Précieuse panique

Un tout petit virus de rien du tout prend le monde par surprise et sème la panique sur la quasi-totalité de la planète. L’animal pourrait finalement avoir du bon, en mettant en lumière l’état d’ébriété dans lequel se trouvent les sociétés prétendument les plus avancées, shootées au consumérisme débridé, qui se sont progressivement dénudées devant le dieu du pouvoir d’achat, au profit d’une orgie d’échanges faciles et de confort matériel en trompe-l’oeil.

porte conteneurs, photo franceinfo.fr

Ce tout petit virus de rien du tout nous a permis, dans un premier temps, de prendre la mesure de l’étonnante fragilité d’un système de santé basé sur un approvisionnement en flux tendu provenant d’Asie (ah les masques et les médicaments !) mais il a surtout la vertu de nous obliger à nous pencher sur l’incroyable dépendance de notre organisation à toutes les chaines de distribution, qu’il s’agisse d’alimentation, d’énergie (on le savait un peu déjà) et de réseaux numériques.

On a beaucoup moqué, à raison, la ruée sur les pâtes au début du confinement. Mais cette panique idiote n’est que la traduction d’une peur ancestrale, celle de ne plus pouvoir satisfaire notre besoin premier, à savoir manger. C’était évidemment exagéré, mais sur le fond ce n’est pas complètement insensé. Urbains comme ruraux, nous sommes dépendants pour nous alimenter d’une chaine logistique basée sur la grande distribution, les produits importés, qui fonctionne elle aussi en flux tendu. Qu’un grain de sable vienne gripper cette chaine logistique, stopper net les camions pour une raison ou pour une autre, et nous prendrions très vite la mesure de notre incapacité à nous procurer les produits essentiels. L’industrialisation de l’agriculture a complètement vidé les campagnes de ses productions vivrières et de ses outils de transformation. L’enquête de Stpéhane Linou sur la résilience alimentaire est de ce point de vue édifiante. Aucun plan B, aucun stock, des productions inadaptées et atomisées.

photo La voix du Nord

Au delà de la question alimentaire, imaginons une seconde un bug de la distribution d’électricité, système centralisé s’il en est. Sans lumière, sans machines, sans chauffage parfois, sans eau chaude, sans internet, un confinement comme celui que nous connaissons aurait été une toute autre paire de manches. Et puisqu’on évoque l’électronique, supposons une paralysie durable du système d’échanges numériques (c’est peut-être le danger qui nous pend le plus au nez). Non, nous ne pouvons même pas l’imaginer, enfin nous ne pouvons plus, perchés que nous sommes en état d’addiction numérique. Les administrations à terre, les banques à la rue, une partie de notre mémoire dissoute…

Ce petit virus de rien du tout, qui reste anecdotique en termes de mortalité, même à l’échelle de l’Hexagone – ce qui n’enlève rien aux drames individuels provoqués – a le mérite de nous alerter sur notre vulnérabilité, et sur l’absence d’anticipation de notre armature institutionnelle (cf billet précédent). Il nous dit aussi quelque chose de nous, de notre ignorance en matière de culture technique. Nous sommes la première génération à ne pas maitriser les outils que nous utilisons, à ne pas les comprendre, à être incapables de les réparer. Il pourrait être temps de nous préoccuper de cette vulnérabilité. Les jeunes gens commencent à se bouger, à mettre en pratique une forme de sobriété heureuse, à reprendre en mains leur histoire. Elles ont un bout de chemin à parcourir pour restaurer le système résilient qu’avaient su préserver, bon mal an, les générations précédant l’explosion du consumérisme.

C’est l’Administration qui a les clefs du camion

Parmi les tombereaux d’analyses, de conseils, de reproches voire de procès qui se déversent en ces temps de pandémie sur les responsables politiques, on voit ça et là affleurer quelques griefs à l’égard des Administrations centrales, quelques interrogations sur la lourdeur de la bureaucratie à la Française. Guère plus.

photo Normandie.fr

Cette cécité est étonnante dans un pays honorablement cultivé, adepte de rationalité et censé connaître le fonctionnement de ses institutions. Mais le Français a besoin d’incarnation, de têtes de turcs, d’épouvantails pour exprimer ses frustrations. Ce sont les politiques qui s’y collent. C’est leur métier, leur gloire et leur croix.

