Finalement ce sera Poe, Edgard, dans la pléiade. Cioran est décidément trop noir pour accompagner des vacances. Pas mécontent pour autant d’avoir relu La tentation d’exister et découvert Histoire et Utopie. De très belles pages sur la Russie, mais une fascination morbide pour les tyrans. Donc, donc, pas Cioran sur ce coup là, mais nous y reviendrons. Voyons voir. Il doit y avoir ce qu’il faut dans les pléiades, pour satisfaire l’exigence d’un bagage léger : un seul bouquin, mais un bon, autant que faire se peut. Les pléiades ne sont pas regroupées, mais s’intercalent dans l’ordre alphabétique de la bibliothèque. Côté littérature Jane Austen ouvre le bal, mais c’est une lecture encore fraîche. Ensuite Balzac. Toute la comédie humaine est disponible (dix volumes) dans la première édition (grenat, le code couleur par siècle n’était pas encore adopté) héritage d’une vie antérieure de bouquiniste. Lu récemment Béatrix, qui se déroule près de Guérande, après Les illusions perdues. Pas mal, mais risqué si ça ne marche pas. Barbey, maintenant. Toujours ensablé dans Un prêtre marié, magnifique mais diabolique. Barbey, c’est un peu le Cioran romancier du XIXéme, M. Court me pardonnera j’espère. Baudelaire ensuite. Pourquoi ne pas relire un peu de prose de Baudelaire. Le spleen de Paris, un de ces textes qui m’ont éveillé à la langue. Pas relu depuis bien longtemps. Tentant. Mais poursuivons. Borges, trop facile, les volumes (première édition) ont les dorures qui se sont enfoncées dans le cuir tant les volumes ont été été manipulés. Je me suis fait un plaisir de les balader sous les tropiques. J’aime les livres qui ont voyagé.
Dostoïevski qui a accompagné le transsibérien, Yourcenar qui a fait l’Afrique ou Proust, victime rafistolée d’Asie, ont une place à part dans ce panthéon local. Mon préféré reste le Yourcenar, qui n’a pas bougé, qui s’est même bonifié avec le temps. Le cuir est souple sous la main. Mais déjà relu Les Mémoires d’Hadrien et L’œuvre au noir. Donc donc, Baudelaire. Au fait Poe, où est le Poe ? Chez un des garçons sans doute. Effectivement. Ah oui Poe, traduit par Baudelaire, pas mal. Un cadeau d’anniversaire d’Isabelle, en 1987, pour mes trente-et-un-ans. Relu à cette occasion, mais pas depuis. Un peu exaspéré à l’époque, confessons-le, par la tournure fantastique que prennent Les aventures d’Arthur Gordon Pym. Mais bon, ça se retente. Le volume n’est pas trop gros, il n’a plus de boitier ni de rhodoïd, mais il est avenant. C’est Bachelard qui m’a ramené cet hiver à Poe. Dans L’eau et les rêves, Bachelard s’appuie souvent sur Poe pour dérouler sa rêverie, notamment sur les aventures d’Arthur Gordon Pym : « Cette œuvre est comme on le sait un récit de voyages, un récit de naufrages. Ce récit est encombré de détails techniques sur la vie maritime. nombreuses sont les pages où le narrateur, féru d’idées scientifiques plus ou moins solides, aboutit à une surcharge fatigante d’observations techniques (…) Au temps de ma première lecture je n’avais trouvé qu’ennui à cet ouvrage, et bien que je fusse dès la vingtième année un admirateur d’Edgard Poe, je n’avais pas eu le courage d’achever la lecture de ces interminables et monotones aventures (…) J’ai compris [alors] que cette aventure qui, en apparence, court sur deux océans, est en réalité une aventure de l’inconscient, une aventure qui se meut dans la nuit d’une âme. Et ce livre, que le lecteur guidé par la culture rhétorique peut prendre pour pauvre et inachevé, s’est révélé au contraire comme le total achèvement d’un rêve d’une singulière unité. »
Autre question au moment de boucler le sac. Machine ou pas machine ? Laptop or not Laptop ? Une question qui ne se posait pas il y a une dizaine d’années mais qui, désormais, s’impose. Tout bien pesé ce sera non, pas d’ordinateur, fût-il portable. Cela limitera les possibilités d’intervention dans cet atelier, mais un petit décrochage ne fera pas de mal. Le lieu reste cependant ouvert aux familiers, qui n’ont pas besoin de montrer patte blanche. Pour les visiteurs de passage, un filtrage du premier commentaire est installé, pour nous préserver des trolls. Mais un simple clic depuis un téléphone portable permettra, au besoin, de valider la publication. Voilà, voilà. Direction le sud donc. Annonay, pays des frères Montgolfier et du papier Canson, dans un premier temps, puis Avignon, où nous tâcherons d’assister à quelque représentation théâtrale. Retour par la Creuse et les Charentes. En ne doutant pas que la jeunesse aura pris soin de la maison pendant que les chats sont partis. Bon juillet à tous.
