Le Malais de Magellan 8

8 – Les malheurs de Louise

Louis atteinte d’un mal inconnu. Le mal de Naples ? Projets de mariage de dame Cécile. Clément, en partance pour Nérac, écrit à Léonard. Bonnes nouvelles du manuscrit de Pigafetta mais mauvaises de Lecourt, qui s’entête devant les inquisiteurs.

Clément est loin de se douter de l’attention que lui porte Léonard en ce moment précis. Confiné dans le donjon du château – dame Cécile lui a interdit l’accès des appartements privés de Marguerite –  il a de toutes autres préoccupations. Louise est alitée depuis deux jours, frappée par une fièvre subite et, semble-t-il, une éruption de taches sur l’ensemble du corps. Enfin c’est ce qu’il a cru comprendre des informations qu’a bien voulu lui délivrer maître Coëvrot, le médecin de la duchesse. L’homme de l’art ne sait que trop penser de l’apparition de ces efflorescences qui font songer par certains aspects à une attaque du « mal napolitain », une affection vénérienne dont Clément a été victime quelques mois plus tôt. Maître Coëvrot s’en remet pour l’heure au seul traitement connu pour apaiser les démangeaisons et faire régresser l’éruption : une friction quotidienne de l’ensemble du corps avec un onguent à base de mercure. Le médecin fait son possible pour soigner, sinon guérir, la jeune fille à quelques jours du départ de la cour pour la Navarre, mais il va devoir la laisser aux bons soins de dame Cécile. Clément, pour sa part, doit se résoudre à partir sans avoir revu son éphémère conquête. La duchesse, à laquelle le médecin a confié ses doutes, lui a fait comprendre qu’il était désormais indésirable au palais. Il doit quitter le duché au plus tôt pour ouvrir la route de Poitiers, vers laquelle la petite troupe de Navarrais est appelée à se diriger.

 

« Vous veillerez sur elle jusqu’à son complet rétablissement. Ensuite la meilleure solution sera de l’envoyer quelques semaines en convalescence chez Jeanne d’Avoise. Je vais faire prévenir Jeanne, qui sera ravie d’avoir un peu de compagnie. » Marguerite a pris dame Cécile à part dans l’embrasure d’une croisée donnant sur la cour du château, inondée par le soleil de midi et encombrée à cette heure par les préparatifs du départ. Les attelages sont sortis, les charrons à l’œuvre et le souffle de la forge dispute l’espace sonore aux coups de marteau du maréchal ferrant qui rebondissent sur les façades. Un léger parfum de crottin et de foin frais monte jusqu’aux fenêtres. L’équipage doit être prêt à l’aube pour une première étape vers Beaumont, sur le chemin du Mans. Dans le palais on s’active à dépendre les tapisseries et à remplir les coffres. Marguerite n’a pas caché à sa gouvernante la possible cause du mal de Louise, dont elle se sent confusément responsable. « Il va nous falloir la marier rapidement si je comprends bien » commente dame Cécile en devançant la pensée de Marguerite « avant qu’elle ne fasse une nouvelle bêtise. Je vais me mettre en quête d’un mari qui pourrait convenir à sa condition. Un gentilhomme campagnard serait parfait, mais les hobereaux à marier ne courent pas les chemins dans le duché. Peut-être devra-t-elle se satisfaire d’un homme de robe ou d’un clerc. Je ne manquerai pas de vous tenir au fait. » 

 « Il faudra que j’ajoute une notice sur le mal de Naples à ce sommaire » songe Jean Coëvrot en feuilletant, à l’autre bout du palais, l’un des exemplaires du Sommaire de toute médecine et chirurgie que vient de lui livrer Gaspard. « Je désespérais de voir ce livre achevé avant mon départ », confie-t-il à l’apprenti, en caressant avec délicatesse la reliure de parchemin souple qui couvre ce premier tirage. « Tu ne pas peux imaginer comme je suis heureux. C’est un grand moment de voir un si long travail prendre forme. De tenir enfin entre ses mains, un objet que l’on va pouvoir transmettre, qui va circuler de main en main auprès de médecins du royaume et, sait-on jamais, au-delà. Tu n’oublieras pas de féliciter Guillaume pour la qualité de ses gravures.  Demande d’ailleurs à Simon du Bois de lui réserver sur mon compte un exemplaire du prochain lot, celui qui doit partir pour Amboise. » Gaspard ne cache pas non plus la joie qu’il éprouve à remplir cette étrange et belle mission qui consiste à livrer un ouvrage à son auteur. D’autant que la maison du Bois s’est mise en quatre pour réussir ce premier livre illustré, qui dégage des perspectives inédites à l’atelier d’Alençon, dont l’enseigne va désormais rayonner jusqu’à la cour de France. L’apprenti en oublierait presque son bienfaiteur, Etienne Lecourt, dont il attend toujours des nouvelles en provenance de Rouen.

 

A Léonard Cabaret, typographe, aux bons soins de maître Olivier Pierre, libraire rue Saint-Roman à Rouen.

Mon cher Léonard,

J’aurai quitté Alençon lorsque tu recevras ce pli. La reine Marguerite me demande de lui ouvrir dès demain la route de Poitiers où elle part retrouver son mari sur le chemin de la Navarre. Rien n’a filtré ici sur le sort de Lecourt. Silly s’est cloîtré dans son palais épiscopal et son inquisiteur n’a plus donné signe de vie.

