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L’atelier de l’éditeur 5

Surprise en préparant le départ pour le salon du livre d’Alençon, les soixante exemplaires commandés par la librairie Le Passage pour la manifestation composent le dernier carton plein de Malais de Magellan. En comptant les trente survivants du précédent carton, il reste donc moins de quatre-vingt dix exemplaires disponibles sur les trois cents imprimés. Il est possible que Le Malais ne passe pas l’été. Ce qui réjouit évidemment l’éditeur.

La bibliothèque d’Alençon (XVIIe). Dessin de Laurent Paturaud pour les journées du patrimoine.

Ce Malais ne sera pas réimprimé. Il a choisi de rester un objet singulier, avec ses qualités et ses défauts. Et son petit côté prototype. Mais il ne restera pas orphelin et s’inscrira dans une fresque plus large, vraisemblablement composée de trois volets. Léonard Cabaret et Louise de Chauvigny n’ont pas dit leur dernier mot. Pour l’heure c’est le temps des retours, des critiques, de l’expression des frustrations… qui sont autant de précieux appuis pour imaginer la suite.

Je suis ravi de retrouver Alençon pour quelques jours, qui plus est dans la magnifique Halle au blé. Et de participer à la mise en lumière des grandes heures de cette ville, à l’époque de Marguerite de Navarre, de Clément Marot et des premiers typographes. Ce n’est pas un hasard si cette ville est restée une cité d’impimeurs, où Poulet Malassis a édité Les Fleurs du Mal, où son imprimés les Goncourt et certains volumes de La Pléiade. Et c’est un authentique plaisir de remonter aux sources de cette longue histoire.

 

 

La Maison du Port ne meurt jamais

Les exigences de la modernité avaient contraint, l’été dernier, la Maison du Port de Lavau-sur-Loire à cesser de servir crêpes et galettes, l’administration française considérant que les spécifications techniques propres à ce genre d’établissement n’étaient pas respectées. Cela ne signifiait pas une condamnation à mort de cette improbable maison plantée au milieu de nulle part en bordure des derniers espaces sauvages de l’estuaire de la Loire, mais cela y ressemblait un peu.

Yseult, la créatrice et propriétaire du lieu a procédé cet hiver à un certain nombre d’aménagements qui glacent l’ambiance dans sa cuisine mais lui permetent de relancer ses billigs*. La carte est certes beaucoup plus restreinte – il faudra se contenter des grands classiques (oeuf jambon fromage, chocolat ou caramel) – mais l’essentiel est préservé : la Maison du port sera ouverte tout l’été. Et propose naurellement un grand choix de livres d’occasion qui font le charme et la singularité de ce lieu où la restauration est lente et les cartes de crédit inutiles.

La maison du port est ouverte les vendredi, samedi, dimanche et jours fériés durant tout l’été. Parfois aussi parce qu’il fait tout simplement beau. Il est judicieux de s’assurer de l’ouverture au 02 40 34 61 73. Le détour par Lavau-sur-Loire (à hauteur de Savenay entre Nantes et Saint-Nazaire) est forcément une bonne idée lorsqu’il y a un rayon de soleil, d’autant que l’observatoire de Tadashi Kawamata, qui permet d’embrasser un panorama exceptionnel au coude de l’estuaire, a lui aussi été restauré.

La photo de la Maison m’a été aimablement fournie par Yseult. La petite animation s’est téléchargée toute seule sur le site d’Estuaire. Les photos sont signées.

*Doit-on écrire billig, billigs ou billigou ? Les bretonnants sont autorisés à donner leur avis.

 

 

 

L’heure de la sortie

Deux productions concoctées ces derniers mois dans cet atelier sortent simultanément ces jours-ci. Un supplément de la revue Place Publique consacré au logement social, et plus précisément à l’histoire de militants catholiques qui ont donné naissance à l’un des grands bailleurs sociaux de l’Ouest de la France, Harmonie Habitat (aujourd’hui intégré au groupe mutualiste Harmonie). Un travail passionnant qui recouvre un demi-siècle et revient sur quelques utopies comme la construction du Sillon de Bretagne, cette immense pyramide qui marque l’entrée nord de Nantes et se posait, lors de sa création au début des années soixante-dix, comme le pendant de la cité radieuse du Corbusier située au sud de la ville.

