Il existe une étrange confrérie : celle des amis de JJ Cale. On n’en connaît pas tous les membres et ceux-ci ne se connaissent pas tous entre eux. Mais que dans une assemblée quelqu’un prononce le nom de djé djé, les voici qui s’agrègent, s’isolent et communiquent dans leur culte. Ils plaignent les non-initiés et si, d’aventure, ils ont affaire à un adversaire ou à un sceptique, ils l’accablent.*
JJ Cale « has passed away » vendredi en Californie. Drôle de destin pour ce « Okie », ce cul-terreux de l’Oklahoma, enfant d’une terre pauvre et sèche, qui a dû, comme ses ancêtres des « Raisins de la colère » partir vers l’Ouest pour gagner son pain, faire vivre sa musique. Drôle de destin pour ce musicien discret que Neil Young et Eric Clapton considéraient comme le plus grand guitariste de la planète.
On peut concevoir que les non-initiés se montrent dubitatifs à la première écoute de ce musicien minimaliste, ennemi des effets, qui a pourtant réussi une synthèse unique de la tradition américaine : blues, jazz, rock ou country… Une bonne façon de l’aborder est peut-être de jeter un œil sur le show case réalisé en 1979 par le bluesman Leon Russel, aux studios Paradise de Los Angeles, miraculeusement disponible en ligne. Mais pas question de se contenter d’un extrait. Il faut le visionner en entier pour approcher le feeling du garçon, assister à la présentation de sa vieille guitare. Attention, ensuite, ce peut devenir une drogue dure.
Il existe très peu d’enregistrements en public de JJ Cale – pas tous réussis- qui se gardait de la foule, refusait de prendre l’avion et fuyait la célébrité. Sans Eric Clapton, qui fut le premier à reprendre ses compositions, en premier lieu « After midnight », peut-être n’aurions nous jamais entendu parler de djé djé, qui doit, curieusement, une partie de sa notoriété au public français. Et aux grands guitaristes, tels Marc Knopfler, qui savent leur dette à son égard et lui ont rendu justice sur le tard.
Les membres de l’étrange confrérie des amoureux de djé djé vont désormais devoir apprendre à vivre sans la perspective d’un prochain album. Ils vivaient en effet hors du temps, entre deux passages du guitariste en studio, tous les trois ou quatre ans, qui régénérait à chaque fois un répertoire apparemment classique, sans avoir l’air d’y toucher , apportant une nouvelle subtilité ici, creusant là un nouveau sillon : quelques cuivres, un solo de violon, un coup de sax, une voix de femme (un hommage au passage à Christine Lakeland) …
Il va falloir redécouvrir les albums disparus, comme Okie, pour se donner l’illusion que la vie continue, pour retrouver ce délicieux chatouillement provoqué par la finesse du jeu de djé djé sur le manche d’une guitare. Mais la peine est grande malgré tout.
Salut l’artiste.
*clin d’oeil à la préface d’Au dessous du volcan de Maurice Nadeau, Illustrations : album Okie, JJ Cale.