Archives de catégorie : Sur la table de travail

Corriger à Nantes

L’heure est à la mise à jour du guide « S’installer à Nantes » dont la première édition date de juin 2011. La seconde paraîtra en novembre 2014. Ce « Nantes » était l’un des premiers titres d’une collection lancée par une jeune maison d’éditions parisienne « Héliopoles », qui trace depuis lors sa route avec intelligence et ténacité. La collection compte désormais une vingtaine de titres, parmi lesquels Londres et Montréal, mais aussi Lorient et Mulhouse.

nantesL’exercice est à la fois passionnant et délicat : il s’agit de présenter une ville à des lecteurs qui souhaitent s’y installer durablement. Leur donner les clefs, en quelque sorte, leur expliquer les mentalités, les usages, mais aussi balayer tous les champs de préoccupation d’un nouvel arrivant (le logement, l’école, le commerce, les déplacements, la culture, les loisirs …). L’avantage est qu’il ne s’agit surtout pas d’un guide touristique. On peut donc, quand c’est justifié, dire du mal, évoquer les points faibles de la ville, les mauvais plans, les embouteillages…

La géographie d’une ville étant le fruit de son histoire – c’est particulièrement vrai pour Nantes où les comblements de la Loire ont bouleversé la physionomie du centre – j’ai pris un grand plaisir lors de la rédaction de la première mouture à esquisser l’histoire de cette ville, qui fut longtemps l’un des premiers ports du royaume (ce qui explique que l’on y délivre encore les passeports). Ce ne sera malheureusement pas la partie la plus importante à retoucher, la lecture de l’histoire du XVIIIe ayant peu bougé depuis 2011.

En revanche, il va falloir vérifier les horaires, les adresses, les téléphones des commerçants, des crèches et des piscines. Pas très excitant, me direz-vous. Je vais pourtant le faire avec plaisir, après avoir sacrifié au rite d’une petite séance de travail à Paris, avec Zoé et Christophe, mes éditeurs. La maison ne roule pas sur l’or, mais elle conduit cette collection avec une conviction, un humour, un entrain qui réconcilierait le plus cossard des auteurs avec le travail.

Allez, une petite louche pour donner l’ambiance (le premier qui m’allume pour avoir ouvert sur Julien Gracq est à l’amende d’une citation plus évocatrice) :

« Ni tout à fait terrienne, ni tout à fait maritime : ni chair, ni poisson… » La formule de Julien
Gracq sied bien à Nantes. Ville portuaire, place de négoce, la cité des Ducs chère à l’écrivain de Saint-Florent-le-Vieil est tournée d’un côté vers l’océan, de l’autre vers la vallée de la Loire. Ni totalement bretonne, ni vraiment vendéenne, partagée entre les toits en ardoise au nord et les premières tuiles au sud, Nantes est un carrefour entre terre et mer, une ville d’échanges, à l’image des ports d’estuaire du nord de l’Europe, dont elle fut longtemps la rivale. Les multiples influences qui ont marqué son histoire, venues d’Espagne, de Hollande ou des Antilles, en font une cité ouverte, quelque peu détachée de son arrière-pays. Nantes, première agglomération urbaine de l’Ouest – 600 000 habitants – est une ville en soi. Il n’y a pas d’accent nantais, pas d’identité affirmée non plus, on est Nantais par adoption, par choix, peu importe d’où l’on vient. On y retrouve toutefois une manière de vivre propre aux gens de l’Ouest, qui se traduit par une certaine réserve de prime abord mais s’estompe rapidement quand la confiance est installée.

Bonne semaine sous le soleil, et si vous avez des bons plans à signaler, n’hésitez pas.

La com à l’épreuve des réseaux

On en apprend un peu plus chaque année sur les arrière-cuisines du web lors de la restitution des travaux et le retour de stage des étudiants qui se destinent aux métiers du numérique. Les familiers de ce blog se souviennent peut-être de la mise en lumière l’an dernier des “fermes de contenus” dans le champ du journalisme.

