La Pérouse est victime, un peu comme La Palice, d’une formule dont il n’a pas eu connaissance mais qui colle à sa mémoire comme le scotch du capitaine Haddock. « A-t-on des nouvelles de monsieur de La Pérouse » aurait demandé Louis XVI avant de monter sur l’échafaud. Cette question a suffi à classer l’un des plus grands explorateurs du XVIIIe parmi les navigateurs infréquentables, lui qui fut paradoxalement le plus attachant, les plus pacifique et le plus éclairé des découvreurs français sur les mers du globe.
Il faut dire que l’expédition La Pérouse n’était pas destinée à frapper les mémoires. Nulle conquête à son programme. Le navigateur, à la tête d’une flottille de deux vaisseaux marchands transformés à Brest en frégates – La Boussole et l’Astrolabe – avait pour mission de remplir les blancs sur la planisphère, d’en préciser les contours. Accompagné d’une bordée de scientifiques – astronomes, botanistes, naturalistes, minéralogistes, physiciens, et même un mathématicien – il avait pour programme de faire progresser la connaissance dans un maximum de disciplines. Durant trois années, au cours desquelles il prendra un soin maniaque de la santé de son équipage, La Pérouse explore les côtes les plus ingrates du globe, Alaska, Kamtchatka, îles volcaniques du Pacifique, dans le but de dresser des cartes fiables pour les navigateurs et d’affûter la précision des instruments de mesure.
La Pérouse ne découvre aucune terre majeure. Il refuse même de planter le drapeau français sur certaines îles inconnues, à l’image de l’île Mowée, ce dont il s’explique de façon touchante dans son journal. « Les philosophes doivent gémir sans doute de voir que des hommes, par cela seul qu’ils ont des canons et des baïonnettes, comptent pour rien soixante-mille de leurs semblables ; que, sans respect pour leurs droits les plus sacrés, ils regardent comme un objet de conquête une terre que ses habitants ont arrosée de leur sueur, et qui, depuis tant de siècles, sert de tombeau à leurs ancêtres. Ces peuples ont heureusement été connus à une époque où la religion ne servait plus de prétexte à la violence et à la cupidité. Les navigateurs modernes n’ont pour objet, en décrivant les mœurs des peuples nouveaux, que de compléter l’histoire de l’homme ; leur navigation doit achever la reconnaissance du globe ; et les lumières qu’ils cherchent à répandre ont pour unique but de rendre plus heureux les insulaires qu’ils visitent, et d’augmenter leurs moyens de subsistance. »
Son second, Langle, commandant de l’Astrolabe, sera victime aux îles Samoa de la philosophie de l’expédition, qui prônait le respect absolu des “naturels”, massacré sur une plage avec douze membres de l’expédition alors qu’il descendait chercher de l’eau en chaloupe. La Pérouse, s’il a lu Rousseau, n’est pourtant jamais dupe. Et prend ses distances avec le mythe du « bon sauvage » tout restant attentif à ne jamais utiliser la force. Il refuse ainsi se venger lorsque Langle est assassiné.
Au terme de ce tour du monde qui devait durer quatre ans, l’expédition La Pérouse est engloutie par un ouragan aux abords de l’île Vanikoro, près de la Nouvelle-Guinée. La Révolution ne daignera que très tard, trop tard, partir à la recherche de cet envoyé du roi, et les traces du naufrage ne seront découvertes qu’en 1828, après la mort des derniers survivants. « Le voyage autour du monde », dont l’essentiel nous est parvenu à cheval, par Barthélémy de Lesseps (l’oncle de Ferdinand), débarqué lors d’une escale en Sibérie orientale, est un peu fastidieux à lire, en raison des nombreuses notations scientifiques qui le scandent, compréhensibles par les seuls navigateurs. Cela n’en reste pas moins un document précieux et édifiant sous de nombreuses coutures, comme la critique du colonialisme espagnol aux Philippines ou le regard porté sur les mœurs des « naturels » croisés ici ou là, la condition de la femme, de l’Alaska à la Terre de Feu.
Illustration : l’expédition La Pérouse sur les côtes de l’Alaska (musée La Pérouse, Albi).