Archives de catégorie : Chroniques

Louis XVI est du Voyage

Mise en page 1L’une des curiosités du prochain Voyage à Nantes, qui se déroulera du 28 juin au 1er septembre, est l’ouverture au public de l’un des salons les plus secrets du royaume : le Cercle Louis XVI. L’ancienne « Chambre littéraire de Nantes » fondée en 1760 par le duc d’Aiguillon et le marquis de Becdelièvre, président de la Chambre des comptes de Bretagne et transformée en 1769 en « Cercle de Société » n’est rien moins que le plus ancien Cercle de France. Il est installé dans un magnifique appartement de 450 mètres carrés de l’hôtel Montaudouin, dans un immeuble dominant la place… Louis XVI.

le veilleurLes organisateurs du Voyage à Nantes ont, semble-t-il, obtenu l’ouverture au public de ce cercle très privé, que cinq Républiques n’ont pas réussi à ébranler, en proposant un évènement rarissime : l’exposition de l’un des tableaux de Georges de La Tour, propriété du Musée des Beaux-Arts, Le Vielleur, qui fera sa première apparition au terme d’une patiente et méticuleuse restauration. Mais attention il faudra sans doute faire la queue pour pénétrer dans les salons feutrés où les aristocrates de l’Ouest se réunissent depuis deux siècles et demi, en toute discrétion, pour « assister à des conférences à caractère géopolitique, artistique ou historique », jouer au bridge, au billard où commenter la vie littéraire.

Le Cercle Louis XVI sera l’une des cinquante étapes de ce parcours urbain long d’une quinzaine de kilomètres – matérialisé au sol par une ligne verte – qui entend faire de Nantes une destination singulière chaque été. Mais si quelques curiosités patrimoniales sont au menu, les expositions et performances d’artistes contemporains n’en restent pas moins le principal prétexte, à l’image de la création « Follow the leaders » sur laquelle travaille actuellement l’Espagnol Isaac Cordal et qui sera installée place du Bouffay. Il s’agit, si l’on comprend bien, d’une représentation de ce qui nous attend si nous suivons sans discernement les prophètes du libéralisme. Brrrrrr.

Cordal

Le menu de cette édition, à petit budget en 2013, trois millions d’euros, est assez copieux. Il inclut comme l’an dernier un vaste restaurant en plein air, installé sous des serres agricoles décapotables aux confins de l’île de Nantes. Voilà de quoi épater les amis pendant l’été et s’empailler joyeusement sur la pertinence de dépenser l’argent public en fantaisies diverses et variées en période de crise.

Illustrations : “Le voyage à Nantes”, copyright Théo Mercier et Erwan Fichou, “Le Veilleur” de Georges de La Tour, “Follow the leaders”, Isaac Cordal. Oeuvres pour le VAN sous copyright.

Histoire à dormir debout

« Il faut imaginer le choc : c’est comme si on apprenait que les Mémoires de Commynes ont été écrits par Louis XI, ou les Mémoires d’outre-tombe par Napoléon » écrit Philippe Lançon dans la critique de Cortés et son double publié par l’anthropologue Christian Duverger en début d’année. Il est vrai que la thèse de ce chercheur, prise au sérieux par une partie de la presse, est pour le moins gonflée. Ce ne serait pas Bernal Diaz del Castillo, l’un des lieutenants de Cortés, qui aurait écrit le récit de la prise de Mexico par les Espagnols mais Cortés lui-même.cortès

Les historiens se seraient donc fourvoyés depuis cinq siècles, en se trompant sur la paternité de ce texte fondateur, ce récit épique qui relate l’un des épisodes les plus fous de l’histoire de l’humanité : la conquête de la plus grande ville du monde (Mexico comptait un million d’habitants en 1520) par une bande de quatre cents conquistadors hallucinés que les Aztèques prenaient pour des dieux. Plus prudent que la plupart de ses confrères, Lançon ne cache pas son scepticisme devant cette révélation tardive, s’appuyant la brillante démonstration d’un spécialiste reconnu de la période (Duverger n’est pas le premier venu dans le domaine) qui fleure le conte à la Borgès. On entre ici dans les querelles d’école dont sont friands les chercheurs français, qui ont attribué il y a quelques années les pièces de Molière à… Corneille.

