En 1989, les manifestants roumains qui ont précipité la chute de Ceaucescu criaient « de l’eau chaude, de l’eau chaude ! » aux policiers qui les arrosaient avec des canons à eau. Les Roumains, rois de l’absurde devant l’éternel, souffraient alors du manque de chauffage et d’eau chaude. Ils avaient également accroché des poires sur les platanes pour répondre au dictateur, lequel avait annoncé qu’il quitterait le pouvoir quand les platanes donneraient des poires.
A Nantes, en 1984, lors des grandes manifestations pour l’école privée, les activistes du Hou (hors d’œuvres universitaires) avaient déroulé une banderole sur les remparts du château « Dieu n’existe pas, rentrez chez vous ».
Quelques années plus tôt, en 1982 votre serviteur s’était livré aux carabiniers, à Comiso en Sicile, grossièrement déguisé en espion soviétique après avoir dessiné le chantier de la base de missiles Cruisers américains en construction. L’objectif, atteint, était de faire libérer un militant pacifiste français accusé d’espionnage.
C’était l’époque de Coluche de de Desproges, de Hara Kiri, de la Gueule ouverte et d’Actuel. Le militantisme était non violent, joyeux, débridé, inventif. On était pourtant en pleine guerre froide et les journaux télés n’étaient pas plus optimistes qu’aujourd’hui, au regard de la surenchère nucléaire à laquelle se livraient Américains et Soviétiques, avec l’Europe comme terrain de jeu.
Que s’est-il passé pour que la violence apparaisse aujourd’hui comme le seul moyen d’expression populaire. Que nous vaut cette redoutable régression. Ou plutôt cette absence d’imagination. Il faut malheureusement constater qu’une forme de lobotomisation a gagné les esprits, semble-t-il anesthésiés par le culte de la consommation. En témoigne le contenu des revendications et notamment l’antienne du « pouvoir d’achat » cette expression passionnante à décortiquer. Aujourd’hui on ne manifeste plus pour sa liberté mais pour sa propre aliénation, pour pouvoir engraisser un peu plus le dieu supermarché, alors que chaque individu produit chaque année 300 kilos de déchets. Tout cela est assez déroutant, et peut plonger dans des abîmes de perplexité.
Le pouvoir actuel semble avoir décidé de jouer avec cette violence ridicule et improductive. On assiste donc, depuis un an, à un ballet hebdomadaire de lancé de pavés et de grenades, de dégradation de biens publics et de blessures idiotes. Sans même l’espoir d’un grand soir puisque le dieu des supermarchés est, par nature, insatiable. On le verra bientôt avec les tonnes de chocolats et de gadgets made in China qui vont envahir les rayons pour Noël, l’orgie annuelle à venir. La question est évidemment ailleurs mais tout le monde semble se satisfaire de cet aveuglement collectif. Sauf peut-être quelques jeunes gens qui, dans les angles morts de la représentation publique, oeuvrent à bas bruit, bien souvent à la campagne, pour préparer une société plus sobre, plus respectueuse, plus fraternelle et plus inventive. Dans un pays un peu perdu, où l’on ne mesure plus que l’eau chaude est un bien précieux, dont la moitié de la planète ne profite pas et qui n’est pas acquis pour l’éternité.