La confrérie des chasseurs de livres*
Parmi les quelques libraires qui diffusent Le Malais de Magellan, il en est un qui doit impérativement figurer sur les tablettes des visiteurs de cet atelier : Papiers Chiffons à Caumont-sur-Aure dans le Calvados. Cette librairie ancienne et moderne, associée à une boutique de création textile, est tenue par un libraire-éditeur hors pair, dont l’érudition ne laisse de m’épater. Toujours à l’affût, Johann Lefebvre vient ainsi de porter à ma connaisssance l’existence d’un précieux ouvrage De Artificiali Perspectiva (1505) de Jean Pelegrin, alias Le Viator, chanoine de Saint-Dié & de Toul, ancien secrétaire de Louis XI. Ouvrage dont s’est notamment inspiré Geoffroy Tory pour son célèbre Champ Fleury.
Johann et sa compagne Marielle, couturière et créatrice de mode, ont relevé le pari de vivre de leurs passions respectives dans cette petite commune de Normandie. Leur grande boutique est non seulement un joyeux fourre-tout doté d’une terrasse où l’on peut prendre un café, mais aussi un atelier de restauration, de création, un lieu de formation, bref un centre de ressources où les hôtes mettent la palette de leurs talents au service de leurs contemporains. Pour avoir tenu une librairie ancienne et moderne en milieu rural, je sais le prix d’un tel engagement et les efforts qu’il est nécessaire de déployer pour faire vivre une telle aventure.
Les amateurs de petite ou de grande histoire qui fréquentent l’atelier du polygraphe doivent savoir que Johann propose également des prestations de recherche documentaire et historique pour les chercheurs, étudiants, écrivains ou collectionneurs. Un système de veille est également disponible en fonction d’une thématique donnée ou de mots-clés, le libraire vous informe de l’entrée dans son catalogue d’un nouvel ouvrage. Enfin la librairie, se double d’une maison d’édition – JL Editions – d’ouvrages d’arts, de monographies, de catalogues d’expositions, de recueils de textes illustrés, privilégiant les petits tirages, éventuellement numérotés et signés.
Vous l’aurez compris, un passage dans ce bocage bas-normand si cher à Barbey d’Aurevilly ne peut désormais se concevoir sans un détour par Caumont-sur-Aure.
Bonne semaine au frais.
Pour en savoir plus : Papiers Chiffons sur fb ou jlcontact@sfr.f
*titre emprunté à Raphaël Jerusalmy, La confrérie des chasseurs de livres, Actes Sud.
Nouvelle géographie
Une nouvelle géographie des activités du polygraphe se dessine depuis le 1er juillet. Exit en effet la charge de journaliste professionnel et celle de chargé d’enseignement à l’université de Nantes. Ce décrochage choisi va libérer de l’espace et du temps pour des productions plus personnelles et moins soumises à certaines obligations de réserve. Il n’est pas exclu, ainsi, que la forme des textes ici publiés évolue pour faire place à des chroniques plus déliées, plus proches du journal que du billet anglé ou de la note de lecture calibrée. Commençons.
Belle-île-en-mer
Plusieurs évènements ont marqué la semaine passée. Une délicieuse croisière tout d’abord sur le voilier (un Arpège pour les connaisseurs) de mon ami Jacques, qui nous a permis de naviguer quatre jours durant d’île en île au large du golfe du Morbihan, avec une halte à Belle-île bien entendu, où nous avons découvert un splendide café-librairie, Livres et Compagnie, sur les remparts du Palais.
Lu également pendant ce périple Un été avec Machiavel de Patrick Boucheron dans la jolie petite collection que France-Inter consacre chaque année à un grand auteur. Il sera toutefois difficile de glisser Machiavel – pourtant contemporain de mes personnages et venu à plusieurs reprises à Nantes – dans les prochaines aventures de mon imprimeur. Nous verrons.
Perspective
En revanche, il est possible que l’invention de la perspective au quattrocento, qui fait l’objet d’un excellent papier dans le dernier numéro spécial de Philosophie Magazine, trouve sa place. Il me faut regarder de plus près comment la perspective a influé sur la gravure au début du XVIe. Ce supplément est inégal, parfois verbeux, mais c’est une bonne mine d’informations. L’article sur le parallèle entre le développement de l’imprimerie et celui du numérique qui sous-tend l’argument du Malais de Magellan, est quelque peu décevant. Pour l’heure, retour vers L’oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar, pour une lecture fine sur l’articulation entre alchimie et découverte des principes actifs des plantes.
Violence
En parallèle, poursuite de la lecture d’un essai La part d’ange en nous, qui dynamite les idées reçues sur la progression de la violence. Nous vivons la période la moins violente de l’histoire de l’humanité, et cette violence ne cesse de reculer, en dépit effets de loupe produits par lle flot d’informations qui nous submerge. La démonstration de Steven Pinkler est parfaitement étayée et convaincante.
