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Chère Planète

L’un des héritages d’une vie antérieure – celle de bouquiniste – est une collection complète de la revue Planète. A la recherche d’un sujet sur les minéraux je viens de passer quelques jours à feuilleter les 41 numéros et de la première mouture (de 1961 à 1968) et quelques numéros de la seconde (de 1968 à 1971). J’en ressors partagé sur la qualité du contenu, mais content d’avoir conservé ce précieux témoignage d’une époque étonnante, où l’on conjuguait allègrement science et ésotérisme, sociologie et science-fiction, politique et religion.

planeteUne époque où l’on n’avait surtout pas peur de secouer le cocotier intellectuel, de braver l’académisme ambiant. Le politiquement, le scientifiquement correct étaient beaucoup moins de mise qu’il ne le sont aujourd’hui, où le premier climato-sceptique venu est immédiatement brûlé sur la place publique, comme si le scepticisme était devenu une tare. On trouve aussi bien dans Planète des travaux soviétiques sur la télépathie que des théories iconoclastes de chercheurs américains, à l’image de celles Marshall Mac Luhan, reconnu depuis lors comme l’un des grands théoriciens de l’évolution des médias, l’inventeur du village planétaire : “Le medium, c’est le message… Notre révolution culturelle, c’est l’alphabet plus l’électricité.

On est saisi d’un étrange sentiment à la lecture de cette revue, une espèce de vertige devant l’océan des possibles, à l’heure où l’an 2 000 est encore un horizon lointain. Toutes les voies semblent bonnes à explorer. Une chose frappe :  l’importance donnée aux recherches spirituelles. Le soufisme, le bouddhisme zen, l’hindouisme, le christianisme versus Theilhard de Chardin, occupent une  place importante. La littérature fantastique est également présente, avec les premières publications de nouvelles de Borgès dans une revue française, dont l’écriture du Dieu dès le second numéro. Avant La bibliothèque de Babel. Planète, qui avait une édition Argentine (outre une édition italienne et hollandaise) est d’ailleurs allé à la rencontre de Borgès à Buenos-Aires.

auroville

Maquette d’Auroville

Ce qui m’a le plus touché est de lire les premiers papiers évoquant la création d’Auroville, la cité expérimentale imaginée par les héritiers de Sri Aurobindo et conçue par des architectes français près de Pondichery au début des années soixante , où j’ai eu le plaisir de séjourner à deux reprises au début des années deux mille. Il est assez fascinant de lire les textes produits à l’époque de revoir le terreau sur lequel cette utopie s’appuyait, d’en comprendre la genèse dans l’ashram de Pondichéry.

Certes, il y a aussi des textes abscons, des théories fumeuses, des envolées lyriques qui n’ont pas résisté au temps. Mais qui ne risque rien n’a rien. Et il est vraisemblable que l’héritage de cette revue, arrivée un peu à contre-temps, à la veille de mai 68, ne s’évaporera pas. Le prix du marché semble en témoigner puisqu’un numéro de planète coûte aujourd’hui plus cher qu’il ne coûtait, neuf, à l’époque (8€ aujourd’hui contre 6,5 NF en 1966, année de référence généralement admise pour comparer les deux monnaies).

Au fait, bonne année !