Les deux dernières grandes manifestations populaires qui ont défrayé la chronique, celle contre le mariage pour tous et celle, samedi, contre la politique économique jugée trop libérale du gouvernement, renvoient à nos représentations archétypales de la droite et de la gauche. La droite serait conservatrice en matière de mœurs et libérale en matière économique. A l’inverse la gauche serait libérale en matière de mœurs et antilibérale en matière économique.
J’aime beaucoup Michel Houellebecq en ceci qu’il fait exploser ces représentations. Ce qui le rend inclassable politiquement et particulièrement agaçant aux yeux d’un grand nombre de lecteurs. Expliquons-nous. Dans Extension du domaine de la lutte, redoutable petit bouquin, Houellebecq met en lumière, avec la crudité qui le caractérise, la misère sexuelle contemporaine. Misère sexuelle qui n’est pas liée à une quelconque misère économique puisque son personnage principal est ingénieur. L’auteur pointe, avec l’ironie et le cynisme qui le caractérisent, la « loi du marché » sexuelle qui prévaut depuis la libéralisation des mœurs à la fin des années soixante, loi du marché qui fait des moches et des gros, plus que des pauvres, les nouveaux parias de la société. Parias qui errent dans les coursives du sexe tarifé pour trouver leur consolation.
C’est très bien vu, et c’est ce qui fait à mes yeux, la modernité de Houellebecq. Dans son dernier roman La carte et le territoire Houellebecq s’amuse cette fois avec la loi du marché de l’art, dont il pointe avec délices, les dérives économiques. Il épingle également la folie de la société de consommation, qui interdit à son héros de retrouver d’une année sur l’autre les vêtements qu’il aime, qui ne sont plus fabriqués au nom du culte imbécile de la nouveauté. La fin du roman est absolument délirante, et montre de quelle manière la fortune peut conduire à la folie. Ce roman, que j’ai lu sur le tard, exaspéré par le tintamarre médiatique provoqué à sa sortie, est une vraie réussite, où le cynisme des ouvrages précédents a fait place à une savoureuse ironie.
Le côté inclassable, agaçant, déstabilisant, de Houellebecq proviendrait ainsi du fait que l’auteur des Particules élémentaires serait de droite en matière de mœurs mais de gauche en matière économique, comme le relève un récent colloque consacré à son œuvre. C’est un peu rapide certes, mais pas idiot. Les individus de ce bois ne doivent pas être très nombreux, mais ils ont le mérite d’interroger nos représentations et sont l’incarnation d’une précieuse liberté de penser.
Photo : Paris-Match