“Mais revenons aux cabinets, qui est le mot français que l’on emploie, pour une raison qui m’échappe, toujours au pluriel. Certains de mes lecteurs se souviendront peut-être d’un passage dans lequel je rapporte de tendres souvenirs de France et où je parle d’une visite rapide aux cabinets et de la vue absolument inattendue de Paris que j’ai eue de la fenêtre de cette pièce minuscule. Est-ce que ce ne serait pas séduisant pensant certaines gens, de construire sa maison de telle façon que l’on ait du siège des cabinets lui-même vue sur un fantastique panorama ? A mon avis, la vue que l’on a du siège des cabinets n’a pas la moindre importance. Si, lorsque vous allez aux cabinets vous devez emmener autre chose que vous-même, autre chose que votre besoin vital d’éliminer et de nettoyer votre organisme, alors peut-être une vue merveilleuse ou fantastique constitue-t-elle pour vous un desideratum. En ce cas, vous pouvez aussi bien installer une bibliothèque, suspendre des tableaux, et on peut aussi bien s’asseoir dans « la salle de bains » et méditer. Si c’est nécessaire édifiez tout votre monde autour du petit coin. Que le reste de la maison reste subordonné au siège de cette importante fonction. Mettez au monde une race qui, hautement consciente de l’art de l’élimination, se fera un devoir d’éliminer tout ce qui est laid, inutile, mauvais, et nuisible dans la vie quotidienne. Faites cela et vous élèverez les cabinets au niveau d’un paradis. (…)
Le vieil adage dit : « Gardez vos intestins ouverts » et faites confiance au Seigneur ! » Il n’est pas sans sagesse. En gros, cela veut dire que si vous gardez votre organisme libre de tout poison, vous pourrez garder l’esprit libre et clair, ouvert et prêt à tout recevoir ; vous cesserez de vous préoccuper de problèmes qui ne vous concernent pas – tels la façon dont l’univers devrait être gouverné, par exemple – et vous ferez ce qu’il y a à faire en paix et tranquillement.”
Henry Miller, Lire aux cabinets, trad Jean Rosenthal, éditions Allia. Photo : Inghe Solheim
Remarquable et profond commentaire qui sonne juste, lui aussi…
Rien à ajouter.
MC
Proust for ever….
J’avoue humblement que ces lignes me ravissent bien mieux que celles de Miller que pourtant j’ai lu dans un temps que les moins de vingt ans et bla et bla….
Peut-être est-ce cela aussi la question de l’émotion littéraire versus l’émotion esthétique. Miller, fut pour moi l’auteur d’une époque (de ma vie) bien plus qu’un auteur tout court. Proust, que je connais si mal, mais prenons Stendhal, Flaubert, Hugo, Baudelaire, a, ont, traversé mes époques, et non les époques comme on le dit souvent, croyant trouver là un “critère”. Il suffit qu’ils survivent aux maelströms des existences individuelles, à leurs singularités, leur imprégnation dans nos contingences. Et que la chose, pour ne pas dire la magie, opère chaque fois, je veux dire, auprès de chacun, pour que, définitivement, l’émotion esthétique, celle que produit le génie artistique, l’emporte sur l’émotion tout juste, celle qui s’ajuste, justement, à nos pauvres expériences solitaires. Certes, il faut être de l’une et de l’autre, et ne pas, comme on dit, bouder son plaisir. Et ce plaisir là ne se monnaie pas, mais savoir que, quoi qu’il se soit passé, quoi qu’il se passe, quoi qu’il en soit de l’entreprise de cabossage, de froissage, de pliage que la vie réserve, il est des auteurs, et donc des textes qui résistent à nos changements, à nos conversions, à nos colères, à nos fâcheries, qui résistent à nos résistances et à nos renonciations, à nos jours et à nos nuits, le savoir d’un savoir irrépressible et toujours accessible, il suffit de tourner les pages, cela suffit.
Et là, quelques noms s’inscrivent à l’encre invisible de toutes mes mémoires.
