Comme on rentre du bois pour l’hiver, il peut être judicieux d’emmagasiner un peu de papier pour les soirées au coin du feu. Quel plus grand plaisir, en effet, lorsque la ville est éteinte, que de fouiner dans la bibliothèque de la maison à la recherche d’un livre qui conviendra à l’humeur du moment ? De s’offrir le luxe de choisir sa compagnie, parmi des auteurs avec qui on sait avoir rendez-vous, un jour ou l’autre.
L’occasion était belle, ce mardi, à l’occasion de la braderie annuelle du Mardi du livre de Nantes, de remplir un sac pour quelques euros. L’idée, dans ce genre de fête du livre, n’est pas de chercher un ouvrage précis mais de laisser vagabonder le regard en attendant qu’un livre, un auteur vous fasse de l’œil sur un étal. Et cela ne tarde généralement pas.
La moisson de ce mardi est assez étonnante et extrêmement variée. Elle a débuté par un « Que sais-je » sur la Syrie de Philippe Rondot. Après tout il n’est peut-être pas idiot de s’équiper d’une bouée pour éviter la noyade dans le flot d’informations qui nous submerge quotidiennement, et nous fait curieusement (c’est un effet habituel de la surinformation) reculer chaque jour un peu plus dans la compréhension du monde comme il va.
Trouvé ensuite « Le principe de Peter », ce délicieux essai, que j’ai trop souvent la faiblesse de prêter, et qui disparait régulièrement des étagères. D’autant que cette réflexion sur l’incompétence « chaque employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence » est peu connu des jeunes générations.
Les bouquins se sont ensuite jetés au petit bonheur dans le sac, sans ordre apparent et sans aucune cohérence. L’essai de Pierre Sansot « du bon usage de la lenteur », un classique que je n’ai jamais lu et que je vais offrir à ma douce (ah, ah !), le Confucius d’Etiemble, en folio, « Satan dans les faubourgs » de Bertrand Russel au Mercure, une bio de Marivaux dans une jolie collection chez Gallimard, Alain « les idées et les âges », relié toilé au Club du livre, « Les croisades vues par les Arabes » d’Amin Maalouf, une autre façon de décaler le regard sur nos turbulents voisins, et enfin « Grandeur et décadence de la civilisation Maya » par J.E.S Thompson, dans la très sérieuse bibliothèque historique Payot.
J’allais oublier le pavé entamé dans le train du retour « Mémoires d’un gentilhomme corsaire » de E.J. Trelawney chez Phébus. Trelawney, hobereau britannique devenu l’un des plus redoutables pirates des mers du sud, fut non seulement le compagnon et le sauveur de Byron lors de son équipée en Grèce, il fut aussi un grand ami et admirateur de Marie Shelley (l’auteur de Frankenstein). Il raconte ici, en la romançant quelque peu si l’on en croit la préface de Le Bris, la première partie de son existence. La quatrième de couverture nous dit que ce récit est pour les Anglais « le plus grand livre qu’ai écrit un Britannique sur la mer avant l’île au trésor. » Quoi qu’il en soit, ça démarre très fort.
L’humeur était d’évidence plus aux essais et aux récits qu’elle ne l’était à la fiction, excepté, paradoxalement, le Bertrand Russell, plus connu comme mathématicien et philosophe qu’en qualité de conteur. C’est une tendance contre laquelle j’ai du mal à lutter. Chacun ses défauts. Reste à espérer qu’ « hiver sera rude » pour faire pendant à cet été magnifique, histoire de nous donner le loisir de déguster tous ces auteurs quand la bise soufflera.
On comprend, en refermant ces “mémoires” pourquoi Dumas les portait aux nues. C’est un feuilleton invraisemblable mais haletant, dans la lignée des aventures de Garneray http://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Louis_Garneray, l’exaltation en plus. Qui donne une idée de la chasse sans merci à laquelle se livraient Français et Anglais sur l’océan indien au début du XIXe. et qui donne une furieuse envie de visiter l’île Maurice, alors île de France.
Trelawney se laisse d’évidence emporter par sa plume quand il relit ses souvenirs, mais ce gentilhomme de fortune n’est pas manchot devant un encrier. C’est un peintre étonnant : “un artiste eut désiré plus de largeur dans son visage” qui fait preuve d’une belle pénétration pour l’époque “C’est une chose très curieuse que toutes les nations qui jouissent des avantages de la liberté chez elles gouvernent leurs colonies avec un despotisme sans frein et sans remords” (nous sommes en Inde au tout début du XIXème).
Bon, mais c’est pas le tout, il faut se mettre à la table de travail. Bonne journée.