Cette année, le plus frappant est sans doute l’installation durable des réseaux sociaux dans l’univers de la communication. Le phénomène est en train de bouleverser les usages, les techniques et les stratégies d’un secteur jusqu’alors à l’abri de l’interactivité.

trains

Expliquons-nous. Entreprises, institutions, associations s’appuyaient jusqu’à présent sur des techniques assez classiques pour faire passer leurs messages. Newsletters, sites internet, publications papier, affichage, flyers, relations presse, évènements, encarts publicitaires… étaient l’arsenal habituel de tout communicant chargé de promouvoir une structure, qu’il s’agisse d’un organisateur de spectacles, d’un éditeur de livres ou d’une Caisse d’allocation familiales (tout le monde communique désormais).

Les réseaux sociaux, les blogs et l’apparition de la « société de la recommandation » sont en train de faire exploser cette communication verticale entre l’émetteur d’un message (la structure) et le récepteur (le blaireau). La publicité conserve certes une puissance de persuasion redoutable en faisant vibrer la corde du désir, mais elle ne suffit plus. On se fie désormais de plus en plus aux recommandations de ses « amis », on aime partager ses coups de cœur, confronter ses avis, ses opinions. On cherche des informations sur les forums de discussion pour vérifier la fiabilité de tel ou tel produit, de tel ou tel service.

sncfCertaines entreprises semblent terrorisées par ces nouveaux usages et se placent sur la défensive en payant des services pour soigner leur « e-réputation », chasser tous les messages négatifs qui pourraient apparaître sur le web. Toute leur politique de communication peut en effet se trouver discréditée par une révélation embarrassante d’un employé sur facebook ou sur twitter, un message dévastateur, comme celui-ci, génial, intitulé cher Crédit Mutuel, posté sur youtube. Elles se placent donc sur la défensive, pour essayer de soigner son e-réputation.

L’une des solutions venue à l’esprit des communicants a consisté, dans un premier temps, à allumer des contre-feux en ouvrant des comptes sur les réseaux, où il est expliqué que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sans grand succès : les comptes des institutions ne sont pas fréquentés, ou s’ils le sont c’est de manière artificielle en « achetant » des faux amis (on peut le faire !) par paquets. Un artifice qui ne trompe pas grand monde.

On fait donc de plus en plus appel à des professionnels, des « community managers » un métier apparu récemment et en plein développement, des jeunes gens en général, qui sont chargés d’animer les communautés et de faire vivre une certaine forme d’interactivité. Leur métier consiste à poster des messages positifs, à entretenir une convivialité maîtrisée sur les réseaux, à draguer sur les forums pour ramener du trafic sur le site internet de la maison qui les emploie, bref à se substituer aux vecteurs classiques de la communication pour séduire une classe d’âge qui ne lit plus les journaux, regarde peu la télé et échappe ainsi aux radars conventionnels.

C’est le côté obscur de la force. Mais ce métier peut aussi se révéler précieux pour dynamiser une structure, faire partager une expérience, une histoire, à l’image de ce qu’a fait une étudiante pour promouvoir un théâtre. En ouvrant les rideaux sur la genèse d’une création, en instaurant un dialogue avec les abonnés, en conversant sur facebook avec les enfants venus visiter le théâtre, elle a popularisé, donné envie et convaincu un large public de fréquenter la salle pour laquelle elle travaillait.

Mieux, une autre étudiante, férue de musiques nouvelles, en stage dans un café-concert à Paris, a bluffé son monde en doublant la fréquentation du lieu grâce à un habile management sur les réseaux sociaux (twitter en appel, facebook en plate-forme). Elle n’a rien moins que créé son emploi (mais est quand même venue passer son exam).

