Archives de catégorie : Humeurs

de l’eau chaude, de l’eau chaude !

En 1989, les manifestants roumains qui ont précipité la chute de Ceaucescu criaient « de l’eau chaude, de l’eau chaude ! » aux policiers qui les arrosaient avec des canons à eau. Les Roumains, rois de l’absurde devant l’éternel, souffraient alors du manque de chauffage et d’eau chaude. Ils avaient également accroché des poires sur les platanes pour répondre au dictateur, lequel avait annoncé qu’il quitterait le pouvoir quand les platanes donneraient des poires.

 A Nantes, en 1984, lors des grandes manifestations pour l’école privée, les activistes du Hou (hors d’œuvres universitaires) avaient déroulé une banderole sur les remparts du château « Dieu n’existe pas, rentrez chez vous ». 

Quelques années plus tôt, en 1982 votre serviteur s’était livré aux carabiniers, à Comiso en Sicile, grossièrement déguisé en espion soviétique après avoir dessiné le chantier de la base de missiles Cruisers américains en construction. L’objectif, atteint, était de faire libérer un militant pacifiste français accusé d’espionnage. 

C’était l’époque de Coluche de de Desproges, de Hara Kiri, de la Gueule ouverte et d’Actuel. Le militantisme était non violent, joyeux, débridé, inventif. On était pourtant en pleine guerre froide et les journaux télés n’étaient pas plus optimistes qu’aujourd’hui, au regard de la surenchère nucléaire à laquelle se livraient Américains et Soviétiques, avec l’Europe comme terrain de jeu.

Que s’est-il passé pour que la violence apparaisse aujourd’hui comme le seul moyen d’expression populaire. Que nous vaut cette redoutable régression. Ou plutôt cette absence d’imagination. Il faut malheureusement constater qu’une forme de lobotomisation a gagné les esprits, semble-t-il anesthésiés par le culte de la consommation. En témoigne le contenu des revendications et notamment l’antienne du « pouvoir d’achat » cette expression passionnante à décortiquer. Aujourd’hui on ne manifeste plus pour sa liberté mais pour sa propre aliénation, pour pouvoir engraisser un peu plus le dieu supermarché, alors que chaque individu produit chaque année 300 kilos de déchets. Tout cela est assez déroutant, et peut plonger dans des abîmes de perplexité. 

Le pouvoir actuel semble avoir décidé de jouer avec cette violence ridicule et improductive. On assiste donc, depuis un an, à un ballet hebdomadaire de lancé de pavés et de grenades, de dégradation de biens publics et de blessures idiotes. Sans même l’espoir d’un grand soir puisque le dieu des supermarchés est, par nature, insatiable. On le verra bientôt avec les tonnes de chocolats et de gadgets made in China qui vont envahir les rayons pour Noël, l’orgie annuelle à venir. La question est évidemment ailleurs mais tout le monde semble se satisfaire de cet aveuglement collectif. Sauf peut-être quelques jeunes gens qui, dans les angles morts de la représentation publique, oeuvrent à bas bruit, bien souvent à la campagne, pour préparer une société plus sobre, plus respectueuse, plus fraternelle et plus inventive. Dans un pays un peu perdu, où l’on ne mesure plus que l’eau chaude est un bien précieux, dont la moitié de la planète ne profite pas et qui n’est pas acquis pour l’éternité.

Le coup de chalumeau dans les vignes du Midi n’est pas une calamité agricole

par Catherine Bernard

Je suis vigneronne.  Je n’écris pas en qualité de vigneronne.  Je n’écris pas non plus en qualité de vigneronne victime d’une calamité agricole, d’une catastrophe naturelle ou d’un accident climatique. Ce qui s’est produit dans les vignes du Gard et de l’Hérault vendredi 29 juin, est d’une tout autre nature, d’un tout ordre, ou plus exactement d’un tout autre désordre. 

photo : Buveur de vin

J’écris en qualité de témoin du changement climatique à l’œuvre, qui est en fait un bouleversement, qui ne concerne pas ici des vignerons, là des arboriculteurs, hier des pêcheurs, demain des Parisiens asphyxiés, mais bien tous, citadins ou ruraux, habitants du Sud comme du Nord, de l’Ouest, ou de l’Est. 