 Mais peu importe finalement. Puisque cette polémique nous renvoie à un texte fabuleux, considéré comme l’un des trésors de la langue espagnole, mais qui est surtout à mes yeux l’un des témoignages les plus précieux de l’histoire moderne. Ce choc frontal entre deux civilisations qui avaient prospéré pendant des siècles dans l’ignorance totale l’une de l’autre, et qui va aboutir en quelques années à l’effondrement de la plus fragile. C’est un récit proprement bouleversant écrit par l’un des acteurs de cette confrontation invraisemblable, qui atteint son paroxysme lors de la fuite nocturne des Espagnols, désertant Mexico en catimini pour ne pas courir le risque d’être massacrés par des Aztèques exaspérés, qui commencent à mettre en doute leur qualité de dieux, intelligemment cultivée par Cortès. histoire véridique

Ce texte Histoire véridique de la conquête de la nouvelle Espagne  publié dans les années soixante par le Club français du livre est, semble-t-il, épuisé en Poche. Seule La Découverte en propose désormais une traduction complète. Je viens de la commander à la librairie le Passage d’Alençon, faute de retrouver l’exemplaire du Club français. Les bons livres finissent souvent ainsi : des trous sur les étagères, parce qu’on n’a pas su s’empêcher de les prêter à quelque ami, qui lui-même répugne inconsciemment à s’en départir. Mais comme dirait d’Alembert (de mémoire) “Malheur à tout livre qui ne demande pas à être relu.”

The talk of the town

Emouvant papier dans le « New-Yorker » du 29 avril sur les attentats de Boston, que Laurent et Marie ont eu la gentillesse de rapporter d’une escapade à New-York.  Chacun le sait, nos représentations sur les Etats-Unis méritent d’être inlassablement revisitées, pour nous départir des clichés récurrents et insistants qui polluent notre regard sur ce pays qui n’en est pas un, ou plutôt qui n’est pas un.

new-yorkerLa chronique hebdomadaire « the talk of the town » du New-Yorker est une bonne façon de se rafraîchir les neurones, de capter l’air du temps propre à la côte Est. Elle était donc consacrée la semaine dernière à Boston, cette ville « insulaire », jalouse de son histoire et de sa singularité. “You can spend years, or even decades in Boston, without feeling like a Bostonian commente George Packer, l’auteur du talk, qui ajoute “the city has thousand charms, but it has always been easier to like than to love.”

Et pourtant il s’est passé quelque chose d’inattendu dans les minutes et les heures qui ont suivi l’attentat. Tout le monde s’est immédiatement mobilisé, dans le calme et avec détermination.  « A pediatric résident who had almost finish the race jumped over the barricades and evaded the police to tend the victims ». Suit une série d’exemples qui révèle une solidarité tranquille et attentive à la manière américaine, un peu boy-scout mais diablement efficace. Le papier se termine par la mail d’un habitant qui ne s’était jamais vraiment senti chez lui dans cette ville d’apparence un peu froide. « In terms of attitude, I often identify more with the people of San Francisco or New-York than with those of Boston. But when the marathon bombers Strock, I took his personality. They attacked my city. I felt a real kindship, a real connection with the people of Boston, all the people of Boston. And I realized that I don’t just live here. This is my home.”

On peut évidemment gloser sur ce sentiment de fraternité qui soude une communauté dans l’épreuve. Mais le témoignage de Laurent et Marie sur leur récent séjour à New-York, où ils ont presque regretté de ne pas avoir emmené leurs enfants, tant ils ont goûté à l’atmosphère détendue à New-York, à la gentillesse des habitants, à leur prévenance, dans une ville qui a su se débarrasser du stress urbain qui prévaut à Paris, en chassant notamment les automobiles, confirme l’impression de détente que les Américains ont su instaurer dans leurs grandes villes de l’Est.