D’évidence quelque chose est en train de changer dans le monde de la com. Le récepteur de messages ne veut plus être un simple réceptacle d’informations ou d’émotions, il souhaite interagir, critiquer, donner son avis au besoin, et les gourous de la com et de la publicité vont désormais devoir tenir compte de cette nouvelle donne. Ce n’est pas si simple parce que le “commmunity management” est gourmand en personnel, exigeant (il doit faire appel à des modérateurs malins et cultivés). Il y aura donc des morts, comme dans la presse, et de nouveaux arrivants. Mais ce qui est sans doute le plus réjouissant (sans pour autant faire preuve de naïveté, l’intox a encore de beaux jours devant elle) c’est qu’une certaine forme de rigidité formelle, de verticalité, de condescendance, a vécu.

Illustrations : wingz.fr, tweet SNCF engineering.

En anglais dans le texte

Reçu vendredi la traduction anglaise de l’ouvrage sur les “industries culturelles et créatives” sur lequel je planche depuis le début de l’hiver. Voici un extrait de l’introduction, qui pose justement la question du vocabulaire,  What do « cultural and creative industries » cover exactly? manière de saluer le travail de ce traducteur (ou de cette traductrice) que je ne connais pas, et qui s’est sorti avec une grande habileté des difficultés que pouvaient représenter ce texte. Incroyable, je comprends tout !

grahi creatis nantes

A silent revolution has taken place over the last ten years or so, out of the limelight, in the corridors of industrial wastelands, under unlikely hangars and in the obscure offices of passionate researchers. Artists and engineers, designers and architects, students and hobbyists explore, experiment and above all share their finds and discoveries against the backdrop of technical change and an uninhibited relationship to innovation. For a long time, this discreet fermentation and joyous effervescence were looked upon with an amused or even condescending eye by the economic sphere. Serious people, who build cars or planes, who generate employment and participate in collective prosperity, found it hard to imagine that these likeable performers could, one day, play a leading role in the development of economic activity. Admittedly, they applauded the remarkable success of certain American companies, which, from nowhere, managed to dominate the world market for new technologies in only a few years. Companies who had managed to combine scientific research, design and brainstorming for new uses and industrial applications. They knew the film production industry model, with its cluster logic in Hollywood, that digital pioneers reproduced to create Silicon Valley, but the good old French rationality that has separated training, techniques and industrial production for two centuries, struggled to adhere to this concept. The blooming of technology parks, at the end of the 20th century, reflected a logic based solely on technical efficiency. An engineer is an engineer, a researcher a researcher and an artist an artist. Only maybe architects and designers provide a tenuous link between the aesthetic and technical worlds. And it’s surely not a coincidence that they play a pivotal role today in the quiet revolution which is discreetly spreading in certain French cities.

 What do « cultural and creative industries » cover exactly? It is an expression from the English- speaking world that irks French artists. How can you put together two terms as contradictory as industry and culture? Culture in its classical sense is associated with a unique piece. A work of art in the strict sense – a painting, a sculpture – is, by definition, singular and original. Admittedly, but whilst a literary work, a musical piece or a photograph is singular, the edition of this work and its reproduction in thousands of copies come from an industry. It is the same thing for cinema, which Americans had no qualms from the start about calling an industry, and by extension all audiovisual production. Video games naturally follow the same logic. At the same time original works – requiring the talents of creators and graphic artists – and technological objects, video games were from the start considered as an industry – one which is booming, and employs nearly 25,000 people in France.

However, do performing arts, art handicrafts and intellectual production fall within the scope of industries? No, at first glance, and it would seem more adapted to choose a more open expression, to cover the scope of creation and creative activities. The question was raised for the edition of this first « observatory of the cultural and creative sectors » in the Nantes/Saint-Nazaire metropolis. But choosing a vaguer, less explicit expression leads to a double problem : that of intuitive understanding and especially that of comparison with other creative basins. A common language is a prerequisite to understand the phenomenon and share experiences. Although we will see in the study presentation on creative sectors, that the criteria for selection to Cultural and Creative Industries vary depending on national and local approaches. To decide, we need to go back to etymology and ask the uncontested authority in France : Le Petit Robert dictionary. What does it tell us? : Industry : 1 – Skill for doing something = art. 2 – Skill = ingenuity, invention, know-how.  

