Les politiques se grattent la tête, les journalistes se perdent en conjectures : et si l’explication de la montée du FN nous crevait les yeux, tout simplement ? Si elle était tout bonnement installée dans le salon. Une réflexion du philosophe Bernard Stiegler*, conforte l’intuition qui me chatouille sur le sujet.
Expliquons-nous. L’autre soir, j’ai tenté de regarder un film à la télévision. Evènement assez rare. Escapade au grenier, où est relégué le poste, appel aux garçons pour mettre l’engin en route, réglage sur la chaine convoitée. Et d’entrée une volée de spots publicitaires en pleine face, insérés dans un labyrinthe de bandes annonces pour des programmes, des films, des rendez-vous. Ensuite nouvel écran de pub. Et au milieu, un programme famélique, mal doublé, entrelardé de nouvelles pubs.
Bref, cet engin diabolique n’est rien d’autre qu’une machine à créer artificiellement du désir. Ce n’est certes pas une information, Mais si on réfléchit deux secondes, c’est aussi et surtout une machine à créer de la frustration, parce que personne ne peut humainement répondre à toutes ces sollicitations. On n’ose imaginer ce qu’ingurgite chaque jour une maisonnée française qui regarde la télévision plus de trois heures en moyenne (désolé de rappeler cette cruelle donnée).
Cette fabrique de frustration est un moteur infernal. Ce peut être extrêmement toxique. On ne peut jamais avoir tout mieux que son voisin, et ça peut vite tourner à l’enfer. On devient envieux, jaloux et pour finir intolérant (la rumeur du supermarché et de la discothèque dans le camp de réfugiés de Calais est assez édifiante). * Stiegler le dit autrement (et beaucoup mieux) mais cela revient au même : « le consumérisme, [qui] a produit une insolvabilité généralisée et dégradé les consommateurs sur les plans physique et psychique. »
Il est étonnant qu’aucun parti politique, pas même les écolos (ne) se soit sérieusement penché sur la question. Chacun se lamente volontiers des conséquences d’une telle aliénation, mais jamais ou rarement de ses causes. Ce n’est pourtant pas très compliqué. La gauche a beau agiter la culture sur tous les modes, elle ne peut nier que la véritable culture populaire reste la télévision. Seules 10 à 15% de la population fréquente les salles de spectacle, les théâtres, les musées, ouvre un livre tout simplement.
On me dira que j’enfonce ici une porte ouverte depuis bien longtemps. Certes, mais il peut être parfois utile de rappeler des choses élémentaires plutôt que de s’embarquer dans des analyses fumeuses. Et de recommander quelques fondamentaux comme l’excellent « Divin marché » de Dany-Robert Dufour, qui décortique cette mécanique de la création artificielle de nouveaux désir… et de nouvelles frustrations.
A l’instant, dans une conversation avec quelqu’un de mon voisinage, je donne les deux renseignements suivants : celui/celle qui emporte la majorité au suffrage de dimanche prochain a un “bonus” de 25% de sièges au Conseil Régional qu’il dirigera (ah? je savais pas…..) ; les questions de sécurité qui servent de “marqueurs” comme on dit, ne sont pas de la compétence des Régions (ah? je savais pas….). Je pense que si j’avais continué, mais c’eût été cruel, j’en aurais collecté bien d’autres des “ah? je savais pas”….
Aussi, je vous rejoins Johann dans cette conviction que le travail de fourmi est payant. Mais -il y a toujours un “mais” n’est-ce pas- payant signifie-t-il gagnant? Dans le simplissime schéma selon lequel les forts écrasent toujours les faibles et pas l’inverse, je ne suis pas sûre du poids de ma conversation face aux aboiements de la “nièce de….” pour qui le siège de la présidence de Paca, sera une occasion d’en découdre haineusement avec le Planning familial (juste pour exemple!) du haut de ses 26 ans revanchards. Je sais bien qu’à la mesure de l’Histoire “la force des faibles” est finalement plutôt gagnante. Mais il faut vivre. Au jour le jour. Et l’Histoire, la grande histoire, celle de Hegel et de Marx, n’est pas la quotidienne de mon voisin.