La lecture du New-Yorker, où il est aussi question cette semaine d’un nouveau restaurant français, « Le philosophe » où le client gagne un repas gratuit s’il est capable de citer tous les philosophes hexagonaux « de Montaigne à Derrida », montre s’il était besoin, qu’il est toujours imprudent de porter un jugement unique et définitif sur les Américains, qui, peut-être plus encore que tous les autres peuples, est un composé rétif à toute caricature. Voilà qui m’enchante, avant d’entamer un travail sur les Etats-Unis des années quatre-vingt.

 

Les mots grillent dans la bouche

Après tant d’heures passées à marcher sans rencontrer l’ombre d’un arbre, ni une pousse d’arbre, ni une racine de quoi que ce soit, on entend l’aboiement des chiens.

C’est que parfois au milieu de ce chemin qui n’en finit pas, on a eu l’impression qu’il y aurait rien, après; qu’on ne trouverait rien de l’autre côté, au bout de cette plaine sillonnée de crevasses et de ruisseaux à sec. Mais oui, il y a quelque chose. Il y a un village. On entend les chiens aboyer, on sent dans l’air l’odeur de la fumée et on la savoure, cette odeur des gens, comme une espérance. Mais le village est encore très loin. C’est le vent qui le rapproche.

On marche depuis l’aube. Maintenant il doit être quatre heures de l’après-midi. Quelqu’un jette un coup d’oeil au ciel, approche son regard de l’endroit où est suspendu le soleil, et dit : “il doit pas être loin de quatre heures.”

Ce quelqu’un, c’est Meliton. Avec lui il y a Faustino, Esteban et moi. On est quatre. Je compte : deux devant et deux autres derrière. Je regarde derrière moi et je ne vois personne. Alors, je me dis : “On est quatre.” il y a un moment, vers onze heures; on était une vingtaine; mais, pincée par pincée, les autres se sont égaillés jusqu’à ce qu’il ne reste plus que ce noeud qu’on forme, nous.

Faustino dit : “Il se pourrait bien qu’il pleuve.” On lève tous le nez et on regarde un lourd nuage noir qui passe au dessus de nos têtes. Et on se dit “ça se pourrait bien.”

On ne dit pas ce qu’on pense. Ca fait longtemps qu’elle nous a quittés, l’envie de parler. Elle nous a quittés avec la chaleur. On parlerait bien volontiers, ailleurs, mais ici, c’est trop fatiguant. Ici on parle et avec cette chaleur qu’il fait dehors les mots grillent dans la bouche, ils se racornissent là, sur la langue, et finissent par vous étouffer…

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Extrait de “On nous a donné la terre”, première nouvelle du “Llano en flammes” de Ruan Rulfo (traduit de l’espagnol par Gabriel Laculli). Folio, Gallimard. illustration : Juan Rulfo.

Bob Morane et Maupassant

Les bouquinistes étaient en petite formation ce mardi sur le marché aux livres de Nantes, mais la pêche s’est révélée fructueuse et la balade plaisante dans les rues de la ville, en compagnie d’un garçon de douze ans, peu familier de la grande ville. “L’hiver a été très dur” commente Antoine, l’un des piliers du marché, “et il va encore y avoir des victimes cette année”. L’un des spécialistes des monographies historiques a ainsi annoncé qu’il fermerait boutique en 2013, après avoir rédigé un ultime catalogue. “Sa clientèle traditionnelle, essentiellement composée d’universitaires, s’est évaporée sur internet”. bob

Nous n’en avons pas moins fureté sur les stands et le fiston a porté son choix sur une compilation de Bob Morane, où son regroupés trois titres. Curieusement ce n’est pas le nom du héros, qui a séduit le garçon mais la titre d’une chanson consacrée à ce proto Indiana Jones, dont il connait les paroles par coeur. Le père n’en a pas moins été ravi de ce choix qui l’a replongé dans les délices de l’adolescence, à l’époque où il dévorait, sur son lit, les jambes battant la mesure, les aventures de ce héros aux cheveux en brosse, confronté aux manigances  de l’insaisissable Ombre jaune.

