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Une histoire de château 1

“Ventre-saint-gris ! les ducs de Bretagne n’étaient pas de petits compagnons.” Cette saillie, que l’on prête à Henri IV lors de sa première visite du château de Nantes, témoigne de la place de choix qu’occupait la demeure des ducs de Bretagne dans la France du XVIe siècle. Ce palais ducal, enserré dans une solide forteresse dominant la « rivière de Loyre », était alors l’une des plus sûres et des plus fastueuses résidences du royaume, dans une région rattachée depuis peu à la couronne et qui manifestait encore, de temps à autre, quelques velléités d’indépendance. Il fut conçu par François II, le dernier duc de la Bretagne indépendante, qui avait voulu doter son duché d’un palais digne des grandes cours d’Europe, aménagé par sa fille Anne, deux fois reine de France, et embelli par François Ier.

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L’histoire du site est presque aussi vieille que celle de la ville puisque des vestiges de l’enceinte gallo-romaine qui clôturait la cité primitive ont été mis au jour dans la cour de l’actuel château lors de différentes campagnes de fouilles. Mais il ne s’agissait à l’époque que de simples remparts. Pendant tout le premier millénaire, plusieurs réduits fortifiés flanquaient les extrémités de la ville, en bordure de Loire, pour protéger les Nantais contre les invasions barbares, principalement les incursions normandes.

L’emplacement du château a longtemps été objet de conflits entre l’évêque de Nantes, dont les jardins descendaient de la cathédrale jusqu’au fleuve, et les seigneurs de la ville, qui souhaitaient édifier une forteresse à cet endroit. « Guy de Thouars, nous raconte Marc Elder, l’un des premiers conservateurs du lieu, envahit les jardins de l’évêque Geoffroy en 1207 pour y creuser ses douves et y asseoir ses murailles. L’Eglise brandit ses foudres. Un procès s’engage. Mais le comte ne renie rien de ses gestes et garde la terre. Le château de la tour Neuve, premier état du palais ducal, était fondé. » Ce château, qui remplace celui du Bouffay, résidence première des comtes de Nantes, est mal connu. Il s’inscrivait vraisemblablement dans une partie de la cour de l’édifice actuel. Il n’en reste plus que le vieux donjon, qui devait se situer à un angle des remparts. C’est pourtant là que se déroula l’un des épisodes les plus fameux de l’histoire nantaise : l’incarcération et le procès de Gilles de Retz (ou de Rais), le riche seigneur voisin, qui fut jugé par un tribunal ecclésiastique présidé par Jean de Malestroit, évêque de Nantes, et condamné à la potence et au bûcher pour « hérésie, débauche, apostasie, idolâtrie et commerce avec l’esprit du mal ». La sentence fut exécutée le 26 octobre 1440.

C’est à peine trente ans plus tard, en 1466, que le duc François II, héritier du duché de Bretagne, ordonne la reconstruction du château, qu’il juge à l’époque « petitement logé et indigent de réparations. »Il faut dire que François II n’est pas, en ce milieu de XVe siècle, n’importe quel hobereau de province. Les ducs de Bretagne se considèrent comme de véritables souverains dans leur fief, portent la couronne fermée et refusent de rendre l’hommage lige au roi de France. Qui plus est, la Bretagne est riche. Elle s’est tenue à l’écart de la guerre de Cent Ans, qui a ravagé la France et l’Angleterre, et bénéficie d’une singulière période de prospérité : « Fastueux seigneurs, les ducs de Bretagne ! commente Marc Elder.Leur train égalait la magnificence des cours les plus riches, leur pouvoir balança si longtemps celui des rois de France que même ce vieux renard de Louis XI n’en put venir à bout. »

De fait, la cour de Bretagne est réputée en Europe entière pour son faste, ce qui autorisera François II à faire miroiter la main de sa fille Anne aux plus grands souverains d’Europe, dont le prince de Galles et l’héritier des Habsbourg, avec qui elle sera même mariée par procuration. En attendant, il faut à François un château à la hauteur de ses prétentions. Il confie la mission à Mathelin Rodier, alors chargé du chantier de la cathédrale. On reconstruit d’abord l’enceinte, notamment la façade nord-ouest. Celle-ci est défendue par quatre tours, construites en schiste et en granit, dont deux entourent le pont-levis : la tour du Pied-de-Biche, ainsi nommée en raison de la forme d’un cachot, et la tour de la Boulangerie, où sont installés les fours à pain. Dix ans plus tard on achève le Grand Logis, en pierre calcaire, à l’intérieur de la cour, qui doit servir d’habitation aux hommes d’armes.