Pour autant, si l’on prétend analyser la situation, ce que ne manquent pas de faire des cohortes de commentateurs, il pourrait être utile de se rappeler comment le système fonctionne, comment la République est organisée. En France, comme dans de nombreux pays, c’est l’armature administrative qui tient le pays, dans tous les sens du terme. Héritière de l’organisation napoléonienne, un brin militaire dans son fonctionnement, elle est souveraine dans l’application des lois, qu’elle interprète au besoin en fonction de ses priorités du moment.

Le Gouvernement, les Ministres, n’ont d’ordinaire, qu’une faible marge de manoeuvre pour diriger ce paquebot qu’est un pays de 66 millions d’habitants. Les électeurs sont d’ailleurs surpris de voir certains pays fonctionner pendant de longues périodes sans Gouvernement, comme ce fut le cas récemment en Belgique. En fait ça ne change pas grand chose à l’affaire. Le Gouvernement est essentiellement là pour la galerie, pour récolter les fleurs et les tomates.

A la charnière de ces deux pouvoirs, l’apparent et le fonctionnel, se trouve un troisième acteur, méconnu du grand public : le cabinet. Le cabinet, qu’il soit ministériel, régional ou municipal, est chargé de s’assurer que les décisions politiques sont bien appliquées par l’Administration. C’est un travail délicat, qui demande une implication de tous les instants, qui exige d’avoir un oeil sur tout, pour à la fois remuer les fesses de l’Administration, déminer le terrain social et protéger les politiques. C’est lui qui écrit les discours, qui rédige les projets de loi et qui répond à madame Michu, mécontente de ne pas trouver de masque.

L’un des problèmes est qu’en France les postes cabinets sont traditionnellement occupés par des jeunes gens surdiplomés, certes intelligents et efficaces, mais qui travaillent en permanence dans l’urgence, sans disposer du recul nécessaire pour encadrer correctement l’Administration. L’exemple actuel des tests et des masques est très parlant. L’Administration, déresponsabilisée aux yeux du public, s’est lavée les mains de la question en déléguant sa responsabilité aux entreprises, qui avaient évidemment autre chose à penser. Et les cabinets ministériels, à l’Intérieur comme à la Santé, n’ont pas vu le coup venir. Résultat tout le monde est planté.

Les véritables responsables, dans les Directions (avec une capitale s’il-vous-plait) des ministères sont aujourd’hui confortablement cachés sous la table. D’autant qu’en France on n’incrimine pas l’Administration, ça ne se fait pas. Et le voudrait-on que l’on aurait beaucoup de mal à faire la part des responsabilités, dans un système basé sur la dilution de la charge.

Nul doute que les cabinets sont à la manoeuvre aujourd’hui pour tenter de colmater les fuites, retrouver les masques oubliés dans des hangars, sauver une usine de fabrication abandonnée en Bretagne, mais tout le monde a perdu beaucoup de temps dans cette affaire. Et cette crise met en lumière le fait que la permanence de l’Etat n’est pas correctement assurée par une Administration centrale, souvent imbue d’elle-même, qui s’est égarée dans son propre labyrinthe réglementaire, et fait la preuve, au bout du compte, d’une regrettable incurie.

Socrate et les garçons

Lire Garcia Marquez en écoutant le chant des oiseaux, caressé par un rayon de soleil. Il y a condition plus rude en ces temps de confinement. Une bonne bibliothèque, une cave approvisionnée, le plaisir discret de bénéficier d’un mode de vie fonctionnant paisiblement en autarcie, nous serions malvenus de nous plaindre dans notre campagne. Mais le véritable plaisir est ailleurs, il est de voir l’un de ses fils ouvrir un bouquin de philosophie après avoir bêché un carré de jardin, d’entendre son frère suivre sa leçon de russe au coin du feu, de composer ensemble les menus, de mener tous les trois une vie de vieux garçons hirsutes et déliés.

Les garçons ont peine à me croire quand je leur dis que nous vivons un moment de bascule, tant ils se considèrent en vacances, libérés de la plupart de leurs contraintes habituelles. Je leur pardonne volontiers, d’autant que ce moment suspendu leur est précieux, l’air de rien, pour se poser avant de chercher leur place dans le monde qui s’annonce. Hier soir belle conversation autour de l’idée de penser contre soi. Sans doute parce que j’avais repris la lecture de Cioran, un bon moteur pour ce genre d’exercice.