Illustration : Blockhaus Y10, île de Nantes, graphi creatis.

A la recherche du ventre perdu

« Les angoissés ont l’estomac noué, les amoureux ont des papillons dans le ventre, les lâches manquent de tripes, et nous prenons parfois des décisions viscérales la peur au ventre… » C’est ainsi que débute le documentaire scientifique « Le ventre, notre deuxième cerveau » réalisé par Cécile Dejean, coproduit par Arte France, Scientifilms et l’Inserm. Ce film dresse un état des lieux de la recherche scientifique sur le système nerveux entérique, ce « deuxième cerveau » que nous avons dans le ventre, qui a progressé de façon spectaculaire ces dernières années, à tel point que l’on parle aujourd’hui de « névroses intestinales ».


Sollicité pour animer un débat, le 13 mars prochain, dans le cadre de « La semaine du cerveau »  en présence de chercheurs de l’Inserm du CHU de Nantes, j’ai visionné, un peu sceptique dans un premier temps, puis conquis et littéralement émerveillé ce documentaire de 55 minutes, qui met en lumière l’incroyable univers que nous avons dans le ventre : autant de neurones que dans le cerveau d’un chien, autant de bactéries que la galaxie compte d’étoiles (ah les bactéries, petit coup de pied au passage à l’hygiénisme ambiant, les enfants peuvent sucer des cailloux, oui, c’est bon pour leur flore intestinale, pour leur système immunitaire).

Impossible de résumer en quelques lignes ce documentaire foisonnant et diablement bien construit, qui nous montre que les anciens n’avaient pas tout à fait tort lorsqu’ils considéraient que le cerveau est loin d’être la tour de contrôle exclusive de l’être humain. Le système digestif, lien avec le monde, n’est pas seulement une soute à charbon, une centrale énergétique sur laquelle cerveau se brancherait pour prendre les décisions. C’est lui le patron, et il influe beaucoup plus qu’on ne l’imagine sur nos états d’âme, nos décisions, notre manière d’être. Mais les messages ne passent pas par notre conscience, d’où notre difficulté à comprendre les mécanismes de ce dialogue muet entre ventre et cerveau.

Retrouvé cette citation de Montesquieu qui ne disait pas autre chose : « Je crois à l’immortalité de l’âme par semestre ; mes opinions dépendent absolument de la constitution de mon corps : selon que j’ai plus ou moins d’esprits animaux, que mon estomac digère bien ou mal, que l’air que je respire est subtil ou grossier, que les viandes dont je me nourris sont légères ou solides, je suis spinoziste, socinien, impie ou dévot. »

« Le ventre, notre deuxième cerveau » a été diffusé par Arte, le 30 janvier dernier, il est en accès libre sur Arte future jusqu’au 30 mars (lien ci-dessus). Projection et débat le jeudi 13 mars à 18h15 au cinéma Katorza de Nantes, en présence de Michel Neunlist directeur de l’unité Inserm U913 de Nantes et directeur scientifique pour la réalisation du film, de Claire Lissalde, chargée du pôle audiovisuel de l’Inserm et de Philippe Damier, professeur de neurologie eu CHU de Nantes. Un hommage au passage à Bernard Lardeux, chercheur au CNRS, et cheville ouvrière de “la semaine du cerveau”. 

de la servitude volontaire

Les après-midi pluvieuses ont leur vertu. J’ai ainsi joué aux étagères musicales ce samedi ans le bureau pour faire un peu de place à la littérature, qui explosait dans ses deux petites armoires, et offrir un refuge décent aux documents de travail. Exit donc l’Histoire, qui a trouvé asile dans le couloir, pour faire place à la philosophie et aux essais, et ouverture des colonnes littéraires aux auteurs sans domicile fixe.