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Le grand logis vu de l’escalier du grand gouvernement

Autant l’enceinte est austère, taillée dans le granit, et trahit le Moyen Age finissant, autant le palais se veut léger, ouvert, orné, et annonce la Renaissance, même s’il n’est pas complètement débarrassé des influences gothiques. La forteresse traduit la défiance de la Bretagne à l’égard de sa grande voisine, la France ; le palais exprime, lui, l’ambition des souverains bretons en Europe. François II ne verra pas la fin du chantier puisqu’il meurt en 1488, alors que le Grand Gouvernement n’est pas terminé, pas plus que la tour de la Couronne d’or. C’est sa fille Anne qui poursuivra la construction tout au long de sa vie. Faute de documents, on sait seulement, grâce à un inventaire de 1491, année du mariage de la jeune duchesse avec le roi de France, Charles VIII, que le château était fortifié sur la totalité de son périmètre à cette période.

Le chantier était sans doute très avancé lors de la visite de Nicolas Machiavel en 1498, année de la mort de Charles VIII et du retour d’Anne de Bretagne sur ses terres. Le célèbre Florentin s’est rendu à Nantes pour négocier l’annulation du mariage du nouveau roi, Louis XII. Celui-ci souhaite épouser en secondes noces la veuve de son prédécesseur, la belle duchesse bretonne. Ce mariage, autorisé par le pape, sera fructueux pour le château puisque les aménagements se poursuivront sous le règne de Louis XII, comme en témoigne la présence des armes du couple, l’hermine d’Anne et le porc-épic de Louis, sur l’une des lucarnes du Grand Logis. Les travaux conduits par Anne sont toutefois les derniers effectués au titre d’une Bretagne indépendante.

Le duché est définitivement rattaché à la France en 1532 et le château transformé en résidence royale, où séjourneront notamment François Ier, Catherine de Médicis et Charles IX. Mais l’hôte le plus célèbre de l’histoire du château est sans conteste Henri IV. Venu pacifier la région et rappeler le duc de Mercoeur à ses devoirs, il passe à Nantes le mois d’avril 1598. Le roi loge alors dans le pavillon du Petit Gouvernement, un bâtiment récent, confortable et spacieux, construit au milieu du XVIe siècle pour recevoir les hôtes royaux. C’est au premier étage de ce pavillon que le roi prépare l’édit de tolérance qui va rendre la ville célèbre dans le monde entier : l’édit de Nantes. « C’est vraisemblablement là qu’il l’a signé », précise Marie-Hélène Jouzeau, l’actuelle conservatrice du musée du château. Parmi les hypothèses qui circulent sur le lieu de la signature, une majorité d’historiens s’accorde aujourd’hui pour considérer que c’est bien au château, dans le pavillon du Petit Gouvernement, que le fameux édit a été paraphé.