Globalement il sont plus gauchistes que je ne le suis, devenant légitimiste avec le temps, dans la foulée de Montaigne. Ils évitent toutefois les procès d’intention qui fleurissent ici et là à l’égard du pouvoir. Pauvre pouvoir, dont les atermoiements ne sont guère que la traduction des contradictions d’un peuple qui ne cesse de déplacer le curseur entre liberté et sécurité au gré de ses désirs et de ses angoisses. Bon exercice également que de débattre autour de ces questions. La liberté est elle de droite quand la sécurité serait de gauche ? “La droite c’est démerdez-vous, la gauche, c’est démerdez-nous” disait l’autre. J’aime bien les inciter à penser contre eux. Tout en laissant mûrir leur réflexion.

Mais ce qui me ravit le plus dans les moments que nous vivons, c’est que ces jeunes gens vont enfin pouvoir s’extraire de la situation sans issue dans laquelle semblait s’engouffrer leur génération, prisonniers d’une société courant à son auto-destruction. Ce virus est loin d’avoir dit son dernier mot et va contraindre ce monde à revisiter ses priorités, à reconsidérer son rapport à la nature, à la consommation, à la technique, à la “vie bonne” tout simplement. Ils vont être en première ligne pour imaginer cette mutation, en devenir les acteurs, les promoteurs. Et il y a du pain sur la planche. Commencer par bêcher un carré de jardin et se frotter à la maïeutique de Socrate n’est pas le plus mauvais début.

Bonne semaine.

La jolie crevette et le méchant virus

Clamdigger Edward Hopper

« Il a plu à Dieu de nous visiter par la maladie contagieuse » déclarait Claude Brossard de la Trocardière, maire de Nantes, au lendemain de la terrible épidémie de peste qui avait dévasté la ville en 1583. On jouait alors profil bas devant ce qui avait tout l’air d’un message divin, dont on cherchait vainement la signification.

Aujourd’hui peu nombreux sont les croyants qui avancent l’hypothèse d’un message des dieux. Même Allah ne fait pas le fier. En revanche, que l’épidémie en cours – qui reste pour l’heure un épiphénomène au regard des pandémies passées – puisse s’interpréter comme un message de la nature, peut mériter un peu d’attention.

Il y a un petit côté darwinien dans cette flambée virale qui s’attaque à l’espèce humaine. Selon Darwin une espèce elle-même ne s’autorégule pas (excepté par l’épuisement de ses ressources), mais la nature s’en charge grâce à un savant équilibre entre proies et prédateurs. Que le fautif soit ici un organisme microscopique ne change rien à l’affaire. L’humanité est confrontée à un prédateur plus malin qu’elle. 

L’alerte est en peu surjouée par les responsables (encore que, restons prudent) mais elle a la vertu de jeter une lumière crue sur notre présumée maitrise de l’adversité. Le danger vient rarement de l’endroit où on l’attend. L’humanité était mobilisée contre le réchauffement climatique, la voilà prise de court par une agression virale. Et ce malin virus va en faire plus en quelques semaines que toutes les campagnes d’opinion de la terre. On apprend ainsi que ce ne sont pas seulement nos téléphones portables et nos machines à laver qui sont fabriqués en Chine, mais aussi les principes actifs de nos médicaments et nos outils de prophylaxie. C’est benêt, voire très très con. 

L’heure n’est pas au procès, ce n’est pas en pleine bataille que l’on règle ses comptes et les procureurs du moment seraient bien inspirés d’attendre un peu avant de distribuer les anathèmes. Mais on ose espérer que cette alerte va nous inviter à sérieusement réfléchir. A cette folie furieuse, par exemple, qui conduit à envoyer les crevettes hollandaises au Maroc pour être décortiquées par de petites mains avant de revenir dans nos assiettes, mettant sur la route des norias de camions imbéciles. 

Cette folie furieuse qui veut qu’au nom du « pouvoir d’achat » la part de notre budget d’alimentation ne cesse de baisser (40% en 1950, moins de 20% en 2020) au détriment de la susdite nature, de la qualité des produits et de toute la chaine de production, agriculteurs en première ligne. L’idée n’est pas de décliner les exemples à l’infini mais ce malin virus est en train de nous dire des choses. Plein de choses. 

Qu’il y a aussi un rapport intime entre l’espace et le temps. Le temps ne s’écoule pas de la même façon ces jours-ci entre un appartement parisien grand comme un placard à balai et une maison ouverte sur la campagne, où l’on profite des premiers jours de printemps pour jardiner. Etourdis par le mouvement, par la frénésie urbaine, certains d’entre nous n’ont pas mesuré à quel point leur environnement pouvait être, au premier dérèglement, carcéral. 

