Le breton à Harvard, l’anglais à Nantes

Deux informations rigolotes se télescopent à quelques jours de la rentrée universitaire. Le breton sera désormais enseigné à l’université d’Harvard aux Etats-Unis et il sera possible d’étudier Marcel Proust en anglais dans les universités françaises.

 aux élèvesCe pied-de-nez involontaire des anglo-saxons à l’exception culturelle française est assez joli. A vouloir trop en faire le centralisme parisien se trouve pris à son propre piège. Pas assez puissante pour s’imposer comme langue véhiculaire, la langue française recule logiquement devant l’anglais pour séduire les étudiants étrangers, pendant que les Américains accordent l’asile politique à l’une de nos plus belles langues vernaculaires. Ce dernier terme est d’ailleurs impropre, puisque les anglo-saxons semblent avoir bien compris que le breton, comme le gaëlique, est l’héritier de l’une des plus anciennes langues indo-européennes, envers laquelle la plupart des langues occidentales ont une précieuse dette.

 Les Français se sont comportés comme des barbares de la pire espèce en interdisant l’usage du breton au début du XXème (je peux en témoigner, mon propre père en a fait les frais, interdit de breton à l’école, qui ne pouvait plus converser avec sa propre mère dans sa langue natale). D’une certaine manière c’est un peu comme si on avait interdit l’usage du latin aux populations qui l’auraient encore parlé, au nom d’une intégration à toute force. N’importe quoi.

 Il est vraisemblable que la possibilité d’enseigner Proust en anglais offerte par la nouvelle loi sur les universités sera peu utilisée. Nous ne nous en plaindrons pas. En revanche que l’anglais soit choisi, ici ou là comme langue d’enseignement n’est pas une mauvaise nouvelle. Et ceux qui s’en offusquent se trompent. Le fait de parler plusieurs langues est une richesse pour tous. Il assouplit les neurones, élargit l’univers mental. Qu’il s’agisse de l’anglais, du breton ou du papou. Peut-être un jour nos élites le comprendront-il. Le problème est qu’il sera un peu tard pour le breton, qu’il faudra aller étudier… aux Etats-Unis.

5 réflexions sur « Le breton à Harvard, l’anglais à Nantes »

  1. Philippe Auteur de l’article

    A ma connaissance, Pascale, Villani n’irrite pas ses confrères mathématiciens, plutôt fiers de disposer d’un porte-parole qui désacralise leur discipline et dépoussière son image. Sympa, délié, et diablement intelligent. Les matheux, sont des gens à part, forcément un peu poètes. Qu’on se souvienne de Bourbaki http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Bourbaki, ce mathématicien imaginaire inventé par l’école française. On ne mesure pas assez en France à quel point on dispose de matheux de très haute volée. L’une des raisons est le refus de la consanguinité. Pour progresser on doit nécessairement aller voir ailleurs, aucune nomination ne se fait dans l’université d’origine. C’est la seule discipline qui s’impose ce régime.
    Vous nous direz ce que vous avez pensé du bouquin de Villani, dont j’ai entendu le plus grand bien.

  2. pascale

    http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130530.OBS1325/cedric-villani-l-anglais-a-l-universite-est-une-necessite.html

    Pour afficher ma bonne volonté, une pierre dans votre jardin Philippe. Non sans réserve cependant, Villani lui-même ayant bien saisi la portée et les limites de la chose. Et sur cela rien à redire.
    Je rentre de ma récolte régulière à ma librairie préférée parce qu’elle est à quelques pas de ma terrasse préférée, et dans ma poche, plusieurs livres du même format. Dont “Théorème vivant” dudit Villani. Une personnalité fort attachante. Un esprit mathématique surpuissant, fondu de musique et de poésie. Qui vous donne le sentiment, rien qu’en l’écoutant (ce qui est arrivé grâce à quelques apparitions médiatiques) d’être, sur le champ, plus intelligent. Un chercheur qui n’en oublie pas moins l’importance de ceux dont la formation est de donner sens à la recherche, les philosophes et les épistémologues.
    Je ne sais pas s’il agace dans la confrérie des mathématiciens, dont la française n’a pas à rougir, l’une -sinon LA- meilleure du monde, mais j’avoue que son look, son discours, sa culture générale sont ravageurs. Rien qui ne soit mathématiquement nécessaire pour autant.
    Dans ma cueillette de ce matin, des livres reposant et peut-être “faciles” que je ne citerai pas, besoin de se laisser porter. Et un François Vallejo (“Les soeurs Brelan”), dont, décidément j’aime tout ce qu’il écrit. Au passage, le site La Fnac, croisé par hasard sur ce nom, parle des “produits Vallejo”, c’est simple, je les hais!
    Trouvé aussi, puisque personne ne répond sur le nom de Haddad, un “produit”? haddadien??? “Géométrie d’un rêve”, ce n’est pas un choix, il n’y avait que celui-là en format poche, j’espère que le hasard aura bien fait pour moi.

