Quelques nouvelles du monde

La république du Soudan du Sud (South Sudan) est un pays un peu plus grand que la France (650 millions de kilomètres carrés), issu en juillet 2011 de la partition du Soudan, consécutive à une longue guerre civile. La population – 10 millions d’habitants – est majoritairement noire, chrétienne et animiste, par opposition au Nord, à majorité musulmane. Le PIB par tête y est de 1 500 dollars (41 000 pour le France, à parité de pouvoir d’achat). Le Sud Soudan possède 85% des réserves de pétrole de l’ancien ensemble mais ne dispose d’aucune infrastructure. La quasi totalité de de sa production est écoulée via un pipe-line qui traverse le Nord Soudan. Entre les deux pays, une zone revendiquée de part et d’autre, est contrôlée par une force d’interposition de l’Onu, suite à de violents affrontements qui ont opposé Nord et Sud soudanais lors de la partition du pays.
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C’est en bordure de ce no man’s land que s’est réfugiée une partie de la population chassée par les combats, en provenance notamment la ville d’Abyei, détruite. Là, dans un village transformé en refuge pour les populations locales – 70 000 personnes – MSF Suisse a installé un hôpital de campagne. Deux cents personnes assurent le fonctionnement de cet hôpital, dont le personnel médical est essentiellement Kenyan. C’est là qu’est basé Louis, mon deuxième fils, depuis janvier. Il est logisticien, s’occupe des flux (générateurs électriques, eau, approvisionnements en tous genres) du parc automobile, et plus généralement bon fonctionnement des installations, à trois heures d’avion et trois jours de camion de la capitale Juba. Il accompagne également des missions ponctuelles de cliniques mobiles dans le no man’s land avec les quelques expatriés du lieu (les Sud Soudanais sont interdits de séjour dans la zone). Le tout dans une véritable fournaise où la température dépasse ordinairement 40° à l’ombre, quand il y a de l’ombre.
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Louis est arrivé ce jeudi pour une pause d’une dizaine de jours. Il est apparemment en bonne santé (il a presque meilleure mine qu’à son retour de Sierra Leone l’an dernier) mais n’a pas été très bavard, préférant se réfugier derrière un humour légèrement décalé, qui est la marque de fabrique de la fratrie. Cette mission le passionne “vraiment” mais il souffre d’être séparé de sa moitié. Ce qui s’entend. Et il lui est d’évidence difficile d’être extrait en quelques heures d’un univers “où les bébés pèsent trente grammes, comme dans les films”, de commenter l’incommentable. Je l’ai trouvé grave. Il m’a confié, en aparté, quelques scènes “bien trash”, en fumant force “Business Royals”, scènes qu’il avait d’évidence des préventions à développer devant le petit public familial réuni. Je viens de m’enquérir du taux de mortalité infantile au Sud Soudan. Il dépasse 71%. Soixante-et-onze pour cent.

Nous avons aussi évoqué, rapidement, la situation des associations humanitaires, le contexte politique, mais il ne dispose pas, je ne dispose pas d’éléments suffisants pour proposer une analyse sérieuse d’une situation qui pose de vraies questions et nous renvoie tous, évidemment, à la hiérarchie de nos indignations.

Louis n’a rapporté aucune photo. Les illustrations proviennent des sites MSF et United Nations (une patrouille à Abyei)