Tu me diras si vous avez pu mettre la main sur les bois gravés du Villon, mais ne t’inquiète pas outre-mesure si ce n’est pas le cas. Je viens de voir le rendu des gravures de Guillaume sur l’ouvrage de maître Coëvrot et suis fort impressionné par la qualité de son travail. Ton ami est tout à fait en mesure de réaliser les illustrations lui-même. Nous verrons cela le moment venu, sans doute au printemps prochain. Je compte en effet passer l’hiver à Nérac.

En attendant, une plaisante mission t’attend. Il va te falloir prendre soin de Louise, qui est tombée malade après ton départ. Rien de dramatique semble-t-il, même s’il m’est difficile d’en juger puisque je n’ai pas été autorisé à la voir. A ton retour elle sera vraisemblablement en convalescence chez Jeanne d’Avoise. La duchesse n’a pas voulu alerter l’abbaye et souhaite la garder sous sa protection. Je la soupçonne de vouloir lui trouver un mari pour la mettre définitivement à l’abri du couvent. Mais rien n’est fait et tu as encore un peu de temps pour jouer les joli-cœurs à l’orée des bois si cela te tente.

Comme tu me l’as demandé, je vais m’enquérir de l’ouvrage du chevalier Pigafetta sur le découvrement des Indes supérieures. J’en parlerai à la reine-mère lors de notre prochaine rencontre, vraisemblablement à Fontainebleau, elle ne refusera pas de me confier le manuscrit s’il s’agit d’en faire une copie pour la bibliothèque de sa fille. Mais il te faudra sans doute bouger pour venir le consulter. Nous reparlerons de tout cela.

Ecris-moi à ton retour et donne-moi de bonnes nouvelles de Lecourt et de Louise. Vous allez me manquer, je commence à m’attacher un peu trop à cette bonne ville d’Alençon.

au château des ducs, le 2 septembre 1529, ton ami Clément Marot

 

Léonard est à la fois satisfait et inquiet en refermant le pli de Clément, qu’il vient de découvrir en arrivant à Rouen. Satisfait d’avoir des nouvelles fraiches d’Alençon et d’en prendre connaissance sur le ton alerte et gai de Marot. Inquiet pour Louise et pour Lecourt. D’évidence, l’affection de Louise n’est pas bénigne, auquel cas Clément l’aurait passée sous silence. Mais de quel mal peut-il s’agir ? Il sera difficile d’en savoir plus avant le retour en Alençon. S’il est démuni pour porter un quelconque secours à la jeune fille, Léonard peut, en revanche, lui témoigner discrètement son attachement en lui envoyant quelques nouvelles au manoir d’Avoise. Un billet imprimé par exemple, histoire de se dérouiller les doigts sur la presse d’Olivier Pierre, cela aurait une certaine allure. Elles ne doivent pas être nombreuses les demoiselles à recevoir des lettres imprimées, juste pour elles. Quant à Lecourt, il semble que cette fois les choses aient avancé. Olivier Pierre a demandé à voir les garçons au calme, il a des informations précises sur charges retenues contre le curé de Condé. Une excellente nouvelle enfin : une possibilité se dessine de consulter le manuscrit de Pigafetta. Cette perspective l’excite et l’enchante. Il en est de plus en plus convaincu : ce voyage va bien au-delà de la simple découverte des Indes supérieures par la route de l’occident. S’il est complet, s’il conte effectivement la première circumnavigation autour de la terre, c’est un livre extraordinaire qu’il n’ose imaginer, un jour, coucher sur une presse.

« Je ne vais pas vous le cacher messieurs, les nouvelles de Lecourt ne sont pas bonnes. » Maître Pierre n’y va pas par quatre chemins pour informer les garçons sur le sort d’Etienne Lecourt. Son informateur à l’archevêché, le frère Thomas, lui a brossé un tableau apocalyptique de la situation du curé de Condé. « Je ne le savais pas mais c’est la seconde fois qu’il est poursuivi pour hérésie et, vous n’apprendrez rien, il ne bénéficie pas à Rouen du soutien de la duchesse Marguerite. Qui plus est, cet âne bâté s’entête à soutenir des positions blasphématoires. Selon frère Thomas il continue à prétendre que « les saints n’ont point de puissance, que c’est folie d’aller en pèlerinage et voyages et qu’il n’y a pas lieu de révérer les reliques ». Plus grave, il claironne que « les indulgences ne sont qu’abus de pardons et que c’est autant de perdu que d’y consacrer de l’argent ». Ajoutons pour la bonne bouche, et cela devrait vous plaire même si cela aggrave son cas, il prétend « que la sainte écriture a longtemps été cachée sous la latin et qu’il est grand temps de la mettre en français. » Bref, du pain bénit pour l’inquisiteur, lequel se fait un plaisir de noter avec précision toutes ses déclarations pour enrichir son acte d’accusation. C’est à se demander si Lecourt ne souhaite pas endosser les habits du martyre. Il ne peut pas en douter : de telles déclarations le mènent tout droit au bûcher. » Guillaume et Léonard se regardent, silencieux et désarmés. Que faire ? « Il faut maintenant attendre que l’instruction soit menée à son terme, et ça peut durer des semaines, voire des mois » ajoute maître Pierre « mais vous savez maintenant l’essentiel. Lecourt a choisi de ne rien céder. Sa seule chance réside désormais dans une intervention royale. C’est sans doute ce qu’il cherche, afin de faire bouger les choses et progresser ses idées. C’est extrêmement risqué mais c’est ainsi. »