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Economie de l’attention et algorithmes souverains

Un bon thermomètre pour mesurer l’évolution des usages du numérique chez les jeunes gens, nous dirons cultivés, est la tournée des popotes effectuée chaque rentrée parmi les étudiants en Master « métiers de l’information et médias numérique » à l’université de Nantes. La quarantaine d’étudiants en Master 1 a volontiers répondu, ce mardi, à la question ouverte qui leur était posée quant à leur « mode de consommation » des médias.

étudiants

 Pas de surprise pour la consommation du papier, devenue marginale depuis plusieurs années. Quelques résistants confessent toutefois lire Le Monde de temps à autres. La télévision continue, sans surprise, à s’effondrer. En revanche la radio tient bon. Mais c’est évidemment internet qui écrase le paysage. Les sites des grands journaux sont abondamment cités, les blogs spécialisés également, mais une tendance, que je n’avais pas encore repérée semble se faire jour : l’utilisation du fil d’actualité des réseaux sociaux (facebook et twitter)  comme substitut à la recherche directe sur les sites d’information ou les agrégateurs de contenus, tel Google news.

Cette tendance se vérifie dans les faits, selon les professionnels de la profession (ZDnet) « 34,2% des visites d’un site web d’actualité français proviennent en moyenne du site Facebook en septembre 2013 (vs 20,3% en août 2012) et 8% des visites d’un site web d’actualité français sont issues en moyenne du site Twitter (7,2%en 2012). Même si c’est Google (et notamment Google News) qui reste et de loin le principal pourvoyeur de visites. » Intéressant à observer, pour deux raisons, me semble-t-il : elle montre que les jeunes gens organisent de plus en plus l’économie de leur attention en privilégiant un fil d’actualité plutôt que de se livrer à un vagabondage de consultations. Elle montre également que les jeunes utilisateurs sont devenus des virtuoses du paramétrage de leur fil, en y intégrant leurs journaux préférés et en se débarrassant, autant que faire se peut, des publications parasites.

Mais cette tendance révèle surtout l’intelligence déployée par les informaticiens des réseaux sociaux, qui affinent en permanence leurs algorithmes pour proposer les publications les plus « adaptées » au profil de l’utilisateur. Rappelons que l’algorithme de facebook prend en compte plus de 100 000 paramètres et propose à chacun un fil d’actualité tenant compte de son âge, de ses usages, de ses goûts… et qu’il mélange allègrement publications privées et publiques en tenant compte d’une mystérieuse alchimie concoctée dans ses laboratoires.

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Ce confort, qui permet de n’être soumis qu’à des publications, des articles de presse répondant à nos centres d’intérêt a toutefois un revers. Celui d’évoluer dans un monde clos, balisé par nos seuls désirs, et soumis au bon vouloir d’algorithmes souverains. On sait par exemple que les contenus (photos ou liens) provoquant le plus de réactions émotionnelles, montent plus vite que les autres sur le fil, en raison d’une règle simple : plus un sujet est cliqué par nos « amis » plus il est monte en référence.

Faut-il s’en inquiéter ? Pas sûr. Les informaticiens ne s’appuient finalement que sur une bonne vieille loi du papier : « la presse est un miroir » et chaque consommateur choisit les supports d’information qui confirment ses représentations. Et puis tous ces jeunes gens ne sont pas idiots, en affinant le paramétrage de leurs comptes, ils livrent une bataille muette mais passionnante aux analystes qui scrutent en permanence leurs comportements.

Illustrations : étudiants d’une promotion précédente, maville.com, présentation sommaire de l’algorithme facebook (DR).

La com à l’épreuve des réseaux

On en apprend un peu plus chaque année sur les arrière-cuisines du web lors de la restitution des travaux et le retour de stage des étudiants qui se destinent aux métiers du numérique. Les familiers de ce blog se souviennent peut-être de la mise en lumière l’an dernier des “fermes de contenus” dans le champ du journalisme.

Cette année, le plus frappant est sans doute l’installation durable des réseaux sociaux dans l’univers de la communication. Le phénomène est en train de bouleverser les usages, les techniques et les stratégies d’un secteur jusqu’alors à l’abri de l’interactivité.