La réponse de Proust:
Je montais sangloter tout en haut de la maison à côté de la salle d’études, sous les toits, dans une petite pièce sentant l’iris et que parfumait aussi un cassis sauvage poussé en dehors entre les pierres de la muraille et qui passait une branche de fleurs par la fenêtre entrouverte. Destinée à un usage plus spécial et plus vulgaire, cette pièce, d’où l’on voyait pendant le jour jusqu’au donjon de Roussainville-le-Pin, servit longtemps de refuge pour moi, sans doute parce qu’elle était la seule qu’il me fût permis de fermer à clef, à toutes celles de mes occupations qui réclamaient une inviolable solitude : la lecture, la rêverie, les larmes et la volupté.
Du côté de chez Swann, Marcel Proust 1913
Cher Mr Court, “p.” n’est pas Philippe!
Belle journée
Bien sur, Philippe! Mais il fallait bien que je m’accroche à une partie du sujet.
Tiens, il faudrait voir ce qu’en doit Loredan Larchey!
PMB
Je vous ai répondu chez Paul Edel.
A Bientôt.
MC
Je salue vos précisions et citations M.Court, mais suis sûre que vous avez bien compris que je relevais l’usage courant des différents termes désignant “le petit coin” dont nous parlons….
Toujours au pluriel?
Le “Franchement il est bon à mettre au Cabinet” d’Alceste à propos d’Oronte suggère un usage contraire.
Courteline, dans la Conversion d’Alceste, reprend
“Franchement, il est bon à mettre au cabinet
De lecture”
Mais c’est autre chose. L’école républicaine est passée par là…
A vous.
MCourt
j’ajoute, le plus courant, w-c! lui aussi toujours usité au pluriel!
Ne pas oublier Léopold Bloom, un connaisseur pour ce qui est des cabinets de lecture …
gasp, c’est corrigé.
allez, Philippe, encore un effort! le “e” de eue est bien à sa place, mais il fallait le piquer à “aie” qui reste un indicatif (passé composé) et non un subjonctif, que j’ai eue, donc.
En y réfléchissant, toilettes, latrines, feuillées et même ….. chiottes sont aussi toujours au pluriel pour désigner ce que l’on sait.
Si l’on comprend que « toilettes » est une métonymie depuis la petite toile que les belles installaient pour mettre les divers objets qui servaient à leur toilette, explication stylistiquement convaincante, tel n’est pas le cas pour « cabinets » qui, pour être une petite cabine, c’est-à-dire une petite pièce, ou une chambre retirée, n’a aucune raison d’être soumis (le terme) au régime de la métonymie pour être expliqué. Encore moins sa forme plurielle. En revanche, qu’on se souvienne, et c’est facile, de la liste infinie des lieux où l’on étudie, où l’on travaille, où l’on expose des raretés, et même quand il s’agit de nos ministres minus, où l’on fait semblant de faire, qui se nomment « cabinet » au singulier certes, mais quand même ! et l’on pourra se sentir ( !) heureux de s’y réfugier parfois, selon qu’on se réfère à l’un ou l’autre de ces usages susnommés. Mais la raison du pluriel ? c’est un mystère recouvert par l’usage.
Que j’ai eue, effectivement, Pascale. Je corrige dans la foulée. Reste la question sur les cabinets au pluriel.
“vue absolument inattendue de Paris que j’aie eu” ne serait-ce pas plutôt “que j’ai eue”?
Et qu’est-ce qu’on va bien pouvoir ajouter à cela… sinon que cela me rappelle un papier ancien du même tonneau en quelque sorte, illustré par une baignoire surplombée d’étagères remplies de livres. Problème?
Reste à chercher pourquoi “cabinets” est pluriel. Je m’y colle…
Je connais, en effet, des maisons où les cabinets sont aussi des reposoirs pour livres. Au point qu’on peut se permettre, quand on y est de passage, d’offrir des bouquins à destination exclusive de ce lieu d’aisance, sous forme de clin d’oeil.
Tiens, lieu d’aisance qui tombe sous les doigts, en voilà une expression qui ne se dit plus guère… C’est pourtant bien vu, je n’ose dire bien senti!