Mais enfin, que se passe-t-il Elena?
Ciao a tutti.
aaargh
“À propos de CE blog” (la coquille était évidemment mienne)
(& qq lignes plus haut, mais c’est moins gênant puisque je suis seule concernée : Mais je me SUIS vite rendu compte)
Pas besoin de torture pour que je fournisse ma propre liste, la confiance suffit — mais “entre quatre-z-yeux”, certainement pas en public.
Il me semble que c’est ds un roman de David Lodge que ce jeu de la vérité tourne, inévitablement , au jeu de massacre. Et que Pierre Bayard évoque l’épisode ds un de ses exercices ironiques que critique décalée — ce doit être Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?
Vérification faite : c’est le bon ouvrage de Bayard, mais il y évoque DEUX romans de Lodge. Tt cela pour en venir à la taxonomie qu’il élabore : LI pour livre inconnu, LP pour livre parcouru, LE pour livre évoqué (les livres dont on a entendu parler) & enfin … LO pour livre oublié — catégorie placée sous le haut patronage de Montaigne, qui se présente comme “homme de nulle rétention”.
Un exemple personnel tt récent : le livre de Salvatore Satta, Il giorno del giudizio, est évoqué sur la Rdl. Je trouve (à tort ou à raison) que les extraits présentés ne reflètent pas l’essentiel du livre, ou plutôt du livre que j’ai lu, de ma version, de mon “interprétation” du livre (sans doute en partie parce que je l’ai lu en v.o., — je ne prétends pas que ce soit “mieux” en soi, ds l’absolu, mais cela constituait une part importante de mon expérience de lecture. L’aurais-je autant aimé, aurais-je seulement eu envie de le lire si j’avais rencontré la version française ? Je me suis souvent posé la question pour J. Austen). Ce n’est pas (je l’espère) le seul désir d’ergoter : je suis qq peu consternée de voir “aplati”, dévitalisé, rendu banal & anodin un livre qui m’avait chamboulée parce qu’il ne ressemblait à rien de ce que je connaissais, parce que sa tonalité me paraissait si unique, si personnelle.
Mais je me vite rendu compte que le livre, lu à l’automne 2010 (ce n’est pourtant pas si loin), n’est plus assez présent à mon esprit pour que je puisse le présenter autrement avec suffisamment de précision. Je me suis rabattue sur une solution de facilité, puisque CP lit l’italien : j’ai copié-collé les extraits que j’avais faits à cette époque, pour au moins redonner cette texture, cette saveur particulières.
Bien sûr qq épisodes surnagent ds ma mémoire, qq impressions ; d’autres reviennent avec les citations. Mais je dois reconnaître que l’essentiel du bonheur, de la force de cette lecture s’est évaporé. Un peu comme lorsque la musique s’arrête, les dernières vibrations cessent … Ce ne serait qu’en reprenant le livre, en refaisant tt le parcours, que je pourrais les éprouver à nouveau (peut-être de façon légèrement différente).
