Posé légèrement en retrait d’une bretelle d’accès au périphérique nantais, le parallélépipède discret qui abrite l’entreprise Waterman est un des éléments du décor qui enchante le parcours quand on arrive en ville. C’est dans cette zone industrielle anonyme que sont fabriqués les stylos-plumes Waterman et Parker pour l’ensemble de la planète qui écrit encore à la main.
Là on reçoit, de temps à autre, un stylo-plume du Brésil ou de Californie qui appelle un réglage, une réparation. Parce que certains clients ont toutes les peines du monde à se séparer de leur manche fétiche. Plus pour très longtemps. La gamme des stylos réparables va s’amenuiser à la rentrée et la dernière unité de fabrication de stylos-plumes Waterman et Parker va connaître une nouvelle contraction, plus de soixante-dix suppressions de postes.
La faute à personne. Et à tout le monde en même temps. Le stylo-plume se porte mal. Ou plutôt l’objet singulier se porte mal, au profit – pour enfoncer une porte ouverte – de produits bas-de-gamme-fabriqués-en-Chine qui inondent les supermarchés à la rentrée. Vu apparaître cette année des stylos-plumes non rechargeables, à jeter lorsque la cartouche d’encre est terminée.
Pour avoir travaillé par le passé sur l’histoire de Lewis Waterman, à l’occasion d’un papier sur l’usine nantaise, appris l’étonnante aventure de cette entreprise américano-française, qui n’a cessé de traverser l’Atlantique ; pour avoir visité cette maison où l’on fabrique encore des stylos en petite série, éprouvé un plaisir égoïste à l’idée que les derniers vrais stylos-plumes (à l’exception des productions de luxe comme Mont-Blanc) étaient façonnés près de chez moi, je serre les fesses à chaque fois qu’un nouveau plan social est annoncé. On ne va quand même pas nous supprimer Waterman. Non mais alors ! Apparemment cette fois la production n’est pas menacée, mais le service clients part, selon Ouest-France, en Pologne et la distribution à Valence.
Ressorti pour l’occasion et donné à boire à mon Waterman gris (je préférais celui en bois, mais il est perdu) qui dormait dans le pot à crayons. Celui-ci est un brin rustique, sa plume une peu grasse à mon goût, mais souple et plaisante quand même. Il va falloir retrouver un carré de buvard pour le carnet, se tacher les doigts (c’est fait).
L’usage du stylo-plume peut-il disparaitre vraiment ? On n’ose pas y penser. Les profs semblent ne pas encore avoir abandonné la partie puisque l’on voit toujours des stylos-plumes dans les rayons des supermarkets. Tenez-bon les amis, et n’oubliez pas dans vos recommandations : Waterman et Parker, ça vient de Saint-Herblain, près de Nantes. Yes !
Illustrations : pub waterman, Maudit bic, détournement de Clémentine Mélois