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Extrait : Il y a eu une période fabuleuse durant les premières années » commente Jean-Robert Pradier, qui fut l’un des deux premiers médecins du cabinet médical « du fait, en premier lieu, d’une véritable mixité sociale » (…) A l’image de la Cité Radieuse, de véritables rues traversent le bâtiment, donnant le sentiment de résider dans une petite ville abritée des regards (…). Mêmes souvenirs enchantés du côté de Gil Gabellec, référent du centre socio-culturel durant de longues années. « Le Sillon était un peu un laboratoire, que ce soit en matière sociale ou culturelle. Il y avait une boutique de droit pour débrouiller les situations difficiles, un lieu de création théâtrale, on organisait des soirées contes dans les appartements, des ateliers cuisine, des sorties. On faisait même une parade dans les couloirs une demi-heure avant les spectacles. Médecins, assistantes sociales, animateurs, aide-ménagères se réunissaient régulièrement. Les gens étaient connus et reconnus ».  Cette grande époque du militantisme, où personne ne compte ses heures, se traduit aussi par des actions de prévention, alors que la situation commence à se dégrader au début des années quatre-vingt. « Professionnels et usagers, on travaillait ensemble sur un thème, comme l’alimentation ou le sommeil chez l’enfant, on faisait un montage audiovisuel, puis on allait le présenter dans les appartements sur le mode des réunions Tupperware.

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Un seul regret, ce petit ouvrage a dû être réalisé (enquête et rédaction) en quelques semaines avant les vacances et eut mérité que je lui consacre un peu plus de temps. Même si ce travail a permis de dresser quelques perspectives, de mieux comprendre comment se réinvente l’habitat social aujourd’hui

 

 

Extrait. L’opération la plus singulière, la plus ambitieuse et probablement la plus porteuse d’enseignements pour l’avenir est sans doute le programme îlink sur l’île de Nantes. Cette initiative de « maîtrise d’usage » est le fruit de la rencontre entre trois des acteurs choisis pour mener à bien un programme de 22 000 m2 au cœur d’un « éco-quartier » qui se dessine entre les Machines de l’île et le hangar à bananes. Trois acteurs atypiques : un aménageur réputé pour sa créativité, Ardissa, une agence spécialisée dans l’accompagnement des projets urbains, Scopic, et un bailleur social Harmonie Habitat. Ces trois acteurs, associés à deux promoteurs privés, Vinci immobilier et Adim Ouest, ont dû se gratter  la tête pour répondre au cahier des charges de la collectivité : assurer une triple mixité de l’îlot,  sociale, fonctionnelle et générationnelle. En d’autres termes comment faire en sorte que des personnes âgées (Harmonie Habitat construit notamment des logements pour les seniors) de jeunes entreprises utilisant des espaces mutualisés en pied d’immeuble, des commerçants, et des nouveaux arrivants ayant choisi de vivre dans cet éco-quartier « au top environnemental » cohabitent harmonieusement dans le temps. « Nous avons vendu un projet, pas un programme » explique Stéphanie Labat « et ce projet va être livré vivant. » De fait, avant même que la première pierre soit posée, les futurs usagers qui le souhaitent sont associés au sein d’une association assurant « la maîtrise d’usage » du programme, pilotée par un jeune ingénieur qui s’est passionné pour le projet Antoine Houël. Ils observent, discutent, proposent, et influent même sur le programme. « L’association, entourée de toutes les parties prenantes du projet, fait émerger des besoins et des idées : le service d’une conciergerie, un espace créatif et culturel, des jardins potagers, un gîte urbain, un espace de coworking… ». Lancée en 2013, cette initiative d’urbanisme participatif, encouragée et soutenue par Harmonie Habitat, qui mettra un logement à disposition de la future « conciergerie », n’est pas seulement un exercice théorique voué à faire mouliner quelques sociologues, c’est une expérience concrète qui s’est traduite dans les faits avant même que la première pierre ne soit posée. Une première « conciergerie » expérimentale est installée à proximité du nouveau quartier et l’association gère un espace de co-working de 530 m2 dans un quartier voisin pour tester son modèle économique. L’équation n’est pas simple à résoudre parce que les occupants des lieux ne sont pas sur le même pied social et il est possible que certaines personnes âgées n’aient pas les moyens de participer au financement de services communs. Il faut trouver des pondérations, inventer des formules à la carte. « Nous sommes dans une logique de péréquation, de répartition des charges pour que tout le monde puisse bénéficier des services. » ajoute Antoine Houël « on s’oriente vers le modèle économique d’une coopérative agricole, qui consiste à ouvrir à la location pour amortir les équipements. » A terme l’association îlink assurera la gestion locative, les services de proximité, l’entretien des communs et l’animation des lieux et fonctionnera avec cinq salariés. « Il est essentiel qu’Harmonie Habitat, qui comprend les logiques d’usage, soit avec nous.  » ajoute le jeune ingénieur depuis sa conciergerie vitrée donnant sur mes Machines de l’île, autour de laquelle poussent déjà quelques légumes bio. « Nous avons eu du mal à convaincre les promoteurs » confirme Stéphanie Labat « qui percevaient cette initiative comme un coup sans lendemain. Nous sommes dans une logique radicalement différente. Il s’agit pour nous de créer du partage et du mélange et de nous inscrire dans le temps.