J’aurais sans doute dû écrire immédiatement, pour moi, mes impressions, mes tentatives d’analyse. Le blog Brumes d’un lecteur, qui semble malheureusement s’être interrompu, était admirable déjà en cela (outre la qualité & la précision des recensions). On trouve notamment ds la page “À propos de se blog” :
“Lisant beaucoup, je pense indispensable de convertir certaines de mes impressions, souvent confuses et informes, en de petits textes, calibrés entre 1 000 et 4 000 mots, et destinés à préserver (au moins pour moi) quelque chose du livre. Car, hélas !, la mémoire ne garde que peu de choses d’une lecture, même attentive. Que nous reste-t-il des années après, sinon un vague sentiment, un souvenir diffus, une opinion mollement étayée ? Écrire une note est alors le seul moyen sérieux pour fixer l’acte de lecture en une forme stable, quoique subjective […]”
Mais même si je l’avais fait, il me semble que mes notices auraient été aux textes (ou plus exactement peut-être, la lecture de mes notices aurait été par rapport à la lecture des textes) ce que sont les fleurs séchées, peut-être glissées justement ds les pages d’un livre, par rapport au bouquet vivant, odorant, aux couleurs véritables, en 3 dimensions, avec les textures variées des pétales, les grains de pollen sur les étamines, la flexibilité des tiges, le lustré ou le velouté des feuillages. Ou le souvenir de la promenade en vélo ou de la partie de tennis par rapport à l’expérience du mouvement. Tant pis si je tombe ds le ridicule avec mes comparaisons, je ne sais pas comment parler autrement du plaisir irremplaçable de ce mouvement de la lecture (qui ne se confond pas avec, ne se réduit pas à la découverte de l’intrigue). La lecture comme plaisir à la fois cumulatif (pdt le parcours de ce livre-là, je ne parle pas d’une éducation perpétuelle à la lecture) & terriblement fugace.
La lecture comme la manne, inutile de vouloir thésauriser ?
Votre dernière remarque, Elena, est des plus importantes. En effet, il y a des livres qui nous sont tombés des bras, nonobstant leur réputation, voire leur gloire, ou tout simplement l’ardeur et la chaleur d’une amicale et autorisée recommandation. Je n’ai jamais pu, par exemple, lire Conrad, un des écrivains élus de notre hôte. Et j’ai une petite liste, que je ne donnerai pas même sous la torture, de romans dont il ne faut jamais dire qu’on n’a pas pu aller jusqu’au bout! Mais, l’inverse existe aussi : avoir voulu susciter un enthousiasme semblable au sien en offrant tel ou tel livre, et faire un bide!
Pour le reste, la lecture papillonnée, en papillonnade, papillonnante, et papillonne, s’opposant à la tatillonne, hautement nécessaire, est une pratique impossible pour moi dans le genre Roman. Les essais, les travaux, les pages toujours (re)marquées, signées, signalées, chargées d’annotations, de notes, de références, d’à-propos parfois ineptes à la relecture, sont autant de pierres plus ou moins écartées pour franchir des rus, des ruisseaux, des fleuves, des cataractes, voire des chutes…. et aller, ou pas, d’un point à un autre… On sait, quand on commence, jamais quand on s’arrête, et des heures peuvent passer ainsi, à sauts et à gambades, comme dit Montaigne, dans ces promenades imprévues. C’est addictif comme un paquet de bonbons ouvert…. et tellement meilleur pour la santé!
Désolée, je n’ai pas eu bcp de temps récemment, je n’avais même pas vu passer la devinette. (Cela vaut peut-être mieux, ds la mesure où mon esprit de clocher siennois m’écartèle sur la question : je ne peux tt à fait me réjouir d’une défaite contre Florence, celle de Colle di Val d’Elsa, alors même que je me réjouis de sa conséquence, à terme — le fameux gouvernement des Neuf)
Je crains d’être aussi un peu à côté de la plaque à propos de la relecture.
Ce dont j’aurais envie de vs parler ne correspond pas vraiment à ce que vs évoquez.
Je m’en explique brièvement : j’ai enfin pu me procurer le petit livre de Bernard Noël, Le Cerveau disponible (pbl de distributeur m’a expliqué ma libraire). Mêmes réactions à sa lecture intégrale qu’à celle de l’extrait présenté par Philippe : je l’ai trouvé à la fois fort intéressant & frustrant.
C’est assez souvent le cas (avec une fréquence & une intensité variables évidemment) qd je lis des essais & parfois aussi pour des œuvres de fiction. J’annote fiévreusement ds la marge : cf. Truc ds X, // Machin ds Y, ou encore ≠ Bidule ds Z.
Il arrive aussi que je me souvienne d’un argument, d’une théorie, d’un récit, d’une anecdote sans me rappeler sa provenance, ce qui est ennuyeux (moins sans doute que de croire que cela proviendrait de mon propre fonds, mais qd même).
