La méthode Schopenhauer n’est pas un bouquin sur Schopenhauer. Les familiers du vieux philosophe misanthrope n’apprendront pas grand-chose sur le personnage, pas plus que sur sa géniale théorie : « Le monde comme volonté et comme représentation ». Non, ce roman d’Irvin Yalom est une mise en abîme d’une psychothérapie de groupe, où un adepte de Schopenhauer plombe l’ambiance et contraint les autres membres du groupe à s’interroger sur leurs… représentations.
C’est drôle, émouvant et bougrement contemporain, en dépit d’un postulat de départ un peu facile : un thérapeute apprend que ses jours sont comptés et décide, pour finir en beauté, d’accompagner jusqu’au bout le groupe qu’il a constitué, composé pour l’essentiel de bobos américains victimes de mal-être, de problèmes sexuels ou conjugaux.
Irvin Yalom est psychiatre, et cela influe évidemment sur le regard qu’il porte sur ses frères humains. Un regard d’une acuité singulière, teinté d’une bienvenue bienveillance. Il montre ici que la frontière entre psychologie et philosophie est beaucoup plus ténue qu’elle ne le semble parfois. Schopenhauer n’est-il pas le précurseur de Freud lorsqu’il affirme que nous sommes mus par une volonté supérieure, qui échappe à notre conscience d’individus : la nécessité de la préservation de l’espèce, qui nous dépasse et nous empoisonne parfois l’existence.
La méthode Schopenhauer (que l’on retrouve pour les curieux qui souhaitent aller au texte dans un petit recueil : aphorismes sur la sagesse dans la vie) est une méthode radicale, inspirée des philosophes orientales : la meilleure solution pour se préserver de la souffrance et de se garder de tout attachement, d’éviter le commerce des hommes (et des femmes) et de cultiver son jardin. Ainsi Philip (sic) le héros du bouquin, victime d’une addiction au sexe, s’est-il extrait du monde et a-t-il trouvé son équilibre dans le commerce des grands esprits.
Cette posture, cette froideur calculée, qui s’appuie sur une solide réflexion (il est docteur en philo) et des citations magistralement choisies va, dans un premier temps, bouleverser l’équilibre du groupe, avant de contraindre le fauteur de troubles à réinterroger ses représentations, son rapport aux autres. En dépit d’un argument un peu intello, ce livre est lisible par tous. Ce n’est pas une mauvaise introduction à Schopenhauer et c’est surtout une lecture précieuse en ces temps d’interrogations récurrentes sur le vieillissement. La méthode Schopenhauer est en effet un excellent remède pour dédramatiser la condition humaine :
« A son grand étonnement, un homme se retrouve en train d’exister après des milliers et des milliers d’années de non-existence. Il vit pendant quelque temps, puis, de nouveau, il retrouve une période tout aussi longue, pendant laquelle il n’existe plus. » A.S. En d’autres termes, la mort est beaucoup calomniée, mais en fait elle n’est pas plus ni moins redoutable que la non-vie. Et beaucoup plus reposante.