Nous ne reviendrons pas sur le contenu du guide “S’installer à Saint-Nazaire”, déjà évoqué ici une fois ou deux. Sinon pour dire que j’ai pris un vrai plaisir à faire sauter quelques clichés tenaces qui collent à cette ville attachante. Il est toujours agréable de voir un travail sur lequel on a planché pendant des semaines, voire des mois, prendre forme. Observer comment les photographes ont travaillé, (parfait compagnonnage avec Eric Milteau, avec qui j’avais déjà réalisé un Saint-Nazaire pour les éditions Ouest-France), les maquettistes, l’éditeur. A l’heure où  ces lignes sont écrites je n’ai encore vu aucun des deux ouvrages, je n’en ai pas respiré l’encre, tripoté les pages. lls doivent arriver par la poste cette semaine. Ce sera forcément un moment de satisfaction, mais en général assez court, rapidement suivi par celui de la découverte de l’inévitable première coquille, de la première faute de goût.

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de l’art dans l’espace public

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À l’occasion de la sortie du livre Réenchanteur de ville, Jean Blaise et à quelques jours de l’ouverture de la quatrième édition du Voyage à Nantes, la librairie des Machines de l’île, propose une rencontre informelle sur les années Blaise à Nantes et ailleurs.

librairie les machines

Ce sera l’occasion d’évoquer avec Jean Blaise (directeur du Voyage à Nantes), Philippe Dossal(journaliste, auteur), Eric Chalmel (journaliste et dessinateur de presse), Pierre Orefice (directeur des Machines de l’île) et d’autres leurs regards et impressions sur la culture à Nantes.

Jeudi 25 juin, à partir de 18h30
Librairie-boutique des Machines de l’île

Entrée libre

Couverture livre Philippe Dossal

Réenchanteur de ville, Jean Blaise

Éd. Ateliers Henry Dougier
Collection Le Changement est dans l’R
Auteur : Philippe Dossal

L’histoire de la transformation d’une ville-théâtre hors normes (Nantes), menée par un insatiable agitateur. Alors que certains y voyaient le stéréotype parfait de la ville de province des années 1970 – sombre, grise, industrielle – Jean Blaise a vu, lui, une ville qui avait un fort potentiel et a su la réinventer afin d’en faire l’immense théâtre de manifestations culturelles. Malgré les nombreuses difficultés auxquelles il a été confronté, Jean-Blaise n’a pas hésité à tout remettre en cause. Son apport principal a été l’investissement du culturel dans l’urbain ; il marque alors les débuts de l’art dans l’espace public.

Ebouriffant Markowicz

« Il n’y a qu’en littérature qu’on ne parle pas d’interprétation. En musique on interprète Mozart ou Beethoven, au théâtre Shakespeare ou Tchekov. En littérature, c’est la même chose, chaque traduction est une interprétation». C’est en ces termes – ou à peu près, puisqu’André Markowicz l’a rappelé opportunément, la distance entre le français parlé et le français écrit est assez grande – qu’André Markowicz donc, a répondu ce vendredi 7 novembre à une question posée sur le supposé vieillissement d’une traduction, au terme d’une conférence ébouriffante à la médiathèque de Nantes. En d’autres termes, la question n’a pas grand sens, chaque traduction est une aventure en soi.

markowiczLe traducteur de Dostoïevski pour les éditions Actes Sud a toutefois esquissé une piste pour expliquer l’impression « datée » que peuvent laisser certaines traductions. Selon lui, les traductions d’œuvres étrangères ont longtemps consisté à « rendre en français » des textes écrits dans une autre langue. En essayant de faire entrer une sensibilité, une pensée étrangères dans les clous de notre langue écrite. Or « c’est le chemin inverse qu’il faut emprunter » : c’est à la langue française d’aller chercher dans ses replis la meilleure façon d’exprimer ce que l’auteur a exprimé dans sa propre langue, usant et abusant au besoin des répétitions, ce tabou français. Ce n’est pas simple parce qu’il faut malgré tout respecter la grammaire. « La grammaire c’est le vivre ensemble ».