Il s’agit donc souvent de ces ouvrages dont vs ne parlez pas (que vs écartez délibérément), d’ouvrages-outils, ouvrages-aliments bâtisseurs (& qd il s’agit de romans, c’est que je les détourne alors de leur usage “désintéressé”).
Assez fréquemment, ça s’arrête là … Non pas que j’aie parfaitement & précisément en tête tt ce qu’a dit Truc ou Machin ou Bidule sur la question, les tenants & les aboutissants, l’occasion de cet argument ou de cette réflexion, sa place, son rôle ds la théorie, l’argumentation du livre, et encore moins sa formulation exacte, mais qqch surnage & je me contente de jeter des ponts, de relier.
Mais si c’est tjs le même Machin qui revient page après page, ou si la lecture actuelle a fait resurgir qqch que j’avais oublié, & surtout si je suis prise d’un doute (Bidule ou Truc, ds X ou Y, ne suis-je pas en train de déformer, de faire des oppositions factices ou des rapprochements abusifs ?), je recherche Y de Machin.
Une fois sur trois à peu près : ah, mince, qq me m’a emprunté, mais qui donc déjà ? / où ai-je pu le mettre ? J’aurais pourtant juré que l’avais classé avec les … Peut-être ds la bibliothèque des …
Mais supposons que je localise Y de Machin, encore faut-il retrouver le passage auquel je pensais.
C’est alors que l’envie de relire me saisit souvent. En remettant le nez ds ces pages je succombe au charme ou à la force, je suis “reprise”. Difficile de se contenter d’une vérification, ttes les raisons pour lesquelles ce livre m’avait intéressée ou marquée me reviennent (surtout s’il s’agit de Jankélévitch ou de Bachelard …) Faut-il être raisonnable, ne pas se permettre de dériver ? Le risque étant évidemment de tt faire à demi, & mal, & de finir par laisser les deux livres (l’ancien & le nouveau) en plan, pour avoir voulu suivre une idée ou une image-papillon.
Bon, je vais vs laisser pour reprendre La Parole humiliée de J. Ellul. Et l’Eloge de la présence (si je le retrouve). Et évidemment le Sur la Télévision de Bourdieu.
Et si j’essaye de mieux répondre à la question que vs posez — j’aimerais relire le Comte de Monte-Cristo, la Dame de Monsoreau, l’Île mystérieuse & les 500 Millions de la Begum.
Et d’une autre période de ma vie, Tom Jones & Tristram Shandy (prendre le tps de les relire en entier, pour eux-mêmes & non pour vérifier tel ou tel pt).
Et La Modification.
Et Oblomov. Et Les Âmes mortes.
[Il y a aussi un autre type de relecture, celle des livres que l’on n’a pas aimés ou pas réussi à finir alors que la plupart des lecteurs que l’on admire, en qui l’on a confiance, vs assure qu’il s’agit d’un gd livre. J’en ai un certain nombre ds cette catégorie. Parfois, c’est une question d’âge. Parfois, lorsqu’il s’agit de livres écrits ds une autre langue, les lire en v.o. ou si l’on ne connaît pas la langue d’origine ds une autre traduction suffit. Mais je m’écarte encore.]
Très belles lignes sur Cézanne.
Ambivalence assumée pour Matisse : … ” on l’admire pour toutes les qualités dont il manque, qui sont hors de la nature et qu’il poursuit systématiquement, par périodes alternées. Il n’a des préoccupation que pour l’ordre ou la déformation, l’équilibre ou le caractère. il écoute la mystérieuse chanson des surfaces. mais pour qu’une tache devienne surface, pour qu’elle acquière la noblesse d’une surface, il l’entoure d’une clôture, il la cerne. Il oublie que ses meilleures toiles sont spontanément “luxe, calme et volupté”, qu’il sait créer un univers de caresses où la vie brute ne peut entrer, ni le sentiment, ni cette grandeur intellectuelle à laquelle il aspire”
Entrée en Werthie avec “Léon Werth, Le Promeneur d’art”, ouvrage publié à l’occasion d’une exposition qui lui fut consacré en 2010. Bel objet, photos et textes très soignés, grand format chez Viviane Hamy qu’il faut remercier de n’avoir pas ménagé ses efforts éditoriaux pour que l’homme d’Issoudun ne soit désormais inconnu que par accident (comme c’était mon cas) et non volontairement, son oeuvre étant, dorénavant parfaitement accessible.
