L’idée est mais excellente, la mise en oeuvre habile et l’objet va vraisemblablement devenir un pilier de toute bibliothèque d’honnête homme. L’Histoire mondiale de la France, dirigée par Patrick Boucheron, n’est pas pour autant un livre qui déchaine l’enthousiasme. C’est une somme nécessaire, une promenade dans les couloirs de l’histoire de France à la lumière des dates qui ont construit la mythologie nationale au XIXème siècle, et de celles, plus intéressantes, négligées par l’historiographie officielle.
Déclinons un peu. Parcourir l’Histoire au rythme des dates n’est pas seulement un plaisir d’enfant, une aide précieuse pour se repérer sur l’échelle du temps. Une date est un temps d’arrêt qui permet de brosser un tableau, de donner chair à des personnages. Et de ce point de vue l’exercice est plutôt réussi. On voit Louis IX mourir à Carthage et l’on comprend comment et pourquoi il va devenir Saint-Louis. Mais cette promenade est surtout précieuse pour les moments, les dates passés sous silence pour l’Histoire patentée, faute d’intérêt pour le roman national construit pra Michelet ou plus simplement faute d’éléments mis à jour depuis lors. On relève ainsi que Carnac est aujourd’hui, grâce à ses alignements, considéré comme l’un des centres européens de la civilisation au Ve millinaire avant J-C. “Tout se passe comme s’il existait durant le Ve millénaire avant J-C. une opposition entre une Europe du jade à l’Ouest, avec Carnac comme épicentre, et une Europe du cuivre et de l’or à l’est, avec Varna en Bulgarie comme point focal.”
C’est en lisant ce type de notice que l’on mesure à quel point l’iconographie fait bigrement défaut dans l’ouvrage. Les quelques gravures monochromes qui rythment les chapitres ne suffisent pas à chasser la frustration. Le minimalisme administratif de la maquette ajoute à la froideur de l’ob jet qui manque totalement de charme. Ah le plaisir d’un bon Magellan magistralement édité par Chandeigne !
Colomb, Vasco de Gama, Cortès, Magellan… L’Histoire mondiale de la France ne fait pas l’impasse sur ce grand ratage de la France au tournant du XVIe siècle. L’article “1494, Charles VIII descend en Itale et rate le monde” remet bien les choses en perspective à l’heure ou l’Espagne et le Portugal se partagent la planète. Et même si Michelet considère que cette descente en Italie est décisive pour l’histoire de l’Europe, parce qu’elle donne le coup d’envoi à la Renaissance, il n’en reste pas moins que la France passe à ce moment à côté des grandes découvertes.
C’est ce type d’approche qui justifie pleinement le titre de l’ouvrage. Chaque date, chaque tableau permet de réinsérer l’histoire hexagonale dans le grand courant de l’histoire mondiale. et c’est assez plaisant, on apprend évidemment plein de choses. On comprend que la querelle territoriale avec l’Islam ne date non seulement pas d’hier mais que quelque part elle structure notre rapport à l’espace et à l’imaginaire européen. On note à ce propos qu’il ne s’est rien passé en 732 et surtout pas à Poitiers. En revanche L’Histoire mondiale de la France réévalue singulièrement l’aventure des croisades, considérant que la nation Franque émerge aux yeux du monde au moment de la conquête du Moyen-Orient et non pas avec Clovis ou Jeanne d’Arc, sortis des placards au XIXe. Bref quelques remises en perspective salutaires et quelques précieux moments d’érudition.