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Expliquons-nous. Entreprises, institutions, associations s’appuyaient jusqu’à présent sur des techniques assez classiques pour faire passer leurs messages. Newsletters, sites internet, publications papier, affichage, flyers, relations presse, évènements, encarts publicitaires… étaient l’arsenal habituel de tout communicant chargé de promouvoir une structure, qu’il s’agisse d’un organisateur de spectacles, d’un éditeur de livres ou d’une Caisse d’allocation familiales (tout le monde communique désormais).

Les réseaux sociaux, les blogs et l’apparition de la « société de la recommandation » sont en train de faire exploser cette communication verticale entre l’émetteur d’un message (la structure) et le récepteur (le blaireau). La publicité conserve certes une puissance de persuasion redoutable en faisant vibrer la corde du désir, mais elle ne suffit plus. On se fie désormais de plus en plus aux recommandations de ses « amis », on aime partager ses coups de cœur, confronter ses avis, ses opinions. On cherche des informations sur les forums de discussion pour vérifier la fiabilité de tel ou tel produit, de tel ou tel service.

sncfCertaines entreprises semblent terrorisées par ces nouveaux usages et se placent sur la défensive en payant des services pour soigner leur « e-réputation », chasser tous les messages négatifs qui pourraient apparaître sur le web. Toute leur politique de communication peut en effet se trouver discréditée par une révélation embarrassante d’un employé sur facebook ou sur twitter, un message dévastateur, comme celui-ci, génial, intitulé cher Crédit Mutuel, posté sur youtube. Elles se placent donc sur la défensive, pour essayer de soigner son e-réputation.

L’une des solutions venue à l’esprit des communicants a consisté, dans un premier temps, à allumer des contre-feux en ouvrant des comptes sur les réseaux, où il est expliqué que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sans grand succès : les comptes des institutions ne sont pas fréquentés, ou s’ils le sont c’est de manière artificielle en « achetant » des faux amis (on peut le faire !) par paquets. Un artifice qui ne trompe pas grand monde.

On fait donc de plus en plus appel à des professionnels, des « community managers » un métier apparu récemment et en plein développement, des jeunes gens en général, qui sont chargés d’animer les communautés et de faire vivre une certaine forme d’interactivité. Leur métier consiste à poster des messages positifs, à entretenir une convivialité maîtrisée sur les réseaux, à draguer sur les forums pour ramener du trafic sur le site internet de la maison qui les emploie, bref à se substituer aux vecteurs classiques de la communication pour séduire une classe d’âge qui ne lit plus les journaux, regarde peu la télé et échappe ainsi aux radars conventionnels.

C’est le côté obscur de la force. Mais ce métier peut aussi se révéler précieux pour dynamiser une structure, faire partager une expérience, une histoire, à l’image de ce qu’a fait une étudiante pour promouvoir un théâtre. En ouvrant les rideaux sur la genèse d’une création, en instaurant un dialogue avec les abonnés, en conversant sur facebook avec les enfants venus visiter le théâtre, elle a popularisé, donné envie et convaincu un large public de fréquenter la salle pour laquelle elle travaillait.

Mieux, une autre étudiante, férue de musiques nouvelles, en stage dans un café-concert à Paris, a bluffé son monde en doublant la fréquentation du lieu grâce à un habile management sur les réseaux sociaux (twitter en appel, facebook en plate-forme). Elle n’a rien moins que créé son emploi (mais est quand même venue passer son exam).

D’évidence quelque chose est en train de changer dans le monde de la com. Le récepteur de messages ne veut plus être un simple réceptacle d’informations ou d’émotions, il souhaite interagir, critiquer, donner son avis au besoin, et les gourous de la com et de la publicité vont désormais devoir tenir compte de cette nouvelle donne. Ce n’est pas si simple parce que le “commmunity management” est gourmand en personnel, exigeant (il doit faire appel à des modérateurs malins et cultivés). Il y aura donc des morts, comme dans la presse, et de nouveaux arrivants. Mais ce qui est sans doute le plus réjouissant (sans pour autant faire preuve de naïveté, l’intox a encore de beaux jours devant elle) c’est qu’une certaine forme de rigidité formelle, de verticalité, de condescendance, a vécu.

Illustrations : wingz.fr, tweet SNCF engineering.