Oui, dans mon texte, j’interpelle directement ces individus ; c’est une figure de style plus qu’une adresse formelle aux intéressés qui, effectivement, ne liront pas ces lignes. Néanmoins, j’ai l’occasion, car je ne me suis pas encore enfui sur les flancs boisés d’une montagne lointaine ou réfugié sur une île déserte du Pacifique sud, de discuter avec des personnes qui sont visées par mes propos et de constater, qu’en leur révélant mes pensées, en essayant d’être clair, démonstratif et qu’ayant pourtant recours à l’exemple concret, je ne peux qu’admettre l’amère certitude de leur parfaite incompréhension, qui court au-delà même du désaccord, lequel serait la preuve qu’ils entendent ma position et mon analyse de la situation. Nous ne parlons pas la même langue et, de fait, n’habitons plus le même monde. Ma vie quotidienne n’a aucun rapport avec la leur, leurs habitudes ne sont pas les miennes, elles en sont même très souvent l’opposé, leurs envies me semblent plus des réactions ou des réponses à des injonctions que l’expression de leur libre-arbitre. Je ne dis pas que j’échappe à toutes les conditions présentes de l’organisation sociale, loin de là, mais j’ai quand même l’impression d’en avoir une lecture plus complète et distante qui me permet d’en éviter les écueils qui me gênent le plus et de circuler plus librement au sein de leurs combinaisons complexes.
Il est évident que la prise de conscience de ces personnes est une rareté parce que les fondements de l’aliénation sont les racines de leur éducation et de la façon dont il ont reçu un certain nombre d’apprentissages, (particulièrement au travers de l’école), ces deux dimensions s’annulant souvent réciproquement par leurs forces respectives et livrant à la société des individus vides pouvant être remplis à loisir pour des intérêts qui ne leur appartiennent pas. Tout ceci, comme le dit Philippe, ce ne sont finalement que des portes ouvertes que l’on enfonce ici allègrement, mais je suis d’accord : ce constat malheureux se suffit à lui-même, les analyses fumeuses que l’on entend ou lit depuis quelque temps ne disent rien de plus que ce qui a déjà été identifié depuis des décennies (Benjamin, Adorno, Debord, et tous les penseurs ayant développé la théorie de la réification). Aussi, pour moi, le rapport avec la montée de l’extrême-droite et des mouvements crypto-fascistes en général, est évident – parce que j’en fais une lecture marxienne -, sachant que cette masse en colère, abrutie, envieuse et inculte, n’est en fait que le bras armée d’un capitalisme fissuré et sur la défensive… C’est un très vaste débat.
Très belles lignes, Johann sur le servitude volontaire. Un peu vindicatives il est vrai. Mais, même si je te trouve sévère, je ne suis pas loin de partager ton appréciation.
Nous ne vivons pas sous une dictature obscurantiste, chacun a accès à l’éducation et peut choisir de ne pas devenir un mouton. Certes la société de consommation utilise des méthodes extrêmement élaborées pour embobiner son monde, en ayant recours aux ressorts cachés de la psychologie, mais chacun n’en est pas moins autorisé à cultiver un minimum de lucidité.
“6 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres, 7 millions de retraités à moins de 1000 euros, 50 % de salariés à moins de 1650 euros ! Quand ils ouvrent un poste de télévision, ils voient briller les journaux télévisés de riches, les spectacles de riches, les feuilletons de riches, les histoires de riches et les querelles de riches qui ne sont pas les leurs. Ils souffrent, Ils se sentent nargués et c’est sans issue.”
Premières lignes d’un billet de Gérard Filoche dans Médiapart (les blogs du Club). Et même si ces chiffres vertigineux ne s’additionnent pas arithmétiquement, mais souvent se recoupent, les retraités pauvres et/ou les chômeurs pauvres… ça n’annule ni leur brutalité, ni les lignes suivantes : la télévision comme ode à la richesse. Toujours.
Et voilà comment, d’un clic, et sans l’avoir voulu, on retrouve l’esprit du billet du patron et ses prolongements.
Je ne peux que consentir, Johann, à vos lignes. Et je ne serai pas la seule.
Pourtant, il me reste toujours comme un goût d’inachevé inhérent à ce consentement même. Ceux à qui vous vous adressez, et plus généralement, ceux à qui nos analyses diverses et variées s’adressent, ne les lisent pas. Les liront-ils en jour? En seront-ils environnés au point qu’elles leur deviennent évidence, et leur soient inutiles parce qu’une prise de conscience se sera constituée? Ce n’est pas tant à vous, personnellement, que je pose la question, mais à nous tous qui avons des clés pour comprendre. C’est pourquoi je suis si pessimiste. Parfois. Souvent.