Un théâtre de sable

Ateliers de la création 2
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« C’est mon assistant, il vient de Rennes » explique mi sérieux, mi facétieux André Dekker, en saluant le conducteur d’un tractopelle qui sculpte un monumental cirque de sable en cours d’élévation sur l’île de Nantes. L’artiste hollandais prend un malin plaisir à observer la réaction du visiteur qui découvre, interloqué, cette immense hélice de sable érigée en quelques jours en lieu et place des hangars de la Sernam. Il faut grimper sur le chemin de ronde qui couronne la dune circulaire pour comprendre le projet de ce sculpteur de paysages, qui construit ici un objet urbain inédit, à la fois observatoire public, monument pédagogique, et œuvre d’art à part entière. Derrière l’énigmatique paroi de sable qui borde le boulevard de la Prairie au Duc, se dresse la carcasse métallique d’un bâtiment dont on comprend qu’il fut le bâtiment central de la gare de marchandises. A ses pieds un trou d’eau. « C’est la Loire » explique André Dekker « que l’on trouve ici en creusant dans le sable ». Et l’on commence à décrypter le propos de l’artiste : il veut nous aider à lire le paysage : l’eau est à quelques mètres sous nos pieds sur cette île de sable. Le belvédère qui va se greffer sur les poutres métalliques de l’ancienne gare n’aura d’autre fonction que d’ouvrir la perspective alentour, d’appréhender les transformations en cours : le parc urbain à venir et le CHU, qui doit prendre place à quelques encablures.
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C’est là qu’interviennent les étudiants et ce workshop un peu particulier démarré à l’automne dernier avec la « Beaux-Arts Academy », comme le dit joliment André Dekker, du collectif Observatorium de Rotterdam. « Sanagare », c’est le nom de projet un peu fou, a en effet une vocation affirmée. Celle de créer un lien entre la santé et la nature. Parce qu’il est conçu dans le cadre de « green island », avec le concours du Seve (le service des espaces verts de la ville) et parce qu’il annonce la construction d’un grand équipement de santé publique. Et quoi de plus logique, dans cette perspective, que d’aménager des jardins dans cet oasis, dont un dédié aux plantes médicinales. Les plantes trouveront aussi des places inédites dans cet ensemble, ce à quoi les étudiants s’attachent, cherchant à la fois des espèces singulières, et des mises en résonance avec le lieu. Une étudiante des Beaux-Arts a ainsi le projet d’aller chercher en Grèce des plantes menacées dans son pays pour les implanter dans le « Sanagare ». Elle travaille en collaboration avec des étudiantes en Arts Appliqués du lycée Livet. Et ce dans l’esprit des workshops des ateliers de la création, qui décloisonnent les filières pour faire phosphorer les étudiants sur des problématiques communes.

Photos : Vincent Jacques

Dans le cerveau de Darwin

Les éditions du Seuil publient ces jours-ci une nouvelle traduction de L’origine des espèces. Ou plutôt une traduction de la première version de cet essai génial et bouleversant. C’est une manie des éditeurs que de s’attacher, ces derniers temps, aux premières moutures des grands textes, de préférence aux éditions définitives (c’est la sixième qui fait autorité, revue et corrigée de la main de Darwin). On peut y voir de la coquetterie, une volonté de puiser aux sources de l’inspiration des auteurs. On peut aussi y déceler de juteuses opérations de marketing. Mais peu importe puisque cette publication va replacer sur les tables les libraires l’un des ouvrages les plus fascinants de l’histoire de la pensée.
Darwin charlesL’origine des espèces est un témoignage de ce que l’esprit humain peut produire de plus élevé, sur le fond comme dans sa forme. Ce n’est pas seulement, et d’ailleurs pas vraiment, un livre théorique – Darwin reste toujours extrêmement prudent dans ses affirmations – c’est avant tout le récit d’un parcours. Celui d’un voyageur, il passe de longues années sur le continent américain, l’itinéraire d’un naturaliste, d’une curiosité de tous les instants, le carnet de bord d’un bricoleur, qui multiplie les expériences, les élevages les plus improbables dans sa propriété britannique, la démarche d’un scientifique enfin, qui collationne, compare, soupèse les découvertes de ses contemporains*, pour aboutir à une conclusion révolutionnaire pour l’époque et longtemps contestée : les différents formes de la vie sur terre, leur distribution géographique, sont le fruit d’une longue évolution et d’une patiente sélection naturelle.

Ce qu’il y a de magique dans cet ouvrage c’est qu’on entre véritablement dans le cerveau d’un chercheur, d’un aventurier de la pensée, qui nous raconte pas à pas les étapes de ses découvertes, nous fait partager ses doutes, ses erreurs, nous raconte ses expériences les plus saugrenues, comme celle de croiser toutes les sortes de pigeons que Dieu semblait avoir faits pour aboutir au pigeon rustique et banal gris ardoise, prouvant ainsi que tous les pigeons provenaient de la même souche. C’est humble, coloré, sympa, et lumineux. Pourquoi trouve-ton telle plante ici plutôt que là ? Comment les graines ont-elles fait pour traverser les océans, les questions les plus folles sont posées, les réponses apportées.

Il faut dire que la traduction dans laquelle j’ai lu cet essai, qui est devenu l’un des piliers de la bibliothèque, celle d’Edmond Barbier à la fin du XIXème, est l’une des plus réussies. A tel point, précisent les spécialistes entendus ce mercredi sur France-Inter, que plusieurs traducteurs ont abandonné, au cours du XXème siècle, leurs travaux, considérant qu’ils ne pouvaient pas faire mieux. Et c’est sans doute la raison pour laquelle Le Seuil ne s’est pas attaqué à cette édition définitive, préférant proposer la première version du texte.