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 On devrait ranger sa bibliothèque au moins une fois par an, la dégraisser régulièrement, comme le note Helène Hanff dans son merveilleux petit livre « 84, Charing Cross Road ». Ce que je n’ai pas manqué de faire, en sacrifiant quelques kilos d’Histoire hérités de ma précédente vie de bouquiniste. Ce nettoyage a plusieurs vertus, la moindre n’étant pas de redécouvrir certains titres oubliés ou fossilisés sous quelque couche sédimentaire. Et puis le fait de modifier la géographie d’une étagère renouvelle le regard porté sur les titres lorsque, le soir, on cherche un brin de compagnie.

 Sont ainsi remontés à la surface plusieurs ouvrages portés disparus depuis des mois, parmi la boétielesquels un tout petit bonhomme de bouquin le Discours de la servitude volontaire de La Boétie aux éditions Mille et une nuits, et La presqu’île de Julien Gracq. Je suis ravi d’avoir retrouvé ce discours, inlassablement acheté puis offert, que j’ai cherché en vain à plusieurs reprises. Ce texte, nous dit la quatrième de couverture de cette édition en français moderne « analyse les rapports maitre-esclave qui régissent le monde et reposent sur la complaisance, la flagornerie et l’humiliation de soi-même ».

 Pour peu que l’on accepte de transposer la tyrannie vers ce qu’il est convenu d’appeler – pour faire court- la société de consommation ou la société du spectacle (du pain et des jeux), ce texte n’a rien perdu de son actualité : « Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir. »

Je ne sais pas si ce discours peut parler aujourd’hui à un garçon de seize ans. Mais je vais essayer. Il a l’avantage d’être très court mais l’inconvénient de puiser ses exemples dans l’antiquité et demande un peu de souplesse intellectuelle. Mais sa force est d’avoir été écrit par un garçon de dix-huit ans, d’en conserver toute la fraîcheur et de faire de La Boétie une sorte de « Rimbaud de la pensée » comme le suggère Sèverine Auffret, la « traductrice » dans la postface. C’est osé, mais pas complètement infondé.

Illustration : bibliothèque maison, assemblage de planches de second choix teintées et cirées.

effet d’optique

Ne soyons pas trop dépensier en rapprochements historiques. Mais quand même. Une remarque m’a frappé hier lors d’un entretien avec un jeune architecte dans le cadre d’un travail de commande sur ce qu’il est convenu d’appeler les « industries culturelles et créatives ». Ce jeune homme a mis au point, en croisant son savoir-faire d’informaticien, sa fibre artistique et sa formation d’architecte, une technique inédite de sculpture de la lumière qu’il ne cesse de peaufiner. Il a notamment participé à l’habillage le palais du roi de Thaïlande à Bangkok.

Léonard« On en revient à la Renaissance, avant le moment où les sciences et l’art ont divergé. » lâche-t-il timidement. Ce garçon, qui a fait un choix radical après avoir obtenu son diplôme, celui de creuser un sillon singulier, fait partie de cette génération de jeunes gens qui mettent aujourd’hui au point dans les caves, les friches industrielles ou les appartements obscurs, des techniques inédites, des œuvres aujourd’hui inclassables, à la croisée des arts et du numérique.

Cette remarque a résonné avec l’entretien précédent, au cours duquel mon interlocuteur, initiateur d’un “laboratoire des arts et des technologies”, évoquait le changement de logiciel mental dans les cerveaux de la génération qui pointe, nourrie d’écrans, et familière d’outils dont nous découvrons laborieusement les possibilités. « Les ados ont décloisonné les spécialités, et conjuguent naturellement l’écrit, la musique, le son, la video, les arts graphiques avec une facilité déconcertante ».

Je pourrais également évoquer la découverte, au cours de cette enquête, de métiers par moi inconnus, comme les designers sonores, qui planchent sur la texture du son qui sera donné aux voitures électriques, ou évoquer les recherches discrètes qui sont faites pour équiper les cimetières de demain. On pourrait parler de l’arrivée annoncée des imprimantes 3D pour usiner les pièces en carbone des Airbus. Mais là n’est pas le propos.