Je me promène dans ces pages avec nonchalance et bonheur, même si je fronce les sourcils en lisant que Picasso, les Surréalistes, l’abstraction, le futurisme…. il n’en était pas. Mais savoir qu’il était un intime d’Octave Mirbeau, alors là, je retrouve le sourire. Octave Mirbeau si peu lu, jamais dans les rayonnages à hauteur du regard, pas dans les collections “poche” les plus courantes, les plus connues.
Je sens, parcourant les extraits, les citations, donnés à lire dans ce volume, que je vais aimer cette plume, incisive, précise, riche, fine et, apparemment, percutante! Tout pour me plaire, à première vue.
Grand merci à Eléna.
Les châteaux et les villages des alentours réputés (gibelins) disons, hostiles, ça suffira… subirent le même sort.
J’avais juste oublié la dernière phrase. Des villages entiers …. quel détail! auquel, finalement, aujourd’hui encore, on s’habitue….
Le suspens insoutenable doit prendre fin et ainsi faire cesser le déferlement de propositions auquel on assiste ici depuis 3 jours.
La ville, c’est Florence, le siècle c’est le 13ème, (l’an 1257 précisément).
Les constructions “seulement” détruites pour éviter que la ville ne le fût totalement, sont 103 palais, 85 tours, 580 maisons…..
(anecdotiquement, ces renseignements proviennent de l’Histoire de Florence de Machiavel, mais ils auraient pu provenir d’un article de journal d’aujourd’hui rapportant des exploits guerriers tout aussi contemporains, c’est juste à cela que j’ai pensé en lisant ces lignes qui font -quand même- frémir. Enfin, au moins moi!)
Devinette.
Complétez les mots manquants :
En …. les …… vainqueurs, appuyés par les troupes …….., voulaient tout bonnement la (une ville d’Europe) détruire dans son entier. L’un d’eux, heureusement, F d U, s’y opposa : s’il avait fait la guerre, c’était pour pouvoir “habiter dans sa patrie”, et non en faire un désert. On l’écouta, et on se “contenta” de raser 103 ………, 85 ……. et 580 ……. dans deux quartiers sur quatre ne demeurèrent debout que les ……… et les bâtiments de la commune. Les châteaux et …… des alentours réputés ……. subirent le même sort.
Autrement dit, où et quand, cette “liquidation” programmée puis “réduite” uniquement par souci de plaire au chef? et qui nous rappelle d’autres exactions bien plus contemporaines…
Je me permets (ds le rôle que je me suis indûment attribué d’attachée de presse posthume de Léon Werth) de copier/coller ici le tr long commentaire que j’ai déposé sur le blog de Paul Edel, Près loin (en réponse oblique à d’autres posts)
• Ds le Journal de guerre de Léon Werth littérature, art, notations sur le vif & politique voisinent ou alternent pour le plus gd plaisir du lecteur.
Ainsi le 17 octobre 1940 L.W.
— relaie non sans ironie les conseils aux jeunes gens (« ramasser des marrons d’Inde ») & les interdictions de Vichy, pour le moins contradictoires en matière d’agriculture (« défense de tuer un cochon ne pesant pas au moins 100 kilos. Défense de donner des pommes de terre aux cochons. ‘On les engraissera à l’eau claire…’ disent les paysans »)
— évoque ce que J. Decour appelle « la faune de la collaboration » ds le monde littéraire (à l’occasion de la visite d’un ami parisien), ce jour-là Chateaubriant & Drieu la Rochelle, en notant que leurs arguments sont les mêmes que ceux qui sont mis en avant par le gouvernement de Vichy : on éviterait ainsi la politique brutale de répression que ne manquerait pas de déclencher « une France unanime, dressée ds le dégoût & ds la haine » ; ce serait pour mieux désarmer l’Allemand que l’on discute avec lui, pour l’obliger « à quitter sa cuirasse, à laisser son épée ds le porte-parapluie ».
