“Mais revenons aux cabinets, qui est le mot français que l’on emploie, pour une raison qui m’échappe, toujours au pluriel. Certains de mes lecteurs se souviendront peut-être d’un passage dans lequel je rapporte de tendres souvenirs de France et où je parle d’une visite rapide aux cabinets et de la vue absolument inattendue de Paris que j’ai eue de la fenêtre de cette pièce minuscule. Est-ce que ce ne serait pas séduisant pensant certaines gens, de construire sa maison de telle façon que l’on ait du siège des cabinets lui-même vue sur un fantastique panorama ? A mon avis, la vue que l’on a du siège des cabinets n’a pas la moindre importance. Si, lorsque vous allez aux cabinets vous devez emmener autre chose que vous-même, autre chose que votre besoin vital d’éliminer et de nettoyer votre organisme, alors peut-être une vue merveilleuse ou fantastique constitue-t-elle pour vous un desideratum. En ce cas, vous pouvez aussi bien installer une bibliothèque, suspendre des tableaux, et on peut aussi bien s’asseoir dans « la salle de bains » et méditer. Si c’est nécessaire édifiez tout votre monde autour du petit coin. Que le reste de la maison reste subordonné au siège de cette importante fonction. Mettez au monde une race qui, hautement consciente de l’art de l’élimination, se fera un devoir d’éliminer tout ce qui est laid, inutile, mauvais, et nuisible dans la vie quotidienne. Faites cela et vous élèverez les cabinets au niveau d’un paradis. (…)
Le vieil adage dit : « Gardez vos intestins ouverts » et faites confiance au Seigneur ! » Il n’est pas sans sagesse. En gros, cela veut dire que si vous gardez votre organisme libre de tout poison, vous pourrez garder l’esprit libre et clair, ouvert et prêt à tout recevoir ; vous cesserez de vous préoccuper de problèmes qui ne vous concernent pas – tels la façon dont l’univers devrait être gouverné, par exemple – et vous ferez ce qu’il y a à faire en paix et tranquillement.”
Henry Miller, Lire aux cabinets, trad Jean Rosenthal, éditions Allia. Photo : Inghe Solheim