L’observation est déjà la première des écoles. Et si l’on apprenait à ceux pour qui les mots découpent de l’inconnu, à regarder, à se regarder, vivre, subir, se soumettre, répéter toujours les mêmes choses, c’est-à- dire, au bout du compte rien, se regarder n’avoir d’autre envie que l’immédiateté qui s’avale elle-même, sans jamais être rassasiée…
[ C’est vrai que la lueur des écrans fait bleues les fenêtres. Dans ma rue, face à mon logis, une fenêtre, 365 jours par an, fermée en hiver, ouverte en été, est éclairée toute la nuit (le jour je ne peux savoir) par l’écran de télévision. Mais les écrans des téléphones portables, lueurs ambulantes plus éclairantes que lucioles, ponctuent dorénavant tous les espaces. Mon voisin de cinéma, de conférence, de trottoir, de file d’attente chez le commerçant, de train, d’avion…. m’infligent et l’image et le son.]
Bonjour,
Vous le dites vous-même, Pascale, ce n’est pas l’objet qui est en cause, mais le sujet. Quand vous procédez à la navigation sur internet, cherchant des informations, écrivant ou lisant des courriels, même si vous êtes devant un écran, lequel est éventuellement cerné par des injonctions marchandes, des messages publicitaires, vous demeurez active et vous orientez l’utilisation de l’objet selon votre envie, votre désir, votre goût, votre besoin informatif, etc…, ce qui n’est évidemment pas le cas avec la télévision. Par ailleurs, les chiffres que donnent Philippe concernant la durée moyenne de visionnage télévisuel ne m’étonnent pas. Quand je sors de chez moi, je marche (je ne conduis pas) et j’ai donc l’occasion de voir par les fenêtres des appartements ou maisons, surtout à cette saison où il fait nuit de bonne heure, que la télévision est très souvent allumée. On voit aussi, le soir, par les fenêtres des grands immeubles, cette lueur spécifique, particulière, qui danse et varie en couleurs, qui indique le fonctionnement présent d’un écran de télévision.
Il y a quelques mois, je concluais une réflexion par ce paragraphe un peu vindicatif à l’égard de l’individu, mal identifié, éventuellement partisan ou votant en faveur de l’extrême-droite : “Votre misère n’est pas matérielle, beaucoup d’entre vous possédez de l’inutile, en grande quantité. Votre misère n’est rien d’autre que l’abandon volontaire d’une richesse totale qu’est la Vie. Votre misère parle d’elle-même, dans votre incapacité d’invention, vous avez délibérément, un jour ou l’autre, laissé de côté tous les possibles de la liberté, au profit de la servitude volontaire. Vous crachez aujourd’hui sur ces élites, ces maîtres, que vous dites traîtres, profiteurs, pourris, & pourtant tous les matins vous allez pointer chez eux, souvent avec cette boule au ventre, avec cette nausée & cette lassitude morbide. Et toute cette détresse, ce stress, cette colère, cette peine, vous en trouvez toujours la cause chez l’autre, votre prochain devient l’ennemi, il y a dans vos petites têtes gavées d’images & désertées par l’esprit critique, une explication simple, universelle, qui reporte votre totale responsabilité fatalement sur ceux que vous ne connaissez pas & qui, vus de l’extérieur, semblent mieux s’en sortir que vous. Ceux qui viennent de loin pour tenter de construire ici un bout de destin, les étrangers. Ceux qui savent ce que vous ignorez, qui utilisent des mots inconnus de vous, qui font visiblement comme bon leur semble, qui expriment leur liberté, les artistes, les aventuriers, les oisifs heureux. Vous cherchez & vous trouvez le bouc émissaire grâce à ceux qui le désignent pour vous, ceux qui vous veulent dans leur troupeau pour les aider à conquérir quelque pouvoir. Votre misère est une solide jalousie alimentée par une ignorance crasse & de stupides chimères. Vous enviez ce que l’autre possède ou que vous croyez qu’il possède. Vous détestez ce que sait l’autre, & que vous ignorez, car finalement c’est votre ignorance que vous détestez. Vous vous sentez écrasés par des tonnes d’injonctions, d’ordres, de règlements, & vous avez raison. Seulement, vous ne savez plus comment vous en échapper ; surtout vous avez peur de vous soustraire à cette aliénation pour laquelle, il y a longtemps, vous avez signé des deux mains en déléguant une partie, voire la totalité, de votre vie à d’autres qui, ayant besoin de votre force & de votre temps, ont capté en vous votre sérieuse tendance à ne pas savoir choisir. Vous vous sentez exclus, mais vous ne savez pas vraiment de quoi, alors que c’est simplement de vous-même, de ce cœur qui bat en vous pour une durée limitée. Cette échéance, inconnue, mais tellement réelle, devrait vous procurer le désir de dessiner sur les nuages, de réaliser le théâtre d’un destin bien à vous, avant que l’heure dernière sonne. Mais non, je vous vois encore, pensant à demain comme la réplique d’aujourd’hui, & l’échéance qui habite votre tête est celle de votre crédit, de votre salaire, de la sortie du prochain téléphone portable, révolutionnaire.”
