Un grand monsieur vient de disparaitre. L’un des hommes politiques le plus fantasques et les plus créatifs que l’Europe ait connu depuis la seconde guerre mondiale. Marco Pannella, dirigeant historique du Partito Radicale, ce parti transnational “libéral et libertaire”, défenseur de tous les droits humain, était un aristocrate de la politique, inclassable, généreux, imprévisible, profondément attaché à la lutte non-violente.
Admirateur de Gandhi, Il a surtout marqué les esprits par ses jeûnes à répétition, qu’il n’hésitait pas à poursuive jusqu’à la limite extrême de ses forces, pour obtenir un engagement de l’Europe contre la faim et la malnutrition ou, plus récemment, pour alerter l’opinion sur la condition des détenus en Italie. Homme de culture, proche de Leonard Sciascia comme de Pier-Paolo Pasolini, Marco, docteur en droit, parlait un français parfait.
Politiquement, il était allergique à tout dogmatisme. Je me souviens des cris d’orfraie poussés par les militants de gauche lorsqu’il s’était rendu à un congrès du MSI, le parti d’extrême-droite Italien. Marco parlait à tout le monde, considérait que chaque être humain, quel qu’il soit, avait droit à la considération, ce qui ne l’empêchait pas de dire ce qu’il pensait, de mener des luttes épiques pour le droit au divorce, à l’avortement ou la légalisation des drogues douces. Il croyait en la liberté et en la responsabilité de chacun.
Marco déployait des trésors d’imagination pour faire valoir son point de vue, allant jusqu’à faire élire une actrice de films porno à la Camera dei Deputati en 1987, une provocation dont il s’amusait beaucoup. Cette sulfureuse biographie politique n’a pas empêché le pape François de se préoccuper de sa santé ces derniers jours. Marco était un homme aimé des Italiens pour sa générosité et son franc-parler.
J’ai eu la chance de travailler avec lui au début des années quatre-vingt. A Bruxelles, à Strasbourg et surtout à Rome. A Strasbourg il s’agissait de rendre public un débat sur la faim et la malnutrition, que l’Assemblée européenne avait décidé de conduire à huis clos. Il voulait que ce débat soit rendu public. Nous avons donc monté une opération clandestine, installant un émetteur HF dans son bureau, où les débats étaient retransmis, discrètement loué une grosse sono, que nous avions prévu d’installer devant le parlement, dans le périmètre bénéficiant du statut d’extra-territorialité, négocié la retransmission des débats avec une radio strasbourgeoise et préparé une manifestation pacifique sur le parvis. L’affaire a malheureusement fuité et un cordon de CRS entourait le parlement le jour J lorsque nous avons voulu installer la sono. J’étais désespéré, mais lui riait. Son pari était gagné, nous avions attiré l’attention sur ce débat.
C’était Marco.