Il n’est pas encore temps de remercier ce malin virus. Mais on peut, à tout le moins, essayer d’écouter ce qu’il nous dit à bas bruit. Nous avons un peu de temps. 

Sur la table de travail

photo ct La Roche-sur-Yon

Un mot à l’adresse des quelques familiers de l’atelier, qui doivent pour certains se demander ce que trafique le tenancier ces temps-ci vu l’incohérence apparente des dernières publications. De fait, je conduis simultanément plusieurs chantiers, qui n’ont pas grand chose en commun sinon que d’être ouverts sur la même machine à écrire. Le principal de ces chantiers, qui n’a pas été évoqué ici, est un ouvrage commandé par les éditions Actes Sud et qui occupe l’essentiel de mon temps. Un livre qui parlera de chantiers urbains et d’architectures mobiles. Si tout va bien, il paraîtra à la rentrée.

Dans le même temps, il me faut assurer la chronique locale de deux communes pour un grand quotidien de l’Ouest de la France, à la veille des élections municipales. Un travail qui relève autant de la diplomatie que de la rédaction proprement dite. Le rôle de chroniqueur local est beaucoup plus complexe et beaucoup plus exposé qu’il n’y paraît, d’où la publication récente de deux billets évoquant cette périlleuse activité (le maire, l’infirmière et le caillou et de la noblesse du chien écrasé). Il ne faut pas imaginer que les élus locaux sont moins chatouilleux que les élus nationaux. D’autant qu’on est appelé à les croiser en achetant son pain ou ses légumes.

A propos des municipales, pour celles et ceux qui s’intéressent aux espaces périurbains et aux questions d’intercommunalité, des enjeux trop peu mis en lumière par le scrutin municipal, la lecture du dernier ouvrage de Jean-Yves Martin, géographe, peut être une bonne idée. Jean-Yves Martin l’a présenté il y a quelques jours à la Maison du port de Lavau-sur-Loire. Contrairement aux apparences, ce n’est pas trop technique, et c’est un travail précieux pour mieux appréhender ces territoires qui ne sont plus tout à fait de la campagne mais pas tout à fait la ville, dont le mode de gouvernance est interrogé. C’est “un passage au scanner d’un espace géographique” situé entre deux villes, Nantes et Saint-Nazaire.

Ajoutons une contribution amicale à la communication de La Croisière de Pen Bron, un évènement annuel qui permet d’embarquer durant deux jours plus d’une centaine de personnes lourdement handicapées sur autant de voiliers entre La Turballe (44) et Arzal (56). Nous avons mis en ligne cette semaine une courte vidéo qui présente cet évènement singulier et magique. Il suffit de cliquer sur le bandeau du site.

Ces travaux, qui se conjuguent aux périls extérieurs dus à l’abondance des pluies, qui ne cessent pas en Loire-Inférieure, m’ont conduit à laisser reposer La tentation de Louise, laquelle ne sortira donc pas cette année. Mais nos amis n’ont pas le feu, ils ont tout leur temps depuis leur havre du XVIe, et je reprendrai leurs aventures le moment venu, vraisemblablement l’hiver prochain.

Voilà, voilà pour la table de travail. Bonne semaine à tous.

de la noblesse du chien écrasé

La condition de chroniqueur rural n’est pas toujours facile et l’on éprouve parfois quelques difficultés à expliquer les arbitrages qui conduisent à traiter ou à ne pas traiter tel ou tel sujet. Cela peut même confiner au malentendu. Plusieurs sources me font ainsi remonter une rumeur insistante, selon laquelle votre serviteur aurait affirmé ne pas se préoccuper des « chiens écrasés ». C’est à proprement parler un « mal entendu », qui laisse supposer par ailleurs une sorte de mépris pour les faits divers ou les faits de société. 

Ce contresens provient probablement de la déformation d’un autre choix, celui-ci totalement assumé, de ne pas traiter les informations miroir. En d’autre termes de ne pas relayer dans le journal le repas de l’amicale des joueur de fléchettes ou l’anniversaire de mariage de grand-maman. Ce type d’information, en jargon professionnel on dit une information miroir, n’a d’autre vertu que de permettre aux heureux élus de se mirer dans le journal, mais n’offre qu’une faible valeur ajoutée et n’apporte rien aux lectrices et aux lecteurs qui ne sont pas concernés.