— enchaîne avec des considérations sur le rapport de l’Allemagne à la force, nourries de souvenirs proches ou plus anciens :
« Jamais les ALlemands ne se sont enorgueillis d’être des Barbares. Il paraît que ‘l’Attila motorisé’ les a bcp fâchés. Je les ai vus, ds le Gâtinais, soulevant els enfants ds leurs bras, souriant à ces enfants. J’en ai entendus qui, reposant l’enfant à terre, murmuraient pour son édification : ‘Tu les as vus les Poches, les Parbares…’ Et ce mot de Barbares leur faisait mal aux lèvres. Ils se sont étendus sur l’Europe. Et cependant Hitler refuse la succession d’Attila. Et déjà, avant la guerre de 1914, l’Allemagne de Guillaume ne se bardait de fer qu’en invoquant la Bildung & la Kultur. »
— revient à Chateaubriant, Drieu & co :
« Leur sympathie pour le fascisme, le nazisme, est, au fond d’eux-mêmes, plus forte qu’un sens national impulsif ou fondé sur l’histoire. J’ai vu naître ce type d’homme, après la guerre de 1914. Elle les avait contraints, elle les contraignait au mensonge. Elle fut pour eux d’abord une vieiile chose légendaire. Soldats, ils allaient y éprouver leur jeunesse & leur goût de la vie. Mais elle prit bien vite une odeur de fruit pourri. elle était morne, sans éclat. Ils espéraient une aventure ; on leur offrait les risques & la monotonie d’un métier insalubre […] Bientôt, ds l’inextricable guerre, ils ne virent plus que leur jeunesse, que la mort menaçait de leur voler. Et la guerre leur apparut comme une injustice violant les droits de leur jeunesse.
Mais ils étaient de décente bourgeoisie. Les idées contre la guerre étaient de celles qu’on ne dit pas. Dirigées contre leurs biens &, de plus, inélégantes. La révolution était du répertoire du zingueur. Humanitaire, ridicule & vulgaire […] Délivrés de la guerre, ils comprirent qu’avouer leur peur, leur dégoût, leur refus, c’était compromettre leur carrière. C’est ainsi qu’ils furent à la guerre ce que les libertins hypocrites furent à la religion, tantôt confessant une pointe d’athéisme, tantôt témoignant de leur fidélité. […] Cette hypocrisie [faisait] d’autant mieux illusion qu’ils avaient adopté un ton d’insolence. Un peu de brutalité, un ton sec simulent assez bien bcp de sincérité.
[…] Ils n’avaient pas jeté leur gourme. Rentrés chez eux, ils ne savaient pas bien s’ils étaient des enfants ou de vieux hommes. Le fascisme flatta à la fois leur goût du chahut & leur passions ‘sciences po’ & ‘classes dirigeantes’. Leur dégoût du parlementarisme fut peut-être leur seule innocence. Ils furent éblouis par les défilés gymnastiques, en même tps qu’ils espéraient un nouveau siècle de Louis XIV. La gde secousse de la guerre les laissait vacillants. En deçà des vieilles règles, ils se crurent au-delà. Nourris d’une littérature du fin du fin, ils étaient sans défense. Ils furent entraînés par des idées simples de machiavélisme et de force, séduits, comme une caillette de salon par un lutteur forain. Et les dictateurs leur clignaient de l’œil. ‘Sautez par-dessus le vieux monde.’
— Puis il en vient à une « histoire naturelle », à laquelle ds ce contexte on est d’abord un peu tenté de donner une valeur métaphorique :
« Monde extérieur. Bec à bec deux dindons se battent. L’un l’autres, ils se mangent le crâne & se tenaillent le bec. Ils font un petit saut guerrier & redressent la tête avec un air de stupide indignation. ‘Mis alors… mais alors…’ Ils sont féroces & ridicules. »
— Mais ensuite arrive le tableau de mots, la description d’un objet naturel vu & analysé par un véritable amateur d’art & connaisseur, qui a absorbé & faits pleinement siens des savoirs techniques. Cette compétence n’est pas exploitée pour se faire valoir mais mise au service de la précision & de l’efficace de sa description :
« Que leur plumage est beau ! Un noir de soie chinoise, éteint, chargé de cendre, une poudre d’ocre & un blanc mat, lavé de tte la bourgeoise propreté du blanc. Des rapports de batik, en plus discret encore & plus précieux. Une répartition d’ornement égyptien ou plutôt n.gre. Le fin du subtil ds l’évidence. Mais ces plaisirs-là, je ne sais plus où les mettre. Cela me touch & tt à coup, il me semble que je m’en fous. »
[Suivent encore une médiation sur la tentation de se réfugier « ds un bel égoïsme », avec évocation de la sérénité de Goethe & de l’amor intellectualis necessitatis, puis virage en épingle à cheveux « Mais Goethe était conseiller aulique. Et Spinoza polissait des verres de lunettes. », puis les paroles rapportées d’une paysanne dont le mari est prisonnier : » ‘Il faut bien qu’il y en ait qui sèment.’ C’est leur pensée à ts. Ils nourrissent le monde, ils nourrissent les bourgeois, ils nourrissent les ouvriers, auxquels ils ne pardonnent pas les congés payés. »]
Contente d’avoir communiqué l’envie de lire Léon Werth.
