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Le tour du monde par erreur

Lorsque la flotte de Magellan quitte le port de Séville, il y a précisément 500 ans, en août 1519, les 237 marins embarqués sur cinq nefs n’ont pas le moins du monde l’intention de faire le tour du globe. Ils ont pour mission d’ouvrir une nouvelle route pour rejoindre les îles Moluques, par delà les Indes, réputées pour leurs épices. C’est pour cette raison qu’ils mettent le cap à l’Ouest, le 20 septembre, imaginant que l’Amérique n’est qu’une bande de terre séparant l’Atlantique (la mer océane à l’époque) de l’océan Indien.

Magellan ne fera d’ailleurs pas ce tour du monde qui lui est aujourd’hui universellement attribué. Il mourra à mi-chemin, sur l’île de Mactan aux Philippines. C’est l’un de ses capitaines, El Cano, qui ramènera le dernier bateau de la flotte, la Victoria, à la tête des dix-huit survivants de cette aventure extraordinaire. Et c’est Antonio Pigafetta, le scribe de l’expédition qui en écrira la relation quelques semaines après leur retour.

Cette épopée est étudiée, cartographiée, radiographiée… dans un magnifique ouvrage, édité il y a quelques années par les éditions Chandeigne. Une enquête passionnante qui débute par le récit du partage du globe entre Espagnols et Portugais au traité de Tordesillas signé en 1494 sous l’égide du pape Alexandre VI Borgia.

Mais cet ouvrage n’évoque qu’à la marge un personnage capital de cette aventure, Henrique de Malacca, cité sous le nom de Malais de Magellan. C’est une jeune nonne normande, Louise de Chauvigny, qui a percé la première, en 1529, à la lecture du manuscrit de Pigafetta, le mystère de ce Malais aujourd’hui oublié. Cette découverte est relatée dans “Le Malais de Magellan” un petit ouvrage sorti l’an dernier des presses d’une imprimerie d’Alençon, dans un tirage limité à 300 exemplaires.

Il doit rester une vingtaine d’unités de ce petit livre dans les cartons de l’atelier du polygraphe. Ils peuvent y dormir tranquillement puisque ce livre ne sera pas réédité. Il pourra en revanche avantageusement ressortir du bois l’an prochain, pour la suite des aventures de Louise, qui n’a pas dit son dernier mot en matière d’édition depuis son château d’Alençon, à l’heure où l’imprimerie est en passe d’élargir le monde.

Mais si d’aventure, une lectrice u un lecteur intrigué souhaite se le procurer, le polygraphe se fera un plaisir de lui expédier, comme une trouvaille dénichée dans un repli du web, cette invention qui, à son tour, 500 ans plus tard, est en passe de changer bien des choses.

Le Malais de Magellan, L’atelier du polygraphe, 164 pages, 12€. latelierdupolygraphe@gmail.com

Le Malais sort du bois

Parmi les mots reçus depuis la publication du Malais de Magellan, il en est un qui m’a particulièrement touché, c’est celui de Michel Chandeigne, l’éditeur du magnifique Magellan, ici chroniqué il y a quelque temps. Cet éminent spécialiste de la littérature et de l’histoire du Portugal me signale que l’an prochain sera fêté le cinq centième anniversaire du départ de l’expédition. Il est possible qu’à cette occasion ressorte la controverse qui oppose les historiens sur la place que devrait ou non occuper Henrique (ou Enrique) de Malacca dans les livres d’Histoire.

Une controverse qui réjouit forcément l’auteur du Malais de Magellan, lequel voit remonter à la surface ces dernières semaines des recherches jusqu’alors enfouies dans les profondeurs du web. Honnêtement, en débusquant cet épisode, un peu par hasard, en feuilletant une improbable Encyclopédie universelle des explorations au cuir râpé, je n’imaginais pas que l’affaire était prise très aux sérieux par une partie des historiens de la planète, en particulier dans le Pacifique.

On me parle du Magellan de Stefan Zweig, que je n’ai pas lu, et je découvre qu’une série d’ouvrage a été consacrée à Henrique de Malacca de l’autre côté de la terre, qu’il est un héros aux Philippines. Pour l’heure, la meilleure synthèse publiée en français me semble résider dans  un excellent papier, qui ne tranche pas, mais donne de précieuses informations sur l’état des recherches et des croyances sur le sujet.

Les lecteurs du Malais peuvent s’y référer plus sûrement qu’à la fiche wikipédia consacrée à Henrique, qui chauffe également. C’est une impression étrange que de se glisser dans une zone d’ombre de l’Histoire et d’entendre ensuite cette Histoire vous répondre en écho. Vous approuver, vous contredire. Le livre de Léonard et de Louise paraîtra peut-être un jour finalement. Sait-on jamais ?

Mais pour l’heure l’auteur est parti ailleurs. Entre Machiavel, Paracelse, Vinci ou Cortès, tous contemporains, il fouille les bibliothèques, les archives, les traités, pour débusquer les documents qui circulaient dans les années 1530 à l’état de manuscrits, et qu’un jeune imprimeur et une nonne défroquée auraient pu avoir envie d’imprimer. L’été sera long et studieux. Mais il faut un peu de temps pour débusquer une pépite. Soyons patients.