C’est en revanche dans le Grand Gouvernement que loge Louis XIV lors de son séjour à Nantes, en 1661, à l’occasion des états de Bretagne. Une occasion dont le jeune souverain profite pour mettre un terme brutal à la carrière de son surintendant, Nicolas Fouquet. Vexé, dit-on, par l’étalage du luxe dont l’intendant avait fait preuve lors de l’inauguration du château de Vaux-le-Vicomte, le roi a décidé de faire arrêter et emprisonner son ministre lors de ce déplacement breton. C’est à son fidèle capitaine de mousquetaires, d’Artagnan – le vrai -, qu’est confiée la délicate mission, au terme d’une réunion du Conseil que préside Louis XIV au château. On retrouve trace de l’épisode dans les Mémoires du mousquetaire : « Enfin le Conseil étant fini, il descendit de l’appartement du roi par le grand escalier qui est dans le château. Je l’attendais au bas avec quelques mousquetaires qui étaient à dix pas de moi, dispersés deux à deux sans faire semblant de rien. Il était environné d’une foule de monde comme le sont tous les ministres. Je ne branlai pas de ma place jusqu’à ce que je le vis sur la dernière marche au pied de laquelle sa chaise l’attendait. Lui ayant dit que ce n’était pas là qu’il fallait entrer et que je l’arrêtais de la part du roi, toute cette foule de courtisans disparut dans un moment, sans qu’il en restât un seul pour le consoler ou pour le plaindre de sa disgrâce. » Immédiatement conduit à la forteresse d’Angers, Fouquet ne recouvrera jamais la liberté et mourra, vingt ans plus tard, en prison, oublié de tous.

La disgrâce, ce fut au tour du château de la connaître pendant la Révolution. Matérialisation du pouvoir royal, la forteresse faillit être rasée à plusieurs reprises à la demande des Nantais. L’Assemblée nationale entérina même le projet de démantèlement du château, avant qu’il ne soit sauvé in extremis par les militaires qui l’utilisaient depuis plusieurs années comme base logistique. Cette transformation en caserne est à la fois la meilleure et la pire des choses qui soit arrivée au château. Elle lui a sauvé la vie, mais l’a en même temps irrémédiablement mutilé. L’empreinte la plus spectaculaire de cette période tient dans l’immense bâtiment construit dans la cour, le Harnachement. Longtemps utilisé comme arsenal militaire, il masque la magnifique façade de la tour du Fer-à-Cheval. On relève des dégradations sur tout le périmètre, toute la surface du château. Elles tiennent, en premier lieu, à l’explosion du dépôt de munitions installé dans la tour des Espagnols en 1800, qui détruit la partie nord du château, en particulier l’Ancien Logis. Et puis s’y sont ajoutés les aménagements effectués dans les principaux bâtiments pour accueillir les militaires, des aménagements sommaires, faits à l’économie, rarement respectueux de l’architecture originelle. De sorte qu’il ne reste quasiment plus rien de ce qu’était le Grand Gouvernement lorsque le château est enfin classé Monument historique en 1862. L’architecture intérieure avait été complètement remaniée, la distribution des pièces bouleversée. « A la fantaisie imprévue du Moyen Age a succédé une régularité monotone, relève Marc Elder, en 1935. Trois pièces se commandent à chaque étage, vastes, mais sans le décor des belles cheminées à hotte et des sculptures qui fleurissent les ressauts de pierre. »

La Ville de Nantes acquiert le bâtiment en 1915 après de longues années de bras de fer avec l’Etat, qui y maintenait tant bien que mal une garnison militaire. L’idée peut, aujourd’hui, sembler farfelue, mais la municipalité eut un temps le projet d’y installer l’hôtel de ville. Finalement, c’est un musée qui ouvrira ses portes dans l’enceinte du château, en 1922. La longue histoire militaire du château des Ducs de Bretagne n’est pas achevée pour autant, puisqu’en 1942 les Allemands ont pris possession des lieux. Ils s’y sont installés en 1943 et ont construit un blockhaus dans la cour, devant la courtine du pont du secours. Un blockhaus qui existe encore et matérialise l’empreinte du XXe siècle dans l’enceinte de ce château aujourd’hui vieux d’un demi-millénaire

Ce papier de votre serviteur a été publié le 01/02/2007 dans un hors série du Point consacré à la réouverture du château des ducs de Bretagne après plusieurs années de travaux. Je le sauve ici, pour mémoire, avant qu’il ne disparaisse du site web du journal. Il contient deux erreurs, ou disons deux affirmations non étayées historiquement. Qui ont toutes deux quelque chose à voir avec la littérature. Il sera suivi d’une enquête sur la restauration du bâtiment. 

Illustrations : ville de Nantes