Pour ma part j’avais commencé par 33 Jours, son récit d’exode & “sauté” directement à Impressions d’audience.
Ce qui avait immédiatement provoqué un manque, car ce dernier est un livre “public”, un travail de journaliste ; même tr personnel (le recueil permet d’ailleurs de le mesurer puisque cette édition fournit obligeamment les articles de complément qui étaient parus à côté des articles de cet envoyé spécial au procès), cet ouvrage m’avait frustrée du sentiment de proximité, d’intimité d’esprit que l’on avait l’impression d’entretenir avec l’auteur ds le récit de son très lent voyage.
Après avoir goûté à ses notations sur son quotidien (dépourvues évidemment de tte complaisance mais pleines de petites choses vues ou entendues qui redonnaient tte sa chair à un épisode de l’histoire), après avoir partagé les réactions au quotidien (& les réflexions qui les prolongeaient) d’un esprit admirable, je me retrouvais en qq sorte à distance normale de l’auteur des articles sur le procès Pétain. Cette frustration (comme si un ami soudain vs battait froid) a eu l’heureux effet de me faire surmonter mon hésitation initiale devant les 730 pages de son Journal de guerre.
Elena, dans mon excellente librairie de province, il y avait de Léon Werth : Saint-Exupéry tel que je l’ai connu… (les points de suspension sont dans le titre). Au passé, parce que depuis mon passage, hier, il n’y a plus! je me le suis offert. Où l’on trouve aussi quelques extraits de son Journal, quelques lettres, des photos et des dessins de StEx. qui, comme on ne le sait pas tant que cela, lui a dédicacé, dédié?, son Petit Prince. Ce n’est pas forcément par là que je voulais faire connaissance avec ce Léon que vous prisez tant, ce qui est un gage, mais j’ai aussi commandé son bouquin sur l’art, et celui sur le procès de Pétain. Arrivée prévue la semaine prochaine.
Belle journée à vous et à ceux qui passent en silence. Pourtant la question “et vous? si vous deviez relire un livre dont le souvenir, même lointain, vous éblouit encore, lequel serait-ce?” vaut pour invitation à prendre quelques secondes pour donner envie.
Quand même, quand même, lire Spinoza dans la tranchée! ça me pétrifie d’admiration…
Dire qu’il y en a qui ne lisent même pas le journal sous un parasol….
C’est un très beau passage, en effet, Elena, qu’on pourrait sous titrer, de l’usage des grands textes philosophiques. L’apprentissage de l’humilité conduite par l’étonnement et l’admiration. Se laisser porter par une grande oeuvre, sa difficulté, sa richesse. La laisser (nous) faire et non la triturer pour la dé-faire selon nos minuscules envies, qui ne seront jamais à la hauteur dans le cas de Spinoza et quelques autres de même farine.
Il faut, rapidement, faire connaissance de Léon Werth.
Quel été!
Bonnes vacances, Philippe !
J’avais pensé à vous en lisant ce passage de Déposition Journal de guerre 1940-1944 de Léon Werth — & à Pascale.
Réfugié ds sa maison de vacances entre Bresse et Jura, à Saint Amour, Werth dispose d’une belle bibliothèque mais ce jour-là, le 28 novembre 1940, jour de découragement, il se souvient de la guerre précédente, qd ds les tranchées il était devenu “l’homme d’un seul livre”. Autre version du jeu de l’île déserte …
Et, au-delà du problème “Quel livre choisir ?”, on retrouvera (quoique transfigurés par son écriture) qq thèmes de nos discussions. Cet extrait ne permettra pas de goûter tt ce qu’il y a d’admirable (presque ch jour ce gd connaisseur de la peinture donne un croquis verbal du paysage, parfois presque un haïku) & d’honnête ds ce Journal (conversations rapportées avec les gens du coin, réactions personnelles aux rumeurs ou à la lecture des journaux — non retouchées après coup), mais au moins il permettra de voir l’art de la transition de cet esprit délié.