J’écris en qualité d’hôte de la terre. Nous sommes chacun, individuellement, interdépendants les uns des autres. 

J’étais vendredi matin dans les vignes pour faire un tour d’inspection des troupes et ramasser des abricots dans la haie de fruitiers que j’ai plantée en 2010 entre les terret et les cinsault. Il faisait déjà très chaud. Je ne sais pas combien, je ne veux pas ouvrir le livre des records. Je suis rentrée au frais, et je me suis plongée dans la lecture d’un livre passionnant, La vigne et ses plantes compagnesde Léa et Yves Darricau. J’ai repoussé la plantation de 30 ares de vignes à l’origine programmée pour cette année, à plus tard, à quand je saurai comment et quoi planter. Je cherche. A 18 heures, Laurent, mon voisin de vignes avec qui je fais de l’entraide, m’appelle : 

  • Là-haut à Pioch Long, les syrah sont brûlées.
  • Comment ça brûlées ?
  • Oui, brûlées, les feuilles, les raisins, comme si on les avait passé au chalumeau. 

J’ai pris ma voiture, et je suis allée dans les vignes. Quand j’ai vu à La Carbonelle, les grenaches, feuilles et grappes brûlées, grillées, par zones, sur la pente du coteau exposée sud-ouest, je n’ai pas pensé à la perte de la récolte. J’ai vu que certaines étaient mortes, que d’autres ne survivraient pas. Il faisait encore très très chaud et j’ai été parcourue de frissons. La pensée m’a traversée que c’était là l’annonce de la fin de l’ère climatique que nous connaissons, la manifestation de la limite de l’hospitalité de la terre. Puis je suis passée sur le plateau de Saint-Christol, là où depuis le XIIème siècle l’homme a planté des vignes pour qu’elles bénéficient pleinement des bienfaits du soleil et du vent. Et là, à droite, à gauche, j’ai vu des parcelles de vignes brûlées, grillées dans leur quasi totalité.

Il y aura des voix, celles des porte-parole des vignerons, chambre d’agriculture, représentants des AOC, et c’est leur rôle, pour évaluer les pertes de récolte, la mortalité des ceps, et demander des indemnisations.   

Il y aura les voix invalidantes de la culpabilité, celle des gestes que l’on a faits dans la vigne les jours précédents et que l’on n’aurait peut-être pas dû faire, ou ceux que l’on n’a pas faits et que l’on aurait dû faire. Et si j’aurais su…. A ceux-là, je réponds, les si n’aiment pas les rais.  

Il y aura des voix pour dire qu’à cela ne tienne, on va généraliser l’irrigation, et si cela ne suffit pas, eh bien on plantera des vignes, plus haut dans le Nord, ailleurs. Peut-être même y en aura-t-il pour s’en réjouir. A ceux-là, je réponds qu’ils sont, au mieux des autruches, au pire des cyniques absolus et immoraux, dans les deux cas des abrutis aveugles. 

Ce qui s’est produit ce vendredi 29 juin dans les vignes du Midi, est un avertissement, un carton rouge. Ce n’est pas seulement les conséquences d’un phénomène caniculaire isolé doublé d’un vent brûlant, mais la résultante de trois années successives de stress hydrique causé par des chaleurs intenses et de longues périodes de sécheresse qui, année après année, comme nous prenons chaque année des rides, ont affaibli les vignes, touchant ce vendredi 29 juin, celles qui étaient plantées dans ce qui était jusqu’alors considéré comme les meilleurs terroirs. C’est aussi la résultante d’un demi-siècle de pratiques anagronomiques