*auxquels il rend des hommages appuyés, notamment à Alfred R.Wallace

Petit journal du dimanche

Belle soirée africaine, ce samedi, au village. Il s’agissait de donner un coup de main à un orphelinat « clandestin » à Kribi, au Cameroun. Repas somptueux, musiciens virtuoses (un guitariste, un percussionniste). Bénédicte, qui a fondé l’association « Aimée au Cameroun » l’an dernier a abattu un boulot impressionnant, et doté le bâtiment de sœur Gisèle du minimum vital. « Aujourd’hui les enfants ont un lit pour deux, l’année dernière ils avaient un lit pour six ». Certes le toit du hangar, où une religieuse a improvisé cet orphelinat, fuit encore, mais la petite vingtaine d’enfants accueillis mange à sa faim. Seul regret peut-être : la faiblesse de la mobilisation. Il est des projets d’aéroport qui convoquent des foules beaucoup plus conséquentes sur le même territoire. J’ai dit ici ce que je pensais de la hiérarchie de nos indignations.
camerounLongue conversation avec Marie, pendant de repas. Marie est familière de cet atelier, mais irréductiblement silencieuse. Ce que je regrette naturellement, parce que c’est un esprit vif et profond. D’une culture époustouflante. Mais c’est ainsi. Cela m’a donné l’occasion, entre autres échanges pimentés – nous aimons tous deux les dialogues enlevés – d’évoquer le tenue de cet atelier. Ce qui m’inspire ce matin ce billet. Le journaliste est souvent prisonnier de la représentation des titres auxquels il collabore. Si vous êtes correspondant de Libé vous renvoyez une certaine image, assez romantique dirons-nous, si vous signez dans l’Express ou Le Point vous en renvoyez une autre, plus proche de la complicité avec le méchant grand capital. Créateur de La lettre à Lulu – le canard enchaîné nantais pour faire vite – vous en renvoyez encore une autre. Mais vous n’êtes vous-même qu’en seconde, voire troisième occurrence.

Pourtant, vous faites le même boulot. Et vous ne partagez pas nécessairement tous les partis pris des supports auxquels vous collaborez. Internet, pour un saltimbanque, un mercenaire de mon espèce, a plusieurs vertus. Celle de pouvoir exprimer des points de vue singuliers, iconoclastes au besoin, mais aussi et surtout, et je crois au devenir du web 2.0 dans ce sens, d’entrer dans une logique contributive, de permettre au lecteur de ne plus être victime d’une information délivrée du haut, qui bénéficie de l’aura du papier glacé. De pouvoir l’interroger, la contester, la remettre en cause. Il me semble que le journalisme ne sera plus jamais ce qu’il était, et c’est une bonne chose.

En outre, rebondissons au passage sur le commentaire de Catherine Bernard, ces supports virtuels permettent d’inventer une nouvelle proximité, où chacune et chacun peut jouer un rôle, faire valoir ses arguments, pourquoi pas évoquer ses états d’âme. Et cela permet de promouvoir des réflexions, des initiatives, comme celle de Bénédicte, qui ont du mal à se frayer un chemin dans l’océan d’informations qui nous submerge chaque jour. Le tout en gardant à l’esprit, le côté éphémère de la chose. Une humeur du matin, reste une humeur du matin. Et, comme c’était le cas par le passé pour les billets d’humeur dans les quotidiens, ce type de réflexion n’a pas vocation à être gravé dans le marbre. Il ne servira certes pas à emballer le poisson demain, mais pourra disparaitre des radars dans quelques jours. C’est le charme et la limite bien comprise de l’exercice. Bon dimanche.

Illustration piquée sur le site de l’association

Amazon or not Amazon ?

improbables L’aménagement de cet atelier aura, outre des problèmes techniques infinis (mais passionnants à résoudre), soulevé un dilemme inattendu. Quel lien faire figurer sous les livres présentés ? Celui d’un libraire ou d’un site marchand, du type Fnac ou Amazon ?

Si l’on est un brin vieille France et attaché au commerce de proximité, la solution tombe sous le sens : dirigeons les lecteurs potentiels vers un libraire. Mais cette solution peut se révéler imbécile sur un site internet qui ne connait pas, par définition, la géographie. Si un Nantais cherche un livre édité à Nantes, il n’aura pas de difficulté à le trouver chez un libraire de la place. En revanche si un lecteur, basé à Phnom Penh, comme ce fut le cas récemment, cherche un récit de voyage au Siam édité en Bretagne, il aura tout intérêt à consulter Amazon.
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Cette difficulté se double d’une particularité propre aux éditeurs de province. Si leurs ouvrages sont, en règle générale, correctement diffusés dans leur région d’origine (encore que), ils ne peuvent matériellement être présents en dehors de leur zone d’influence. Cela coûterait une fortune à tout le monde, pour un rendement misérable. Ajoutez à cela que mon éditeur nantais est fâché avec Amazon, cela ne simplifie la tâche de personne, surtout celle du lecteur potentiel de Zanzibar ou de Pondichéry (rare je vous l’accorde).