Chasser de soi la guerre. Ne plus penser à la France, à l’Angleterre, à l’Allemagne, à la civilisation, à un instable état des mœurs, ne plus souffrir en soi la souffrance de 2 millions de prisonniers & de 50 000 Lorrains chassés.
Je ne veux plus cesser d’être un homme pour devenir un animal historique, je ne veux plus m’anéantir ds une pitié trop vaste, qui cesse d’être de la pitié, qui devient elle-même historique.
L’époque me touche, me traverse, m’envahit, s’attaque à ma chair. Mais elle opère sur de tels chiffres de telles dimensions que je n’ai pas assez de points ds ma chair pour en recevoir les excitations. Que les 2 millions de prisonniers & les 50 000 Lorrains & cette civilisation en voie de dissolution, ne soient plus que des abstractions historiques, ne me touchent plus qu’en ces froides régions de moi-même où je contemple l’exode de la Bible, les grands massacres classiques, la conquête de la Grèce par Rome & la défaite de Vercingétorix !
Il serait peut-être temps de me réfugier ds l’amour intellectuel de la nécessité. Pendant la précédente guerre, ds la tranchée, je lisais Spinoza. Que cette phrase fait bien & me donne une belle attitude ! Les balles sifflent, les obus tombent & je lis l’Éthique. Voulez-vs que je conte aussi que mon Spinoza fut traversé d’un éclat d’obus ou qu’une balle s’y vînt amortir & que Spinoza ainsi me protégea de la mort ? Il est vrai qu’un ami m’ayant demandé quel livre il pouvait m’envoyer, je réfléchis que j’avais peu de place ds ma musette, qu’un roman se lit en une heure & que devenant l’homme d’un seul livre, j’avais avantage à choisir un ouvrage qui ne se lût pas comme un magazine & avec lequel ma familiarité ne fût point complète. Il m’est donc arrivé de lire Spinoza ds ma termitière.
N’avoir du monde qu’une vue philosophique, lui opposer une impassibilité de géomètre. Je n’y puis rien : je ne suis pas philosophe. Je suis selon le temps qu’il fait & les êtres sont pour moi autant d’absolus, distincts les uns des autres, comme l’étaient l’ogre & le Petit Poucet de mon enfance. Les plus beaux théorèmes, les plus belles lois ne me sont de rien. Je n’ai pas la tripe philosophique & les philosophes eux-mêmes, je sais bien que leur chair n’est pas de leurs systèmes. Le philosophe me promène en sa philosophie comme le pilote me promène en son avion. Je monte, je vois jusqu’à l’horizon. C’est une ivresse. Mais ces 2 mécaniques me sont étrangères. Et même de là-haut, je regarde avec attendrissement les petites maisons d’en-bas.
Admiratif, Philippe, de votre capacité à relire. J’aimerais l’avoir. Tant de livres, de tous ordres, que j’aimerais tant ouvrir à nouveau. Ce doit être pour cela que nous constituons des bibliothèques, alors que plus de 95% des ouvrages qui y sont rangés sont refermés. Je parle des romans, bien sûr. Car pour la philosophie, le boulot, quoi, les essais, les travaux universitaires, et tout ce qui tourne autour, ce n’est pas la même chose, ils sont comme les ingrédients du placard ou du frigo pour survivre….
Mais les romans, ou les grands textes non romanesques des grands écrivains, quel déchirement de se demander si le temps qui nous est imparti, et inconnu (un peu cioranesque….non?) devrait être consacré à les relire ou à en découvrir d’autres. Autant je suis incapable de mettre un ordre de priorité dans tout ce qui me reste à découvrir, autant je mettrais bien Belle du Seigneur d’Albert Cohen au premier rang de ce que je voudrais re-lire…
Les volumes que nous avons rangés (hum…. bon….) avec la ferme intention de nous en saisir à nouveau, sont le miroir de nos enthousiasmes et de nos nostalgies, ils ont aussi la consistance d’un temps qui, passé à les lire, nous a pourtant filé entre les doigts…..
Belle route!