« Les angoissés ont l’estomac noué, les amoureux ont des papillons dans le ventre, les lâches manquent de tripes, et nous prenons parfois des décisions viscérales la peur au ventre… » C’est ainsi que débute le documentaire scientifique « Le ventre, notre deuxième cerveau » réalisé par Cécile Dejean, coproduit par Arte France, Scientifilms et l’Inserm. Ce film dresse un état des lieux de la recherche scientifique sur le système nerveux entérique, ce « deuxième cerveau » que nous avons dans le ventre, qui a progressé de façon spectaculaire ces dernières années, à tel point que l’on parle aujourd’hui de « névroses intestinales ».
Sollicité pour animer un débat, le 13 mars prochain, dans le cadre de « La semaine du cerveau » en présence de chercheurs de l’Inserm du CHU de Nantes, j’ai visionné, un peu sceptique dans un premier temps, puis conquis et littéralement émerveillé ce documentaire de 55 minutes, qui met en lumière l’incroyable univers que nous avons dans le ventre : autant de neurones que dans le cerveau d’un chien, autant de bactéries que la galaxie compte d’étoiles (ah les bactéries, petit coup de pied au passage à l’hygiénisme ambiant, les enfants peuvent sucer des cailloux, oui, c’est bon pour leur flore intestinale, pour leur système immunitaire).
Impossible de résumer en quelques lignes ce documentaire foisonnant et diablement bien construit, qui nous montre que les anciens n’avaient pas tout à fait tort lorsqu’ils considéraient que le cerveau est loin d’être la tour de contrôle exclusive de l’être humain. Le système digestif, lien avec le monde, n’est pas seulement une soute à charbon, une centrale énergétique sur laquelle cerveau se brancherait pour prendre les décisions. C’est lui le patron, et il influe beaucoup plus qu’on ne l’imagine sur nos états d’âme, nos décisions, notre manière d’être. Mais les messages ne passent pas par notre conscience, d’où notre difficulté à comprendre les mécanismes de ce dialogue muet entre ventre et cerveau.
Retrouvé cette citation de Montesquieu qui ne disait pas autre chose : « Je crois à l’immortalité de l’âme par semestre ; mes opinions dépendent absolument de la constitution de mon corps : selon que j’ai plus ou moins d’esprits animaux, que mon estomac digère bien ou mal, que l’air que je respire est subtil ou grossier, que les viandes dont je me nourris sont légères ou solides, je suis spinoziste, socinien, impie ou dévot. »
« Le ventre, notre deuxième cerveau » a été diffusé par Arte, le 30 janvier dernier, il est en accès libre sur Arte future jusqu’au 30 mars (lien ci-dessus). Projection et débat le jeudi 13 mars à 18h15 au cinéma Katorza de Nantes, en présence de Michel Neunlist directeur de l’unité Inserm U913 de Nantes et directeur scientifique pour la réalisation du film, de Claire Lissalde, chargée du pôle audiovisuel de l’Inserm et de Philippe Damier, professeur de neurologie eu CHU de Nantes. Un hommage au passage à Bernard Lardeux, chercheur au CNRS, et cheville ouvrière de “la semaine du cerveau”.
Petit ménage du lundi. Les billets d’humeur de ces dernières semaines sont passés en mode “privé”. Ces billets d’actualité n’ont pas vocation à rester en ligne hors contexte. Ils restent consultables sur demande.
