Eloge du carburateur

C’est l’histoire d’un universitaire qui se reconvertit dans la réparation de motocyclettes. Ou plutôt celle d’un passionné de mécanique qui s’était égaré en philosophie politique. C’est une réflexion intelligente et drôle sur le bouleversement que s’est opéré insidieusement ces dernières années dans notre rapport au monde matériel.  C’est un livre qui sent le cambouis, le métal chauffé et le caoutchouc brûlé. Un livre plein de bielles, de vibrequins et de vis platinées. Où l’auteur  trafique les vieilles coccinelles Volkswagen dans le fond d’un entrepôt de Chicago avec la bourse que lui verse le gouvernement pour étudier Tocqueville. Mais ce n’est pas pour autant un simple plaidoyer pour la culture technique ou le travail manuel, pour la réhabilitation d’une certaine forme d’intelligence aujourd’hui dévaluée, voire méprisée.

éloge du carburateur

Matthew B. Crawford, brillant étudiant en philosophie, devenu directeur d’un think tank à Washington, propose une analyse assez fine du mouvement semble-t-il inexorable qui incite les sociétés développées à former quasi exclusivement des « cols blancs » qui deviennent insensiblement esclaves d’un monde matériel sur lequel ils n’ont plus aucune prise. « Je cherche à comprendre les présupposés qui nous amènent à considérer comme inévitables, voire désirables notre croissant éloignement de toute activité manuelle ». Alors, que, comme le relevait Anaxagore « C’est parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux. »  .

 Impossible de résumer en une courte note, toute la sinuosité de l’exposé*, toujours illustré par quelque anecdote mécanique, quelque problème insoluble posé par une moto qui hoquette, et qui montre à quel point le monde matériel, l’univers de la réparation mobilise différentes formes d’intelligence, n’apprend pas seulement l’échec, l’humilité, mais participe à la construction d’une sorte d’ « honnête homme ». Parce que Crawford va plus loin « La réorganisation de la personnalité de l’homme moderne autour de la consommation passive tend nécessairement à affecter notre culture politique. »

 Selon lui, l’appropriation du monde matériel par une sphère économique désincarnée, pilotée par des entreprises multinationales qui font fabriquer nos objets en Chine ou ailleurs et nous empêchent d’avoir prise sur eux, n’est pas seulement un danger technique. C’est avant tout l’avènement d’une nouvelle forme de servilité. Et de conclure : « En Occident, les institutions sont organisées de façon à prévenir la concentration du pouvoir politique… En revanche nous avons échoué à prévenir la concentration du pouvoir économique… Et nous recherchons la consolation dans la consommation compulsive, laquelle agit comme une drogue et nous évite de faire face à la réalité. »

*le seul reproche pourrait être, paradoxalement, l’abus de références techniques et philosophiques., qui polluent, parfois, la lecture.

4 réflexions sur « Eloge du carburateur »

  1. Gaëtan

    Ce plaidoyer a sans doute encore plus de sens aux États-Unis où la population consommait (et importait) davantage qu’elle ne produisait, où Boeing avait fini trouver difficilement des ingénieurs qualifiés, les étudiants préférant étudier le droit, plus rémunérateur, que les sciences.
    Aujourd’hui les États-Unis relocalisent leurs industries, peut-être peut-on y voir dans cet “Éloge du carburateur” une preuve de la renaissance du secteur manufacturier.

  2. Pascale

    [En effet, dans ce texte très fameux d’Aristote, celui-ci dit “Anaxagore prétend”… mais dudit Anaxagore il nous reste si peu de choses, quelques fragments tout au plus… ]

  3. Philippe Auteur de l’article

    Vous êtes sans pitié Pascale. Une note précise : Anaxagore cité par Aristote, les parties des animaux, j’aurais du préciser.
    Bonne journée dans le Cognac. Ce dimanche s’annonce ensoleillé.

  4. Pascale

    Petites remarques avant de partir pour la journée du côté de Cognac et du cognac peut-être…
    Ce n’est pas Anaxagore qui a prononcé cette affirmation qui donne lieu fréquemment à une mésinterprétation, mais Aristote (“Les parties des animaux”). En l’occurrence, -et la suite du texte le montre bien- ainsi présentée, c’est-à-dire hors contexte, on pourrait croire que les mains sont la cause de l’intelligence, ce qui ne se peut. On peut toujours greffer des mains à un dindon…. il ne se passera rien. En revanche, disposant d’une capacité de s’en servir du fait de son intelligence (en fait, c’est plutôt de la pensée dont il s’agit) les mains sont bien le moyen pour l’homme, et seulement pour lui, d’être l’homo faber que l’on sait. Et donc, c’est parce qu’il est le plus “intelligent” qu’il a des mains….
    La coïncidence est sympathique, entre ce réparateur de motocyclettes et la bonne nouvelle apprise il y a peu : les bons vieux solex des années 60-70 sont de retour, non seulement en France, pour la fabrication, mais dans nos rues, sur nos routes pour l’utilisation!! super, bien que, paraît-il, ils n’avanceront plus à l’essence.
    Oserai-je, oui bien sûr, taquiner le patron en lui suggérant que l’usage du mot “polluer” n’est pas des plus heureux dans la dernière remarque, même si l’on comprend ce qu’il a voulu dire : qu’il y a des façons, en effet de (se) servir des références plus ou moins légères, c’est un peu comme en cuisine.
    Nonobstant (je me force d’employer cet adverbe au moins une fois par jour!) j’ai noté la référence de ce livre de bon aloi.

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