L’une des facettes les plus précieuses du métier de journaliste est d’offrir la possibilité de côtoyer toutes les couches de la société, du clochard au ministre, du gangster au magistrat, du poète maudit au lauréat du prix Goncourt. Et parfois de nouer des relations, de cultiver des amitiés avec des personnages a priori exclus de notre champ social, de notre sphère familière.
Parmi ces personnages, il en est un particulièrement attachant, qui vient, enfin, de sortir le livre qu’il portait depuis des années : Georges Courtois. Pour mémoire, Georges est le malfaiteur, ainsi qu’il se qualifie lui-même, qui défraya la chronique il y a trente ans en prenant en otage la Cour d’assises de Nantes durant deux jours devant une France médusée.
Jojo a passé près de quarante ans en prison (il a évidemment payé très cher cet affront inédit à la justice) sans pour autant avoir jamais versé une goutte de sang. Un gangster à l’ancienne, chaleureux, intelligent, lettré, drôle. Dur à cuire aussi, et pas toujours facile. Un gamin des classes populaires, qui s’est très tôt embarqué sur le chemin de la délinquance et qui n’en est jamais sorti. Mais un homme debout, qui a toujours refusé la télévision dans sa cellule, et qui a terminé sa dernière peine comme écrivain public au service de ses codétenus.
Je n’ai pas encore lu « Aux marches du palais ». Georges passe cette semaine en apporter un exemplaire pour la maisonnée. Mais j’ai feuilleté les deux exemplaires acquis pour offrir, et j’y ai retrouvé sa belle écriture classique, sa maîtrise du passé simple et son sens de la formule. Il est vrai que je connais une bonne partie de son histoire, qu’il a volontiers racontée aux garçons lors des quelques permissions qu’il a passées à la maison alors qu’il achevait sa peine au pénitencier de Saint-Marin-de-Ré. La mort de son père, le premier vélo volé, les maisons de corrections, et puis surtout cette ambiance dans les prisons de France et de Navarre dont il est probablement l’un des meilleurs connaisseurs.
Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas de faire ici l’apologie du crime. Ou même de le justifier. Chacun son truc, ce n’est pas le mien. Mais Georges a payé, et cher payé sa dette à la société, sans doute en raison de l’arrogance dont il faisait preuve dans les prétoires. Il est aujourd’hui retraité, comme il dit, et le récit de ce parcours, cette expérience incroyable, de l’autre côté des barreaux a évidemment des choses à nous dire sur la société comme elle va.
La prison reste l’un des étonnants archaïsmes des sociétés démocratiques. Une réponse puérile et toxique aux questions que posent les problèmes d’irrespect des lois, d’insertion, de violence. On le constate aujourd’hui à nos dépends avec certains islamistes qui confortent leurs convictions « au placard », mais nous n’avons pas encore inventé de système plus intelligent semble-t-il. Qu’il faille écarter un temps les « malfaiteurs » de quelque bois qu’ils soient, cela se conçoit, mais que l’on en soit resté au stade de la punition bête, méchante et dans la plupart des cas contre-productive, peut laisser dubitatif. C’est mon cas.
Quoi qu’il en soit, voici une belle occasion de regarder les choses de l’intérieur, de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent à la délinquance et les effets qui l’entretiennent. Le tout servi avec l’élégance d’un amateur de littérature, l’ironie d’un anarchiste revendiqué, qui a un temps rêvé de passer une licence de lettres en prison, mais qui n’a pas pu faire sauter les verrous et les préjugés qui l’en ont privé.