Lire Garcia Marquez en écoutant le chant des oiseaux, caressé par un rayon de soleil. Il y a condition plus rude en ces temps de confinement. Une bonne bibliothèque, une cave approvisionnée, le plaisir discret de bénéficier d’un mode de vie fonctionnant paisiblement en autarcie, nous serions malvenus de nous plaindre dans notre campagne. Mais le véritable plaisir est ailleurs, il est de voir l’un de ses fils ouvrir un bouquin de philosophie après avoir bêché un carré de jardin, d’entendre son frère suivre sa leçon de russe au coin du feu, de composer ensemble les menus, de mener tous les trois une vie de vieux garçons hirsutes et déliés.
Les garçons ont peine à me croire quand je leur dis que nous vivons un moment de bascule, tant ils se considèrent en vacances, libérés de la plupart de leurs contraintes habituelles. Je leur pardonne volontiers, d’autant que ce moment suspendu leur est précieux, l’air de rien, pour se poser avant de chercher leur place dans le monde qui s’annonce. Hier soir belle conversation autour de l’idée de penser contre soi. Sans doute parce que j’avais repris la lecture de Cioran, un bon moteur pour ce genre d’exercice.
Globalement il sont plus gauchistes que je ne le suis, devenant légitimiste avec le temps, dans la foulée de Montaigne. Ils évitent toutefois les procès d’intention qui fleurissent ici et là à l’égard du pouvoir. Pauvre pouvoir, dont les atermoiements ne sont guère que la traduction des contradictions d’un peuple qui ne cesse de déplacer le curseur entre liberté et sécurité au gré de ses désirs et de ses angoisses. Bon exercice également que de débattre autour de ces questions. La liberté est elle de droite quand la sécurité serait de gauche ? “La droite c’est démerdez-vous, la gauche, c’est démerdez-nous” disait l’autre. J’aime bien les inciter à penser contre eux. Tout en laissant mûrir leur réflexion.
Mais ce qui me ravit le plus dans les moments que nous vivons, c’est que ces jeunes gens vont enfin pouvoir s’extraire de la situation sans issue dans laquelle semblait s’engouffrer leur génération, prisonniers d’une société courant à son auto-destruction. Ce virus est loin d’avoir dit son dernier mot et va contraindre ce monde à revisiter ses priorités, à reconsidérer son rapport à la nature, à la consommation, à la technique, à la “vie bonne” tout simplement. Ils vont être en première ligne pour imaginer cette mutation, en devenir les acteurs, les promoteurs. Et il y a du pain sur la planche. Commencer par bêcher un carré de jardin et se frotter à la maïeutique de Socrate n’est pas le plus mauvais début.
Bonne semaine.