En revanche, un simple chien écrasé ou une voiture qui brûle peuvent avoir un grand intérêt s’ils disent quelque chose du milieu dans lequel nous sommes, de l’espace public auquel ils participent A l’image de la vache communale dont le cuir a été lacéré une nuit par quelques jeunes gens désoeuvrés. Information qui n’avait pas été digne d’être communiquée au chroniqueur local. Or cette simple vache martyrisée dans la prairie qui jouxte l’école en dit beaucoup plus que de doctes déclarations sur les animations proposées à la jeunesse en milieu rural (je me permets ici ce commentaire, que je me suis gardé de relayer dans le journal, m’en tenant aux faits avérés). Au lecteur de se faire une idée. 

On peut comprendre que les associations, les institutions, aient envie que l’on évoque exclusivement les bonnes nouvelles, quitte à les parer d’habits de lumière, pour faire bonne figure dans le journal. Mais le rôle de la presse n’est pas uniquement, me semble-t-il, de chausser des lunettes roses. Il est de dire le réel, la vie comme elle va, avec ses bons et ses mauvais côtés. Comme l’installation par la mairie d’un caillou empêchant l’accès au cabinet infirmier, qui a provoqué la colère des institutions mais suscité le débat et permis d’envisager une solution. 

Le manuel du Castor Senior 2

Quand la femme, cet être supérieur apte à résoudre 99% des problèmes de vie quotidienne, vient à manquer, l’homme est bien souvent appelé à mettre en oeuvre des stratégies de contournement (merci Marmiton), qui aboutissent parfois à des trouvailles de génie, qu’il peut être tentant de partager. C’est l’idée qui m’est venue en observant le résultat spectaculaire du nettoyage de mon évier avec un produit hyper basique qui traînait sur les étagères (le percarbonate de soude). Frère célibataire ou solitaire, j’ai donc décidé de faire un pas de côté épisodique sur ce blog, pour une série irrégulomadaire que nous intitulerons le manuel du castor senior. Quelques trucs, trouvailles, dont la seule contrainte sera d’être écolos faute d’être orthodoxes

Le marc de café dans les tuyaux. C’est un vieux truc que m’avait confié mon copain Dom et que je mettais parfois en oeuvre, sans grande conviction. Vérification faite, c’est non seulement une excellente technique pour éviter de vider le marc dans le compost ou la poubelle, mais c’est aussi un moyen efficace d’entretenir les canalisations (le marc dissout les graisses). Cerise sur le gâteau, cette pratique chasse les éventuelles mauvaises odeurs dans l’évier. Tout bénéf.

Une lampe frontale pour lire au lit. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Cette fois c’est mon copain JB, grand célibataire et donc grand débrouillard devant l’éternel, qui m’a soufflé cette idée de génie. Plutôt que se pencher pour attraper le faisceau lumineux de la lampe de chevet, il est beaucoup plus confortable de diriger le faisceau avec la tête, qui peut ainsi changer de position sans jamais quitter la page à éclairer. Il suffit d’ajuster l’angle de la lampe sur le front. De ces astuces simplissimes qui vous changent la vie.

Des bouchons trempés dans l’alcool à brûler pour allumer le feu. C’est une amie, Annie, qui m’a glissé cette idée toute bête : récupérer les bouchons de liège et les mettre à tremper dans un bocal rempli d’alcool à brûler. Ils s’imbibent doucement et font de parfaits allume-feu pour démarrer une flambée. Attention il faut penser à refaire le plein d’alcool régulièrement, l’alcool à brûler étant très volatile. Mon truc en plus, je place le bocal bien fermé la tête en bas pour que, lorsque l’on retourne le bocal, les bouchons du dessus soient bien imbibés.

Nous ajouterons, pour terminer, les peaux d’orange sur le poële – un truc de grand-mère trouvé dans un recueil de poésie – qui parfument la pièce et qui, une fois sèches, font merveille pour encourager le petit bois à s’enflammer.

L’infirmière, le maire et le caillou

Il était une fois, dans un village de Loire-Inférieure, une infirmière active comme une abeille, qui s’épuisait chaque jour à délivrer ses soins à tous les malades de la contrée. Elle prenait son auto pour faire un pansement à madame Fatiguée, une piqûre à monsieur Ronchon, revenait à sa ruche pour chercher une épingle, une pilule, repartait illico rassurer madame Inquiète et poser un cataplasme au petit Malingre.

Un matin, elle découvre un gros caillou qui empêche sa petite auto d’atteindre la ruche. Elle bourdonne de mécontentement. Mais que fait ce caillou ici ? Que me veut ce caillou ? Quelle étrange idée que d’interdire l’accès à la ruche avec un gros caillou. Et elle ressent cette apparition hostile et indestructible comme une offense idiote à l’intelligence et à sa nécessité d’aller et venir.