Philippe indique qu’il enfonce des portes ouvertes, mais il est important de le faire, car, tellement ouvertes, beaucoup d’individus, y compris chez le soi-disant penseur, le politique ou le médiatique, ne les voient plus comme ce qu’elles sont essentiellement pour la pensée, la réflexion : des portes.
Quant à l’automatisation, ou robotisation, que j’englobe personnellement dans un champ plus large qu’est la cybernétique, et dont on voit davantage les fonctions et les performances algorithmiques dans l’utilisation quotidienne des objets dit connectés, de l’internet, de la téléphonie mobile, elle a évidemment accentué la dépossession du réel – la séparation, dit Debord -, énoncée ainsi dès la première thèse de “La société du spectacle” : “Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.”
Voici également un lien vers un texte que j’avais écrit en avril 2013, dont la base de réflexion est une citation d’Adorno :
https://jlcontact.wordpress.com/2013/05/08/une-citation-quatre-theses/
Question : quand je passe plus d’une heure, deux parfois, devant l’écran de l’ordi à écluser la presse, à fouiller les infos, à débusquer, de lien en lien, la référence, le développement qui soutiendra mon intérêt pour multiples raisons (dont l’énervement, la surprise, la nouveauté, l’originalité etc….) qui s’interpellent l’une l’autre ; même chose pour les sites “universitaires”, spécialisés, est-ce que le temps écoulé est comptabilisable sèchement comme “devant écran” ?
[ En revanche, c’est une chose, c’est sûr, que la télévision ne peut faire. Et c’est l’immense (et pour moi le seul avec le courrier électronique) avantage du Net, l’extension de l’usage de mon cerveau disponible à portée de clic. ]
On ne peut jamais avoir tout mieux que son voisin
Ça me rappelle une visite du port de plaisance d’Antibes, tous les bateaux bord à bord. Je m’arrête devant un beau petit yacht d’allez, quinze bons mètres de long. Et brusquement, je me dis que si ça se trouve, son proprio en casquette de capitaine crève de jalousie car le bateau voisin fait vingt mètres…
Oui Pascale, le lien avec les réflexions de Stiegler est un peu ténu, mais c’est la notion de consumérisme, comme vous l’avez relevé, qui m’intéressait.
Je suis souvent épaté par les prolongements que peuvent susciter certains billets, qui me renvoient à la légèreté du propos initial (pour celui-ci il aurait évidemment fallu développer). Mais j’essaie de respecter une contrainte : une heure maxi pour écrire et éditer un texte.
Les français passent certes un peu moins de temps devant la télé et un peu plus devant d’autres écrans, mais la moyenne reste très élevée selon Médiamétrie : 3 heures 45 minutes par jour et par personne. Vertigineux. Le détail ici : http://www.lexpress.fr/actualite/medias/moins-de-temps-devant-la-television-qu-en-est-il-des-autres-ecrans_1545605.html
un commentaire et un lien postés par ailleurs :
Cher Philippe, c’est assurément une part de l’explication. Depuis les années 60, la publicité se décrit elle-même comme un processus visant à créer d’abord de la frustration, la frustration étant un moteur extraordinaire (de consommation, mais aussi de violence). Soit dit sans faire de la psy à deux balles. N’oublions pas que le développement de la télévision aux USA dans les années 50 s’est fait d’un même mouvement avec et par les agences de pub qui créaient les programmes de divertissement, donc leurs commanditaires industriels. Rien n’a changé de ce point de vue, sauf la nature (financière) des commanditaires. Si l’on ajoute à cela l’étalage obscène du fric et de sa jouissance dans les magazines people, on porte la frustration à son comble. Et si l’on ajoute que les gens voient dans les magazines people que les journalistes télé sautent des vedettes people pétées de fric, alors tout discours médiatique devient non seulement non crédible mais provocateur. Si l’on ajoute à cela que les mêmes vedettes de pacotilles insultent les électeurs du FN pour participer au spectacle de la bonne conscience (et en tirent profit), alors on crée l’incendie. Relire Debord, plus d’actualité que jamais !
Eric
http://leclairon.tv/site/index.php/2015/12/07/la-fracture-francaise/
Jean-Noël
J’avançais dans ma lecture et je pensais au Divin Marché. Qui arrive comme référence bienvenue, en effet.
Il me vient deux remarques. Complémentaires, je l’espère.