La Carbonelle est plantée de vignes depuis 1578. C’est un mamelon en forme de parallélogramme bien exposé au vent et soleil. Ce qui s’est passé le 29 juin, dit que l’ordre des choses s’est littéralement inversé. Le vent et soleil ne sont plus des alliés de l’homme. La solution de l’irrigation est la prolongation d’un défi prométhéen. On se souviendra qu’il lui arrive quelques bricoles à Prométhée. Cela dit aussi que le changement va plus vite que la science agronomique et ses recherches appliquées, cela nous précipite dans un inconnu. Il nous faut radicalement changer notre rapport à la terre, ne plus nous en considérer comme des maîtres, mais des hôtes, que l’on soit paysan ou citadin. 

Ceux qui voudraient circonscrire à la viticulture du Midi ce qui s’est produit le 29 juin s’illusionnent. Le phylloxéra a été identifié en 1868 à Pujaud dans le Gard. Les vignerons des autres régions ont cru ou feint de croire qu’ils seraient épargnés. En 1880, le puceron avait éradiqué la totalité du vignoble français, et gagné toute l’Europe. Le phylloxéra était lui-même la « récompense » de notre quête du mieux, du plus. Il a été à l’origine de la seule grande émigration française et d’une reconstruction du vignoble qui a profondément changé l’équilibre même de la vigne. Nous en sommes les héritiers directs. 

Ceux qui voudraient circonscrire le phénomène à la viticulture se dupent aussi. La vigne  nous accompagne, sur notre territoire, depuis plus de deux millénaires,  et l’homme depuis plus de 6 000 ans. Sa culture est tout à la fois un pilier et un symbole de notre civilisation. Si la vigne n’a plus sa place dans le Midi, l’homme ne l’aura pas davantage car le soleil et le vent seront brûlure sur sa peau.  

Nous, vignerons, devons en tout premier lieu renouer avec la dimension métaphysique de notre lien à la terre et alors, nous pourrons changer radicalement nos pratiques.  Mais il faudra autant de temps pour retricoter  ce que nous avons détricoté. L’œuvre elle-même est vaine si par ailleurs, nous, vous, moi continuons à prendre l’avion comme nous allons promener le chien, goûtons aux fruits exotiques comme si on les cueillait sur l’arbre, mettons la capsule dans la machine à café comme un timbre sur une lettre, ainsi de suite. Ce que les vignes disent, c’est que notre civilisation elle-même est menacée. 

Les abeilles l’ont aussi dit, avant la vigne. Mais nous ne les avons pas entendues. 

Catherine Bernard

Comme des guêpes dans une bouteille

Toutes les lectures imaginables du conflit qui agite le pays ont été évoquées ces dernières semaines, exceptée, me semble-t-il, la principale : celle du vertige provoqué par l’impasse du modèle consumériste.

Les objets du bonheur

Baudrillard propose, au début de La société de consommation, une excellente image. Il note que certaines populations mélanésiennes, après avoir observé les blancs sur les îles voisines, alignaient la nuit des lumières sur leur île pour attirer les avions, ces gros papillons de métal. De la même façon les consommateurs contemporains  posent autour d’eux les objets du bonheur et attendent que le bonheur se pose. Hélas, pas plus qu’en Mélanésie cela ne fonctionne. Le consommateur occidental, encouragé par une industrie à créer du désir d’une redoutable efficacité – la publicité – a donc été condamné à acquérir de plus en plus d’objets. Cette course effrénée a plus ou moins bien fonctionné pendant quelques décennies.

