On en apprend un peu plus chaque année sur les arrière-cuisines du web lors de la restitution des travaux et le retour de stage des étudiants qui se destinent aux métiers du numérique. La révélation cette saison est l’explosion des « fermes de contenus » ces entreprises qui déversent en continu un torrent d’informations sur internet.
Une ferme de contenus est une entreprise commerciale dont l’objectif avoué est d’affoler les compteurs de statistiques pour capitaliser un maximum de clics et engranger ainsi un maximum de publicité. Le contenu proprement dit est la dernière préoccupation de ces fermes, qui n’ont aucun scrupule à élever des jeunes gens en batterie pour produire de la copie et mettre en ligne photos et vidéos au pas de charge.
Une seule religion : celle du mot-clef. L’une d’entre elle a ainsi mis au point un programme maison qui lui permet de connaître chaque jour le hit-parade des mots-clefs utilisés sur les principaux moteurs de recherche, par tranche d’âge et par sexe. Conjugué à une étude très fine des algorithmes de google, cette information permet d’affiner chaque jour le tir sur le type d’informations recherchée par les internautes et d’adapter sa production.
Les consignes données aux rédacteurs sont claires : utiliser systématiquement ces mots-clefs dans le titre des papiers, le plus à gauche possible, éviter les articles (un, le) et marteler le nom du site tout au long du texte. Des techniques plus classiques sont utilisées pour motiver les producteurs, tel un écran géant visible par tous qui donne en direct l’état des connections sur chaque article : voyant rouge si le score de la semaine précédente à la même heure n’est pas dépassé, voyant vert si ce score est atteint. Ces fermes ont, par ailleurs, recours aux « community managers » dont le travail est de rabattre du trafic depuis les réseaux sociaux, de « faux amis » de plus en plus prescripteurs en matière de connections.
Pillage d’images sans mention d’origine, informations pompées sans vergogne sur les sites voisins, tout est bon pour faire du chiffre, pourvu que l’info soit chaude, attractive, provoque de l’émotion et génère du clic. Les fermes de contenu sont particulièrement affûtées auprès des adolescents, mais pas que. Certaines sont spécialisées dans les publics ciblés, qui recherchent des infos sur la santé, le bricolage ou les voyages. Des étudiants sont ainsi mis à contribution pour rédiger à la chaine des fiches bricolage ou… des conseils pour voyager avec des bébés.
Une consolation toutefois, dans les replis du web, à l’abri derrière de solides procédures d’abonnement, quelques sites spécialisés à haute valeur ajoutée sont en train de construire leur niche. L’utilisateur averti a fait son deuil de l’illusion de la gratuité, qui a un temps prévalu. Il a compris que l’information demandait du temps et du travail et se montre prêt à en payer le prix.
On s’oriente donc de plus en plus vers un web à deux vitesses. Un grand robinet d’eau tiède, charriant ses scories publicitaires, qui inonde les écrans sans discernement, surfe sur l’émotion publique, et des sites qualifiés, réservés à un public averti. La presse généraliste va devoir se trouver un chemin entre ces deux extrêmes. Ce n’est pas gagné mais c’est passionnant à observer.
Illustration : concentration d’internautes lors d’une rencontre de jeux vidéos : forx.fr
NB :pour les lecteurs attentifs de ce blog, cette chronique est une nouvelle version de “la religion du clic” que j’ai retirée parce que trop précise.
Une enquête complémentaire sur le sujet : http://www.journalismes.info/Melty-une-reactivation-du-modele-des-fermes-a-contenu-en-France_a4591.html (où l’on parle de “ferme à contenu” d’évidence le vocabulaire n’est pas fixé).
Edifiante infographie, Gaëtan, où l’on voit que les Américains ont une sacrée longueur d’avance sur nous en matière de paiement. Je n’imaginais pas, toutefois, que nous soyons les derniers de la classe.
Juste une petite infographie pour voir où nous en sommes sur la question de la presse payante :
https://twitter.com/gillesbruno/status/347684869624717315/photo/1
Oui Benjamin, ça a déjà commencé et c’est, de fait, assez inquiétant. En faisant sauter les barrières entre la presse et les fournisseurs de contenus autoproclamés, internet a aussi fait sauter la barrière de la responsabilité. Désormais, sur ce grand marché l’information, des opérateurs sans scrupules peuvent s’installer du jour au lendemain, en pillant les sources, pour faire uniquement de l’habillage. Rien n’interdit à un entrepreneur malin de monter une plate-forme en Tunisie ou au Sénégal, d’embaucher des jeune gens qu’il paie au lance-pierre et de les faire mouliner toute la journée sur les moteurs de recherche et prétendre donner de l’info locale à l’épicier de Ploudalmézeau ou de Saint-Symphorien de Mahun.
