Archives de catégorie : Sur la table de travail

du cliché

baudelaire

« Créer un poncif, c’est le génie, je dois créer un poncif ».

Il n’est pas un feuillet sur ma table de travail où je ne doive, à la première relecture, chasser un cliché, tordre le cou à un lieu commun, écarter un poncif. Il n’est pas un papier livré à certain magazine parisien où le secrétariat de rédaction ne réinjecte un cliché dans ma copie. Méprisé en littérature, le cliché, cette métaphore usée, est, à l’inverse, parfaitement à son aise dans la presse et parfois même recherché. C’est une sorte de matière première pour le journaliste. Il permet d’éclairer une situation en deux coups de cuiller à pot.

poncif

Tout le monde comprend à moindre frais ce qu’est un homme politique qui fait l’autruche, un sportif qui tourne la page, une star que l’on marque à la culotte. Le cliché, qui se renouvelle avec la langue, a, me semble-t-il, un bel avenir. La multiplication des textes courts, dans les échanges numériques notamment, lui fait, de plus en plus la part belle.

Je dois confesser, sans doute par habitude, ou par fainéantise, user et abuser des clichés dans ce type d’échanges. Ils permettent de développer une argumentation en peu de mots, de faire mouche rapidement. Et puis je n’ai pas de mépris pour cette forme d’expression qui a un grand mérite, celui d’être immédiatement intelligible par tous, petits et grands, jeunes et vieux, érudits et incultes. C’est en quelque sorte le plus petit dénominateur commun de la langue. Et quand on s’exprime par écrit c’est une forme de politesse que de respecter son interlocuteur, de ne pas le prendre de haut.

En littérature c’est une autre histoire, l’éditeur honnit le cliché, le pourchasse, lui fait rendre gorge. Et il a évidemment raison. L’idéal est bien sûr, de produire des images singulières, faites maison, tout autant évocatrices : un arbre mal peigné ou une île chevelue. C’est le travail de l’artisan des mots. Mais le génie est peut-être, comme le disait Baudelaire de créer un poncif, une image simple et lumineuse qui sera reprise par tous et courra ensuite la campagne.

Cliché de Charles Baudelaire et écrits posthumes

Un théâtre de sable

Ateliers de la création 2
sanagare
« C’est mon assistant, il vient de Rennes » explique mi sérieux, mi facétieux André Dekker, en saluant le conducteur d’un tractopelle qui sculpte un monumental cirque de sable en cours d’élévation sur l’île de Nantes. L’artiste hollandais prend un malin plaisir à observer la réaction du visiteur qui découvre, interloqué, cette immense hélice de sable érigée en quelques jours en lieu et place des hangars de la Sernam. Il faut grimper sur le chemin de ronde qui couronne la dune circulaire pour comprendre le projet de ce sculpteur de paysages, qui construit ici un objet urbain inédit, à la fois observatoire public, monument pédagogique, et œuvre d’art à part entière. Derrière l’énigmatique paroi de sable qui borde le boulevard de la Prairie au Duc, se dresse la carcasse métallique d’un bâtiment dont on comprend qu’il fut le bâtiment central de la gare de marchandises. A ses pieds un trou d’eau. « C’est la Loire » explique André Dekker « que l’on trouve ici en creusant dans le sable ». Et l’on commence à décrypter le propos de l’artiste : il veut nous aider à lire le paysage : l’eau est à quelques mètres sous nos pieds sur cette île de sable. Le belvédère qui va se greffer sur les poutres métalliques de l’ancienne gare n’aura d’autre fonction que d’ouvrir la perspective alentour, d’appréhender les transformations en cours : le parc urbain à venir et le CHU, qui doit prendre place à quelques encablures.
dekker
C’est là qu’interviennent les étudiants et ce workshop un peu particulier démarré à l’automne dernier avec la « Beaux-Arts Academy », comme le dit joliment André Dekker, du collectif Observatorium de Rotterdam. « Sanagare », c’est le nom de projet un peu fou, a en effet une vocation affirmée. Celle de créer un lien entre la santé et la nature. Parce qu’il est conçu dans le cadre de « green island », avec le concours du Seve (le service des espaces verts de la ville) et parce qu’il annonce la construction d’un grand équipement de santé publique. Et quoi de plus logique, dans cette perspective, que d’aménager des jardins dans cet oasis, dont un dédié aux plantes médicinales. Les plantes trouveront aussi des places inédites dans cet ensemble, ce à quoi les étudiants s’attachent, cherchant à la fois des espèces singulières, et des mises en résonance avec le lieu. Une étudiante des Beaux-Arts a ainsi le projet d’aller chercher en Grèce des plantes menacées dans son pays pour les implanter dans le « Sanagare ». Elle travaille en collaboration avec des étudiantes en Arts Appliqués du lycée Livet. Et ce dans l’esprit des workshops des ateliers de la création, qui décloisonnent les filières pour faire phosphorer les étudiants sur des problématiques communes.

Photos : Vincent Jacques