C’est une bonne nouvelle. Et cela montre, s’il était nécesssaire, que nous avons plus que jamais besoin de recul, face au délire anxyogène et catastrophiste que nous proposent les médias tous les matins. D’une certaine façon je ne suis pas mécontent de ne plus participer à cette mise en scène fatigante et macabre. La vie à la campagne permet d’y échapper en partie et de ne pas oublier de cultiver son jardin.
Bonne semaine.
Le Malais sort du bois
Parmi les mots reçus depuis la publication du Malais de Magellan, il en est un qui m’a particulièrement touché, c’est celui de Michel Chandeigne, l’éditeur du magnifique Magellan, ici chroniqué il y a quelque temps. Cet éminent spécialiste de la littérature et de l’histoire du Portugal me signale que l’an prochain sera fêté le cinq centième anniversaire du départ de l’expédition. Il est possible qu’à cette occasion ressorte la controverse qui oppose les historiens sur la place que devrait ou non occuper Henrique (ou Enrique) de Malacca dans les livres d’Histoire.
Une controverse qui réjouit forcément l’auteur du Malais de Magellan, lequel voit remonter à la surface ces dernières semaines des recherches jusqu’alors enfouies dans les profondeurs du web. Honnêtement, en débusquant cet épisode, un peu par hasard, en feuilletant une improbable Encyclopédie universelle des explorations au cuir râpé, je n’imaginais pas que l’affaire était prise très aux sérieux par une partie des historiens de la planète, en particulier dans le Pacifique.
On me parle du Magellan de Stefan Zweig, que je n’ai pas lu, et je découvre qu’une série d’ouvrage a été consacrée à Henrique de Malacca de l’autre côté de la terre, qu’il est un héros aux Philippines. Pour l’heure, la meilleure synthèse publiée en français me semble résider dans un excellent papier, qui ne tranche pas, mais donne de précieuses informations sur l’état des recherches et des croyances sur le sujet.
Les lecteurs du Malais peuvent s’y référer plus sûrement qu’à la fiche wikipédia consacrée à Henrique, qui chauffe également. C’est une impression étrange que de se glisser dans une zone d’ombre de l’Histoire et d’entendre ensuite cette Histoire vous répondre en écho. Vous approuver, vous contredire. Le livre de Léonard et de Louise paraîtra peut-être un jour finalement. Sait-on jamais ?
Mais pour l’heure l’auteur est parti ailleurs. Entre Machiavel, Paracelse, Vinci ou Cortès, tous contemporains, il fouille les bibliothèques, les archives, les traités, pour débusquer les documents qui circulaient dans les années 1530 à l’état de manuscrits, et qu’un jeune imprimeur et une nonne défroquée auraient pu avoir envie d’imprimer. L’été sera long et studieux. Mais il faut un peu de temps pour débusquer une pépite. Soyons patients.
Portez-vous bien
L’atelier de l’éditeur 5
Surprise en préparant le départ pour le salon du livre d’Alençon, les soixante exemplaires commandés par la librairie Le Passage pour la manifestation composent le dernier carton plein de Malais de Magellan. En comptant les trente survivants du précédent carton, il reste donc moins de quatre-vingt dix exemplaires disponibles sur les trois cents imprimés. Il est possible que Le Malais ne passe pas l’été. Ce qui réjouit évidemment l’éditeur.
Ce Malais ne sera pas réimprimé. Il a choisi de rester un objet singulier, avec ses qualités et ses défauts. Et son petit côté prototype. Mais il ne restera pas orphelin et s’inscrira dans une fresque plus large, vraisemblablement composée de trois volets. Léonard Cabaret et Louise de Chauvigny n’ont pas dit leur dernier mot. Pour l’heure c’est le temps des retours, des critiques, de l’expression des frustrations… qui sont autant de précieux appuis pour imaginer la suite.
Je suis ravi de retrouver Alençon pour quelques jours, qui plus est dans la magnifique Halle au blé. Et de participer à la mise en lumière des grandes heures de cette ville, à l’époque de Marguerite de Navarre, de Clément Marot et des premiers typographes. Ce n’est pas un hasard si cette ville est restée une cité d’impimeurs, où Poulet Malassis a édité Les Fleurs du Mal, où son imprimés les Goncourt et certains volumes de La Pléiade. Et c’est un authentique plaisir de remonter aux sources de cette longue histoire.