Ce devait être l’époque où les profs l’invitaient à lire Maupassant, cet auteur désuet qui l’ennuyait à mourir avec ses histoires de paysans bourrus, de sortilèges et d’intrigues bourgeoises. Il faut croire que les temps ont changé puisque l’ado aux cheveux désormais gris a débusqué avec bonheur une édition complète des Contes et nouvelles du sorcier normand qu’il cherchait depuis des lustres. Une édition étonnante, en deux volumes, sorte de pléiade du pauvre, reliée cuir, en papier bible sortie par les éditions Albin Michel dans les années soixante. Quinze euros les deux volumes en parfait état, avec jaquettes sous emboitage. Une misère. Maupassant

Certes, cette collection est un peu moins travaillée que la pléiade, et ne propose pas d’appareil critique. Tout juste quelques notes en bas de page pour préciser le vocabulaire puisé dans le registre normand et quelques locutions régionales, mais ce n’est pas gênant. La lecture de Maupassant se passe volontiers de notes érudites (même s’il n’est pas inutile de savoir que Maupassant était imprégné par la philosophie de Schopenhauer), comme j’ai pu le constater, assis dans la rue, en dégustant les premières nouvelles, alors que le garçon était absorbé, dans une boutique de jeux à peindre une figurine, à l’invitation d’un tenancier malin. Du coup, perdus dans nos univers respectifs, nous en avons oublié d’acheter le carton à dessin que nous étions venus chercher en ville. Peu importe, nous étions un peu en voyage ce mardi dans la grande ville, goûtant ensemble ces premiers jours de vacances sans nous soucier de l’heure, et nous sommes revenus lestés d’aventures qu’il ne sera pas déplaisant découvrir dans les jours à venir sous le soleil campagnard.

Des images et des livres

“Pourquoi cette habitude de placer sur les étagères où s’accumulent, où s’empilent les livres, des photographies, cartes postales, des reproductions de tableaux ? C’est pour moi plus qu’une habitude, une nécessité, comme si je voulais qu’avant d’avoir accès aux pages imprimées des images soient là, comme si seule leur présence allait donner vie à ce qui autrement risquait de n’être qu’un discours, mots, lettres, peut-être même lettres mortes.
pipeAinsi, alors que les livres sont classés selon un strict ordre alphabétique, se créent des voisinages intempestifs. Voisinages voulus parfois : la photographie de Sartre fumant sa gitane papier maïs est placée à côté de celle de Flaubert avec sa bouffarde et ses bacchantes de Gaulois; celle de Sylvie Germain devant la Bible qui inspire ses personnages. Plus souvent les voisinages sont arbitraires ou étranges : Merleau-Ponty en short et en chemise grande ouverte, est à côté d’un Goethe plutôt compassé, prenant la pose du grand penseur; une photographie du jeune Valéry, col dur et yeux clairs, au visage illuminé, se trouve tout près du Cheval dévoré par un lion de Géricault; un dessin de Matisse qui, en quelques traits de crayon, nous donne à voir la grâce d’une femme pensive est accolé au portrait de quatre philosophes austères qui jettent un regard réprobateur sur une femme nue, alanguie, de Modigliani.
géographe Quand je cherche un livre dans ma bibliothèque, je m’attarde d’abord un instant sur l’image qui le cache; non elle ne le dissimule pas, elle permet au contraire d’aller vers lui. Cette collection de photographies, de reproductions de tableaux ou dessins, constitue pour une part mon “musée imaginaire”. Mais je ne veux pas qu’il demeure immobile. Je le renouvelle de temps à autre, je puise dans mes “réserves”, j’en sors des cartes postales; achetées au cours d’un voyage ou que m’ont adressées des amis.
camusAlors mon paysage change et les livres s’animent, se réveillent. Dans une autre pièce, plus intime, sont fixées sur un mur les photographies de ceux que j’aime le plus au monde. personne ne peut les voir que moi. Elles représentent bien plus qu’un paysage. elles sont ma vie, la source fraîce de ma vie.”

J.B. Pontalis “Le Dormeur éveillé”.

