C’est un drame pour le portefeuille chaque année à la même période : il faut choisir deux volumes de la Pléiade pour obtenir l’indispensable agenda de la maison, sans lequel on ne saurait envisager d’exister.
Cette année le choix ne sera pas trop difficile : le second volume de Jane Austen, révélation de l’an dernier, et le premier tome de nouvelles de Tchékhov qu’un fils distrait a égaré en voyage. Le Villon, qui vient de sortir, est tentant il est vrai, mais de ce côté je suis déjà gâté : certain passé de bouquiniste m’a pourvu d’un magnifique exemplaire des œuvres du maraud, sous emboîtage, illustré de gravures sur bois de Paul G Klein.
Il manque toutefois à cette somptueuse édition, un appareil critique, fort utile pour comprendre, au-delà de la magie expressive de Villon, cette œuvre et ce personnage dont on sait, somme toute, peu de choses. En furetant dans les chroniques publiées à l’occasion de cette édition, nous apprenons que le premier véritable éditeur de Villon fut Clément Marot. Philologue avant l’heure, Marot, le poète attitré de Marguerite de Navarre, s’est évertué à regrouper les poèmes épars de son aîné pour en publier en 1533 la première édition complète et commentée, qui fera autorité pendant plusieurs siècles.
Poète libertin et iconoclaste, plusieurs fois emprisonné, Clément Marot fait partie de ces pionniers de la langue française qui ont donné leurs lettres de noblesse à cette « langue vulgaire » qui n’était pas encore reconnue, et même interdite d’impression en caractères romains, jusqu’alors réservés au latin (le français devait être imprimé en gothique). Auteurs, graveurs, imprimeurs, éditeurs ont, pour certains, fini sur le bûcher pour avoir bravé les interdits de l’église en la matière. Clément Marot, lui, devra fuir le pays pour échapper eux foudres de la Sorbonne et finira en exil à Genève.
On ne connaît pas, en revanche, le sort de François Villon, dont la trace s’est perdue, au siècle précédent, alors qu’il était âgé de trente-et-un ans. Mais on conserve de lui une belle part d’éternité :
Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous povres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merci.
Illustrations : gravure sur bois de Paul-G Klein, portrait de Clément Marot (source inconnue).