1) la télévision n’est plus l’écran le plus regardé par les ados de la famille (et leurs parents). C’est bien sûr le Net. Mais ça ne change pas grand-chose, car les sollicitations sur le Net valent bien celles du “petit écran” qui n’a jamais été aussi grand. Scotchée en entrant dans certaines demeures de le voir trôner sur un pan entier de mur comme l’acquisition qu’il faut et montrer et bichonner! je trouve l’objet si laid, que, pour ma part, il est non-visible au visiteur de passage.
2) C’est quand même encore à la télé qu’on peut, pour peu qu’on le veuille, regarder en effet (et peut-être se laisser surprendre) par la rediff d’un bon vieux film (qu’on a pu louper en son temps, ou qu’on a aimé, et qu’on se “referait bien”). Plusieurs W.Allen ces jours-ci. Des Hitchcock et autres “classiques” qui ne passent pas dans les ciné de province. J’ajoute d’excellentes émissions (trop rares) genre documentaires, très informées, des images sorties d’archives, etc… Du divertissement intelligent.
Sur l’essentiel, je souscris, Philippe. Mais télé, ordi, ou tout autre chose, ce ne sont pas les objets qui sont en cause, mais les sujets qui s’en servent. Notre servitude, notre servilité est totale, nous sommes et complices et responsables.
Mais, je viens de lire les propos de Stiegler, que vous donnez en lien. Il ne dit pas exactement ce que vous dites, Philippe. Et ne parle d’ailleurs même pas de télévision. J’ai bien compris que c’était votre point de départ, l’occasion de parler de consumérisme et de la frustration entretenue à longueur de visionnage, de désir toujours présenté comme devant être satisfait, et que tout désir insatisfait est cause de souffrance, de mal-être. Mais Stiegler parle surtout, et beaucoup plus, de la robotisation qui guette, et qui, si j’ai bien compris, va, à la fois nous faire changer de modèle industriel, et en même temps (et là c’est juste moi qui l’ajoute) pas tant que ça. Nous poursuivons l’automatisation avec de nouveaux outils. Ce n’est, selon moi, pas vraiment une révolution. Etre soumis aux machines-outils depuis la fin du XIXème, ou à Google, à son ordi, aux réseaux depuis quelques années…. Je ne vois pas bien la différence. Ce n’est pas une rupture, c’est une modification des moyens. Bien plus invasive d’ailleurs, car aujourd’hui elle est chez soi, chez chacun, dans la vie domestique et privée et ne se limite plus aux “conditions de travail”.
Mais je vous avoue, bien humblement, n’avoir pas tout à fait compris le lien avec le FN. Sinon que, sur le terreau de toutes les frustrations, tout peut pousser, en effet, le FN comme le reste, arrosées (nos frustrations) par l’éloge du bling-bling méprisant de la caste politique, dans l’étalage –ou l’annonce, merci les écrans là encore !- indécent, à l’heure de la soupe, des chiffres de telle rémunération pour une pseudo-conférence, d’un « arbitrage » à plusieurs centaines de millions, d’un parachutage doré aux mêmes altitudes, des cumuls inadmissibles de nos élus dont les seuls patrimoines les mettraient hors de tout danger, et cela, sans mérite réel, et disposer de quelques centaines d’euros pour tout revenu.
La proposition de Stiegler de distribuer des bourses à gogo pour étudier l’impact du numérique, me laisse un peu dubitative. Que l’on augmente les bourses des étudiants thésards en physique, en chimie, en biologie, en médecine, en agronomie que sais-je…. pour changer nos modèles alimentaires, de chauffage et de consommation énergétique…. et autres domaines qui amélioreraient la vie concrète et matérielle (comme disait déjà Marx… oui, oui) de nos contemporains. Et que l’on prenne des mesures politiques claires, simples et efficaces sur la pratique du pouvoir par ceux qui nous gouvernent ! Ce sont eux qui créent de la souffrance et de la frustration. Et le FN, n’en doutons pas, fera strictement la même chose. Car accéder aux manettes, sans ériger des digues contre toutes les formes de corruption dont certaines sont très insidieuses, c’est changer les têtes –et encore pas vraiment… mais pas les “mentalités”. Comment convaincre l’électeur qu’en votant FN, rien ne changera en pire…. Je suis surprise, et désolée, qu’en entrant un peu dans les détails des motivations de ce vote, au bout d’un moment, et à bout d’arguments, la formule magique ne manque pas de tomber : on n’a pas encore essayé ça ! comme une crème anti-rides quoi !
Là où je rejoins totalement Stiegler c’est sur la comparaison avec 1929, sans oublier que ceux qui ont recouvert l’Europe de l’ombre brune de leur idéologie mortifère parce que purificatrice, sont arrivés au pouvoir par les voies on ne peut plus légales.