J’ai donc choisi une solution intermédiaire, consistant à proposer trois solutions différentes pour les trois livres présentés dans ce premier agencement : la Fnac pour le petit dernier « Au Royaume de Siam », en librairie à Nantes pour les voisins, Amazon pour le guide « S’installer à Nantes », édité à Paris, et la librairie Vent d’Ouest de Nantes pour « L’homme blanc », dont j’ai appris aujourd’hui par l’éditeur qu’il serait bientôt épuisé.
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Le gag est que votre serviteur sera commissionné, misérablement rassurez-vous, pour chaque livre vendu par Amazon, et ne touchera pas un fifrelin pour les autres. Non comme auteur, mais comme « apporteur d’affaire ». Au-delà de l’anecdote, la montée en puissance d’internet se révèle paradoxale : c’est à la fois une bénédiction pour les petites maisons d’édition, qui voient le champ des possibles s’élargir chaque jour en trouvant des lecteurs qu’ils n’auraient jamais atteint physiquement, et un drame pour les libraires, lesquels sont progressivement mais inéluctablement amputés d’une partie de leurs revenus.

Illustrations : Improbables librairies, hangar Amazon Le Point, librairie Vent d’ouest au Lieu unique

La construction de la mémoire

Ce mercredi, certain magazine publie un long dossier sur la Libération de Nantes, le 12 août 1944. Si ce genre de dossier thématique repose le journaliste du palmarès des hôpitaux ou des suppléments immobilier, il ne s’attend guère à faire de grandes découvertes. Le sujet semblant battu, pour ne pas dire rebattu. Quelle ne fut donc pas sa surprise de découvrir, grâce à un ouvrage paru l’an dernier, qu’il restait une étonnante zone d’ombre sur cette Libération. C’est en effet une poignée de jeunes gens, passés à la trappe de la mémoire collective, qui a ouvert la voie aux soldats américains et sauvé ce qui pouvait encore l’être des destructions planifiées par l’armée allemande en déroute. A leur tête Gilbert Grangeat, alias commandant Alain, 22 ans, employé des Ponts et Chaussées, bombardé commandant de la place FFI quelques semaines plus tôt, au lendemain de l’arrestation des responsables locaux de la Résistance par la Gestapo. Alain, tout comme la plupart de ces combattants de fortune, sera intégré dans l’armée à un rang subalterne et disparaîtra des radars dans le désastre algérien.
16 Gilbert Grangeat 8.11.1944 à Nantes
A Nantes, le maire nommé par Vichy, qui s’était soumis le 12 août au matin à ce jeune homme discret, dont les écrits traduisent une humilité et une intelligence des situations singulière, sera réélu quelques années plus tard maire de la ville et donne aujourd’hui son nom à un boulevard. Grangeat, disparu en 2004 dans l’anonymat, pas plus que son chef de réseau, René Terrière, mort en déportation, n’est honoré par la moindre plaque, la moindre ruelle à Nantes. Intrigué, le journaliste consulte alors un historien réputé, auteur d’une thèse sur la construction de la mémoire au XXème siècle à Nantes, qui avoue ne pas être surpris par ce “trou” dans la mémoire locale, même s’il ne connaît pas cet épisode dans le détail, expliquant à bas bruit qu’une course à la mémoire s’est engagée au lendemain de la Libération entre gaullistes et communistes, passant par pertes et profits les jeunes gens non politisés qui s’étaient engagés dans la Résistance. Mais il est des choses qu’on ne peut pas écrire dans le journal aujourd’hui encore. Au risque d’être l’objet d’un redoutable procès d’intention, de déclencher une tourmente incontrôlable. Certains soirs, quand roulent les rotatives, le journaliste, qui ne dispose pas des moyens d’investigation de l’historien, serre les fesses. Sachant qu’un détail inexact peut discréditer l’ensemble de son enquête et qu’il n’échappera pas, alors, au bûcher. Il est des portes de la mémoire qu’il ne fait pas toujours bon ouvrir.

Illustration : Gilbert Grangeat le 11 août 1944.