Pour ma part les images ne sont pas devant les livres, elles les entourent, les accompagnent, leur répondent. Mais sans la présence de ces images, la bibliothèque me semblerait privée de vie. Sans La tour de Babel de Brueghel ou une facétie de Gil jourdan, Borgès ne serait pas tout à fait le même, Montaigne ne serait qu’un vieux crabe. Aujourd’hui fenêtre ouverte sur le printemps, festival de chant d’oiseaux. Du coup, reprise de Darwin, en écho à cette joyeuse lutte pour l’existence.

illustrations : pipe découpée je sais plus où, Le géographe de Vermeer, Albert Camus et sa clope.

Confetti d’empire

C’est une île minuscule perdue dans l’océan indien, un banc de sable entouré d’une ceinture de récifs coralliens. Tellement perdue qu’elle ne figurait pas sur les cartes marines, en 1761, lorsqu’une frégate française de la Compagnie des Indes, chargée d’esclaves malgaches embarqués clandestinement, s’y brisa les côtes par une nuit sans lune. Ce naufrage donnera lieu à l’un des épisodes les plus fous de l’histoire de la navigation.
tromelinL’île Tromelin, confetti inhospitalier de l’empire français, en permanence balayé par les vents, mais peuplé par trois fonctionnaires de Météo France, refait ces jours-ci surface dans l’actualité, en raison d’un accord contesté avec Maurice, qui en revendique la propriété.
Ce joli conflit territorial m’a renvoyé à un livre étonnant, “Les naufragés de l’île Tromelin” publié il y a deux ou trois ans, que j’avais dû lire, un peu à reculons confessons-le, pour animer une causerie avec son auteur, Irène Frain, à l’occasion de Plumes d’Equinoxe, la manifestation littéraire du Croisic. Et quelle ne fut pas ma surprise, de découvrir, au fil de ce récit somme toute bien conduit, une histoire incroyable, tirée de faits réels, digne de l’aventure de la Méduse.

Les rescapés de l’Utile, dont le capitaine est devenu fou au lendemain du naufrage, ont en effet construit deux villages de fortune sur cet îlot de sable qui culmine à sept mètres d’altitude, l’un pour les blancs, l’autre pour les esclaves, et reconstruit en deux mois, de toute pièce, une embarcation pour tenter de rejoindre Madagascar. Problème : au moment de partir, le navire s’est avéré trop petit pour embarquer tout le monde, et les soixante esclaves survivants, ont été abandonnés sur place avec quelques vivres et la disposition d’une vague source d’eau saumâtre.
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Quinze ans plus tard, la Corvette du capitaine Tromelin aborde l’île et y trouve sept femmes vêtues de plumes d’oiseau et un bébé de huit mois. Elles avaient réussi à entretenir une flamme pendant quinze ans sans le moindre bout de bois, se nourissant d’oeufs d’oiseaux et de tortues. Un récit poignant, qui s’inspire des travaux d’un chercheur, Max Guérout, qui a travaillé des années sur l’histoire de ce naufrage et réussi à en reconstituer l’essentiel grâce aux témoignages écrits des marins et à des recherches minutieuses conduites sur le site.
Avouons-le, je n’avais pas une bonne image d’Irène Frain, dont j’ai découvert à cette occasion qu’elle était agrégée de lettres classiques, mais surtout qu’il s’agissait d’une femme charmante, pas pimbèche pour un sou, et qu’elle était, au moment de la sortie su livre, totalement imprégnée par son sujet.
Mais au-delà de l’anecdote, c’est un vrai beau récit d’aventures, qui remet en perspective certaine histoire noire du XVIIIe.