L’équivoque est au point que les étudiants en stage dans ces fermes de contenus, ne savaient pas dire s’ils travaillaient dans une entreprise de presse ou non. Plutôt non cependant : quand on a six papiers à rédiger par jour sur des sujets inconnus, ce ne peut pas être un travail de journaliste. Il me semble qu’outre les sites spécialisés payants qui s’installent progressivement, la presse papier peut encore trouver sa place, grâce justement à sa tradition de responsabilité (j’assume ce que j’écris, et je peux en répondre). Mais il faudra du temps pour que les utilisateurs aveugles (notamment les ados) fassent la part des choses. et d’ici là, la presse a le temps de souffrir.
Un bon exemple de ce qu’est en train de devenir notre métier… Personnellement je connaissais le culte du clic etc, mais je ne savais pas que certaines entreprises de presse (sic) utilisaient les mêmes techniques de pression managériale que les centres d’appels, à savoir le fameux tableau d’objectifs et la pression au résultat affichée par écran.
A ce train là, les sites d'”info” pourront bientôt être délocalisés au magrheb…
Ah, tiens, ça a déjà commencé en fait.
Ce n’est pas tout à fait cela. Les Anglais n’ont pas du tout inventé le Champagne. En revanche, notre ami normand, je parle de Saint-Evremond obviously, en exil à Londres par la volonté du jeune Louis XIV -l’affaire est politique, mais S-E a un foutu caractère- se faisait envoyer par ses fidèles ami(e)s -Ninon de Lenclos est de celles-là- quelques douceurs bien françaises, dont le vin d’Aï, vin pétillant de la région de Champagne, et l’introduisit ainsi à la Cour d’Angleterre, où l’on en fit fort bon usage. Songeons, qu’à l’époque, on y parlait français, ce qui exempta d’ailleurs notre gentilhomme de se mettre à l’anglais.
Passionnant, passionnant….
J’ai plein de choses là-dessus….
Certes Pascale. Mais quand vous achetez un journal, une revue, un livre, vous payez. Le modèle économique gratuit est un leurre “quand c’est gratuit c’est vous le produit” disait je ne sais plus qui. Vous le payez en bourrage de crâne, autrement dit en publicité, à 100%.
Mais bon, c’est un vaste débat. tout autre chose. Entendu entre 18 et 19h sur France-Inter une information étonnante par un type qui vient d’écrire un bouquin sur les français et le vin. Les Anglais auraient inventé le champagne au XVIIe et Saint-Evremond l’aurait introduit en France, depuis Londres, sous Louis XIV. Cette information mérite d’être vérifiée. L’auteur semblait sûr de lui. Si vous avez quelque chose là-dessus, j’achète. Et j’en fais une chronique.
L’optimisme de Gaëtan et d’autres a un peu de plomb dans l’aile, si vous me passez l’expression, si on attache ses deux dernières phrases plutôt que de les lire séparément. Cela pourrait vouloir dire, la qualité oui, la pertinence oui, l’analyse et la profondeur oui, mais sous condition de ressources…
Ton optimisme Gaëtan est partagé par un de mes collègues chargés de cours à la fac. Selon lui, google s’attache régulièrement à débusquer les sites parasites.
Pour autant, la course au “référencement” n’en reste pas moins l’un des enjeux majeurs pour les producteurs d’information, qu’il s’agisse de presse classique ou de fermes de contenus. Une partie des investissements en R et D est axée sur ce “référencement”, qui reste pour l’heure, basé sur des données quantitatives.
Ce mot revient à toutes les pages dans les mémoires des étudiants. Le graal étant d’arriver en première ligne ou, à défaut, en première page sur google.
Je n’ai pas assez d’infos sur le “community management”, autre manière, plus subtile, de générer du trafic, une compétence de plus en plus requise auprès des étudiants. Mais je vais tâcher d’y être plus attentif avec la prochaine promo.
Honnêtement je pensais que le suivi des clics était pratiqué dans l’ensemble de la presse mais je n’imaginais pas à quel point le procédé a été industrialisé.
Ces pratiques vont nécessairement évoluer, au moins pour ce qui concerne le contenu : les moteurs de recherche évoluent et affinent les résultats. Une des principales critiques émises lors de la dernière grosse mise à jour du moteur de recherche Google était la mise en avant d’articles récents au détriment d’articles plus pertinents. Toutes ces pratiques sont dues en partie aux failles du moteur Google, dévoilées par la rétro-ingénierie, mais elles sont sont peu à peu colmatées ( Update Panda : pénalité contre les sites ayant peu de valeur ajoutée, trop de publicités – https://fr.wikipedia.org/wiki/Optimisation_pour_les_moteurs_de_recherche ).
