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de la poule au Code civil

Boris Cyrulnik, Alain Finkelkraut, Michel Onfray, Mathieu Ricard, Hubert Reeves… l’aristocratie de la pensée contemporaine se mobilise ces jours-ci pour une reconnaissance juridique de la condition animale, à l’initiative de 30 millions d’amis. Dans le Code civil, en effet, l’animal serait assimilé à un « bien » au même titre qu’une chaise ou une casserole, ce qui est un peu sévère, reconnaissons-le, ainsi présenté.

Il n’est pas question ici de mettre en cause la louable intention de tous ces grands personnages, et encore moins le nécessaire changement de pied à l’égard de nos frères animaux, en cette époque qui est probablement la plus cruelle de l’Histoire à leur égard. Mais est-il possible de contester le choix du terrain ?

 C’est une manie bien française de considérer que la loi est la solution miracle pour résoudre un problème. Passons sur le fait que les rédacteurs du Code civil, en 1804, n’ont peut-être tout simplement pas pensé à créer un régime spécial pour les animaux, sans pour autant les assimiler à des meubles. C’est une déduction tirée d’un vide juridique. Passons également sur le fait qu’une jurisprudence constante condamne la maltraitance et la cruauté envers les animaux.

coq-poule

 Pour l’heure la question me semble plutôt se poser sur le terrain économique. L’industrie agro-alimentaire, qui exécute chaque année des millions de poules, de vaches et de cochons dans des conditions épouvantables, se contrefout en effet d’une loi protégeant le chien-chien à sa mémère. Il est en revanche extrêmement attentif au fait que les conditions de vie des animaux élevés en batterie, ne puissent en aucun cas, être rendues publiques. Ainsi plusieurs décisions de justice ont-elles interdit récemment la diffusion d’images prises dans des élevages de poules au motif qu’il s‘agissait d’une « atteinte à la vie privée » des éleveurs. On croit rêver.

Aujourd’hui les textes européens cautionnent les conditions dans lesquelles sont exploités les élevages et les abattoirs. Il n’y a donc pas de maltraitance officielle, et l’introduction de l’animal dans le code civil ne changera rien à l’affaire. Elle donnera peut-être bonne conscience à quelques-uns, sans résoudre le problème. Seules de véritables campagnes d’information pourraient retourner l’opinion et faire pression pour une amélioration de cette condition.

Cela étant, ne soyons pas trop persifleur, cette reconnaissance serait un premier pas, qui en appelle nécessairement d’autres, le risque est de se satisfaire de cette avancée symbolique. Cela fera une belle jambe aux poulets en batterie d’être inscrits dans le code civil.

Un mot de Montaigne, pour terminer. Qui est sans doute l’un des précurseurs de l’idée que la différence entre l’homme et l’animal est plus ténue qu’il n’y paraît. (Essais I, 42) : « Plutarque dit en quelque lieu qu’il ne trouve point si grande distance de beste à beste, comme il trouve d’homme à homme. Il parle de la suffisance de l’ame et qualitez internes. A la verité (…) j’encherirois volontiers sur Plutarque; et dirois qu’il y a plus de distance de tel à tel homme qu’il n’y a de tel homme à telle beste. »