Le Malais de Magellan en questions
L’atelier de l’éditeur 4
Le Malais de Magellan va bien. La moitié des 300 exemplaires imprimés est d’ores et déjà écoulée, un petit mois après sa sortie. Outre ce succès d’estime, ce qui me touche le plus est la réception du livre par ses premiers lecteurs. Certes, ce sont principalement des souscripteurs, qui partaient avec un préjugé favorable. Mais ont, comme en témoignent les extraits de courriels reçus depuis quelques jours, adhéré à cette périlleuse fiction. Mis en confiance par ses premiers retours Je vais maintenant élargir un peu la diffusion. A Nantes et vraisemblablement à Paris. Pour l’heure, hors Nantes, Alençon et Savenay, il vous faut cliquer sur le lien éditeur sur la colonne de droite pour l’obtenir par la malleposte (frais de port offerts).
Lu (d’une traite sous un beau soleil grec) ! C’est une très belle histoire, à la croisée de plusieurs univers passionnants très bien servie par ton style haletant. L’intrigue d’imprimerie est vraiment bien trouvée. Le géographe que je suis va maintenant se renseigner sur cette histoire de premier homme à avoir fait le tour du monde. J.D.
J’ai beaucoup aimé le lire. Je l’ai trouvé à la fois léger (facile à lire, court) et très dense (énormément d’info ds ces quelques pages). La chute est délicieuse, bien faite, et profonde. Tant que l’histoire de la chasse sera racontée par le chasseur… Pour moi qui ai grandi sur ces terres si familières ou se passe le récit, mais qui ai passé ma vie au monde des poules d’Inde, je pense qu’il y avait une saveur particulière, puisque la lectrice écrit aussi le livre. Un regret, j’aurais aimé y voir la liste de ce que tu as lu pour rechercher ce livre qui m’a mis l’eau à la bouche. Envie d’en lire plus sur Marguerite de Navarre, sur cette époque (déjà lu quelque peu sur l’impact de l’imprimerie sur la croissance du protestantisme). Et puis bien sûr, vouloir démêler la fiction du vrai. Comme si c’était possible. R.L.
Lu en 2 jours. J’ai vu Léonard et Louise penchés sur les aventures du Malais de Magellan, signe que ça fonctionne. J’ai aimé l’ambiance et me demandais quelles lectures t’avaient le plus influencé. Enfin c’est la première fois que je m’arrête durant la lecture d’un roman pour observer la patte d’un p. G.J.
J’ai aimé l’écriture, très juste entre un style contemporain et témoin pourtant du langage de l’époque. Et ce que tu racontes est passionnant, sans que l’érudition soit écrasante, tu nous apprends plein de choses. Les personnages sont attachants et on y est tout à fait.
Hâte de lire une suite. C.B.
Dans ce que j’ai aimé, il y a aussi le mélange de choses dont on sent qu’elles sont historiques (ou très proches) et de descriptions de paysages, de relations entre les personnes, de mode de vie qui eux aussi doivent être assez proches du réel du temps. On sent que tu as grandement lu et compilé ! Bravo ! Et puis, j’aime bien une fin qui n’est pas un happy End sans pour autant être dramatique. Le roman et le ton d’ensemble restent “légers” dans un temps qui pourtant ne l’était guère, mais qui devait être vécu de façon bien moins dramatique que nous pouvons l’imaginer, tant la violence physique et la mort étaient présentes. J.P.L.
J’ai terminé ton livre très vite après l’avoir commencé, parce que cela se dévore. C’est passionnant, étonnant et on apprend tant de choses: l’imprimerie, le tour du monde etc. C’est bien mieux que du J.C. Rufin! C’est tellement riche qu’il y aurait un second roman à faire que je vois presque inclus dans celui-ci et j’espère que tu le feras. C.D.
Le terre serait ronde
Évidemment, tout ceci est une fiction. Mais si vraie qu’on se croirait embarqué dans un reportage au XVIe siècle. Philippe Dossal, qui maîtrise à merveille le récit de voyage (et sa passion pour l’histoire de la chose imprimée), nous a offert cette fois-ci un joli récit de voyage dans le temps, qu’on trouvera pour la modique somme de 12 € dans l’excellent café-librairie Les Bien Aimés, sis rue de la Paix dans notre bonne ville de Nantes.
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C’est fait, Le Malais de Magellan est imprimé. Et, ma foi, l’objet est est assez sympa. Conforme au projet en tout cas : un petit livre, modeste et malgré tout singulier. Un grand merci à l’imprimerie Bémographic d’Alençon, le pays des imprimeurs, pour ce travail soigné. Nul doute qu’une coquille ou deux trainent encore ici ou là mais, en dépit de multiples relectures, cela reste la loi du genre et le plaisir du malin lecteur.
J’ai profité de ce passage en Normandie pour approvisionner la librairie Le Passage, où ce petit livre va rapidement trouver sa place, et livrer les souscripteurs alençonnais. La rédaction d’Ouest-France m’a par ailleurs convié à un entretien autour du livre, à paraître la semaine prochaine. J’y retournerai les 2 et 3 juin pour le salon du livre de la Halle au Blé. Il va maintenant falloir s’atteler au dépôt légal et à l’expédition des exemplaires souscrits par courrier. Il va également falloir penser à déposer l’objet à la librairie Apostrophes de Savenay et aux Bien-Aimés de Nantes.