Je ne dis pas, Philippe, ne pense ni ne parle d’enfonçage de portes ouvertes, surtout dans un documentaire que je n’ai pas vu. C’est bien au-delà. Et loin de moi, contrairement aux apparences, l’idée de dénigrer le travail des scientifiques en tant que tel. J’ai tenté de formuler une réflexion qui me traverse souvent quand je suis confrontée à l’exposition de ce travail, justement, souvent ressenti par celui qui en rend compte comme une sorte d’acte créateur, un passage à l’être, un avènement depuis le néant, le tout empaqueté dans l’argument d’autorité que permet de nos jours le “tout scientifique”. C’est en quelque sorte une réflexion épistémologique sur le véritable sens du mot “découvrir” en science, qui consiste souvent en la description fine et mieux dite de ce que l’on observe, doublée d’une tentative souvent réussie, d’introduire entre les divers éléments ainsi observés des relations de causalité dont le moins qu’on puisse en dire est qu’elles sont, comme celui qui invente la marche en marchant, nécessairement …. nécessaires. Je reconnais volontiers que ma relecture actuelle et à haute dose de Hume m’invite à remettre en question ce que j’appelle plus haut “une sorte de pléonasme”, qui consiste à dire autrement (et là, en effet, les avancées remarquables des techniques ont de quoi nous laisser sans voix) le réel, et non pas à trouver en lui quelque chose qui n’y serait pas.
Certes Pascale, on peut avoir le sentiment que ce doc enfonce quelques portes ouvertes depuis des lustres (la littérature et la philosophie en témoignent). Mais il va au-delà et je vous invite vraiment à le regarder. Au delà des découvertes récentes, ce qui me semble le plus intéressant est ce travail d’équipes pluridisciplinaires, à l’encontre des moeurs de la médecine occidentale qui saucissonne le corps en morceaux étanches (un bel exemple est la détection précoce de la maladie de Parkinson dans le ventre et non dans le cerveau).
Évidemment je regarderai cette émission que j’ai manquée.
Mais, à la lecture de notre hospitalier polygraphe, j’ai déjà, en quelque sorte, le cerveau en ébullition…
D’abord des remarques que je ne voudrais pas que l’on prenne pour de la provoc gratuite, mais l’expression d’une conviction que j’ai depuis fort longtemps à propos des discours (seraient-il et même a fortiori assistés de tous les moyens techniques de pointe) scientifiques de haute volée. Ne sont-ils pas une description, très fine, de plus en plus même, très spécialisée -la liste superlative est inachevée- une sorte de pléonasme, dans un langage d’autant plus complexe que s’y ajoutent des images, de ce qui est, de ce qui n’est que ce qui est.
Et les échos si bien venus aux Anciens et moins anciens le confirment. La différence n’est que de degré et non pas de nature entre eux et nos scientifiques. Qu’on ne se méprenne pas. Je ne suis pas en train de dire que tout est toujours déjà dit ou a déjà été dit, je voudrais juste arrondir l’exaltation de ce qui est présenté comme une “nouvelle connaissance” alors qu’il suffirait d’en dire que les moyens de la technique la plus sophistiquée ne révèlent (comme un papier photo révélateur) que ce qui existe, et que les métaphores fixées par le langage commun, et notre vie quotidienne, savent si bien intuitionner (le mot n’existe pas, je crois). Ce débordement du soma sur la psyché, -dont tous les Grecs ne pensaient pas qu’elle fût immatérielle, loin s’en faut-, et l’inverse, acquiert par d’autres moyens une dimension dont elle avait besoin qu’on la certifie en quelque sorte.
Ne pas oublier, dans ces rapports dont on a toujours eu la certitude empirique qui accèdent aujourd’hui à une dimension expérimentale (ce qui est le signe pour Bachelard d’une scientificité indiscutable), la version freudienne, enracinée dans les couches les plus profondes de ce cerveau, et/ou de ce corps finalement, qui produisent en nous des symptômes bien réels qui vont pourtant céder si on les rapporte à leur inscription dans l’insaisissable de nos pensées, de notre psychisme, lesquels ne seraient pas, hors de ce foisonnement cellulaire, synapsitique (invention de moi) et autres merveilles compliquées de la biologie moléculaire, j’en suis en effet convaincue.
Et pour que tout cela ne me déclenche pas une migraine mal -venue, je retourne à mes petites occupations non sans penser à cette si exacte remarque de Jankélévitch sur les immenses capacités du cerveau (donc de la pensée) humain, toujours à la merci d’une piqûre de moustique ou d’une rage de dent, je ne sais plus.
Mais Pascal disait, il me semble, un peu la même chose…