 

L’erreur de l’industrie du désir

L’erreur de l’industrie du désir a sans doute été d’aliéner la dernière liberté du consommateur, celle de décider s’il sortait ou non son portefeuille pour s’accorder telle ou telle fantaisie. La généralisation de la ponction directe sur le compte en banque par les fournisseurs d’objets, de services et de loisirs, a réduit progressivement, la marge de manoeuvre du consommateur, qui, ajoutée à la stagnation de son revenu depuis une dizaine d’années, lui a donné l’impression qu’il ne maitrisait plus rien, si tant est qu’il ait jamais maîtrisé quelque chose. D’où la colère sourde qui l’agite. On notera d’ailleurs avec intérêt que ce ne sont pas les petites voitures qui affichent le plus volontiers des gilets jaunes derrière le pare-brise, mais des véhicules qui entendent afficher un certain standing social.

Comme une guêpe dans une bouteille

Le consommateur s’est donc révolté en enfilant un gilet jaune. Et s’en est pris au pouvoir politique, accusé de favoriser les méchants riches (on notera au passage que le désir ultime de ces gentils est de devenir méchants). Le pouvoir, surpris, a lâché ce qu’il pouvait sur le coût du fluide d’existence, le pétrole, qui permet au consommateur contemporain d’aller et venir sans contrainte apparente. Et depuis lors ce dernier tourne en rond comme une guêpe dans une bouteille. Il se cogne contre les parois, s’énerve, insulte, invective, mais refuse de se poser deux minutes pour observer son environnement et débusquer la sortie. Ce goulot est étroit effectivement,  mais il existe. il demande un petit effort d’imagination pour s’extraire du bain collant dans lequel il s’est peu à peu englué. Le premier pas est sans doute d’éteindre la télévision. Mais on peut aussi continuer à patauger allègrement dans la glue.




Le grand retour du contrôle social

Le bénéfice d’une vie privée placée à l’abri du regard du voisin n’aura finalement duré qu’un petit demi-siècle, grosso modo la seconde moitié du XXème. Juste une petite fenêtre de l’Histoire, entre le contrôle social millénaire opéré par la famille, la tribu, le coiffeur ou le curé, durant laquelle tout le monde savait à peu près tout sur tout le monde, et le contrôle social virtuel qui est en train d’enfoncer les barrières érigées par la reconnaissance d’un droit à la protection de la vie privée.

illustration : ukhumanrigthsblog

C’est une donnée nouvelle que nous n’avons pas encore totalement intégré. Sans doute parce que pour l’heure, ce sont principalement des personnalités publiques qui en font les frais (validant au passage la sentence de Montaigne « Plus un singe monte haut, plus on voit son derrière »). Mais personne ou presque n’est désormais à l’abri, pas même celles et ceux qui se gardent de s’épancher sur la toile. Aujourd’hui le système de reconnaissance faciale de facebook est capable d’identifier quelqu’un qui n’a pas de compte, qui n’a jamais mis les pieds sur le réseau. Certaines démarches étant désormais obligatoires en ligne, tout le monde ou presque est exposé.

Le problème du moment est, me semble-t-il, que nous ne sommes pas psychologiquement outillés pour réagir avec sérénité face aux dérapages ou pseudos dérapages qui sont exposés sans filtre sur la place publique. Le contrôle social passé avait généré un système de temporisation, de médiation, qui permettait, au besoin, d’amortir les chocs, de contextualiser, de relativiser. Les déclarations stupides d’un ado, un larcin, une relation adultère… disons les écarts à la morale dominante faisaient l’objet d’un traitement à leur mesure. Les crimes et les délits étaient traités par la justice.

Tous ces filtres, toutes ces protections ont sauté avec la rapidité des échanges, leur viralité et surtout l’absence de modération sur la planète numérique. Tout un chacun peut se retrouver exposé, à son corps défendant, sur les écrans de la terre entière sans avoir eu le temps de réaliser ce qui lui arrive. Sur l’autre versant, tout un chacun peut formuler des jugements définitifs sur le comportement réel ou supposé de tel ou tel contemporain, le calomnier sans état d’âme au nom de sa propre lecture de la morale ou de la justice. Entre le tweet et le tribunal plus de milieu, plus de temporisation. Il va falloir nous y habituer avant qu’une nouvelle forme de pondération voie le jour. Et adapter progressivement notre logiciel mental. Ce n’est pas gagné.