  3. Philippe Auteur de l’article

    De fait Pascale, le choix de l’anglais pour séduire les étudiants étrangers n’est pas forcément le meilleur et je vous suis là-dessus. En revanche que certains cours soient dispensés en anglais aux étudiants français n’est pas du luxe, notamment dans les disciplines où les communications internationales se font exclusivement en anglais (je pense au maths, mon fiston, chercheur, doit rédiger tous ses articles en anglais).
    Mais vous l’avez compris, il s’agit plus ici d’une humeur que d’une réflexion approfondie sur le sujet. Je reste écartelé entre entre des chroniques de ce type, qui génèrent un trafic important mais volatile, et des papiers plus élaborés pour engager des échanges plus approfondis. Mais l’internaute est un animal étrange qui est, dans sa grande majorité, moins friand de sujets de fonds que d’humeurs comme celle-ci. Et pardonnez-moi de réfléchir tout haut : on est un peu dans le même cas de figure que celui d’un journal, où l’accroche, la nervosité de la copie jouent beaucoup sur sa chance d’être lue.
    Et comme je considère un peu cet atelier comme un laboratoire, qui me permet de mieux comprendre les usages d’internet (à la veille de retrouver mes étudiants), j’essaie d’explorer plusieurs pistes simultanément.
    Sachez toutefois que cette conversation, qui relève plutôt du dialogue en ce moment, donne une dimension supplémentaire aux billets, et qu’elle est lue à défaut d’être enrichie.

  4. pascale

    D’accord avec vous, Philippe, sauf, fallait s’y attendre, cette double affirmation “En revanche que l’anglais soit choisi, ici ou là comme langue d’enseignement n’est pas une mauvaise nouvelle. Et ceux qui s’en offusquent se trompent. ”
    Je crois, très sincèrement, que les étudiants étrangers qui choisissent la France pour terre d’études, et particulièrement pour la littérature et/ou les sciences qu’on dit humaines, ont tout à gagner de suivre des cours en français. L’argument de la richesse du multilinguisme se retourne comme un gant. Un Nord-Coréen (au hasard!) ne choisit pas la France par hasard justement. Qu’il échange avec ses nouveaux potes de campus en anglais et les force ainsi à se saisir d’une autre langue que la leur, leur sera en effet profitable, il peut aussi les initier au nord-coréen. Mais je peux vous dire qu’un(e) étudiant(e) qui élit l’exil studieux comme moyen pour réaliser, au choix, son rêve, sa passion, sa formation, doit prendre le kit complet. Je veux bien que l’on ait avec son étudiant, comme prof (vous me direz combien de profs à l’université, hors ceux de langue, maîtrisent l’anglais!!!) des échanges en anglais pour lui expliquer le fonctionnement, les attentes, la marche à suivre (faudrait former aussi l’administration) mais Proust n’est Proust que par l’usage (pardon) qu’il fait de la langue française, et les subtilités, les figures, qui requièrent déjà tant de subtilités à leur tour pour être dégagées et transmises en français, en France, alors pensez… en anglais, ou en papou…. je suis plus que sceptique. Le seul examen des synonymes, des choix de conjugaison (il n’y a parfois aucun équivalent en anglais), des étymologies, devient une gageure. Certaines de nos pointures universitaires que nos amis américains nous ont gentiment “piquées” font cours de littérature française en français, tout en étant parfaitement anglophones par ailleurs.
    Alors oui pour la pratique de plusieurs langues (les universités ont inventé, par exemple, les bi-doctorats, écrits et soutenus dans la langue “maternelle” et dans la langue d’accueil) mais si l’on choisit de sortir ses cahiers dans un amphi de France, on choisit aussi la langue de …. Montaigne.
    Et puis, enseigner Montaigne, par exemple, je pense à A. Compagnon, en anglais aux US, ce n’est pas la même chose que l’enseigner en anglais à Paris, Bordeaux ou Rennes!
    Si la pratique maîtrisée de plusieurs langues c’est chaque fois en effet habiter dans un autre univers, alors, habiter chez Proust se fait en français. en France, … par obligation…. proustienne.
    Bon, je sais bien qu’en mettant le focus sur Proust, et le choix de la ligne polémique dans un article “tous publics” -vu dans un hebdo en effet, il y a quelques jours- on siffle le coup d’envoi des réponses épidermiques et partisanes, c’est la loi du genre. Je me suis donc engouffrée -comment dit-on en anglais?
    Alors la note positive pour finir : le breton outre-atlantique, voilà une excellente nouvelle! A quand le basque? et le Corse, non, je déc….. quoique!

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