-même, sachant que chaque période historique propose sa propre lecture du passé. La première citation, de Jacques Ellul, commence d’ailleurs ainsi : « Peut-être ferions-nous bien de savoir quel visage nous sommes en train de nous constituer pour la postérité, ce qu’elle retiendra de nous, comment nous serons fixés pour l’histoire, dans un portrait aussi faux sans doute que celui que nous nous faisons de l’homme superstitieux et obscurantiste du moyen-âge… »

Avez-vous des connaissances, ou avez-vous rencontré d’autres personnes déposant des objets ? Si oui, avez-vous quelques exemples de témoignages.

Oui bien sûr. Les choix sont extrêmement variés. J’ai été frappé par le fait que plusieurs femmes aient choisi la pilule contraceptive, sans se concerter.

Comment était le lieu dans lequel vous avez déposé votre objet ?

C’était un vieux comptoir de quincailler dans une halle en bois. Un lieu charmant et tout à fait adapté.

Vous sentez-vous privilégié par rapport aux autres qui n’ont pas pu déposer d’objets ?

Non, mais je suis content de l’avoir fait. J’ai donné le reçu à mon dernier fils, né en 2000, en imaginant qu’il serait peut-être encore en vie.

Ressentez-vous le besoin de laisser votre trace dans un futur plus ou moins proche ? Est-ce une manière pour vous de vous « désangoisser »?

Il me semble que c’est une préoccupation inconsciente assez partagée. Comme dirait en substance Jorge-Luis Borgès, l’immortalité se trouve dans le souvenir des autres et dans les œuvres qu’on laisse.

Comment imaginez-vous votre objet dans 100 ans ? Dans quel état ? (matériellement)

Je l’ai volontairement emballé dans une page du Monde du jour du dépôt en imaginant que l’encre s’imprimerait en creux avec le temps dans le cuir de la couverture. Mais je ne suis pas devin.

Comment selon vous, sera perçu votre objet dans 100 ans auprès d’une toute autre société ? L’objet sera-t-il désuet ou au contraire, perçu comme un objet du patrimoine ? ( cette question fait référence à la 13, à la patrimonialisation des objets )

Tout dépendra de l’avenir de la langue française (les citations sont en français), même si on peut supposer que dans un siècle elle aura encore cours. Il me semble que ce sera plus un objet de curiosité que de patrimoine.

Selon Jean Blaise, la fin du siècle est un prétexte pour identifier la communauté à laquelle nous appartenons, êtes-vous d’accord ? Que représente pour vous la fin du siècle ?

Oui, plutôt d’accord. Le passage à l’an 2000 est une charnière très importante pour ma génération (je suis né en 1956). Ce fut longtemps une ligne d’horizon lointaine et magique. Les faits montrent que ce passage était essentiellement symbolique.

Cet acte gratuit auquel vous avez participé est assez rare, il représente une démarche intime au sein d’un grand rassemblement. L’avez-vous fait tout d’abord pour vous (vis-à-vis d’une angoisse par exemple) , ou pour les autres (participer à la mémoire collective) ?

Les deux. J’ai bien aimé le côté ludique et un peu vertigineux de la démarche. Mais je n’ai pas d’angoisse par rapport au temps. Je me considère comme privilégié de vivre une époque charnière pour l’humanité.

Ce grenier du siècle est une sorte de collection gigantesque non raisonnée d’individus. Etes-vous vous-même collectionneur ? Si oui, pourquoi ?

Non, je ne suis pas collectionneur. Mais j’ai un rapport singulier aux objets. Je rapporte un livre de chacun de mes voyages, depuis le Coran acquis à Istanbul en 1977 à la correspondance de Jack London débusquée à Londres l’an dernier.

Considérez-vous le grenier du siècle comme un musée ?

Non. Comme une sorte de conservatoire d’un moment d’histoire. Une mise en boite de l’air du temps.

Considérez-vous que votre objet participe à la préservation d’une mémoire, au sens plus large, d’un patrimoine ? ( il s’agit ici de comprendre le phénomène de l’inflation patrimoniale dont nous sommes tous sujets. Tout devient patrimoine, tout doit être archivé, mais à quel prix ? dans quel but ? )

Je ne suis pas très conservateur dans l’ensemble. Et je pense que la quantité nuit à la qualité. L’objet que j’ai laissé n’a rien de patrimonial, c’est juste le témoignage d’une sensibilité. Peut-être ce qui est le plus difficile à transmettre.

Pensez-vous qu’au XXIème siècle, il est nécessaire de tout archiver ?

Non, de toute façon l’histoire se chargera de faire le tri. Il me semble que l’apparition des archives numériques va changer la donne de ce point de vue.

