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La guerre des mots

Sommes-nous en guerre comme l’affirme le Président de la République ? La question n’est pas accessoire parce que, comme le disait Albert Camus « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». Mais ce n’est pas la seule question qui se pose : islamisme, radicalisation, terrorisme sont autant de termes qui posent problème dans la terminologie en vogue et qui ajoutent à la confusion des esprits.

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Commençons par la guerre. Un officier de police s’insurgeait contre ce terme mardi midi sur France Inter, considérant que nous ne sommes pas en guerre mais confrontés à une guérilla. Pour ce qui concerne les attentats de Paris,  le Robert lui donnerait plutôt raison puisqu’il définit une guerre comme une lutte armée entre groupes sociaux, entre Etats, alors qu’une guérilla est une déclinaison très particulière de la guerre, une lutte armée de harcèlement, de coups de mains, menée par des groupes de partisans, de clandestins. Le choix du terme par l’Etat n’est pas innocent, il est inclusif. Alors que dans les faits les choses sont un peu différentes : tout le monde est une victime potentielle d’un acte de guérilla mais tout le monde n’est pas en guerre. Nuance.

Radicalisation, islamistes radicaux ensuite. Un sociologue contestait ces termes lundi soir, toujours sur France Inter. A ses yeux, ils ont une dimension trop psychologisante. Les supposés radicaux ne sont pas, comme on les présente souvent, de simples individus décervelés et embrigadés, mais bien souvent, des individus « raisonnables », souvent cultivés, bien formés, animés par un projet politique clair : mettre un terme à l’hégémonie de l’Occident au profit d’un régime islamique. Ce qui nous amène à la question de l’Etat Islamique, que les français baptisent Daech, ou Daesh et que les anglo-saxons désignent par l’acronyme Isis (Islamic state of Irak and Syria).

Les protagonistes préfèrent eux parler de Califat, parce que le projet n’est pas territorial limité au sens où on l’entend habituellement mais culturel, politique et religieux. C’est un projet impérialiste qui se réfère à l’expansion de l’islam au cours de ses premiers siècles, sans géographie définie mais avec un projet affiché de domination universelle. Le terme d’Etat n’est donc pas parfaitement adapté. Il s’agirait plutôt d’une théocratie, dont le patron serait dieu. Ce qui ne simplifie pas la désignation de l’ennemi.

Islamisme pose également problème, même si on comprend que l’on n’ait pas trouvé mieux pour le moment. La proximité des deux termes islam et islamisme est évidemment redoutable pour l’islam modéré. Notamment en raison de la construction apparemment semblable des termes catholicisme et islamisme. Cela n’exonère pas les tenants d’un islam pacifique de toute responsabilité (je suis de ceux qui considèrent que l’islam européen risque de payer cher son actuelle léthargie, ce qui n’est pas le cas, par exemple, de l’islam indien, qui a bien compris le danger et manifeste bruyamment sa condamnation du salafisme).

On pourrait terminer par Terrorisme. Rappelons-nous que la signification du terme dépend du côté duquel on se trouve. Les Résistants ont été considérés, nommés, désignés comme « terroristes » tout au long de la seconde guerre mondiale, ce qu’ils étaient au regard du pouvoir en place. Un renversement de sens en a fait des héros au lendemain de la victoire.

Mais de toute cette déclinaison, c’est le mot guerre qui me gêne le plus. Qui est en guerre contre qui ? Qui a déclenché les hostilités ? Quelles en sont les causes ? Autant de questions qu’il semble opportun de se poser aujourd’hui. Quitte à prendre le temps de la réflexion. Une guerre c’est grave et c’est un processus incontrôlable une fois enclenché. Le fer et le feu sont-ils la solution ? Ne serait-ce pas plutôt le nerf de cette guerre qu’il faudrait couper, et en premier lieu les vivres, en l’occurrence le robinet de pétrole ? Je n’en sais rien. Mais quelque chose me dit que l’on doit commencer par mettre les bons mots sur les choses pour ne pas ajouter au malheur du monde.