Quelques nouvelles du monde

La république du Soudan du Sud (South Sudan) est un pays un peu plus grand que la France (650 millions de kilomètres carrés), issu en juillet 2011 de la partition du Soudan, consécutive à une longue guerre civile. La population – 10 millions d’habitants – est majoritairement noire, chrétienne et animiste, par opposition au Nord, à majorité musulmane. Le PIB par tête y est de 1 500 dollars (41 000 pour le France, à parité de pouvoir d’achat). Le Sud Soudan possède 85% des réserves de pétrole de l’ancien ensemble mais ne dispose d’aucune infrastructure. La quasi totalité de de sa production est écoulée via un pipe-line qui traverse le Nord Soudan. Entre les deux pays, une zone revendiquée de part et d’autre, est contrôlée par une force d’interposition de l’Onu, suite à de violents affrontements qui ont opposé Nord et Sud soudanais lors de la partition du pays.
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C’est en bordure de ce no man’s land que s’est réfugiée une partie de la population chassée par les combats, en provenance notamment la ville d’Abyei, détruite. Là, dans un village transformé en refuge pour les populations locales – 70 000 personnes – MSF Suisse a installé un hôpital de campagne. Deux cents personnes assurent le fonctionnement de cet hôpital, dont le personnel médical est essentiellement Kenyan. C’est là qu’est basé Louis, mon deuxième fils, depuis janvier. Il est logisticien, s’occupe des flux (générateurs électriques, eau, approvisionnements en tous genres) du parc automobile, et plus généralement bon fonctionnement des installations, à trois heures d’avion et trois jours de camion de la capitale Juba. Il accompagne également des missions ponctuelles de cliniques mobiles dans le no man’s land avec les quelques expatriés du lieu (les Sud Soudanais sont interdits de séjour dans la zone). Le tout dans une véritable fournaise où la température dépasse ordinairement 40° à l’ombre, quand il y a de l’ombre.
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Louis est arrivé ce jeudi pour une pause d’une dizaine de jours. Il est apparemment en bonne santé (il a presque meilleure mine qu’à son retour de Sierra Leone l’an dernier) mais n’a pas été très bavard, préférant se réfugier derrière un humour légèrement décalé, qui est la marque de fabrique de la fratrie. Cette mission le passionne “vraiment” mais il souffre d’être séparé de sa moitié. Ce qui s’entend. Et il lui est d’évidence difficile d’être extrait en quelques heures d’un univers “où les bébés pèsent trente grammes, comme dans les films”, de commenter l’incommentable. Je l’ai trouvé grave. Il m’a confié, en aparté, quelques scènes “bien trash”, en fumant force “Business Royals”, scènes qu’il avait d’évidence des préventions à développer devant le petit public familial réuni. Je viens de m’enquérir du taux de mortalité infantile au Sud Soudan. Il dépasse 71%. Soixante-et-onze pour cent.

Nous avons aussi évoqué, rapidement, la situation des associations humanitaires, le contexte politique, mais il ne dispose pas, je ne dispose pas d’éléments suffisants pour proposer une analyse sérieuse d’une situation qui pose de vraies questions et nous renvoie tous, évidemment, à la hiérarchie de nos indignations.

Louis n’a rapporté aucune photo. Les illustrations proviennent des sites MSF et United Nations (une patrouille à Abyei)

Amazon or not Amazon ?

improbables L’aménagement de cet atelier aura, outre des problèmes techniques infinis (mais passionnants à résoudre), soulevé un dilemme inattendu. Quel lien faire figurer sous les livres présentés ? Celui d’un libraire ou d’un site marchand, du type Fnac ou Amazon ?

Si l’on est un brin vieille France et attaché au commerce de proximité, la solution tombe sous le sens : dirigeons les lecteurs potentiels vers un libraire. Mais cette solution peut se révéler imbécile sur un site internet qui ne connait pas, par définition, la géographie. Si un Nantais cherche un livre édité à Nantes, il n’aura pas de difficulté à le trouver chez un libraire de la place. En revanche si un lecteur, basé à Phnom Penh, comme ce fut le cas récemment, cherche un récit de voyage au Siam édité en Bretagne, il aura tout intérêt à consulter Amazon.
amazon le point
Cette difficulté se double d’une particularité propre aux éditeurs de province. Si leurs ouvrages sont, en règle générale, correctement diffusés dans leur région d’origine (encore que), ils ne peuvent matériellement être présents en dehors de leur zone d’influence. Cela coûterait une fortune à tout le monde, pour un rendement misérable. Ajoutez à cela que mon éditeur nantais est fâché avec Amazon, cela ne simplifie la tâche de personne, surtout celle du lecteur potentiel de Zanzibar ou de Pondichéry (rare je vous l’accorde).