Après tout, cette façon d’attirer les moteurs de recherche n’est-elle pas le pendant des Unes aguicheuses de journaux qui viennent attirer l’œil des passants ?
Suis-je trop optimiste en prédisant une amélioration des contenus ? c’est possible.
Pour reprendre l’idée d’un web à deux vitesses, c’est le chemin que semble prendre la presse américaine avec de plus en plus de sites de qualité payants.
Je me relis, et je m’aperçois que j’ai d’abord orthographié “poussette” ce que M. Serres appelle “poucette” eu égard à l’hyperactivité digitale de ce doigt, que l’on dit pourtant…. opposable!
C’est une faute qui me va bien, et qui n’est sûrement pas innocente comme on dit, puisqu’elle trahit ma conviction que cette génération élevée aux clics et non aux claques, ne semble pas vouloir acquérir, bien qu’elle s’en défende, l’autonomie qu’il lui permettrait de sortir enfin de la sujétion, autre mot de l’asservissement, voire de l’esclavage.
(quand je dis “claque” je ne pense pas à la gifle bien sûr, ni à la fessée, prochainement déclarées hors-la-loi, mais au(x) chocs(s) nécessaire(s) pour grandir : l’apprentissage de la frustration, du savoir, de la patience et autres délices qui peuvent avoir un goût amer.
Le choc va être rude…. je laisse à votre sagacité deux sujets (l’un en ES, un « vivier » pour les futurs étudiants en journalisme et en école de commerce, l’autre en S, réserve naturelle pour nos futurs ingénieurs et autres préparateurs en « grandes » écoles…) proposés lundi aux impétrants aux études supérieures via l’obtention du Baccalauréat (les fruits du laurier).
« Interprête-t-on à défaut de connaître? », « Le travail permet-il de prendre conscience de soi? ». Autant le second semble, je dis bien semble, carré, plié, et nos potaches peuvent bachoter là-dessus… quoique, comme correcteur je donne une prime à qui me fait une analyse affinée non point du travail mais de la conscience de soi, et de ce qu’elle suppose, voir ce à quoi elle oblige. Mais pour le premier, celui des ES, là, je crains le pire car la question de l’herméneutique est nietzschéenne à souhait, et je vois d’ici les blabla sur la nécessité de laisser à chacun le soin de penser comme il l’entend….
Mais il y a un lien avec le papier (pardon, la note, la chronique) ci-dessus. Un lien antinomique. Je pense à Michel Serres qui appelle, et compte bien que cela passe dans le vocabulaire courant, « poussette » la génération née avec des écrans et des touches sous les doigts, et qui ne cesse de l’encenser. On peut faire le choix de l’optimisme, mais je crains beaucoup cette fabrication (comme une fabrique, une usine…) d’une nouvelle humanité, non parce qu’elle est nouvelle mais parce que sa nouveauté s’inscrit dans la vitesse, l’immédiateté, l’empilage et la quantité, la valorisation du réflexe du comptage, de la performance non plus de l’homme mais des machines, dont on oublie que ce sont des hommes qui les ont rendu possibles. Devenus outils de nos machines, et machines nous-mêmes, plus de place pour l’émerveillement, la lenteur, voire le silence, et peut-être, et sûrement, la « conscience de soi » qui, elle, est un travail, une construction…
Prendre l’adolescence pour objet d’étude en vue d’en exploiter les réflexes, qu’on a d’ailleurs soigneusement contribué à fabriquer comme l’apprenti sorcier exalté par le pouvoir qu’il s’est lui-même donné, c’est une manière aussi de se déprendre de sa responsabilité à l’égard de cette jeunesse que l’on sanctifie parce qu’elle a accédé à des performances auxquelles nous avons dû nous adapter dans la douleur. Aussi, c’est « à défaut de connaître » et dans le culte du geste réflexe sans réflexion, que nous considérons être en mesure -et en droit- de donner « notre » sens au réel. Alors qu’il y a « du » sens à produire, ce que « interprêter » veut dire.
J’adore cette photo qui glace le sang! nos chères têtes blondes qui revendiquent haut et fort, et même violemment parfois, le “droit” à être eux-mêmes, à se vouloir authentiquement des entités individuelles, même s’ils ne le disent pas comme ça, qui hurlent à l’infamie au nom de la “liberté”, dès qu’on leur demande de respecter quelque code de civilité et de bienséance, et qui prennent tout point de vue venu d’ailleurs que d’eux-même pour un asservissement, nos chères “poucettes” donc, sont parqués comme des poulets en batterie et n’y trouvent rien à redire….