La jolie crevette et le méchant virus

Clamdigger Edward Hopper

« Il a plu à Dieu de nous visiter par la maladie contagieuse » déclarait Claude Brossard de la Trocardière, maire de Nantes, au lendemain de la terrible épidémie de peste qui avait dévasté la ville en 1583. On jouait alors profil bas devant ce qui avait tout l’air d’un message divin, dont on cherchait vainement la signification.

Aujourd’hui peu nombreux sont les croyants qui avancent l’hypothèse d’un message des dieux. Même Allah ne fait pas le fier. En revanche, que l’épidémie en cours – qui reste pour l’heure un épiphénomène au regard des pandémies passées – puisse s’interpréter comme un message de la nature, peut mériter un peu d’attention.

Il y a un petit côté darwinien dans cette flambée virale qui s’attaque à l’espèce humaine. Selon Darwin une espèce elle-même ne s’autorégule pas (excepté par l’épuisement de ses ressources), mais la nature s’en charge grâce à un savant équilibre entre proies et prédateurs. Que le fautif soit ici un organisme microscopique ne change rien à l’affaire. L’humanité est confrontée à un prédateur plus malin qu’elle. 

L’alerte est en peu surjouée par les responsables (encore que, restons prudent) mais elle a la vertu de jeter une lumière crue sur notre présumée maitrise de l’adversité. Le danger vient rarement de l’endroit où on l’attend. L’humanité était mobilisée contre le réchauffement climatique, la voilà prise de court par une agression virale. Et ce malin virus va en faire plus en quelques semaines que toutes les campagnes d’opinion de la terre. On apprend ainsi que ce ne sont pas seulement nos téléphones portables et nos machines à laver qui sont fabriqués en Chine, mais aussi les principes actifs de nos médicaments et nos outils de prophylaxie. C’est benêt, voire très très con. 

L’heure n’est pas au procès, ce n’est pas en pleine bataille que l’on règle ses comptes et les procureurs du moment seraient bien inspirés d’attendre un peu avant de distribuer les anathèmes. Mais on ose espérer que cette alerte va nous inviter à sérieusement réfléchir. A cette folie furieuse, par exemple, qui conduit à envoyer les crevettes hollandaises au Maroc pour être décortiquées par de petites mains avant de revenir dans nos assiettes, mettant sur la route des norias de camions imbéciles. 

Cette folie furieuse qui veut qu’au nom du « pouvoir d’achat » la part de notre budget d’alimentation ne cesse de baisser (40% en 1950, moins de 20% en 2020) au détriment de la susdite nature, de la qualité des produits et de toute la chaine de production, agriculteurs en première ligne. L’idée n’est pas de décliner les exemples à l’infini mais ce malin virus est en train de nous dire des choses. Plein de choses. 

Qu’il y a aussi un rapport intime entre l’espace et le temps. Le temps ne s’écoule pas de la même façon ces jours-ci entre un appartement parisien grand comme un placard à balai et une maison ouverte sur la campagne, où l’on profite des premiers jours de printemps pour jardiner. Etourdis par le mouvement, par la frénésie urbaine, certains d’entre nous n’ont pas mesuré à quel point leur environnement pouvait être, au premier dérèglement, carcéral. 

Il n’est pas encore temps de remercier ce malin virus. Mais on peut, à tout le moins, essayer d’écouter ce qu’il nous dit à bas bruit. Nous avons un peu de temps.