NDDL : les paysans tentent de congédier leurs mercenaires

« Le tissu social est déchiré pour quarante ans » relevait en 2012 le conseiller général de Notre-Dame-des-Landes lors de la tentative d’évacuation du site. C’était sans doute un peu exagéré, mais il était évident que, quel que soit le scénario de sortie de crise, les choses n’allaient pas se régler d’un coup de baguette magique. Le refus de libérer la RD281 par les zadistes les plus radicaux, qui ont fait office pendant des années de bras armé de la contestation en témoigne s’il était besoin.

illustration Frap, by courtesy

Et il est difficile de les accabler, ces braves anars, qui n’ont jamais caché leur motivation « Non à l’aéroport et à son monde » ni nié le recours à l’intimidation et à la violence et comme moyen de lutte. Leur soutien guerrier lors des manifestations contestant le projet a été, sans nul doute déterminant pour faire reculer le pouvoir, tétanisé par la peur de provoquer un drame. Ces zadistes,  venus parfois de très loin, se sont donc installés sur les lieux, enchantés de disposer d’un terrain de jeu échappant à tout contrôle, de coloniser un El Dorado où la notion de propriété avait totalement disparu.

Et voilà qu’aujourd’hui les opposants fréquentables, agriculteurs conventionnels et gentils écolos, considérant qu’ils ont obtenu gain de cause, négocient avec l’Etat pour enclencher un retour à la normale. Il est désormais l’heure, à leurs yeux, de procéder à la répartition de ces terres si âprement défendues entre gens de bonne compagnie. Chacun devant faire un pas pour sortir de cette crise interminable.

« Tot tot » leur répondent les anars, il n’est pas question de dégager, nous sommes ici chez nous et il faudra nous déloger par la force des baïonnettes. Les négociations entamées depuis l’annonce de l’abandon du projet ont subi échec sur échec. Les zadistes s’accrochent à leur route comme des berniques à leur rocher. Ils ont, qui plus est, un discours articulé et cohérent : http://zad.nadir.org/spip.php?article5106

C’est ce qu’ont sans doute sous-estimé les opposants historiques, en premier lieu l’Acipa, se disant qu’ils se débrouilleraient bien le moment venu pour se débarrasser de ces mercenaires, de les reconduire gentiment aux frontières de la Zad. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à s’appuyer, sans état d’âme apparent, sur la maréchaussée comme le rapporte Ouest-France du 3 février (p 4) « Si ces anars continuent, il faudra en passer par une journée de gaz lacrimogènes. Les tracteurs ne protègeront pas cette bande là ».

Pas certain que cela suffise. Il est possible qu’on ne fasse pas impunément appel à la violence sans qu’elle ne se retourne un jour ou l’autre contre ses commanditaires. C’est la loi du genre. Les opposants se divisent désormais en deux camps clairement distincts. Les « non à l’aéroport » et les « non à son monde ». Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. La manifestation nationale du 10 février pour fêter la victoire sera intéressante à observer de ce point de vue. La préfète doit être bien embarrassée. Doit-elle faire donner la troupe pour tenter de nettoyer le terrain avant la ruée. Ou préfèrera-t-elle laisser les zadistes laver leur linge sale en famille, au risque de voir les irréductibles renforcés par des troupes fraîches ? La saison 3 ne fait peut-être que commencer.

 

 




Changer de moteur

J’ai pris la mesure de la puissance de notre instinct grégaire lors de ma seule (et mémorable) expérience de commerçant, durant six ans, comme bouquiniste. J’ai alors compris à quel point le fait de créer, puis de respecter les habitudes des clients est capital pour faire des affaires. Donner des lieux, des points de repères, des marques, des jours, des chemins tracés est au moins aussi important que la qualité de la marchandise (la came diraient mes amis) proposée.

