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du récit

hugo

création Clémentine Mélois

Le Nouveau roman avait cru pouvoir faire l’économie du récit. Il en est mort. La politique et l’enseignement croient, aujourd’hui à leur tour, faire l’impasse sur le récit, qui aurait fait son temps, au profit d’une lecture statistique et comptable des évènements passés et à venir. La poésie des points de croissance peut échapper à certains, c’est mon cas.
Régis Debray, entendu ces jours-ci, regrettait cet abandon du récit dans l’enseignement de l’histoire au profit d’une approche thématique. Il disait en substance que tout le monde a besoin de s’inscrire dans une histoire pour se projeter dans l’avenir. Comment ne pas partager ? Il faudrait sans doute faire relire Levi-Strauss à nos pédagogues patentés, qui réduisent l’histoire à des coupes sociologiques. Alors que chaque individu a besoin de mythes fondateurs, qu’ils soient individuels ou collectifs, mais aussi de se placer sur une échelle de temps. C’est son humanité.
Ne demandez pas à un de vos ados si Louis XIV régnait avant ou après la Révolution. Vous allez vous faire du mal. J’ai quand même réussi à faire avaler Les rois maudits aux miens. Sans trop de hurlements. La dramaturgie vaut, à l’aise, celle de Game of thrones. Mais très honnêtement je ne sais pas dans quel récit ils sont inscrits. Ils se sont bricolés le leur, forcément.
La gauche au pouvoir est d’une pauvreté invraisemblable dans ce domaine. C’est l’actualité, vouée à l’évaporation, qui donne sa colonne vertébrale à l’action politique. La question pourrait être : est-ce qu’il n’y a tout simplement pas d’histoire à raconter, pas de projet, pas de perspectives, mais un pilotage à vue, à l’image du précédent mandat ? On pourrait finir par s’en inquiéter. Au moment de l’afflux de réfugiés, l’absence de mise en perspective de l’histoire du peuplement de la France fait, par exemple, froid dans le dos.

voyage
Rappelons simplement le début du Voyage  de Céline, l’un des grands moments de la littérature du XXème.
« … la race ce que t’appelles comme ça c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et c’est ça les Français. »
Sans tomber dans le misérabilisme, il y a une histoire à raconter. Des lignes de force à tracer, un peu de générosité à proposer et quelques perspectives à dresser. Il n’est sans doute pas facile de faire tourner cette grosse machine qu’est le pays, la sixième mécanique du monde, avec des routes en moquette et internet qui fonctionne plus d’une heure par jour (ce que chacun trouve normal évidemment, mais qui ne l’est pas tant que ça). Dans un pays où personne ne veut rien lâcher (même les pilotes à 12 000 boules), il faut sans doute se préparer à une plus grande sobriété. Pourquoi ne pas le dire, les écolos, s’ils étaient moins puérils, auraient un vrai scénario à proposer : vivons frugal, vivons heureux ! Inventons un nouvel art de vivre, lequel se pratique déjà à bas bruit d’ailleurs.
Il ne s’agit évidemment pas de bercer le bon peuple avec des contes pour enfants, mais on pourrait au moins dresser des perspectives. Parce que chacun le sait, la nature a horreur du vide, et certains esprits chagrins l’on bien compris, qui fabriquent des récits en béton armé, à coup de race blanche et de « chrétienté ». Il n’est pas très compliqué pourtant d’assumer le fait que nous sommes les héritiers d’une tradition composite et multiséculaire : la philosophie grecque, le droit romain, la religion chrétienne aussi, et les Lumières bien entendu. Et d’inscrire une action politique dans une trajectoire, qui ait du sens. Qui donne envie. Mais c’est sans doute trop demander.