Parmi les tombereaux d’analyses, de conseils, de reproches voire de procès qui se déversent en ces temps de pandémie sur les responsables politiques, on voit ça et là affleurer quelques griefs à l’égard des Administrations centrales, quelques interrogations sur la lourdeur de la bureaucratie à la Française. Guère plus.
Cette cécité est étonnante dans un pays honorablement cultivé, adepte de rationalité et censé connaître le fonctionnement de ses institutions. Mais le Français a besoin d’incarnation, de têtes de turcs, d’épouvantails pour exprimer ses frustrations. Ce sont les politiques qui s’y collent. C’est leur métier, leur gloire et leur croix.
Pour autant, si l’on prétend analyser la situation, ce que ne manquent pas de faire des cohortes de commentateurs, il pourrait être utile de se rappeler comment le système fonctionne, comment la République est organisée. En France, comme dans de nombreux pays, c’est l’armature administrative qui tient le pays, dans tous les sens du terme. Héritière de l’organisation napoléonienne, un brin militaire dans son fonctionnement, elle est souveraine dans l’application des lois, qu’elle interprète au besoin en fonction de ses priorités du moment.
Le Gouvernement, les Ministres, n’ont d’ordinaire, qu’une faible marge de manoeuvre pour diriger ce paquebot qu’est un pays de 66 millions d’habitants. Les électeurs sont d’ailleurs surpris de voir certains pays fonctionner pendant de longues périodes sans Gouvernement, comme ce fut le cas récemment en Belgique. En fait ça ne change pas grand chose à l’affaire. Le Gouvernement est essentiellement là pour la galerie, pour récolter les fleurs et les tomates.
A la charnière de ces deux pouvoirs, l’apparent et le fonctionnel, se trouve un troisième acteur, méconnu du grand public : le cabinet. Le cabinet, qu’il soit ministériel, régional ou municipal, est chargé de s’assurer que les décisions politiques sont bien appliquées par l’Administration. C’est un travail délicat, qui demande une implication de tous les instants, qui exige d’avoir un oeil sur tout, pour à la fois remuer les fesses de l’Administration, déminer le terrain social et protéger les politiques. C’est lui qui écrit les discours, qui rédige les projets de loi et qui répond à madame Michu, mécontente de ne pas trouver de masque.
L’un des problèmes est qu’en France les postes cabinets sont traditionnellement occupés par des jeunes gens surdiplomés, certes intelligents et efficaces, mais qui travaillent en permanence dans l’urgence, sans disposer du recul nécessaire pour encadrer correctement l’Administration. L’exemple actuel des tests et des masques est très parlant. L’Administration, déresponsabilisée aux yeux du public, s’est lavée les mains de la question en déléguant sa responsabilité aux entreprises, qui avaient évidemment autre chose à penser. Et les cabinets ministériels, à l’Intérieur comme à la Santé, n’ont pas vu le coup venir. Résultat tout le monde est planté.
Les véritables responsables, dans les Directions (avec une capitale s’il-vous-plait) des ministères sont aujourd’hui confortablement cachés sous la table. D’autant qu’en France on n’incrimine pas l’Administration, ça ne se fait pas. Et le voudrait-on que l’on aurait beaucoup de mal à faire la part des responsabilités, dans un système basé sur la dilution de la charge.
Nul doute que les cabinets sont à la manoeuvre aujourd’hui pour tenter de colmater les fuites, retrouver les masques oubliés dans des hangars, sauver une usine de fabrication abandonnée en Bretagne, mais tout le monde a perdu beaucoup de temps dans cette affaire. Et cette crise met en lumière le fait que la permanence de l’Etat n’est pas correctement assurée par une Administration centrale, souvent imbue d’elle-même, qui s’est égarée dans son propre labyrinthe réglementaire, et fait la preuve, au bout du compte, d’une regrettable incurie.