C’est pour cela que l’on revend des fonds de commerce, des clientèles, toutes choses immatérielles, ce qui pourrait paraître idiot. En fait on vend des habitudes. De la même façon nous pouvons nous interroger sur notre fidélité à telle marque, telle boutique, alors qu’elles ont maintes et maintes fois changé de main, parfois radicalement modifié leur philosophie.

Notre façon de naviguer sur internet n’échappe pas à cette logique de chemins tracés, de sites habituels, de rituels quotidiens. Je connaissais ainsi depuis belle lurette le moteur de recherche Qwant, plein de qualités, de conception française, ne traçant pas ses utilisateurs, je l’avais essayé mais j’en restais à mon bon vieux google. Essentiellement par fainéantise.

Une annonce vient opportunément de me rafraîchir la mémoire et j’ai décidé de l’utiliser avec l’un des deux navigateurs que j’utilise régulièrement (en l’occurrence firefox). Et pour me contraindre à modifier mes habitudes, j’ai gravé Qwant dans le marbre de la barre de favoris après avoir viré google. L’idée n’est pas ici de faire de la pub pour un moteur plutôt qu’un autre, mais de témoigner du fait qu’un éclair d’énergie passagère peut parfois nous désengluer du marais de redoutables habitudes contre lesquelles nous pestons régulièrement.

Bonne semaine




avant l’obsolescence programmée

Il y avait une vie avant l’obsolescence programmée. Je viens d’en avoir la délicieuse confirmation en recomposant une chaîne haute fidélité des années soixante dix, qui me ravit chaque matin en autorisant un réglage ultra-précis de la radio grâce au tuner à aiguilles, et en permanence grâce à la rondeur et la clarté du son délivrée par l’ampli.  Les colonnes Cabasse y sont certes pour quelque chose mais le précédent matériel, pourtant griffé de marques prestigieuses (Marantz, Technics), ne permettait pas d’obtenir l’incomparable moëleux de ces vieux clous et surtout ne dissociait quasiment pas la stéréo.

C’est tout à fait par hasard que j’ai acquis au cours de l’été le tuner Kenwood à aiguilles, sur un vide-grenier. 5€, le risque n’était pas très grand et le vendeur était affirmatif et convaincant : il fonctionnait, selon lui, parfaitement, ce qui s’est vérifié de façon spectaculaire. Je ne supportais plus le tuner électronique précédent qui ne comprenait pas l’extrême sensibilité de la modulation de fréquence (FM) et les incidences de la météo. Seul l’aiguille d’un bon vieux vu-mètre permet d’opérer un réglage au petit poil. Restait ensuite à trouver un ampli à la hauteur du tuner. Celui en service, noir comme la nuit, aux commandes illisibles, n’avait plus de balance et de grosses faiblesses sur un des canaux.

Les dieux étaient de bonne humeur cet été puisqu’ils m’ont permis de découvrir, quelques jours plus tard, une boutique extraordinaire, près de l’ancienne prison de Nantes, justement spécialisée dans la réparation et la revente de matériels “vintage” comme on dit maintenant “Comme à la radio”. Il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver mon bonheur dans cette caverne bourrée de madeleines métalliques pour les garçons de mon âge. Le vendeur, un fêlé de matériel de l’époque, et forcément de disques vinyles, a eu la gentillesse d’ouvrir la bête, pour me montrer l’état des composants et leur passer un petit coup de bombe, état nickel chrome malgré les quarante ans d’âge de l’objet.

Ne me reste plus maintenant qu’à retrouver une platine et remettre en circuit la paquet de vinyles qui dort au grenier. Ce sera pour une prochaine fois. Bonne semaine.