Le maire, depuis son château voisin, brasse paisiblement des papiers et des règlements. Il s’est convaincu que la route de la ruche n’était pas assez carrossable pour rester ouverte aux autos. Il a donc ordonné à son cantonnier de fermer cette rue. Comme on ferme une carrière. Un caillou et hop ! Pas vu, pas pris. Sans se demander si le remède pouvait être pire que le mal.

L’infirmière déboussolée appelle le gazettier du village et lui explique son courroux. Elle est désormais handicapée pour bouger, doit tracer son chemin dans un dédale hostile, ne comprend pas même l’idée de la présence de ce méchant caillou, inutile et grotesque. Le gazettier, qui aime les belles histoires, immortalise la caillou et prête sa plume à l’abeille.

Le sang du maire ne fait qu’un tour à la découverte du blasphème. Lui, ne pas prendre une bonne décision, vous plaisantez misérable ? C’est un métier monsieur. Trente ans de maison. Comment ce gazettier ose-t-il ? Nous allons lui apprendre. Et de dépêcher son majordome pour faire rendre gorge à ce paltoquet. Dans sa propre gazette.

Plutôt que de s’occuper du caillou, il passe donc son énergie à décortiquer l’affront, à lui prêter des intentions cachées et à jouer du tam-tam pour dénoncer le malfaisant. Le caillou, pendant ce temps, devient une vedette du village, bientôt un objet de culte. Il est même décoré. Et l’abeille découvre, touchée, que toutes les madames Fatiguée et les messieurs Ronchon du village lui témoignent leur soutien et leur affection.

Moralité : quand le scribe montre le caillou, le roi regarde le papier et… jette des pierres à l’impertinent.

Le Miroir de l’âne

Il y a les livres que l’on avale d’une traite,, les livres avec qui l’on traîne pendant des mois, qu’on lâche puis qu’on reprend, et puis des livres que l’on déguste tranquillement, jour après jour, content de les retrouver chaque matin pour partager un moment, une réflexion, donner une couleur à la journée. Les Miroir de l’âne de Patrick Geay est de ceux-là. Nonchalant et précieux.

Quarante jours, quarante histoires nous dit la quatrième de couv. C’est bien ça. Chaque étape de la pérégrination de Patrick, entre l’Yonne et l’Ardèche, en compagnie de l’âne Zorro est une aventure en soi. Et l’on peut donc suivre, au creux de l’hiver, jour après jour, ce périple estival sans se presser. C’est qu’un âne ne s’apprivoise pas comme ça, du jour au lendemain. Il faut lui donner un peu de temps, le mettre en confiance, tenter de lire dans ses pensées lorsqu’il renâcle. Et puis il y a la pluie, cette satanée pluie qui rend les ruisseaux infranchissables pour un âne potamophobe (qui a peur de l’eau). On n’imagine pas les trésors d’ingéniosité qu’un randonneur amateur doit convoquer pour assurer le train d’une telle de croisière verte.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est évidemment dans les rencontres, plus improbables les unes que les autres. Parce que c’est évidemment sur les chemins de traverse que l’on rencontre les personnages plus singuliers de la prairie. Et cela fait grand bien en ces temps où l’agenda de la pensée est dicté par une actualité de plus en plus brûlante et anxiogène. Ce voyage avec un âne est une plaisante occasion de refroidir la machine, de donner de la perspective, de mettre à distance les évènements qui ne cessent de nous cannibaliser l’esprit.

Cela, d’autant que Patrick a pris le soin d’attendre un peu pour coucher ce récit sur papier. histoire de faire le tri dans les anecdotes, de ne conserver que celles qui font sens. Et de ce point de vue c’est réussi. Le regard est affûté mais bien distancié, le ton léger même si l’auteur ne s’interdit pas quelques réflexions sur ses contemporains, la société comme elle va, et bien entendu sur lui-même, sa posture, son histoire.

Une histoire qui recoupe parfois la mienne, ne serait-ce que pour des raisons générationnelles, avec l’Ardèche en toile de fond, où nous avons fait connaissance, au temps où l’on refaisait le monde. Le miroir de l’âne ne refait pas le monde. Il l’observe d’un oeil malicieux et bienveillant. Et on en ressort avec un regard plus amical sur ses contemporains. Ce n’est pas rien.

Le Miroir de l’âne, 230 pages, Editions Armand Brière, 18€