Portez-vous bien




Quand l’Eglise distribuait le monde

« Le traité conclu à Tordesillas le 7 juin 1494 entre le Portugal et l’Espagne, après le refus, par le premier, de l’arbitrage par le pape Alexandre VI, instaure un nouvel ordre mondial dominé par la puissance maritime ibérique. Les terres à découvrir qui s’étendent à l’ouest d’un méridien tracé à 370 lieues à l’ouest de îles du Cap-Vert appartiendront à l’Espagne; celles qui sont situées à lest de cette ligne, notamment les côtes africaines ainsi que les Indes orientales, appartiendront au Portugal. Face à l’Islam, les deux royaumes ibériques incarnent la chrétienté triomphante. »bibliothèque

C’est ainsi que débute la préface au « Voyage de Magellan » de Chandeigne, un bijou d’édition, dont je rêvais depuis sa présentation par Michel Chandeigne en personne lors d’une récente édition d’Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. De ces livres qui cumulent toutes les qualités : complet, beau, merveilleusement illustré et doté d’un excellent appareil critique. L’ouvrage s’appuie, bien sûr, en premier lieu sur la relation d’Antonio Pigafetta, marin et chroniqueur italien, l’un des rescapés de cette aventure d’anthologie. Magellan, mort aux Mariannes, lui doit la notoriété posthume et abusive qui fait de lui le premier navigateur à avoir réalisé la première circum-navigation. magellan 1

La première surprise de ce récit est le malentendu de départ. L’expédition de  Magellan, navigateur portugais passé au service de l’Espagne, n’a pas pour but de faire le tour du monde, mais de prendre possession des Moluques, îles réputées pour leurs épices, au nom de l’Espagne. L’idée de Magellan, qui n’est pas sans savoir que la terre est ronde (on le sait depuis les Grecs, l’Eglise le reconnaît, mais on pense le globe plus petit) est d’ouvrir une nouvelle route, par l’ouest, en franchissant l’Amérique, considérée à l’époque comme une simple bande de terre séparant l’Atlantique de l’océan Indien. Il compte revenir par la même route pour ne pas empiéter sur le domaine Portugais, qui s’étend, selon le traité de Tortedillas, du Brésil aux confins de l’Asie. Espagnols et Portugais ne s’étaient pas contentés de se séparer l’Amérique en 1494, ils s’étaient carrément attribué chacun une moitié de planète (carte ci-dessous, partie portugaise au centre).magellan 2

Le texte de Pigafetta est assez lapidaire sur la première partie du voyage. Il est habilement complété dans l’édition Chandeigne, par des renvois sur les récits des autres survivants, qui développent certains épisodes, notamment les règlements de comptes, trahisons et naufrages qui ponctuent la première partie du voyage. L’un des bateaux prendra ainsi la décision de quitter la flotte, en plein milieu du détroit de Magellan – qui ne l’est pas encore – pour rejoindre l’Espagne. Ce récit, dont la copie originale a disparu, et dont il reste quatre versions, l’une en Vénitien (qui semble la plus fiable) et trois en français, est aussi abondamment complété par un ensemble de notes donnent l’état des dernières recherches sur le sujet.

Pigafetta est un fidèle de Magellan, lui pardonne ses cruautés mais relève toutefois la folie de l’entreprise de son capitaine lorsque ce dernier se lance avec soixante hommes à l’assaut d’un roitelet alors que son adversaire dispose de plusieurs milliers de guerriers. Les dernières recherches tendent à montrer que l’expédition avait un côté suicidaire et que ce geste apparemment insensé pourrait s’expliquer par le désarroi de Magellan, comprenant que, malgré ses calculs, il était parvenu dans le domaine Portugais et que toute cette aventure se soldait par un échec. Le voyage n’en continue pas moins, et la flotte, réduite à trois puis deux navires (sur les cinq du départ) poursuit sa découverte des iles du pacifique (ainsi nommé au terme de cette première traversée), tâchant de convertir au christianisme les souverains locaux au passage, à l’aide de miroirs et de couteaux. Pour un lecteur contemporain, le récit est pollué par le maquis d’appellations d’époque qui désignent des îles que l’on a du mal à situer sur une carte. Mais peu importe.

Ce qui fait le charme indéniable de cette aventure c’est la qualité du regard de Pigafetta, qui découvre chaque jour, une plante un animal, un mode de vie inconnus. Telle cette description d’un phasme : « Encore on trouve là des arbres qui ont telles feuilles que, quand elles tombent, elles sont vives et cheminent. et sont ces feuilles ni plus ni moins comme celles d’un mûrier mais non pas tant longues. Près de la queue d’un côté et de l’autre, qui est courte et pointue, elles ont deux pieds, n’ont point de sang et devant qui les touche elles s’enfuient. » Joli, non ?

Mais au delà de ce récit, c’est une page centrale de l’histoire de l’humanité qui se précise sous nos yeux. Songeons que c’est précisément au même moment que Cortès conquiert Mexico avec quatre cents hommes. L’Eglise est toute puissante, a distribué le monde, ivre de sa domination. L’ère de la diffusion des connaissances, de la Réforme et des pirates peut s’ouvrir.

Illustrations : Improbables bibliothèques (A.K.), Le voyage de Magellan, le partage du monde (D.R.)