Prenant un exemple tout simple, il s’est appuyé un instant sur la locution « je ne sais pas ». Il y a des tas de façons de l’exprimer à l’oral en français « je sais pas », « chai pas », « j’en sais rien, moi »… mais une seule à l’écrit. D’autres langues, le russe notamment, autorisent ces nuances. Comment alors faire alors, pour ne pas laisser filtrer une familiarité qui ne ferait pas partie de la proposition originale ? Comment traduire pravda, qui peut contenir à la fois les notions de vérité et de justice, dans telle ou telle circonstance ? André Markowicz, relève, au passage, que le même problème se pose en breton, idiome qu’il maitrise aussi parfaitement, d’évidence.

dosto 2Chaque mot, chaque phrase peut ainsi devenir un casse-tête. Mais André Markowicz, justement, ne se prend pas la tête ; il traduit « comme on conduit une voiture », sans se poser de questions, dégagé des contraintes techniques, parce qu’il a eu la chance de disposer, en Russie, d’un maître en traduction, à la manière d’un instrumentiste qui domestique la technique aux côtés d’un maître de musique. « C’est peut-être ce qui a longtemps manqué en France, une véritable école de la traduction. »

Au-delà des questions techniques, évidemment, il a principalement été question de Dostoïevski, mais aussi de Gogol, l’écrivain qui peut écrire « les malades guérissent comme des mouches » et de Pouchkine. A propos Crime et châtiment « ce livre où tout pue, mais où le mot odeur ne doit pas apparaître une fois » Markowicz a proposé, un décryptage singulier. Les trois piliers en sont, selon lui « le poids, la puanteur et le pas », ajoutant que ce roman nous parle de résurrection, ce qui est extrêmement difficile à rendre parce qu’en français, par définition, on ne peut pas parler de Dieu. Enfin, entendons-nous.

Bref, une conférence ébouriffante, qui donne une furieuse envie de relire Dosto, mais cette fois dans la traduction de Marko, chez Actes Sud.

Photo extraite du blog “Les amis de Paris Saint-Petersbourg”. DR

à la recherche du festival disparu

Elégant et sobre, “Atlantide “, le nouveau festival des littératures de Nantes, qui aura lieu du vendredi 31 mai au dimanche 2 juin, vient de lever le voile sur sa programmation. Il y aura indéniablement du beau linge autour d’Alberto Manguel, le directeur artistique de la manifestation, notamment Ismaïl Kadare et Antonio Lobo Antunes. Voilà qui envoie du bois.

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Les organisateurs, au premier rang desquels Le Lieu Unique, n’ont pas pris de risque inconsidéré pour cette première édition à gros budget , qui a pour thème “Les mythes dans le temps présent”. Il y aura peu de débats et les quelques rencontres seront animées par de grosses pointures, parmi lesquelles Laure Adler et William Irigoyen. Ce thème a été choisi dans la logique du titre de la manifestation “Atlantide”, lequel fleure un peu la trouvaille marketing, dans la lignée de l’image internationale de la ville : tout ce qui se crée désormais en Loire-Inférieure est placé sous la bannière de l’Atlantique. Cela confère à l’évènement un parfum d’embruns et d’aventure qui peut chatouiller l’imaginaire de l’exo-lecteur.

Mais ne faisons pas de mauvais esprit. Alberto Manguel, qui fut le lecteur de José-Luis Borgès, est, dans cet atelier, une icône intouchable. Et puis la plus belle maison d’édition nantaise ne porte-t-elle pas le doux nom d’Atalante ? En outre le programme, par sa sobriété son intelligence, a de quoi réjouir le lecteur le plus exigeant. Seront notamment présents Rachid Boudjedra, Laurent Gaudé et Patrick Deville. On y trouvera, par ailleurs, un marché de livres anciens et d’occasion qui se déploiera sur l’allée de bois entre le Lieu unique et la Cité des congrès, tenu par mes chers amis du Mardi du livre. Et puis la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs de Saint-Nazaire ainsi que mon éditeur nantais, le Petit Véhicule, seront de la partie.

Tout cela va me faire regretter une coupable absence ce dernier week-end de mai, durant lequel je serai à Montpellier, pour l’assemblée générale du groupe d’intérêt agricole de ma copine vigneronne-auteur, Catherine. On ne peut pas être partout. Mais nul doute qu’une bonne âme se dévouera pour nous en révéler les bons moments.