Pour filer le rapprochement historique, on peut avoir le sentiment que nous ne sommes pas encore outillés pour regarder l’époque avec les bonnes lunettes. La Renaissance est une invention d’historiens. Elle ne se savait pas Renaissance, ne se lisait pas comme telle. La pile électrique a été inventée par Volta sous Bonaparte. Qui s’en préoccupait alors ?

Ce travail de commande est passionnant en ce qu’il met en lumière un mouvement qui se propage à bas bruit, loin des projecteurs de l’actualité. Il est passionnant en ce qu’il réconcilie recherche intuitive, préoccupation esthétique, culture académique (les laboratoires de recherche pluri-disciplinaires se multiplient entre écoles supérieures d’art et de technologie) et ingénierie numérique.

Et nos petits Français, qui sortent des écoles des beaux-arts, d’archi, de design, des écoles d’ingénieurs, nos geeks que l’on moque volontiers, ont une force singulière, celle de disposer – quoi qu’on en dise – d’un fonds culturel rare, de baigner dans un univers qui n’est pas exclusivement mercantile, ce qui leur permet de concevoir des jeux vidéos, des applications numériques, d’imaginer des outils qui conjuguent allègrement esthétique et inventivité technique.

La culture contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile, relève une récente étude, basée sur les données de l’Insee. Edwy Pleynel lors des dernières rencontres de la presse en ligne, se disait persuadé que nous vivions une époque comparable à celle de la découverte de l’imprimerie, dont nous nous sommes incapables de mesurer les conséquences. Ces « industries culturelles et créatives » selon la dénomination du chercheur américain Richard Florida, sont peut-être en train de dessiner une époque qui ne connait pas encore son nom.

Trois Continents, le journal

Le  journal des étudiants d’infocom Nantes sur le festival des 3 Continents, consacré aux cinémas d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, vient de paraître. A la Une un sujet sur le centenaire du cinéma indien. Pour y accéder cliquer sur la photo.

photo de couv #3

 A propos d’Inde, signalons que les bien nommées éditions du Petit Véhicule seront présentes ce week-end (23/24 novembre) au salon du livre de Guérande .  Vous y trouverez notamment  La Moto bleue, récit d’un voyage au pays de Ganesh, à pied, en train et en rickshaw, en compagnie d’un garçon de onze ans. Et naturellement mon dernier attentat contre la littérature  Au Royaume de Siam.

Fébrilité

Les trente-trois étudiants du Master 2 infocom de Nantes sont à pied d’oeuvre pour couvrir la trentième-cinquième édition du festival des 3 continents, consacré aux cinémas d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie.

 cigarettes

Organisés en rédactions web et papier ils réalisent le site web Preview, et préparent deux éditions papier du journal du festival. Avant la soirée d’inauguration, ce mardi 19 novembre, une image de la fébrilité de la rédaction, réalisée par Louise, sur le balcon qui fait office de fumoir. Et, en guise d’introduction, le papier de Clémence, sur The Lunchbox, le film indien  présenté lors de la soirée d’ouverture, que nous avons révisé ensemble.

Très chère urssaf

Je sais que tu es ombrageuse et qu’il faut te parler avec douceur, mais notre relation dût-elle en souffrir, je ne vois pas d’autre solution que de m’adresser à toi avec franchise aujourd’hui : tu devrais arrêter de boire ; ça ne te réussit pas du tout, et ça devient infernal pour ton entourage. Tu tiens des propos incohérents, tu deviens irascible et menaçante sans raison, bref tu te fais du mal et ça m’embête. verre

Tu m’as ainsi envoyé deux courriers le 9 octobre, le premier m’indiquant que tu m’accordes la remise totale des majorations et pénalités que tu me réclamais indûment depuis des mois, le second m’informant que tu ne peux examiner ma demande de remise, et que j’ai intérêt à payer majorations et pénalités au plus tôt, sinon ça va chauffer pour mon matricule.

Je suis d’autant plus perplexe que j’avais reçu quelques jours auparavant, une « mise en demeure » m’invitant à te régler une autre somme, qui ne correspond à rien de ce dont tu m’avais parlé auparavant, me menaçant d’engager des poursuites « sans nouvel avis, dans les conditions indiquées au verso » en cas de non-paiement dans le mois. Ces conditions indiquées au verso me glacent le sang tu l’imagines et je n’ose pas même les consulter.