Parvenez-vous à vous imaginer notre patrimoine culturel dans 100 ans ? Si oui, sous quelle forme ( la question ici est très large, elle vise à comprendre votre point de vue sur le patrimoine aujourd’hui, sur sa forme qui passe d’un objet, à un monument, jusqu’à une page web de la BNF que l’on va archiver, dont on pense que cela est nécessaire )

Non, et je ne cherche pas à l’imaginer. Victor Hugo affirme dans Notre-Dame-de-Paris que l’imprimerie a tué l’architecture. C’est une réflexion intéressante. Il est possible que le numérique tue le papier de la même façon (enfin, symboliquement) et que la notion de patrimoine évolue avec le temps. On remarque par exemple que l’on commence à se préoccuper de la question des paysages. On observe aussi une tendance au recyclage, au détournement des objets. Une façon d’intégrer le patrimoine dans les nouveaux usages. Plus généralement, l’histoire, qui a doté la France d’un exceptionnel patrimoine naturel et architectural, fait aujourd’hui du pays une sorte de conservatoire mondial. D’où un risque de fossilisation. Il y a forcément une tension entre le désir de préservation et le besoin d’invention de chaque nouvelle génération.

Un petit coin de paradis

Le chemin des écoliers entre le Trégor et le pays Nantais passe par Bécherel, la cité du livre perchée sur un éperon rocheux entre Rennes et Dinan. Mais s’aventurer sur les petites routes bretonnes un jour férié comporte un risque : celui de trouver portes closes dans le bourg médévial, en dépit de la trentaine de librairies installées à demeure. De fait, la majorité des échoppes étaient fermées en ce 1er janvier 2016. Par bonheur la cité a son gardien, le libraire du donjon, qui fume paisiblement au comptoir de l’une des plus anciennes maisons du lieu et permet aux quelques visiteurs égarés de trouver refuge, à l’abri du vent, dans une des boutiques les plus chaleureuses du village

donjon2Du poche au livre ancien, annonce l’enseigne. De fait, les trois grandes salles de cette boutique biscornue balaient un spectre assez large, du polar à deux euros aux reliures du XVIIIe. Comme chez tout bouquiniste, on ne vient pas ici pour chercher un ouvrage mais pour en trouver un, ou deux, ou trois… La nuance est importante. Qui n’accepte pas de se laisser surprendre ou tout simplement séduire par un titre, risque de sortir malheureux d’un tel endroit.

On s’expose certes à commettre des erreurs, à se laisser guider par une impulsion, mais il est rare qu’on ne sorte pas avec une perle ou deux, acquises pour quelques euros dans une édition confortable. Je me suis ainsi laissé emporter par un titre Le sac du palais d’été, un gros ouvrage relié toilé des années soixante au Cercle du nouveau livre, qui pourrait s’avérer une faute de goût. Ainsi, en lieu et place d’un récit de cet épisode historique immortalisé par la célèbre lettre de Victor Hugo au capitaine Butler, il semble plutôt s’agir d’une composition contemporaine un peu laborieuse, rédigée par un jeune diplomate, Pierre-Jean Rémy, qui obtint malgré tout le prix Renaudot pour cet ouvrage.

chapeau

 

Content, en revanche d’avoir débusqué pour cinq petits euros, une des premières éditions de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, du psychiatre américain Oliver Sachs, disparu en 2015, essai qui m’a été recommandé à plusieurs reprises. Même si, après quelques recherches sommaires on découvre que la publication des travaux de ce médecin a été contestée ici ou là. Une belle formule au passage “L’homme qui prenait ses patients pour une carrière littéraire.” Cela ne devrait pas m’empêcher de visiter cet énigmatique chapeau.

Mais revenons à Bécherel. J’avais enquêté il y a quelques années sur la création de cette cité, rencontrant la créatrice de l’association Savenn Douar qui avait impulsé le mouvement en1989. L’association puis la cité du livre ont connu depuis lors bien des tourments, bien des allées et venues de libraires et de bouquinistes, mais a finalement réussi à s’imposer et à tenir debout, s’enrichissant de relieurs, de galeries, de cafés-librairies… Comme un défi paisible à la modernité qui tourne de plus en plus à l’accélération stérile et à l’étourdissement.

becherel

Une vraie bonne idée pour 2016. Se donner un jour ou deux, à l’abri des rues encaissées de cette petite ville médiévale, pour se doter de quelques pages de bonheur possible, de quelques outils de réflexion, et pour aider ce fragile bastion à tenir debout face aux assauts de la pensée jetable et à la tyrannie de l’émotion calibrée.

Meilleurs voeux à tous.

Photos : DR.