Pour les autres soucripteurs et pour les lecteurs intrigués par cette aventure, rappelons les deux rendez-vous prévus en avril dans la région nantaise, le salon du château de Blain, les 7 et 8 avril et un rendez-vous plus informel, le samedi 21 avril à la Maison du Port de Lavau-sur-Loire. J’y reviendrai sans doute.
Pour l’heure, je n’ai pas prévu de recourir aux sites de vente en ligne. Cet atelier me semble l’endroit le plus adapté pour procéder à la diffusion de cet objet artisanal par correspondance. La souscription couvrant les frais d’impression, je peux offrir le luxe aux lecteurs intéressés de payer à réception. Ce qui simplifie la vie de tout le monde. Il suffit pour cela de m’envoyer un courriel à l’adresse figurant au bas de la colonne de droite en indiquant une adresse postale. Mais avant cela il est utile de prendre connaissance de l’avertissement qui ouvre le livre.
Prends garde, ami lecteur, au titre de ce petit livre. Si tu imagines goûter un exploit
maritime, passe ton chemin, tu éviteras un malentendu. Le Malais de Magellan ne t’emporte pas sur les océans ; il conte l’aventure des artisans qui ont couché sur papier le témoignage de la première circumnavigation autour du globe.
Sache que tu arpenteras plus souvent les ateliers des imprimeurs normands que tu ne fréquenteras les îles aux épices. Tu passeras l’essentiel de ton temps en compagnie d’un jeune typographe, d’une nonne défroquée et d’un poète de cour. Tu respireras l’huile de lin, tu fréquenteras quelque taverne à matelots, tu consulteras la bibliothèque des princes, et tu t’inquiéteras parfois des odeurs de fagot qui flottent autour des églises.
Arrivé au terme de ce voyage en Garamond – c’est le caractère d’imprimerie que tu
déchiffres en ce moment même* – tu seras tenté de mettre en doute la véracité de cette relation. C’est ta liberté. Je gage simplement que le récit de ce tumulte pourvoira à ton contentement et, je le souhaite, t’invitera à vouer une bonne amitié aux premiers faiseurs de livres.
Porte-toi bien.
*pas sur ce blog, qui ne connaît pas le Garamond.
Le prénom de l’emploi
L’une des démonstrations les plus troublantes proposées dans l’essai que vient de publier Anne-Laure Sellier sur Le pouvoir des prénoms est la capacité d’un observateur lambda à deviner le prénom d’une personne à partir de sa photo. Sur un choix de quatre possibilités, 40% des résultats s’avèrent justes, et ce de façon récurrente sur des tests pratiqués en France comme à l’étranger.
Est-ce à dire que nous avons la tête de notre prénom ? Pas nécessairement, mais il semble qu’une sorte de mimétisme s’opère avec le temps entre l’individu et sa première étiquette sociale. C’est en tout cas la thèse de l’auteur, professeur de psychologie sociale et membre d’une équipe de recherche franco-israélienne sur cet étonnant sujet.
Le fait que le prénom soit un marqueur social n’est pas une découverte. La revanche de Kevin de Iegor Gran en est une savoureuse illustration et le palmarès des mentions TB au bac en donne chaque année des preuves amusantes. Moins drôles les tests de candidature à un emploi révèlent également les solides préjugés qui s’attachent au prénom. Mieux vaut s’appeler François que Mohamed quand on cherche du boulot.
Mais cet essai, rédigé d’une plume alerte, n’est pas une énième étude sociologique sur la charge symbolique des prénoms. Il se situe bien dans le champ psychologique, celui de l’appropriation inconsciente d’une identité qui n’est, par définition, pas choisie (à l’exception des changements de prénom, évalués à 5 000 par an en France). “Le prénom va sculpter un enfant en tant que personne et le situer en même temps parmi les autres.”
Anne-Laure Sellier ne nous épargne rien, jusqu’à nous promener dans l’histoire des enfants sauvages, pour appuyer son propos, qui s’avère au bout de compte assez convaincant. Suffisamment en tout cas pour inviter les jeunes parents à bien réfléchir avant de baptiser leur enfant à venir (on remarque à ce propos que très peu de parents attendent de voir la tête de leur rejeton avant de le nommer). Avant de consulter une liste de prénoms, d’en tordre au besoin l’orthographe, il peut être bénéfique de jeter un oeil sur cette approche singulière et peu explorée de la constitution de l’identité.
Le pouvoir des prénoms, Anne-Laure Sellier, Héliopoles.