Lorsque tu seras à jeûn, peut-être pourrais-tu consulter mon dossier, qui te montrera que tu ne me reproches rien d’autre que ta propre incurie. Tu me réclames en effet des pénalités couvrant la période où tu ignorais superbement mes demandes réitérées, que dis-je mes supplications, pour être immatriculé dans tes augustes registres. En d’autres termes tu voudrais me faire payer tes propres retards. Ce n’est pas bien, ma chère, ça ne se fait pas.

En attendant, je suis bien embarrassé. Dois-je croire ton courrier du 9 octobre ou celui du 9 octobre ? Dois-je me préparer à une saisie sur mon compte en banque ou à une visite d’huissier ? Je suis bien embêté parce que devant un tribunal j’ai peur que ton intempérance ne soit mise à jour. Mais surtout, permets-moi de te le confier, je commence à être fâché contre toi en pensant à mes frères cotisants qui n’ont pas le temps de t’écrire les réponses rigolotes comme je m’emploie à le faire depuis dix-huit mois.

Prends conscience que certains d’entre eux prennent ces « mises en demeure » pour argent comptant, et que tu terrorises ainsi des travailleurs indépendants qui ne comprennent rien à tes incohérences. D’autant que tu ne réponds pas au téléphone – payant qui plus est – ni évidemment aux courriers, même recommandés, sinon par des menaces pré-rédigées. Je ne serais pas surpris que ta coupable désinvolture ne fasse le lit de certaines postures extrémistes sur des esprits faibles et désarmés.

Alors un effort, il y a des consultations contre les addictions au CHU, et pour toi ce doit être gratuit.

Soigne-toi bien,
Philippe

du cliché

baudelaire

« Créer un poncif, c’est le génie, je dois créer un poncif ».

Il n’est pas un feuillet sur ma table de travail où je ne doive, à la première relecture, chasser un cliché, tordre le cou à un lieu commun, écarter un poncif. Il n’est pas un papier livré à certain magazine parisien où le secrétariat de rédaction ne réinjecte un cliché dans ma copie. Méprisé en littérature, le cliché, cette métaphore usée, est, à l’inverse, parfaitement à son aise dans la presse et parfois même recherché. C’est une sorte de matière première pour le journaliste. Il permet d’éclairer une situation en deux coups de cuiller à pot.

poncif

Tout le monde comprend à moindre frais ce qu’est un homme politique qui fait l’autruche, un sportif qui tourne la page, une star que l’on marque à la culotte. Le cliché, qui se renouvelle avec la langue, a, me semble-t-il, un bel avenir. La multiplication des textes courts, dans les échanges numériques notamment, lui fait, de plus en plus la part belle.

Je dois confesser, sans doute par habitude, ou par fainéantise, user et abuser des clichés dans ce type d’échanges. Ils permettent de développer une argumentation en peu de mots, de faire mouche rapidement. Et puis je n’ai pas de mépris pour cette forme d’expression qui a un grand mérite, celui d’être immédiatement intelligible par tous, petits et grands, jeunes et vieux, érudits et incultes. C’est en quelque sorte le plus petit dénominateur commun de la langue. Et quand on s’exprime par écrit c’est une forme de politesse que de respecter son interlocuteur, de ne pas le prendre de haut.

En littérature c’est une autre histoire, l’éditeur honnit le cliché, le pourchasse, lui fait rendre gorge. Et il a évidemment raison. L’idéal est bien sûr, de produire des images singulières, faites maison, tout autant évocatrices : un arbre mal peigné ou une île chevelue. C’est le travail de l’artisan des mots. Mais le génie est peut-être, comme le disait Baudelaire de créer un poncif, une image simple et lumineuse qui sera reprise par tous et courra ensuite la campagne.

Cliché de Charles Baudelaire et écrits posthumes