Il est des livres qui attendent trop longtemps pour être lus, et qui vous le font savoir lorsque vous condescendez enfin à les ouvrir. Le Musée disparu est de ceux-là. Non parce qu’il s’agit d’une oeuvre littéraire mémorable, non parce qu’il contient des révélations extraordinaires (ce qui fut le cas à sa sortie) mais parce qu’il éclaire d’une lumière nouvelle tout un pan de l’histoire, qu’il nous révèle les liaisons dangereuses qui existent parfois entre art et politique.
Il est sans doute inutile de revenir sur le propos du livre : l’enquête minutieuse d’un journaliste américain (Porto-Ricain) sur la réalité du pillage industriel des oeuvres d’art auquel se sont livrés les Nazis durant la seconde guerre mondiale. Un livre qui a changé l’histoire comme le relevait Pierre Assouline en 2009 puisqu’il a permis à plusieurs familles juives de retrouver la trace d’oeuvres qu’elles pensaient à jamais évanouies. Le musée disparu est d’ailleurs constamment réédité et complété à la lumière des découvertes qu’il continue à provoquer. On notera au passage, qu’Hector Feliciano est un personnage charmant, simple et discret, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Saint-Nazaire il y a deux ou trois ans, à l’occasion d’une rencontre organisée par la Meet (Maison des écrivains étrangers et des traducteurs), où il était invité à échanger avec Pierre Michon, lequel venait de sortir Les Onze, autour des amours coupables entre art et politique (je découvre à l’occasion de ce billet que cette conversation est disponible en ligne).
Mais revenons à notre affaire. Ce qui m’a frappé au fil de cette lecture c’est qu’on oublie souvent une dimension (enfin, c’était mon cas) du projet nazi. Il s’agissait non seulement de conquérir physiquement le monde, mais aussi (et surtout ?) d’en conquérir les esprits et les âmes. Et il fallait pour cela construire une histoire de l’art qui soit au service d’une idéologie écrasante. D’où le projet de musée universel conçu par Hitler, qui devait être installé dans son village natal, et qui devait rassembler ce qui, de son point de vue, représentait les plus hautes productions picturales de l’humanité. Et de ce point de vue, impossible de se passer des oeuvres classiques hollandaises, espagnoles ou françaises. On pouvait certes faire l’économie de “l’art dégénéré” du XXe, mais pas question de se priver de Vermeer ou de Goya, de Fragonard ou de Courbet.
A vrai dire, je ne mesurais pas à quel point ce projet était important pour Hitler, peintre raté on le sait. A quel point certains dignitaires nazis étaient férus de peinture (le cas de Goering frise la pathologie) et quelle énergie avait été déployée pour regrouper en Allemagne des dizaines de milliers d’oeuvres d’art, d’antiquités, de bibelots, convoyés par trains entiers. Comme si l’Allemagne nazie avait ainsi voulu vampiriser la psyché du reste de l’Europe.
Ce travail, qui prend un peu trop souvent la forme d’un inventaire, ce qui alourdit la lecture concédons-le au passage, peut aussi nous inviter à réfléchir sur la légitimité d’une partie du patrimoine regroupé dans nos musées, trop souvent arraché à l’occasion de conquêtes militaires. L’heure de rendre de comptes pourrait sonner, comme elle sonne actuellement pour les Anglais auxquels les Grecs réclament les marbres du Parthénon.
Illustration : L’Astronome de Vermeer, l’une des premières prises de guerre nazie. Le Musée disparu, Hector Feliciano, folio histoire.