Les villes sont-elles mortelles ?

Etrange télescopage : alors que je replonge dans l’histoire d’Alençon (à l’heure où la ville était pionnière de l’imprimerie, siège d’un duché florissant, dont la souveraine, Marguerite de Navarre, sœur du roi et protectrice des arts, assurait le rayonnement) un clip nous annonce qu’Alençon est décédé.

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Feu la Renaissance, maville.com

Et de fait, on se demande en parcourant les rues désertes de cette petite ville bas-normande, si les jeunes gens qui postent ce faire-part n’ont pas raison. Il y a deux ou trois ans j’avais manifesté ici mon incompréhension devant la fermeture du grand café de la ville, la Renaissance, qui restait le coeur battant de la cité pour tous les exilés de mon acabit, de retour régulier au pays.

Ne restent plus guère aujourd’hui que la magnifique librairie « Le Passage », en danger elle-aussi, et la singulière salle de spectacle « La Luciole » pour maintenir une petite flamme dans ce qui fut une ville dans tous les sens du terme, disons jusqu’à la fermeture de la seule industrie locale : Moulinex. Alençon ne cesse depuis lors de se replier, de se rétracter et se transforme en bourgade fantôme flottant dans des habits trop grands.

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Le Conseil général de l’Orne, photo CG61

La faute à qui ?  A personne évidemment. Même si les élus, du département (de droite) ou de la ville (de gauche) ne sont totalement pas innocents dans cette affaire. En choisissant d’installer le siège du Conseil général en centre-ville, dans la caserne Lyautey,  plutôt que d’y installer l’antenne de l’université de Caen, les élus départementaux ont privilégié leur petit confort au détriment de la jeunesse, cantonnée à quelques kilomètres au milieu de champs de patates. La ville, elle, n’a pas trouvé mieux que d’encourager la création d’immenses et glaciales zones commerciales en périphérie, dévitalisant un peu plus le pauvre centre.

Il semblerait que la municipalité ait eu des velleités d’attaquer le clip parce qu’il nuirait à son image. Elle ferait sans doute mieux de s’intéresser au sort des dernières poches de résistance qui font encore d’Alençon une ville, comme le théâtre ou la grande librairie. Il est étonnant de constater à quel point certains élus ont du mal à comprendre l’importance de la convivialité, du commerce au sens noble du terme, dans la vie de la cité.

La réouverture de la Renaissance, la bien-nommée, serait dans cet esprit un signe beaucoup plus parlant que tous les discours.  Mais cela semble mal parti. Les villes sont peut-être mortelles, comme les civilisations.

 

4 réflexions sur « Les villes sont-elles mortelles ? »

  1. p.

    Merci Philippe pour le lien qui précise ce dont j’avais bien l’intuition… Mais qui peut bien acquérir ces merveilles? je crois que même les épiscopats et autres institutions religieuses, n’en ont plus les moyens. Ce qui me fascine dans ces travaux d’exception n’est pas le résultat, mais la technique qui se joue du temps et de la rentabilité, et l’esprit de résistance têtu, tenace, et portant modeste, si modeste. Il y aurait là de quoi écrire une fable.

  2. Philippe Auteur de l’article

    Des travaux ont commencé à la Renaissance m’assurent deux sources alençonnaises. Coïncidence heureuse qui voudrait me faire mentir. Ce serait un moindre mal … et un joli clin d’oeil du vocabulaire : une Renaisssance au lendemain d’un avis de décès.

    Les dernières dentellières d’Alençon sont ici, Pascale : http://pournouslesfemmes.com/dentellieres-dalencon-orne/

  3. p.

    dois-je préciser que la dentelle n’était pas l’objet du déplacement, bien sûr, juste de la métaphore…. pour faire “cultivé”…. ahhhh je ris triste!

  4. p.

    et l’on pourrait décliner votre papier, Philippe, ad infinitum…. Chacun, où qu’il soit, peut désigner en en changeant le nom, la ville “moyenne” mais pourtant “capitale” de son département, qui se fane, qui perd son âme… Il y a quelques jours, je voyais, par le plus grand des hasards, un micro reportage où quelques élus -je crois même le premier d’entre eux- venus pour une poignée d’ heures en Alençon pour je ne sais quelle signature dûment captée par les caméras de service (nationales donc) gloser lamentablement sur la dentelle et le point d’Alençon, pitoyables métaphores sur les vertus du travail de la lenteur dont on ne voit pas dans l’instant que les fils finissent par dégager une harmonie, invisible mais certaine dès son commencement…..
    Je crois qu’il reste moins d’une quinzaine, dizaine? de véritables dentellières. Je sais, c’est complètement hors du temps que de poser cette question. Mais, hors du temps, c’est l’immortalité non?

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