J’ai donc choisi une solution intermédiaire, consistant à proposer trois solutions différentes pour les trois livres présentés dans ce premier agencement : la Fnac pour le petit dernier « Au Royaume de Siam », en librairie à Nantes pour les voisins, Amazon pour le guide « S’installer à Nantes », édité à Paris, et la librairie Vent d’Ouest de Nantes pour « L’homme blanc », dont j’ai appris aujourd’hui par l’éditeur qu’il serait bientôt épuisé.
librairie lieu unique
Le gag est que votre serviteur sera commissionné, misérablement rassurez-vous, pour chaque livre vendu par Amazon, et ne touchera pas un fifrelin pour les autres. Non comme auteur, mais comme « apporteur d’affaire ». Au-delà de l’anecdote, la montée en puissance d’internet se révèle paradoxale : c’est à la fois une bénédiction pour les petites maisons d’édition, qui voient le champ des possibles s’élargir chaque jour en trouvant des lecteurs qu’ils n’auraient jamais atteint physiquement, et un drame pour les libraires, lesquels sont progressivement mais inéluctablement amputés d’une partie de leurs revenus.

Illustrations : Improbables librairies, hangar Amazon Le Point, librairie Vent d’ouest au Lieu unique

La construction de la mémoire

Ce mercredi, certain magazine publie un long dossier sur la Libération de Nantes, le 12 août 1944. Si ce genre de dossier thématique repose le journaliste du palmarès des hôpitaux ou des suppléments immobilier, il ne s’attend guère à faire de grandes découvertes. Le sujet semblant battu, pour ne pas dire rebattu. Quelle ne fut donc pas sa surprise de découvrir, grâce à un ouvrage paru l’an dernier, qu’il restait une étonnante zone d’ombre sur cette Libération. C’est en effet une poignée de jeunes gens, passés à la trappe de la mémoire collective, qui a ouvert la voie aux soldats américains et sauvé ce qui pouvait encore l’être des destructions planifiées par l’armée allemande en déroute. A leur tête Gilbert Grangeat, alias commandant Alain, 22 ans, employé des Ponts et Chaussées, bombardé commandant de la place FFI quelques semaines plus tôt, au lendemain de l’arrestation des responsables locaux de la Résistance par la Gestapo. Alain, tout comme la plupart de ces combattants de fortune, sera intégré dans l’armée à un rang subalterne et disparaîtra des radars dans le désastre algérien.
16 Gilbert Grangeat 8.11.1944 à Nantes
A Nantes, le maire nommé par Vichy, qui s’était soumis le 12 août au matin à ce jeune homme discret, dont les écrits traduisent une humilité et une intelligence des situations singulière, sera réélu quelques années plus tard maire de la ville et donne aujourd’hui son nom à un boulevard. Grangeat, disparu en 2004 dans l’anonymat, pas plus que son chef de réseau, René Terrière, mort en déportation, n’est honoré par la moindre plaque, la moindre ruelle à Nantes. Intrigué, le journaliste consulte alors un historien réputé, auteur d’une thèse sur la construction de la mémoire au XXème siècle à Nantes, qui avoue ne pas être surpris par ce “trou” dans la mémoire locale, même s’il ne connaît pas cet épisode dans le détail, expliquant à bas bruit qu’une course à la mémoire s’est engagée au lendemain de la Libération entre gaullistes et communistes, passant par pertes et profits les jeunes gens non politisés qui s’étaient engagés dans la Résistance. Mais il est des choses qu’on ne peut pas écrire dans le journal aujourd’hui encore. Au risque d’être l’objet d’un redoutable procès d’intention, de déclencher une tourmente incontrôlable. Certains soirs, quand roulent les rotatives, le journaliste, qui ne dispose pas des moyens d’investigation de l’historien, serre les fesses. Sachant qu’un détail inexact peut discréditer l’ensemble de son enquête et qu’il n’échappera pas, alors, au bûcher. Il est des portes de la mémoire qu’il ne fait pas toujours bon ouvrir.

Illustration : Gilbert Grangeat le 11 août 1944.