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En anglais dans le texte

Reçu vendredi la traduction anglaise de l’ouvrage sur les “industries culturelles et créatives” sur lequel je planche depuis le début de l’hiver. Voici un extrait de l’introduction, qui pose justement la question du vocabulaire,  What do « cultural and creative industries » cover exactly? manière de saluer le travail de ce traducteur (ou de cette traductrice) que je ne connais pas, et qui s’est sorti avec une grande habileté des difficultés que pouvaient représenter ce texte. Incroyable, je comprends tout !

grahi creatis nantes

A silent revolution has taken place over the last ten years or so, out of the limelight, in the corridors of industrial wastelands, under unlikely hangars and in the obscure offices of passionate researchers. Artists and engineers, designers and architects, students and hobbyists explore, experiment and above all share their finds and discoveries against the backdrop of technical change and an uninhibited relationship to innovation. For a long time, this discreet fermentation and joyous effervescence were looked upon with an amused or even condescending eye by the economic sphere. Serious people, who build cars or planes, who generate employment and participate in collective prosperity, found it hard to imagine that these likeable performers could, one day, play a leading role in the development of economic activity. Admittedly, they applauded the remarkable success of certain American companies, which, from nowhere, managed to dominate the world market for new technologies in only a few years. Companies who had managed to combine scientific research, design and brainstorming for new uses and industrial applications. They knew the film production industry model, with its cluster logic in Hollywood, that digital pioneers reproduced to create Silicon Valley, but the good old French rationality that has separated training, techniques and industrial production for two centuries, struggled to adhere to this concept. The blooming of technology parks, at the end of the 20th century, reflected a logic based solely on technical efficiency. An engineer is an engineer, a researcher a researcher and an artist an artist. Only maybe architects and designers provide a tenuous link between the aesthetic and technical worlds. And it’s surely not a coincidence that they play a pivotal role today in the quiet revolution which is discreetly spreading in certain French cities.

 What do « cultural and creative industries » cover exactly? It is an expression from the English- speaking world that irks French artists. How can you put together two terms as contradictory as industry and culture? Culture in its classical sense is associated with a unique piece. A work of art in the strict sense – a painting, a sculpture – is, by definition, singular and original. Admittedly, but whilst a literary work, a musical piece or a photograph is singular, the edition of this work and its reproduction in thousands of copies come from an industry. It is the same thing for cinema, which Americans had no qualms from the start about calling an industry, and by extension all audiovisual production. Video games naturally follow the same logic. At the same time original works – requiring the talents of creators and graphic artists – and technological objects, video games were from the start considered as an industry – one which is booming, and employs nearly 25,000 people in France.

However, do performing arts, art handicrafts and intellectual production fall within the scope of industries? No, at first glance, and it would seem more adapted to choose a more open expression, to cover the scope of creation and creative activities. The question was raised for the edition of this first « observatory of the cultural and creative sectors » in the Nantes/Saint-Nazaire metropolis. But choosing a vaguer, less explicit expression leads to a double problem : that of intuitive understanding and especially that of comparison with other creative basins. A common language is a prerequisite to understand the phenomenon and share experiences. Although we will see in the study presentation on creative sectors, that the criteria for selection to Cultural and Creative Industries vary depending on national and local approaches. To decide, we need to go back to etymology and ask the uncontested authority in France : Le Petit Robert dictionary. What does it tell us? : Industry : 1 – Skill for doing something = art. 2 – Skill = ingenuity, invention, know-how.  

Illustration : Blockhaus Y10, île de Nantes, graphi creatis.

effet d’optique

Ne soyons pas trop dépensier en rapprochements historiques. Mais quand même. Une remarque m’a frappé hier lors d’un entretien avec un jeune architecte dans le cadre d’un travail de commande sur ce qu’il est convenu d’appeler les « industries culturelles et créatives ». Ce jeune homme a mis au point, en croisant son savoir-faire d’informaticien, sa fibre artistique et sa formation d’architecte, une technique inédite de sculpture de la lumière qu’il ne cesse de peaufiner. Il a notamment participé à l’habillage le palais du roi de Thaïlande à Bangkok.

Léonard« On en revient à la Renaissance, avant le moment où les sciences et l’art ont divergé. » lâche-t-il timidement. Ce garçon, qui a fait un choix radical après avoir obtenu son diplôme, celui de creuser un sillon singulier, fait partie de cette génération de jeunes gens qui mettent aujourd’hui au point dans les caves, les friches industrielles ou les appartements obscurs, des techniques inédites, des œuvres aujourd’hui inclassables, à la croisée des arts et du numérique.

Cette remarque a résonné avec l’entretien précédent, au cours duquel mon interlocuteur, initiateur d’un “laboratoire des arts et des technologies”, évoquait le changement de logiciel mental dans les cerveaux de la génération qui pointe, nourrie d’écrans, et familière d’outils dont nous découvrons laborieusement les possibilités. « Les ados ont décloisonné les spécialités, et conjuguent naturellement l’écrit, la musique, le son, la video, les arts graphiques avec une facilité déconcertante ».

Je pourrais également évoquer la découverte, au cours de cette enquête, de métiers par moi inconnus, comme les designers sonores, qui planchent sur la texture du son qui sera donné aux voitures électriques, ou évoquer les recherches discrètes qui sont faites pour équiper les cimetières de demain. On pourrait parler de l’arrivée annoncée des imprimantes 3D pour usiner les pièces en carbone des Airbus. Mais là n’est pas le propos.

Pour filer le rapprochement historique, on peut avoir le sentiment que nous ne sommes pas encore outillés pour regarder l’époque avec les bonnes lunettes. La Renaissance est une invention d’historiens. Elle ne se savait pas Renaissance, ne se lisait pas comme telle. La pile électrique a été inventée par Volta sous Bonaparte. Qui s’en préoccupait alors ?

Ce travail de commande est passionnant en ce qu’il met en lumière un mouvement qui se propage à bas bruit, loin des projecteurs de l’actualité. Il est passionnant en ce qu’il réconcilie recherche intuitive, préoccupation esthétique, culture académique (les laboratoires de recherche pluri-disciplinaires se multiplient entre écoles supérieures d’art et de technologie) et ingénierie numérique.

Et nos petits Français, qui sortent des écoles des beaux-arts, d’archi, de design, des écoles d’ingénieurs, nos geeks que l’on moque volontiers, ont une force singulière, celle de disposer – quoi qu’on en dise – d’un fonds culturel rare, de baigner dans un univers qui n’est pas exclusivement mercantile, ce qui leur permet de concevoir des jeux vidéos, des applications numériques, d’imaginer des outils qui conjuguent allègrement esthétique et inventivité technique.

La culture contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile, relève une récente étude, basée sur les données de l’Insee. Edwy Pleynel lors des dernières rencontres de la presse en ligne, se disait persuadé que nous vivions une époque comparable à celle de la découverte de l’imprimerie, dont nous nous sommes incapables de mesurer les conséquences. Ces « industries culturelles et créatives » selon la dénomination du chercheur américain Richard Florida, sont peut-être en train de dessiner une époque qui ne connait pas encore son nom.