L’heure de la rentrée

L’un des habits qu’il me faut endosser cette année pour la rentrée est celui de correspondant local du quotidien Ouest-France. C’est assez plaisant, plutôt sympa et pas trop compliqué, mais cela demande toutefois de conjuguer des exercices forts différents, entre le décryptage des politiques publiques pour le lecteur averti et pointilleux de Courriercab, une dose rituelle de bons vieux clichés pour quelque grand magazine parisien et la chronique de la rentrée scolaire pour la locale du journal.

Mais c’est somme toute assez complémentaire. On est plus affûté avec le cabinet d’un ministère quand on peut le titiller sur les retombées concrètes des mesures concoctées dans un bureau aveugle. La géographie n’est pas la même sur une carte – lorsque l’on décide par exemple que la responsabilité de l’eau sera confiée aux intercommunalités – et dans la vraie vie, où le débit de l’eau se moque des frontières administratives mais son conforme au relief, aux bassins versants. Toutes choses auquelles il est parfois difficile de penser depuis Paris et qui font souvent enrager les responsables de collectivités. Mais passons.

Le grand bénéfice (et la grande responsabilité parce que c’est à double tranchant) du statut de correspondant du journal est celui d’être subitement élevé au rang de notable. Rien à voir avec celui d’obscur journaliste pour la presse nationale ou d’auteur de bouquins. D’intello un peu excentrique. Votre regard sur l’environnement prend désormais une toute autre valeur. Il acquiert une sorte de pouvoir symbolique qui l’autorise, croit-on, à juger ce qui a un intérêt et ce qui n’en a pas. C’est évidemment un leurre parce que les contraintes sont multiples, de forme comme de fond, et qu’on ne décide pas de grand chose au bout du compte.

Cette semaine par exemple c’est la rentrée scolaire et la préparation de les journées du patrimoine. Autant de bons vieux marroniers. Mais mine de rien, je vais pouvoir vérifier sur le terrain si cette histoire de 12 élèves par classse en CP se vérifie. Il faut que je me dépêche mon cartable n’est pas prêt. Bonne semaine.




La Maison du Port ne meurt jamais

Les exigences de la modernité avaient contraint, l’été dernier, la Maison du Port de Lavau-sur-Loire à cesser de servir crêpes et galettes, l’administration française considérant que les spécifications techniques propres à ce genre d’établissement n’étaient pas respectées. Cela ne signifiait pas une condamnation à mort de cette improbable maison plantée au milieu de nulle part en bordure des derniers espaces sauvages de l’estuaire de la Loire, mais cela y ressemblait un peu.

Yseult, la créatrice et propriétaire du lieu a procédé cet hiver à un certain nombre d’aménagements qui glacent l’ambiance dans sa cuisine mais lui permetent de relancer ses billigs*. La carte est certes beaucoup plus restreinte – il faudra se contenter des grands classiques (oeuf jambon fromage, chocolat ou caramel) – mais l’essentiel est préservé : la Maison du port sera ouverte tout l’été. Et propose naurellement un grand choix de livres d’occasion qui font le charme et la singularité de ce lieu où la restauration est lente et les cartes de crédit inutiles.

La maison du port est ouverte les vendredi, samedi, dimanche et jours fériés durant tout l’été. Parfois aussi parce qu’il fait tout simplement beau. Il est judicieux de s’assurer de l’ouverture au 02 40 34 61 73. Le détour par Lavau-sur-Loire (à hauteur de Savenay entre Nantes et Saint-Nazaire) est forcément une bonne idée lorsqu’il y a un rayon de soleil, d’autant que l’observatoire de Tadashi Kawamata, qui permet d’embrasser un panorama exceptionnel au coude de l’estuaire, a lui aussi été restauré.

La photo de la Maison m’a été aimablement fournie par Yseult. La petite animation s’est téléchargée toute seule sur le site d’Estuaire. Les photos sont signées.

*Doit-on écrire billig, billigs ou billigou ? Les bretonnants sont autorisés à donner leur avis.